mardi, décembre 2, 2025
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Comme SCAF, MGCS redevient le programme politique qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être

Depuis plusieurs mois, l’avenir du programme franco-allemand Main Ground Combat System, ou MGCS, était dépeint très sombrement des deux cotés du Rhin. Il ne s’agissait alors pas uniquement d’extrapolations de presse teintées d’une certaine rivalité entre les deux pays et leur industrie de défense, mais également de sérieuses réserves exprimées à mots couverts par des sources industrielles, militaires et politiques, proches du dossier.

Après une première rencontre en juillet entre les deux ministres de tutelle qui n’aboutit qu’à la demande, aux états-majors de l’Armée de terre et de la Bundeswehr, de la rédaction d’un HLCORD (High Level Common Operational Requirements Document), une expression de besoins commune pour encadrer le programme à venir.

Une rencontre critique pour l’avenir de MGCS entre Sébastien Lecornu et Boris Pistorius

De fait, la pression était grande sur Sébastien Lecornu et Boris Pistorius, concernant le succès de leur nouvelle rencontre qui s’est déroulée sur la base aérienne d’Evreux ce 21 septembre.

Il s’agissait, en effet, de sortir le programme MGCS de l’état de stase dans lequel il se trouve depuis son lancement en 2017, et ainsi garantir sa pérennité, avec elle, celle du programme SCAF qui lui est intimement lié.

MGCS lecornu pistorius juillet 2023
Sébastien Lecornu et Boris Pistorius à Berlin pour discuter du programme MGCS en juillet 2023

De nombreuses pistes avaient été évoquées ces dernières semaines à ce sujet, allant de l’abandon pur et simple de la coopération franco-allemande entamée en 2017, à l’arrivée de l’Italie dans le programme imposée par la France.

Les deux hommes sont, semble-t-il, parvenus à trouver un terrain d’entente, en appliquant la même approche que celle qui permit au programme SCAF, lui aussi empêtré dans des luttes industrielles autour du partage industriel, de sortir de l’ornière mortifère dans lequel il se trouvait.

Reprise en main politique et leadership des agences de l’armement

Comme pour SCAF, le programme MGCS, qui est avant tout un programme d’essence politique visant à consolider les coopérations industrielles et milliaires entre Paris et Berlin, sera donc piloté par le Politique, plus précisément par les agences de l’armement des deux pays, la DGA française et le BWD allemand.

Il s’agit, par cette approche, de mettre fin aux disputes qui ont bloqué le programme depuis 7 ans, notamment depuis l’arrivée de Rheinmetall aux côtés de KNDS en 2019.

armin papperger rheinmetall KF51 Panther
Le CEO de Rheinmetall, Armin Papperger, n’a pas caché ses ambitions divergentes vis-à-vis du programme MGCS

On notera que cette reprise en main politique est loin d’être mal reçue par certains industriels. Ainsi, il y a quelques semaines, le CEO de KNDS, Frank Haun, appelait expressément à cela pour sortir le programme de l’ornière dans laquelle il était.

Il en ira autrement pour Rheinmetall, qui avait fait de son potentiel de nuisance au sein du programme, une stratégie industrielle et commerciale au service de la promotion de son char de génération intermédiaire KF51 Panther.

Un programme à parité budgétaire et industrielle, construit sur des piliers, comme SCAF

Bien que relativement concises, les déclarations de Sébastien Lecornu et Boris Pistorius à l’issue de la rencontre d’Evreux, permettent de tracer une cartographique de l’avenir du programme MGCS et de la coopération industrielle en son sein.

Strictement équilibré à son lancement, tant du point de vue industriel que budgétaire, lorsque attribué à la coentreprise KNDS, le programme fut grandement déstabilisé en 2019 avec l’arrivée de Rheinmetall imposée par le Bundestag.

Nexter canon ASCALON
Nexter developper le canon de 150 mm ASCALON pour équiper le char lourd du programme MGCS

En effet, le groupe de Düsseldorf exigeait d’obtenir un tiers des sous-programmes, notamment pour ce qui concernait l’armement principal avec le canon de 130 mm L/55, jusque-là visé par Nexter au sein de KNDS, avec le canon ASCALON de 140 mm.

Il fallait donc aux pilotes du programme de résoudre une équation sans solution, avec un partage industriel à parité reflétant la parité de l’investissement budgétaire des deux pays et des industriels allemands qui restaient inflexibles sur l’obtention d’un tiers des travaux chacun.

Pour répondre à ce blocage, MGCS sera désormais piloté par pilier, à l’instar du programme de SCAF. Chacun d’eux sera lui-même piloté par un industriel, avec la participation d’autres industriels appartenant aux deux pays.

Cette approche propose une plus grande flexibilité en matière de partage industriel. En effet, les piliers sont eux-mêmes scalaires, pour qu’il soit ainsi possible de répartir objectivement les attributions et participations de sorte à respecter une parité industrielle stricte reflétant la parité budgétaire.

KF51 Panther Rheinmetall
Le KF51 Panther est présenté par Rheinmetall comme une alternative efficace et économique au programme franco-allemand

Le pilotage ultime étant politique, il sera bien plus difficile aux industriels, et notamment à Rheinmetall, de jouer l’obstruction tactique pour venir handicaper le programme. Il sera donc très probablement bien plus pertinent pour le groupe allemand de rentrer dans le rang afin d’obtenir la meilleure participation industrielle.

Pas d’Italie avant la fin de la première phase

Il s’agit là incontestablement d’une avancée majeure, et d’une certaine manière, d’une victoire de KNDS sur Rheinmetall. C’était d’ailleurs pour parvenir à un résultat similaire que la France avait laissé fuiter l’hypothèse de l’arrivée imposée de l’Italie au sein du programme.

Il s’agissait alors, par cela, d’amener à une réorganisation du programme et de son partage industriel, en venant minimiser mécaniquement la part de Rheinmetall et en forçant à une redéfinition complète de l’organisation industrielle en son sein.

L’accord obtenu entre Paris et Berlin ce 21 septembre rend évidemment cette stratégie, aux fondements en partie contestable par la proximité commerciale et industrielle de l’Allemagne et de l’Italie, obsolète.

Chaine de production Krauss Maffei Wegmann Leopard 2
Chaine de production de Krauss-Maffei-Wegmann pour le Leopard 2

Ce n’est pas pour autant que l’arrivée de Rome, et d’autres européens, au sein de MGCS a été rejetée. Au contraire, elle est désormais encadrée d’une procédure, et d’un calendrier.

Ainsi, à l’issue de la première phase d’organisation et de rédaction du cahier des charges industriel qui demeurera dans les semaines à venir, d’autres pays européens pourront rejoindre le programme courant 2024.

Ils auront d’abord la qualité d’observateur, comme c’est le cas aujourd’hui de la Belgique dans le programme SCAF, et pourront par la suite intégrer le programme industriel lui-même.

Cette approche, raisonnable au demeurant, permet de limiter le nombre d’avis et d’expressions de besoins lors de la phase de conception initiale, pour conserver une trajectoire technologique, industrielle et opérationnelle maitrisée, et ainsi éviter les dérives que l’on a pus observer autour du programme NH90, par exemple, avec presque autant de version de l’appareil qu’il n’y avait de partenaires.

Une échéance ramenée à 2040-2045

Si Berlin a accepté des compromis concernant l’organisation industrielle, c’est aussi le cas de Paris, sur le tout aussi sensible sujet du calendrier. En effet, contrairement à l’Allemagne qui dispose des évolutions du Leopard 2 et, éventuellement, du KF51 Panther, pour assurer l’intérim opérationnel et commercial dans les années à venir, ce n’est pas, pour l’heure tout au moins, le cas de la France avec le Leclerc.

Évolution du Leopard 2
Les évolutions du Leopard 2 voient leur marché s’étendre par le report de 10 ans du programme MGCS

Dès lors, le calendrier initial du programme MGCS, qui visait une entrée en service en 2035, était crucial pour le remplacement des Leclerc de l’Armée de Terre. En revanche, pour les industriels allemands participant au Leopard 2A8, au KF51 ou au futur et mystérieux Leopard 2AX, cette échéance posait d’importants problèmes de chevauchement des marchés.

Dès lors, de nombreuses voix, industrielles, politiques et même militaires, s’étaient élevées outre-Rhin, pour appeler à un glissement de MGCS au-delà de 2040, et même de 2045, afin d’éteindre la période de commercialisation des dernières versions du Léopard 2, et du KF51.

L’échéance de 2035 était aussi remise en cause en France, en particulier par l’État-Major de l’Armée de terre, pour qui les délais nécessaires au développement et à la maturation des technologies clés de MGCS, notamment dans le domaine robotique, de l’intelligence artificielle et de l’engagement coopératif, n’étaient pas suffisants.

De fait, en acceptant publiquement une échéance à 2045 (2040 n’étant citée que pour atténuer l’effet d’échelon perçu), Sébastien Lecornu fait preuve de réalisme. Il donne aussi des gages aux industriels allemands, et particulièrement à Rheinmetall, pour obtenir un changement de posture.

Le problème de l’obsolescence des chars Leclerc français

Pour autant, cette échéance pose un important problème en France. En effet, La modernisation en cours du char Leclerc, est déjà jugée insuffisante par nombre de spécialistes du sujet, en particulier au regard des enseignements de la guerre en Ukraine.

char Leclerc Azur
Le char Leclerc, dans sa version AZUR comme MLU, sera certainement dépassé pour un engagement de haute intensité au-delà de 2030.

De fait, d’ici à 2030, l’Armée de terre disposera non seulement d’un parc de chars lourds particulièrement réduit avec uniquement 200 blindés, mais également de chars sensiblement dépassés dans certains domaines, pour pouvoir les engager efficacement en zone de combat de haute ou très haute intensité.

En outre, la nouvelle Loi de Programmation Militaire 2024-2030, qui vient d’être votée, n’offre à ce jour aucune marge de manœuvre budgétaire pour répondre à ce problème dans les années à venir.

De fait, la situation des capacités blindées lourdes de l’Armée de terre, au-delà de 2030, pourraient être particulièrement problématique, et ce, pendant une quinzaine d’années jusqu’à l’arrivée du MGCS. Il s’agit précisément la période de 2030 à 2045 qui, aujourd’hui, est perçue par les spécialistes du sujet, comme le pic des tensions internationales à venir.

L’hypothèse d’un partenariat avec les EAU pour developper une évolution du Leclerc

La solution pour Paris pourrait venir de l’unique client à l’exportation du char Leclerc, les Émirats arabes unis. En effet, des négociations seraient en cours avec Abu Dhabi, en vue de developper une évolution du char Leclerc dont 354 exemplaires sont en service au sein des armées émirati.

Chars Leclerc Émirats arabes unis
Les chars Leclerc des Émirats arabes unis doivent être modernisés ou remplacer dans les années à venir.

Cette approche permettrait à Paris de participer à ce programme conjoint avec les Émirats, et ainsi developper une version bien plus adaptée aux exigences opérationnelles de 2030, que ne le sera le Leclerc MLU, en le dotant, par exemple, d’un système de défense hard kill APS comme ceux qui équiperont les Leopard 2A8, les Challenger 3 ou encore les M1A2 Abrams.

Ce programme permettrait par ailleurs de renforcer la coopération industrielle militaire entre la France et les Émirats arabes unis, très en demande de ce type de partenariat, et ainsi éviter de perdre ce partenaire clé au profit d’autres acteurs émergents comme la Corée du Sud avec le K2 Black Panther, la Turquie avec l’Altay ou encore la Chine avec le VT4.

Conclusion

On le voit, les arbitrages menés par Paris et Berlin ces derniers jours, et exprimés par Boris Pistorius et Sébastien Lecornu à Evreux, ont le potentiel de sauver et de relancer le programme MGCS, si tant est que « relancer » soit effectivement le bon terme.

La nouvelle trajectoire présentée par les deux ministres est non seulement pertinente, elle est aussi, très probablement, la seule qui permette effectivement de préserver la pérennité de ce programme victime des ambitions industrielles et politiques depuis plusieurs années.

tourelle EMBT KNDS Nexter
La tourelle EMBT de KNDS pourrait représenter une évolution appréciable pour le char Leclerc

En d’autres termes, MGCS est désormais redevenu le programme politique qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être pour avancer. En effet, ni les industriels, ni les militaires, de part et d’autres du Rhin, n’avaient jusque-là dû collaborer pour avancer, ni n’avaient exprimé le besoin de le faire.

Toutefois, si le programme franco-allemand est dorénavant sur de bons rails et sur un calendrier réaliste, il impose à présent à la France, et au ministère des Armées, de concevoir rapidement une alternative intérimaire au Leclerc MLU pour maintenir les capacités opérationnelles de l’Armée de terre et industrielles de la BITD, jusqu’en 2045.

Dans ce domaine, la solution la prometteuse réside incontestablement dans un partenariat industriel et technologique avec les Émirats arabes unis, pour le développement d’une évolution du Leclerc, peut-être à partir de la tourelle EMBT, comme évoquée dans un précédent article.

Il faudra cependant faire preuve, avec Abu Dhabi qui sait désormais à quel point le sujet est critique pour Paris, d’une bonne dose de persuasion et d’une souplesse industrielle bien plus importante que celle dont ont fait preuve les négociateurs d’Airbus Helicopters, pour y parvenir.

Livraison d’armes à l’Ukraine : la Pologne à sec, symptôme d’un phénomène de grande ampleur à venir.


Depuis le début de l’agression russe, la Pologne avait été en première ligne pour la livraison d’armes à l’Ukraine. En un an et demi, Varsovie a ainsi livré plus de 300 chars T-72, PT-91 et Leopard 2A4, ainsi que 14 Mig-29 et de nombreux véhicules blindés et munitions de tous types à Kyiv.

De fait, la Pologne a été, pendant longtemps, le plus important pourvoyeur de matériels militaires lourds pour soutenir les armées ukrainiennes, y compris devant les Etats-Unis, et a joué à plusieurs reprises le rôle d’aiguillon pour faire bouger les lignes occidentales en matière de livraison d’armes.

Enfin, la Pologne a accueilli plus de la moitié des 4 millions de réfugiés ukrainiens, et a permis à de très nombreux matériels militaires occidentaux de transiter par son territoire pour atteindre l’Ukraine.

La Pologne à sec concernant la livraison d’armes à l’Ukraine

Toutefois, cet effort spectaculaire s’est fait au détriment des armées polonaises qui, dans certains domaines, ont perdu près de 40 % de leurs capacités opérationnelles du fait des livraisons à l’Ukraine.

Livraison d'armes à l'Ukraine Pologne PT-91
La Pologne a livré à l’Ukraine plus de 300 chars lourds PT-91 et T-72, ainsi que des Leopard 2A4.

Si Varsovie s’est engagée depuis plusieurs mois dans une dynamique tout aussi spectaculaire pour moderniser ses armées, les livraisons des nouveaux équipements prendront de plusieurs mois à plusieurs années, période durant laquelle la Pologne sera exposée et vulnérable, ce d’autant qu’elle ne peut guère compter sur ses voisins européens pour venir renforcer ses propres défenses.

En outre, comme les lecteurs de Meta-defense le savent depuis de nombreux mois, Moscou a entrepris, à partir de l’été 2022, de profondément reformer sa propre industrie de defense, et de passer le pays en réelle économie de guerre.

De fait, quelle que soit la conclusion du conflit ukrainien, les armées russes seront rapidement en capacités de venir menacer la Pologne ou les Pays Baltes à ses frontières.

L’annonce choc, mais attendue, du premier ministre polonais Mateusz Morawiecki

Il n’y a donc rien de vraiment surprenant dans la déclaration du premier ministre polonais Mateusz Morawiecki au sujet de l’arrêt des livraisons d’armes polonaises à l’Ukraine.

Quant au contexte lié aux tensions entre Kyiv d’un côté, Varsovie, Bratislava et Budapest de l’autre, au sujet des céréales ukrainiennes, qui plus est dans un contexte préélectoral exacerbé en Pologne, il n’aura eu l’effet que d’un révélateur d’une situation par ailleurs inévitable et prévisible.

premier ministre polonais Mateusz Morawiecki
Le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a annoncé la fin des livraisons d’armes à l’Ukraine, afin de maintenir les forces nécessaires face à la menace.

Tout prévisible qu’il fut, ce phénomène d’épuisement des stocks d’armement transférable à l’Ukraine, n’a pourtant pas été anticipé, ni par Varsovie, ni par les autres pays européens, qui, eux aussi, sont exposés aux mêmes limitations.

Les conséquences de l’effort de guerre russe

C’est ainsi qu’après avoir livré une petite centaine de chars Leopard 2 modernes, les livraisons européennes se composent désormais de chars Leopard 1 datant de la fin des années 60 et du début des années 70.

Ceux-ci n’ont guère à envier aux T-62 et T-55 sortis des stocks en Russie. Cependant, ils ne représentent qu’une partie des chars livrés aux armées russes. En effet, les usines d’armement russes tournent à présent à plein régime, à des cadences supérieures à celles d’avant-guerre.

Ainsi, l’usine de chars Uralvagonzavod de Nijni Taguil, dans l’Oblast de Sverdlovsk, dans l’Oural, produit dorénavant de 200 à 400 chars par an, selon les sources, majoritairement des T-90M, mais également des T-80BV et T-72B3M, c’est-à-dire des modèles beaucoup plus récents et performants que les Léopard 1 envoyés en Ukraine.

Le mirage des usines d’armements en Ukraine

Pour tenter de répondre à la dangereuse évolution du rapport de force qui se dessine, Kyiv a entrepris, depuis plusieurs mois, de négocier avec les industriels européens la construction d’infrastructures permettant la production de ces équipements en Ukraine.

KF-51 Panther Rheinmetall
Rheinmetall aurait entrepris la construction d’une usine de chars et de blindés lourds en Ukraine, peut-être pour produire des chars KF51 Panther.

C’est ainsi que Rheinemtall aurait entrepris, depuis plusieurs semaines, la construction d’une usine capable d’assembler jusqu’à 400 blindés lourds, chars de combat et véhicules de combat d’infanterie par an.

Des négociations ont par ailleurs démarré avec la Suède pour la construction locale de CV9040, ainsi qu’avec le finlandais Patria pour la production de blindés 8×8 AMV.

Toutefois, si la production de blindés russes a augmenté, c’est aussi le cas de celle des missiles balistiques, des missiles de croisière ou encore de drones d’attaque à très longue portée comme le Geranium dérivé du Shahed-136.

Comme l’ont montré les frappes massives russes sur les infrastructures critiques ukrainiennes ces derniers jours, même si les systèmes antiaériens et antimissiles livrés par les occidentaux sont performants, ils sont dans l’impossibilité de protéger certaines infrastructures face à des attaques se voulant saturantes.

Or, tout indique que les armées russes reconstituent activement leurs stocks de capacités de frappe à longue distance, précisément pour être en mesure de frapper les infrastructures nécessaires le moment voulu.

En d’autres termes, il est très peu probable que Moscou permette à une usine Rheinmetall ou Patria de sortir de terre en Ukraine, sans venir raser l’infrastructure par des frappes massives et coordonnées de missiles et de drones.

missile Kinzhal Mig-31K
La production de missiles et de drones à longue portée a aussi augmenté en Russie, venant menacer les infrastructures du pays, comme les nouvelles usines d’armement espérées par Kyiv.

À ce constat déjà alarmant, s’ajoute le risque de plus en plus pressant d’une diminution sensible de l’aide américaine au-delà des élections de 2024.

Moins de 35 % de chance que les livraisons d’armes américaines se maintiennent au-delà de 2024

En effet, pour maintenir le soutien de Washington à Kyiv au niveau qu’il atteint aujourd’hui, il serait nécessaire que le président Joe Biden (ou Kamala Harris le cas échéant) soit élu à la Maison blanche, et que le congrès soit favorable à ce soutien.

Or, les sondages ces derniers mois montrent une opinion publique divisée à parité stricte entre les soutiens de Donald Trump, et de Joe Biden. En d’autres termes, il y a une chance sur deux qu’un président démocrate favorable ou soutien à l’Ukraine soit élu, mais aussi une chance sur deux que le nouveau Congrès qui sortira des urnes soit aligné avec cette politique.

Ainsi, les chances que le soutien américain perdure au-delà de 2024, ne sont à présent que de 25 %, 35 % dans le meilleur des cas, en tenant compte des possibles dissidences à Donald Trump au sein du Parti républicain.

De fait, tout indique que d’ici à une année, la position militaire de l’Ukraine ira en se dégradant rapidement sous l’effet conjugué d’une baisse de l’aide l’US, de l’assèchement des stocks transférables européens, de l’impossibilité pour Kyiv d’augmenter sa production locale et de l’effort de guerre massif russe.

En outre, même si la contre-offensive ukrainienne en cours ou à venir venait à être couronnée de succès, et que les armées de Kyiv parvenaient à libérer de grandes portions de territoires sous contrôle russe, il est des plus probable que Moscou repasserait à l’attaque une fois ses armées reconstituées.

Donald Trump
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche signifierait presque certainement une baisse critique de ‘l’assistance militaire américaine à Kyiv.

Dans ce domaine, il est évident, depuis plusieurs mois, que la Russie planifie son effort de guerre sur plusieurs années, là où l’Ukraine peine à voir au-delà d’une seule année, et que l’aide occidentale se limite à quelques mois de visibilité.

La production extraterritoriale en Europe comme unique alternative pour Kyiv

La seule alternative crédible pour faire face à la situation en développement aujourd’hui, serait que les pays européens acceptent de déployer sur leur sol des infrastructures de production extraterritoriales ukrainiennes, peut être sous la forme d’un leasing pluriannuel ou d’une coentreprise internationale, permettant à Kyiv de financer la production d’équipement tout en ayant une garantie de pérennité suffisante pour ses investissements.

Cette solution permettrait non seulement d’exploiter les usines de production dans un environnement bien plus sécurisé, mais aussi d’en simplifier la chaine de sous-traitance. Quant à la main d’œuvre, elle pourrait être en grande partie fournie par l’Ukraine, dans un accord spécifique.

Pour qu’une telle solution produise les effets attendus, il serait nécessaire cependant qu’elle soit mise en place sur des délais très courts, de sorte que les nouveaux équipements puissent commencer d’arriver en Ukraine avant les élections présidentielles américaines.

Neutraliser la stratégie russe en Ukraine à moyen terme

Notons par ailleurs qu’elle viendrait très probablement neutraliser une grande partie de la stratégie à moyen terme russe, qui mise sans le moindre doute sur cet épuisement occidental d’ici à 2025, pour remporter la victoire écrasante qui permettrait de justifier les pertes enregistrées.

Uralvagonzavod
Selon les sources, l’usine Uralvagonzavod produit désormais de 200 à 400 nouveaux chars par an.

En neutralisant l’avantage numérique à venir escompté par Moscou, il serait alors possible d’amener les autorités russes à une position plus flexible pour mettre fin au conflit, sans risque de récidive à court ou moyen termes.

Quoi qu’il en soit, il apparait que la décision polonaise de ne plus livrer d’armes à l’Ukraine, est seulement les prémices d’un phénomène qui apparait désormais inévitable.

Surtout, tout indique qu’aucune solution alternative qui permettrait aux ukrainiens de conserver un rapport de force équilibré ou favorable face à la Russie n’est pour l’heure mise en œuvre, particulièrement en Europe.

L’inertie européenne menace l’Ukraine, et l’Europe elle-même

Dans ce contexte, il est très peu probable que l’Ukraine puisse continuer à contenir la Russie dans les années à venir, soit par un pat stratégique de type Corée, soit par une victoire suffisamment marquante qu’elle engendrerait de profonds changements politiques à Moscou.

En outre, dans l’hypothèse d’une victoire russe en Ukraine, tout porte à croire que les autorités russes seraient alors réconfortées, non seulement dans l’efficacité de leurs armées, mais aussi dans le manque de détermination des européens, notamment si les Etats-Unis s’engagent dans une politique plus distante vis-à-vis du vieux continent.

chars T-90M sortant de l'usine Uralvagonzavod.
le front ukrainien va recevoir un nombre croissant de chars modernes russes, comme ici des T-90M sortant de l’usine Uralvagonzavod.

De fait, en prenant aujourd’hui les décisions nécessaires et suffisantes pour soutenir efficacement et sur la durée l’effort de guerre ukrainien, particulièrement en acceptant d’installer des infrastructures industrielles de production d’armement dans les pays de l’UE, les européens agiraient non seulement pour venir en aide à leur voisin, mais avant tout pour se protéger eux-mêmes dans les années à venir.

Malheureusement, l’histoire récente tend à montrer que dans ce domaine, nombre de dirigeants, même les plus prolixes, préfèrent détourner le regard que de prendre les décisions qui s’imposent.

En commandant 761 missiles MMP, la Belgique fait une nouvelle fois confiance à la France.

La Belgique a annoncé la commande 761 missiles MMP (ou AKERON MP) antichars à MBDA France, pour armer ses 60 véhicules de reconnaissance blindés EBRC Jaguar, et remplacer les missiles SPIKE actuellement employés. Il s’agit d’une nouvelle preuve de l’attachement de Bruxelles au partenariat defense franco-belge, qui s’est exprimé ces dernières années au travers de plusieurs commandes majeures auprès de l’industrie française de defense.

Que n’a-t-on entendu dire sur la Belgique en France, après que celle-ci a eu préféré acquérir le F-35A plutôt qu’un appareil européen, pour moderniser ses forces aériennes.

Certains ont la dent aussi dure qu’ils ont la mémoire longue à ce sujet, comme ce fut le cas d’Eric Trappier, le PdG de Dassault Aviation, lorsqu’il a été interrogé sur la possibilité pour Bruxelles de rejoindre le programme SCAF.

Les conséquences du choix du F-35A par la Belgique

Selon le chef de file des dirigeants de grandes entreprises françaises de défense, il n’était, en effet, pas question de donner du travail aux entreprises belges dans le cadre de ce programme, alors même que le pays s’était tourné vers le F-35A américain pour remplacer ses F-16.

Si la mémoire est longue, elle est aussi particulièrement sélective. En effet, en dehors du F-35A, Bruxelles s’est montré d’une fidélité exemplaire aux équipements européens, et français plus spécifiquement.

F-35A choisi par la Belgique

Ainsi, à peine avaient-ils annoncé l’arbitrage en faveur du F-35A face à l’Eurofighter (et non face au Rafale, qui ne participait pas à la compétition), que les autorités belges annonçaient la signature du programme CaMo, pour Capacité Motorisée.

EBRC Jaguar, VBMR Griffon, Caesar NG : l’Armée de terre belge s’équipe français dans le cadre du programme CaMo

Celui-ci se composait, non seulement de l’acquisition de 60 EBRC Jaguar et de 382 VBMR Griffon auprès de Nexter et de la BITD terre française, mais aussi d’un important effort de standardisation et d’engagement coopératif entre les armées de terre française et belge, dans le cadre de la bulle SCORPION.

Quelques mois plus tard, c’était au tour du Français Naval Group et de son partenaire belge ECA devenu depuis Exail, de remporter la compétition face au néerlandais DAMEN pour la conception et construction de 12 grands navires de guerre des mines et de leurs drones, 6 pour la Marine belges et 6 pour la Marine néerlandaise.

À eux deux, ces contrats représentent un investissement de 4 Md€ sensiblement équivalent à celui concernant l’acquisition des F-35A par Bruxelles, alors que d’autres coopérations et contrats sont venus depuis s’y greffer.

C’est ainsi qu’en 2021, la Belgique commandait neuf canons CAESAR NG, suivis quelques mois plus tard, en juillet 2022, de 19 unités supplémentaires, toujours auprès de Nexter, afin là encore d’optimiser l’interopérabilité avec l’Armée de terre.

En avril 2023, la France se tournait vers la Belgique et les Pays-Bas, pour acquérir, elle aussi, six grands bâtiments de guerre des mines conçus par Naval Group et Exail pour la Marine Nationale, au sein d’un programme désormais européen reprenant les trois acteurs initiaux des chasseurs de mines Tripartite de la classe Eridan.

Bâtiment de guerre des mines Naval Group Exail

Un mois plus tard, la Belgique participait à l’initiative menée par la France, pour créer un club d’utilisateurs européens du missile sol-air à très courte portée Mistral 3, aux côtés de l’Estonie, de la Hongrie, de Chypre et probablement de la Roumanie.

Commande de 761 missiles MMP Akeron MP pour armer les ERBC Jaguar

Aujourd’hui, Bruxelles vient une nouvelle fois de faire confiance à la France et sa BITD, en annonçant une commande de 761 missiles antichars MMP auprès de MBDA France, pour armer ses 60 EBRC Jaguar.

Les nouveaux missiles remplaceront les SPIKE israéliens actuellement employés au sein des forces armées belges, mais également par 19 autres forces armées en Europe, alors que le MMP, également nommé Akeron MP, n’a, à ce jour, été choisi que par le Luxembourg sur le vieux continent.

De fait, en dépit de l’épisode du remplacement des F-16 belges, qui aurait probablement pu être bien mieux négocié par Paris qu’il ne l’a été, la Belgique s’est avérée être, avec la Grèce, le plus fidèle partenaire et client des industries de defense française en Europe ces dernières années.

Missiles MMP AKERON MP MBDA France Armée de terre

Il serait probablement temps, en France, que cette évidence soit prise en considération au niveau requis dans les décisions et déclarations, faites à ce sujet. Et ainsi de renforcer le partenariat franco-belge, et par transitivité, franco-néerlandais (qui ont aussi commandé 14 hélicoptères H225M Caracal à Paris en juin 2023), dans ces domaines critiques.

Il s’agit, ici, de regarder un verre bien plus qu’à moitié plein, plutôt que de rester figé sur le fait qu’il a été vide il y a quelques années.

SSN-AUKUS va-t-il avoir la peau des futurs F-35A australiens ?


Depuis deux ans, et l’annonce officielle de l’alliance AUKUS regroupant l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, puis du programme de sous-marin nucléaire d’attaque commun SSN-AUKUS, les autorités australiennes évoluent, pour ainsi dire, dans un État proche de la schizophrénie concernant la programmation militaire du pays.

D’un côté, sont-elles dithyrambiques et exaltées dès lors qu’il s’agit de vanter le potentiel à venir des huit nouveaux SNA de la Royal Australian Navy, de 3 à 5 navires de la classe Virginia qui seront acquis auprès des Etats-Unis, et de 3 à 5 sous-marins de nouvelle génération (pour un total de huit navires) conçus conjointement avec le Royaume-Uni, avec le soutien technologique des Américains.

Frégates classe Hunter, VCI AS21 Redback et F-35A : la liste des compressions de programmes s’allonge en Australie

De l’autre, elles ne cessent de revoir à la baisse les ambitions de leurs autres programmes d’équipement. C’est ainsi qu’en avril dernier, le programme LAND 400 qui visait à acquérir 450 nouveaux véhicules de combat d’infanterie pour l’Australian Army, fut divisé par 3 et ramené à 150 unités, en l’occurrence, des AS-21 Redback sud-coréens préférés aux KF41 Lynx allemands.

Il y a quelques semaines, au début du mois de septembre, c’était au tour du programme de frégates de la classe Hunter de se voir menacer sur des raisons budgétaires, sans que l’on sache pour l’heure s’il sera simplement réduit en format, ou annulé afin de se tourner vers un modèle de navire moins onéreux que la Type 26 britannique choisie jusqu’ici.

AS21 Redback
L’Armée australienne n’achètera finalement que 150 des 450 VCI AS21 Redback prévus par le programme Land 400

Cette semaine, selon le site Janes, une nouvelle menace sur un programme majeur australien a émergé. En effet, la Royal Australian Air Force avant pour objectif de lancer, dans le courant de cette décennie, un programme visant à remplacer les 24 de F/A-18 F Super Hornet actuellement en service, par une trentaine de F-35A Lighting 2 supplémentaires dans le cadre du programme AIR 6000, par ailleurs déjà en service dans le pays avec 60 après, plus 12 en commande.

Ce programme visait naturellement à homogénéiser la flotte de chasse australienne, même si les 12 EA-18G Growler de guerre électronique, par ailleurs aussi en service, semblaient devoir être préservés.

En outre, la Royal Australian Air Force paraissait particulièrement satisfaite et convaincue des capacités du chasseur de Lockheed-Martin, et de sa plus-value opérationnelle vis-à-vis d’appareils plus anciens, comme le Super Hornet.

Toutefois, selon les informations obtenues par le site spécialisé Janes, tout porte désormais à croire que cette ambition ne se réalisera pas, en tout cas pas au cours de cette décennie. Interrogé par le site à ce sujet, le ministère de la Défense australien a indiqué qu’aucune décision n’avait été prise, mais qu’en revanche, les Super Hornet australiens continueraient d’être modernisés dans les années à venir.

Préserver le F/A-18 Super Hornet pour mettre en œuvre le missile AGM-158C LRASM

Cette déclaration doit être mise en perspective des conclusions et des recommandations de la nouvelle revue stratégique rendue publique il y a quelques semaines, qui prévoit de continuer d’employer les F/A-18 F de la RAAF au moins jusqu’en 2027, notamment pour mettre en œuvre la munition antinavire AGM-158C Long-Range Anti-Ship Missile ou LRASM, ce dont le F-35A est pour l’instant incapable.

Reste qu’au-delà de l’argument précédent qui n’a qu’une portée limitée puisque tant l’AGM-158C LRASM que le Joint Strike Missile JSM, sont en cours d’intégration dans le Block 4 du F-35 devant être opérationnel d’ici au milieu de l’année prochaine, une évidente dynamique visant à contenir, voire à réduire certaines dépenses liées à des programmes majeurs, est en cours.

F/A-18 F Super Hornet
Les F/A-18F Super Hornet australiens devraient être prolongés au cours de cette décennie, alors qu’ils devaient être remplacés par 30 F-35A supplémentaires dans le cadre du programme AIR6000.

Et se dessine désormais une liste non exhaustive de l’ensemble des équipements et moyens auxquels les armées australiennes vont devoir renoncer, pour pouvoir effectivement se doter de ces huit sous-marins d’attaque nucléaire.

De manière étonnante, le sujet n’a jamais été présenté sous cet aspect, ni aux parlementaires australiens, ni à l’opinion publique du pays. À ce jour, l’argumentaire proposé se contente de mettre en avant les plus-values des sous-marins à propulsion nucléaire, vis-à-vis des sous-marins à propulsion conventionnelle et AIP.

Les atouts et plus-values attendues du programme SSN-AUKUS

Or, il est évident que les premiers offrent des performances et des capacités nettement supérieures aux seconds. De fait, les 8 SNA Virginia et SSN-AUKUS australiens à venir, auront incontestablement de nombreux avantages et atouts, face aux SSK qu’ils remplacent, qu’il s’agisse de Collins actuellement en service, ou d’autres modèles, y compris les Shortfin Barracuda précédemment commandés.

Les SNA sont en effet, considérablement plus rapides et disposent d’une autonomie en plongée théoriquement illimitée, ce qui leur permet de se repositionner très rapidement et de manière discrète, à la demande de l’Amirauté. En outre, cette vitesse leur permet d’accompagner et d’escorter des capîtals Ships comme les porte-avions à propulsion nucléaires évoluant, eux aussi, à vitesse soutenue.

Ils représentent enfin l’arme de prédilection pour engager et détruire les sous-marins à propulsion nucléaire adverses qui, eux aussi, peuvent profiter de leur vitesse pour esquiver un engagement au besoin. Ainsi, les SNA australiens apparaissent comme un atout indéniable pour la Royal Australian Navy, tout du moins de prime abord.

Nimitz class
L’escorte de Capital Ships comme les porte-avions à propulsion nucléaire est l’une des principales missions des SNA. La Marine australienne n’a aucun porte-avions, ni même aucun vrai capital Ship.

Les besoins et contraintes de la Marine australienne

Pour autant, ces atouts sont aujourd’hui employés avant tout par des pays disposant de capitals Ships à escorter, comme les porte-avions et navires d’assaut majeurs américains, britanniques, chinois et français, ou pour des besoins très spécifiques, comme l’élimination des SNLE et la frappe de convois navals, comme pour la Russie. L’Australie, en revanche, n’a ni dissuasion ni Capital Ship à protéger, et n’a pas même de réelles capacités de projection de puissance à escorter.

Les capacités de première frappe à l’aide de missiles de croisière, comme en disposent les SNA mais aussi certains sous-marins conventionnels comme les Dosan Anh Changho sud-coréens ou les 636.3 Improved Kilo russes, sont parfois évoquées à ce sujet.

Là encore, l’histoire tend à montrer que l’Australie n’a guère pour habitude de participer à des frappes préventives, si ce n’est aux côtés des Etats-Unis, alors que dans ce dernier cas, sa participation est avant tout politique, mais opérationnellement marginale.

Reste la possibilité offerte par les SNA de se déployer rapidement pour intercepter d’éventuelles flottes d’assaut qui viendraient menacer le pays. C’est, en effet, une possibilité.

Cependant, les SNA ne sont pas les seuls à procurer des plus-values intéressantes face à ce type de menace, surtout lorsque l’on considère la géographie particulière de la zone indo-pacifique séparant la Chine de l’Australie.

Virginia SSN-AUKUS
Le programme SSN-AUKUS prévoit la vente de 3 à 5 sous-marins nucléaires d’attaque américains de la classe Virginia à l’Australie.

Le dernier avantage souvent avancé, le développement industriel australien, est quant à lui contestable. En l’état des informations disponibles sur la répartition de la charge industrielle entre les 3 pays, on peut penser que l’Australie ne pourra, en effet, s’appuyer que sur un taux de retour industriel de l’ordre de 20 à 25 % des sommes globales versées par le pays pour sa participation au programme, l’acquisition des navires, et leur entretient.

Retour budgétaire et partage de charge industrielle dans le programme SSN-AUKUS

Par ailleurs, aucune des capacités industrielles qui seront développées en Australie sont susceptibles d’être exploitées ultérieurement pour d’éventuels contrats d’exportation.

En d’autres termes, sur les quelque 350 Md$ australiens que couteront la conception, la construction et la mise en œuvre des navires dans les 40 prochaines années, moins de 90 Md$ seront effectivement investis sur le sol australien, entrainant un retour budgétaire inférieur à 50 Md$ (hors inflation).

Ce retour budgétaire est sensiblement équivalent à celui qui pouvait être anticipé autour du programme SEA 1000. Mais celui-ci était presque trois fois moins onéreux que ne l’est aujourd’hui le programme SSN-AUKUS.

De fait, une fois écarté la notion de retour budgétaire, il convient de savoir s’il est pertinent de dépenser presque 250 Md$ supplémentaires pour mettre en œuvre 8 SNA face à 12 SSK.

Posée autrement, la question serait alors : est-ce que 8 SNA sont équivalents à 12 SSK + 30 F-35A + plusieurs frégates de la classe Hunter + 300 VCI AS-21 Redback + 180-200 Md$, puisque les 3 éléments évoqués représentent un investissement global de 50 à 60 Md$, dans le pire des cas.

Type 075 LHD Marine chinoise
La Marine chinoise ne dispose pas de capacités de projection de puissance à longue distance suffisante pour représenter une menace, directe ou non, pour l’Australie, avant plusieurs années, voire plusieurs décennies.

Naturellement, la pertinence du programme SSN-AUKUS fait débat. En Australie d’abord, mais de manière quelque peu schizophrène, car le programme est aujourd’hui critiqué par la droite australienne, celle qui précisément était aux commandes lorsque la décision fut prise il y a deux ans, et donc sur la base d’arguments souvent tortueux et même de mauvaise foi, pour éviter de se mettre elle-même en porta faux.

Les Sénateurs américains redoutent un affaiblissement de l’US Navy

C’est aussi le cas aux Etats-Unis, où plusieurs sénateurs républicains expriment de nombreuses inquiétudes au sujet de ce programme, là encore, avec moultes précautions. Pour eux, ce sont avant tout les 3 à 5 SNA de la classe Virginia promos à Canberra qui posent problèmes. En effet, ces navires seront prélevés sur l’inventaire en service ou à livrer de l’US Navy.

Or, la production industrielle de nouveaux sous-marins peinent aujourd’hui à dépasser les 1,2 navire par an, alors qu’il serait indépassable de dépasser les 2 navires par simplement pour atteindre le taux de remplacement requis et l’objectif de 66 sous-marins nucléaires d’attaque d’ici à 2045.

De fait, pour les sénateurs du GOP, il est largement prématuré aujourd’hui de s’engager dans la livraison de ces navires à la Royal Australian Navy, tant que la production annuelle n’aura pas atteint le rythme de 2,4 à 2,5 nouveaux navires par an.

De façon objective, rien aujourd’hui, en dehors des déclarations gouvernementales, ne permet effectivement que cet objectif puisse être atteint dans la présente décennie, ni même qu’il puisse être atteint tout court, sans une refonte globale de l’outil productif naval US qui n’est pas à l’ordre du jour.

Virginia class
Les sénateurs américains craignent que les 3 à 5 Virginia qui seront transférés à l’Australie, ne puissent être compensés par l’industrie navale américaine dans les délais requis pour faire face à la Chine.

Il est alors incontestable, dorénavant, que les fondements ayant mené à l’arbitrage ayant donné naissance au programme SSN-AUKUS, devraient une nouvelle fois être analysés et mis en perspectives, y compris face à des offres de defense mais aussi industrielles alternatives.

Mettre en perspective plus-values et renoncements au sein du programme SSN-AUKUS

Il pourrait s’agir de la reconstitution des capacités aéronavales de la RAN, de l’acquisition de capacités de frappes à très longue portée, d’une force aérienne démultipliée dotée de bombardiers à long rayon d’action ou d’une garde nationale ambitieuse et très bien équipée, voire d’un subtil mélange de ces capacités, en lieu et place des seuls bénéfices offerts par la propulsion nucléaire des 8 SNA.

Ces bénéfices comparés devraient par la suite être mis à nouveau en perspective, cette foi de la réalité de la menace présente et à venir, ainsi que des objectifs stratégiques australiens, y compris au sein de l’Alliance AUKUS. Cela revient, par exemple, à se demander si les sous-marins de Canberra pourraient effectivement faire partie d’une mission de première frappe aux côtés des navires américains sur les cotes chinoises pour prévenir d’une offensive de l’APL sur Taïwan.

Enfin, ces formats devraient également être évalués dans le cadre de l’alliance AUKUS, pour déterminer quels arbitrages seraient les plus susceptibles, à charge budgétaire, technologique et industrielle identiques, de servir au mieux les objectifs partagés de l’Alliance.

F-35A Royal Australian Air Force
La commande des 30 derniers F-35A pour la Royal Australian Air Force serait pour l’heure remplacée par la modernisation des 24 F-18F Super Hornet actuellement en service.

Cependant, rien n’indique, à ce jour, que cette démarche d’analyse différentielle ait été menée par Canberra, qui semble n’avoir jamais voulu considérer le programme SSN-AUKUS au regard des renoncements et des efforts qu’il demanderait, aux seuls arguments d’une vision probablement idéalisée des performances comparées entre SNA et SSK, sans jamais tenir compte des autres facteurs contraignants pourtant considérables dans ce dossier.

Conclusion

Tout porte à croire qu’à un moment ou un autre, cette analyse devra avoir lieu, que ce soit à l’initiative de l’Australie ou des Etats-Unis. Et, il serait très surprenant, en l’état, qu’elle considère que l’acquisition de SNA soit hors de portée de l’Australie, de ses 25 millions d’habitants, de son PIB de 1,5 Md$, et de industrie énergétique et de défense, entièrement dénucléarisée.

Malheureusement, le temps qui aura alors été perdu, comme les budgets qui auront été engloutis jusque-là, le seront définitivement, et pourraient certainement manquer, lorsque les tensions avec la Chine viendront à croitre à nouveau.

Nouveau déploiement record des forces aériennes chinoises autour de Taïwan

Il y a tout juste deux ans, les forces aériennes chinoises établissaient, dans la nuit du 1ᵉʳ octobre, un nouveau record dans ce qui devait devenir un marqueur flagrant de sa montée en puissance en rapide.

Elle était alors parvenue à déployer presque simultanément 38 avions de combat, 18 chasseurs bombardiers J-16 accompagnés de quatre Su-30, ainsi que de deux bombardiers H-6 et d’un avion de patrouille Maritime Y-8, vers Taïwan. Certains avaient franchi la ligne médiane du détroit, d’autres contournant l’espace aérien de l’ile par le sud.

Les déploiements croissants des forces aériennes chinoises autour de Taïwan

Ce record ne teint cependant pas bien longtemps. En effet, le lendemain, ce furent 39 appareils en deux formations, soit 26 J-16, dix Su-30, deux Y-8 et un avion de veille aérienne KJ-500, qui évoluèrent autour de l’ile. Puis, le 4 octobre, 34 J-16, 12 H-6, 2 Su-30, 2 Y-8 et 2 KJ-500 établirent un nouveau record à 52 appareils.

Depuis, les déploiements d’avions de combat, mais aussi de navires de la Marine chinoise, sont devenus quotidiens, avec une moyenne, ces derniers mois, de 24 avions et drones, et de 4 à 5 navires, mettant une pression constante sur les défenses taïwanaises.

Y-20U tanker J-20 et J-16
Deux avions ravitailleurs Y-20U ont accompagné une escadrille de J-16 dans le contournement de Taïwan ce 18 septembre.

Les records, quant à ceux, servent à évaluer les progrès réalisés par les forces aériennes chinoises, mais également leur montée en format. Le dernier en date, jusqu’à hier, datait d’avril 2023, et avait mobilisé la bagatelle de 91 avions de combat, avions de soutien et drones à long rayon d’action simultanément.

Les records sont faits pour être battus, semble-t-il, même si en substance, il est probable que les habitants de l’ile autonome voient les choses avec moins d’enthousiasme.

103 aéronefs et 9 navires chinois autour de Taïwan ce 18 septembres

En effet, entre le 17 et 18 septembre, les armées taïwanaises, en charge de la surveillance du ciel et des cotes du pays, ont détecté pas moins de 103 appareils appartenant aux forces aériennes chinoises, évoluant autour de l’ile, ainsi que neuf navires de la Marine chinoise.

Sur les 103 aéronefs détectés, 10 Su-30, 12 J-10 ainsi que 4 J-11 ont franchi la ligne médiane du détroit de Taïwan, alors que 12 J-16 accompagnés de 2 KJ-500 et surtout de deux avions ravitailleurs Y-20U, menèrent une mission de longue durée de contournement par le sud de l’ile.

C’est précisément cette mission, traditionnellement confiée à des bombardiers à long rayon d’action H-6, et non à d’agiles et puissamment armées J-16, ainsi que le soutien des deux ravitailleurs Y-20U, qui attirent particulièrement l’attention dans cette nouvelle démonstration de force.

J-16 H-6
Dérivé du Su-30, le J-16 dispose toutefois d’une électronique embarquée entièrement renouvelée et modernisée, et d’une vaste panoplie d’armement air-air, air-sol et air-surface

Il y a tout juste deux ans, les forces aériennes chinoises auraient certainement été incapables de mener de type de mission, qui plus est pour une démonstration de force autour de Taïwan, sauf à employer des bombardiers à long rayon d’action H-6.

Celui-ci contraint toutefois les forces armées taïwanaises à faire décoller leurs propres avions de combat et déployer ses navires pour suivre la manœuvre de l’APL, comme il est coutume de le faire, ainsi que d’activer ses défenses côtières.

Cette manœuvre permit de fournir aux forces chinoises de précieuses informations aux forces chinoises sur la nature et la position du dispositif défensif de l’ile, tout en usant le potentiel des aéronefs et des navires adverses.

L’APL rejoint un club très fermé au sein des forces aériennes mondiales

Reste qu’au-delà des enjeux politiques et des renseignements obtenus par ce déploiement de force chinois, celui-ci permet aussi de constater l’amélioration sensible des moyens et de l’entraînement des forces aériennes de l’APL.

Elles sont désormais capables de mener des opérations de projection de puissance tactique sur de longues distances, en employant simultanément des chasseurs bombardiers modernes et performants J-16, et avions ravitailleurs à grande capacité Y-20U, et des appareils de veille aérienne KJ-500.

KJ-500 veille aérienne
La veille aérienne lors de la mission du 18 septembre a été assurée par deux KJ-500.

Il n’existe, en effet, qu’une poignée de forces aériennes disposant de ces moyens et de ce savoir-faire spécifique, observés, par exemple, lors de l’opération française Hamilton contre les installations chimiques syriennes en 2018.

Quid des avions et drones furtifs comme le J-20 ?

Un autre sujet mérite une attention particulière. En effet, à ce jour, aucun chasseur furtif J-20 a été détecté par les forces armées taïwanaises lors de ce type de mission.

Rappelons que celles-ci emploient simultanément leurs radars terrestres et le déploiement d’avions de combat, souvent des Mirage 2000-5 particulièrement rapides et adaptés à ce type de mission, pour identifier les appareils adverses.

Cela ne signifie cependant pas qu’aucun J-20 a été déployé, bien au contraire. Il serait, en effet, très surprenant que les forces aériennes chinoises n’aient pas déployés leurs chasseurs furtifs de manière décalée avec les escadrilles d’appareils conventionnels tiennent le rôle de leurre, pour accumuler du renseignement électromagnétique sur les systèmes défensifs taïwanais.

De même, on peut penser que des drones à faible observabilité sont aussi employés dans des missions similaires, tant pour vérifier leur caractère furtif face aux radars taïwanais, que pour accumuler des renseignements électromagnétiques.

Forces aériennes chinoises J-20
Il est probable que des J-20 appartenant aux forces aériennes chinoises aient participé à la mission du 18 septembre, sans qu’ils aient été détectés.

Bien évidemment, Pékin ne revendiquerait jamais le succès d’une telle opération, ce qui permettrait à Taïwan, rétroactivement, d’obtenir des informations sur la signature radar des appareils chinois.

À l’inverse, si les radars taïwanais sont parvenus à détecter, eux aussi, les appareils furtifs chinois, les autorités militaires ont sûrement préféré garder ce succès sous silence, de sorte à conserver un avantage opérationnel le cas échéant.

Un déploiement qui prépare à une action militaire contre Taïwan

On comprend, dès lors, la portée de ces déploiements de force successifs de la part de l’APL, qui visent aussi bien à faire peser une pression croissante sur les forces armées de l’ile, à rassembler de précieux renseignements, notamment électromagnétiques, à aguerrir leurs équipages pour des missions d’une grande technicité, ainsi qu’à envoyer un message politique parfaitement audible.

Par ailleurs, le jour désormais probable ou l’APL décidera de passer à l’acte, par exemple, en établissant un blocus aérien et naval autour de l’ile, celle-ci disposera probablement d’un certain délai avant que les forces armées taïwanaises, entrainées à une forme de routine, en prennent conscience et réagissent.

J-16D
Des avions de guerre électroniques J-16D ont probablement participé au raid longue distance du 18 septembre

Notons enfin que le déploiement de chasseurs bombardiers, comme le J-16 au sud et à l’est de l’ile, permet non seulement de l’isoler ou de frapper certaines installations, mais surtout de s’opposer à des forces aériennes US éventuellement envoyées en renfort, tout en libérant des espaces pour les porte-avions de l’APL.

Dès lors, en dépit de leur caractère de plus en plus routinier, ces démonstrations de force de la part de Pékin et de ses forces aériennes et navales, démontrent avant tout une préparation opérationnelle intense à une action militaire concernant Taïwan, sur un calendrier relativement court. Plus que jamais, l’échéance de 2027, fixée par l’Amiral Davidson, paraît crédible.

Vers une nouvelle commande de F-35A pour les forces aériennes sud-coréennes

Le Foreign Military Sales, ou FMS, américain, a annoncé autoriser la commande de 25 F-35A supplémentaires pour les forces aériennes sud-coréennes pour 5 Md$. Cette annonce intervient alors que la visite de Kim Jong-Un en Russie peut redistribuer les cartes du rapport de force sur la péninsule coréenne.

Il y a un peu plus d’un an, la commande de la troisième et dernière tranche de 20 F-35 Lightning 2 pour les forces aériennes sud-coréennes, avaient suscité de nombreuses hésitations et autant de spéculations.

La question était alors de savoir si Séoul choisirait des F-35B à décollage et atterrissage vertical ou court, notamment pour équipement son futur porte-avions au destin encore incertain, ou si la version terrestre F-35A, dont 40 exemplaires étaient déjà en service au sein des forces aériennes sud-coréennes, serait privilégiée.

Le suspens prit fin en juillet 2022, lorsque Séoul se prononça en faveur de la version basée à terre du chasseur de Lockheed-Martin, avec une enveloppe planifiée de 3 Md$ pour les 20 appareils du programme F-X.

25 F-35A supplémentaires pour les forces aériennes sud-coréennes

Il aura fallu une année pour négocier l’ensemble des aspects de ce contrat, dont le Foreign Military sales vient de donner les contours. Ainsi, ce ne seront pas 20, mais 25 F-35A qui seront acquis par les forces aériennes sud-coréennes.

F-35A forces aériennes sud-coréennes
Les forces aériennes sud-coréennes mettent déjà en œuvre 40 F-35A dans le cadre du programme F-X

Ceux-ci seront livrés directement au standard Block 4, celui qui doit permettre d’atteindre la pleine capacité opérationnelle du chasseur. La commande se voit accompagnée de 26 turboréacteurs Pratt & Whitney F135-PW-100, ainsi que d’un certain nombre de pièces et équipements.

Si le périmètre de la commande initialement prévue a augmenté de 25 % avec la commande de 5 chasseurs supplémentaires, l’enveloppe budgétaire, quant à elle, a explosée, pour atteindre 5 Md$ selon la cotation du FMS, soit une hausse de 66 %.

Une enveloppe de 5 Md$ pour le FMS

Il faut toutefois pondérer cette hausse de plusieurs paramètres. D’abord, le FMS a coutume de « voir large » pour ce qui concerne le package d’accompagnement des contrats majeurs, et bien souvent, le contrat final est plus compact que celui initialement proposé par le Pentagone.

D’autre part, ces appareils ne devraient pas être livrés avant 4 ou 5 ans. Il convient donc de prendre en compte, dans la cotation, les effets de l’inflation aux Etats-Unis, mais également des évolutions potentielles des prix de matières premières, dans un contexte géopolitique incertain.

KF-21 Boramae programme K-FX
Le surcout des derniers F-35A sud-coréens pourraient se répercuter sur le financement du programme K-FX et de son chasseur, le KF-21 Boramae

Là encore, le FMS a coutume de border par le haut ses offres, de sorte que les 5,06 Md$ annoncés, constituent le plafond garanti pour Séoul, et nullement le prix d’achat final qui, selon les conditions, pourraient être inférieurs.

Reste que l’augmentation de la note sera indéniable, et pourrait venir handicaper d’autres programmes, en particulier le programme K-FX qui donna naissance au chasseur KF-21 Boramae. Dans ce contexte, le recours à un nouveau partenaire industriel et financier, comme les EAU, prend naturellement tout son sens.

La visite de Kim Jong-Un à Vladimir Poutine

Cette annonce intervient seulement quelques jours après la visite du leader nord-coréen Kim Jong-Un en Russie, pour y rencontrer Vladimir Poutine. Si les accords éventuels négociés entre les deux pays demeurent secrets, et si les annonces faites par les deux dirigeants sont volontairement floues, certains clichés montrant le dictateur nord-coréen à bord d’un Su-57 russe en démonstration statique, ouvrent donc la porte à de nombreuses inquiétudes en Corée du Sud.

En effet, en dépit des minces moyens financiers de Pyongyang, la Corée du Nord ayant un PIB de seulement 18 Md$, celui-ci dispose de moyens dont la Russie aurait grandement besoin dans son effort de guerre face à l’Ukraine.

Kim Jong-un Su-57
Ce cliché montrant Kim Jong-Un étudiant le cockpit du Su-57 a probablement de quoi inquiéter Séoul, mais aussi Tokyo et Washington.

On pense initialement à la production de munitions balistiques simples comme des obus de 122 mm et de 152 mm, des calibres hérités de l’époque soviétique employés par les systèmes d’artillerie des deux armées. C’est aussi le cas des roquettes de 122 mm des systèmes BM-21 Grad et de 300 mm des systèmes BM-30 Smerch, tous deux largement répandus aussi bien au sein de l’Armée Russe que nord-coréenne.

Vers l’acquisition de technologies russes par Pyongyang ?

Kim Jong-Un a aussi la possibilité de troquer une partie de forces vives nord-coréennes, contre ces nouveaux équipements. Non pas pour aller rejoindre le front, ce qui créerait certainement plus de contraintes que de plus-values pour l’état-major russe, mais pour renforcer les usines d’armements qui alimentent les armées, et qui jouent un rôle clé dans la stratégie à moyen et long terme mise en œuvre par le Kremlin depuis un an maintenant.

En procédant ainsi, Moscou et Pyongyang pourraient alors dépasser leurs propres contraintes. Pour le premier, il s’agirait de reformer ses armées en augmentant la production industrielle de défense, mais également en libérant des effectifs pour rejoindre les forces combattantes.

Uralvagonzavod usine char russe
Les usines d’armement russes bénéficieraient sans le moindre doute d’un accord entre Moscou et Pyongyang pour leur fournir la main d’œuvre qui leur fait défaut aujourd’hui afin de tourner à pleines capacités.

Pour la Corée du Nord, un tel accord permettrait d’obtenir des équipements militaires autrement performants que ceux actuellement en service, notamment dans les domaines des sous-marins, des avions de combat, des systèmes spatiaux ou encore des défenses sol-air.

On comprend, dès lors, pourquoi Séoul, qui n’a jamais sous-évalué les chances qu’un tel accord de Pyongyang avec Moscou ou Pékin survienne, continue de developper ses armées et son industrie de défense à un rythme effréné.

La guerre navale fait face à un « moment Dreadnought », selon le First Sea Lord britannique

Les nouvelles capacités déployées par les forces ukrainiennes pour neutraliser la flotte russe en mer Noire s’apparentent à un « moment Dreadnought », pour l’amiral Ben Key, le First Sea Lord de l’Amirauté britannique. Il s’agit un changement brutal et profond de paradigmes et de doctrines, comme ce fut le cas avec l’arrivée des premiers cuirassés de la classe Dreadnought, au début du XXe siècle.

Les plans de bataille deviennent obsolètes une fois le premier coup de feu tiré. Cette phrase, maintes fois citées et adaptées, est avant tout employée pour mettre en garde politiques et stratèges, quant à une confiance excessive dans leur stratégie et simulation. La guerre est, en effet, l’une des formes d’interactions humaines les plus complexes qui existent par son ampleur et sa dimension radicale.

Il est, à ce titre, incontestable que le Kremlin et l’État-major russe n’avaient jamais anticipé, avant le 24 février 2022, qu’une opération militaire majeure contre l’Ukraine, puisse évoluer vers une guerre d’usure qui dure depuis 19 mois, et qui a fait plus de 250.000 tués et blessés au sein de ses armées.

Ainsi, ni la préparation des armées ukrainiennes, ni la résistance de la population et du pouvoir politique, et pas davantage la réaction du bloc occidental, avaient été anticipés par la stratégie russe, qui parlait alors d’une « opération spéciale militaire de trois jours ».

Ces matériels et technologies révélées par la guerre en Ukraine

Ce qui est vrai pour les stratégies, l’est aussi pour ce qui concerne les équipements. Ainsi, lors de cette guerre, de nombreux équipements et technologies, jusque-là négligées ou incomprises, obtinrent leurs lettres de noblesse auprès des états-majors militaires.

Croiseur Moskva -  coulé
La destruction du croiseur Moskva, le navire amiral de la flotte russe de la mer Noire, marqua le début d’une lente descente vers les enfers de la Marine russe en Ukraine.

Ce fut le cas des drones MALE légers comme le TB2 en début de conflit, puis des systèmes d’artillerie à tube long, comme le CAESAR, des systèmes d’artillerie à longue portée comme l’HIMARS, le canon antiaérien Gepard ou encore le drone Shahed 136.

Paradoxalement, si la guerre terrestre et aérienne en Ukraine a souvent focalisé l’attention des analystes, il est fort possible que ce soit dans le domaine de la guerre navale, que l’influence de ce conflit pourrait se faire le plus ressentir dans les années et décennies à venir.

C’est en substance ce qu’a exprimé le premier lord de l’amirauté britannique, l’amiral Ben Key, en faisant référence à un « moment dreadnought » qui serait en cours en Ukraine au sujet de la guerre navale.

La guerre navale à l’aube d’un Moment Dreadnought

L’amiral britannique faisait référence à la révolution conceptuelle qu’engendrèrent l’arrivée simultanée de canons navals de gros calibres, dotés d’une grande précision (pour l’époque) et d’une portée sans précédant, montés sur des navires blindés propulsés par de puissantes chaufferies à vapeur, qui amenèrent les grandes amirautés du début du XXᵉ siècle, à profondément réviser leurs paradigmes.

Les forces navales ont rencontré d’autres bouleversements radicaux et rapides, avec l’apparition des sous-marins lors de la Première Guerre mondiale, des porte-avions lors de la Seconde Guerre mondiale, et des navires à propulsion nucléaire lors de la guerre froide.

Moment dreadnought - swordfish du HMS Ark Royal qui frappent le Bismarck
Parfois, un moment dreadnought chasse l’autre. Ce fut le cas le 26 mai 1941, lorsque des avions torpilleurs Fairey Swordfish partis du porte-avions HMS Ark Royal, mirent deux torpilles au but sur le cuirassé Bismarck, entrainant une avarie de barre qui obligera l’équipage à saborder le navire.

Pour l’amiral Key, la réponse apportée par les armées ukrainiennes à la suprématie navale absolue de la flotte russe en mer Noire, en employant des missiles en batteries côtières, des drones de reconnaissance, et un nombre croissant de drones navals et sous-marins, correspond à un nouveau « Moment Dreadnought ».

Rappelons que lors des premiers jours de l’offensive russe, la Marine ukrainienne fut submergée, l’amenant même à saborder son unique frégate Krivak III, le Hetman Sahaidachny.

Depuis, les forces armées de Kyiv sont parvenues à couler le croiseur Moskva à l’aide de missiles P360 Neptune et de TB2, à détruire à quai plusieurs grands navires dont le Saratov, et plus récemment, à frapper le flambant neuf sous-marin Rostov-sur-le-Don alors qu’il venait de rejoindre le chantier naval de Sevastopol, à l’aide de missiles Storm Shadow et Neptune semble-t-il.

Les drones navals ukrainiens face à la flotte russe de la mer Noire

Mais ce sont les drones ukrainiens qui apportèrent les avancées les plus décisives dans ce domaine. Ces petits navires télécommandés, comme le Magura V5, sont à la fois très rapides, manœuvrants, et capables d’emporter une grande quantité d’explosifs.

Ils ont été employés pour frapper les piliers du Pont de Kerch, et par ailleurs, à plusieurs reprises, la base de Sevastopol, ainsi que celle de Novorossiysk, située de l’autre côté de la mer Noire, à plusieurs centaines de kilomètres des bases ukrainiennes.

Magura V5 Ukraine drone naval
Le drone naval Magura V5 ukrainien préfigure la nouvelle reconfiguration de la guerre navale en cours.

En outre, ces petits navires, parfois sous-marins, se sont montrés discrets et difficiles à détecter et à intercepter par les systèmes de défense russe, pourtant en alerte renforcée depuis plusieurs mois. Ils font, de fait, désormais peser une menace constante sur les navires autrement plus imposants, et onéreux, de la flotte de la mer Noire russe.

Surtout, ces navires autonomes, qui sont, d’un certain point de vue, le pendant naval du Shahed 136 iranien, sont très économiques et rapides à fabriquer, ne nécessitent pas de technologies excessives, et peuvent être mis en œuvre relativement simplement, sans qu’un entrainement extensif soit nécessaire.

Ainsi, les forces ukrainiennes seraient aujourd’hui en mesure de produire, chaque semaine, une vingtaine de ces drones navals d’attaque à longue portée, là où près d’une année est nécessaire pour fabriquer un sous-marin projet 636.3 Improved Kilo comme le Rostov.

La transformation indispensable et inéluctable à venir des marines de guerre

Pour l’amiral Key, il est désormais indispensable aux grandes Marines, comme la Royal Navy, d’analyser les conséquences de ces enseignements, y compris en acceptant potentiellement de réviser en profondeur les paradigmes qui aujourd’hui président à la conception des destroyers, frégates et autres unités navales.

Magura v5 production Drones navals | Conflit Russo-Ukrainien | Constructions Navales militaires
L’Ukraine a annoncé produire 20 Magura V5 chaque mois, en dépit des difficultés de production rencontrées dans le pays.

On peut, en effet, aisément imaginer à quel point il serait difficile à un destroyer comme les Type 45 britanniques ou les Horizon franco-italiens, pour survivre à une attaque simultanée d’une centaine de drones navals, sous-marins et aériens lancés contre lui à plusieurs centaines de kilomètres de là.

Or, la fabrication de cette flotte de drones ne prendrait qu’un mois à une industrie ukrainienne sous forte tension, et ne couterait que quelques centaines de milliers de dollars, contre le milliard et demi que chaque navire aura effectivement couté à la Grande-Bretagne, la France et l’Italie.

En outre, si la conception et la fabrication du Magura V5 sont à la portée de l’industrie ukrainienne aujourd’hui, malgré ses contraintes, comme celles du Shahed 136 de l’industrie iranienne sous sanctions sévères, on imagine fort bien ce que des industries de defense comme la Chine, la Russie et bien d’autres, pourraient produire comme équipements de ce type.

Conclusion

On comprend, dès lors, à quel point la remarque du First Sea Lord britannique est pertinente, d’autant que ces avancées concernent tout autant la guerre navale de surface, qu’aéronavale ou sous-marine, au point de venir potentiellement menacer certains piliers des équilibres militaires, dont la dissuasion.

US task Force
Les forces navales modernes pourraient rapidement devoir évoluer dans les années à venir, sous l’effet des drones et des navires robotisés.

Toutefois, si poser le diagnostic est une chose, trouver la solution pour y répondre, en revanche, risque d’être autrement complexe. Ce d’autant qu’il faudra certainement lutter contre d’immenses conservatismes hérités de 60 années de paradigmes inchangés dans le domaine de la guerre navale.

Il est d’ailleurs probable que ce moment Dreadnought qui touche la guerre navale, avec l’arrivée de ces systèmes robotisés, touche de la même manière l’ensemble des autres domaines technologies militaires, y compris la dissuasion, avec l’apparition de nouvelles technologies stratégiques à faible létalité déjà abordées dans un précédent article.

Reste donc, désormais, non seulement à analyser les implications de l’arrivée de ces nouvelles technologies sur le champ de bataille comme dans la conception des équipements militaires du futur, mais aussi à convaincre de l’inéluctabilité de cette évolution, qui promet d’être aussi fulgurante que radicale.

Avec la commande de 25 Eurofighter Typhoon, l’Espagne confirme son intention d’acquérir 50 F-35A/B

Il est des informations qui en disent plus sur ce qu’elles ne disent pas, que sur ce qu’elles disent vraiment. C’est aujourd’hui le cas au sujet de la commande à venir de 25 nouveaux chasseurs Eurofighter Typhoon pour les forces aériennes espagnoles, afin de remplacer les F-18 Hornet actuellement en service.

Celle-ci devrait, selon le site Janes à l’origine de l’information, intervenir prochainement, alors que le Conseil des ministres a lancé le programme Halcon II ce douze septembre, qui prévoit notamment l’acquisition des 25 appareils européens et de moteurs supplémentaires pour 1,5 Md€.

Cette commande, très attendue par le consortium Eurofighter, intervient après une première commande de 20 Typhoon en juin 2022, dans le cadre du programme Halcon I, pour remplacer les Hornet déployés sur les iles Canaries.

20 Eurofighter Typhoon commandés en juin 2022

Contrairement à ces 20 appareils qui appartiennent à la Tranche 3, les 25 nouveaux chasseurs seront quant à eux commandés dans la Tranche 4 du programme européen. Notons à ce titre que le budget estimé par Janes parait probablement faible, alors que pour les 20 appareils précédents, Madrid avait déboursé 2 Md€.

Eurofighter Typhoon espagne
En juin 2022, l’Espagne a commandé 20 Typhoon dans le cadre du programme Halcon I, pour remplacer les F/A-18 Hornet déployés sur les iles Canaries.

Mais le plus intéressant dans cette annonce, n’est ni la tranche des Eurofighter, ni le prix du programme. Il s’agit bel et bien du nombre d’appareils commandés. En effet, avec 25 nouveaux Typhoon, les autorités espagnoles ne remplaceront pas les 50 F/A 18 Hornet encore en service, déduction faite des 20 appareils remplacés aux Canaries.

Ce chiffre, en revanche, correspond parfaitement aux nombreuses rumeurs, parfois corroborées par d’évidentes maladresses de communication, au sujet de l’acquisition par Madrid de 50 F-35 Lighting 2.

25 F-35B pour la Marine espagnole, et 25 F-35A pour remplacer les F/A-18 Hornet de l’Armée de l’air

Plus précisément, ces rapports font états de négociations avancées avec Lockheed-Martin et le FMS, pour 25 F-35B afin de remplacer les AV-8B Harrier armant le porte-aéronefs Juan Carlos I, ainsi que de 25 appareils en version terrestre pour remplacer une partie des F/A 18 Hornet restant.

Bien évidemment, la coïncidence est plus que troublante, entre les 25 Typhoon manquants pour finir de remplacer les Hornet des forces aériennes espagnoles, et les 25 F-35A censés être négociés discrètement par Madrid depuis plusieurs années.

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La Marine espagnole va devoir remplacer les AV-8B Harrier armant le porte-aéronefs Juan Carlos I. Le F-35B est le seul appareil susceptible de le faire.

Il est vrai que pour les forces armées espagnoles, une telle décision aurait beaucoup de sens, permettant de mettre en œuvre une flotte commune de 50 F-35 partageant de très nombreux composants, entre les forces aériennes et navales, plutôt qu’une micro flotte de seulement 25 F-35 à décollage et atterrissage vertical ou court, pour son unique porte-aéronefs.

Les deux forces pourront alors partager une grande partie de la chaine logistique et de maintenance, ainsi que la formation des pilotes et mécaniciens, profitant de fait aux deux.

En outre, l’obtention pour les forces aériennes espagnoles de 25 F-35A dans ces conditions, pour évoluer autour de la centaine de Typhoon en service ou à livrer, lui conférera une polyvalence des plus efficaces pour mener leurs missions.

Enfin, en faisant précéder l’annonce de la commande de 50 F-35 américains, par celle de 20+25 Typhoon, Madrid pourra couper court aux potentiels reproches, notamment de la France, quant au soutien de l’industrie aéronautique européenne.

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Le F-35B et le F-35A partagent de très nombreux composants, dont le moteur F135.

Reproches qui seront d’ailleurs d’autant plus difficiles à formuler que l’Allemagne, autre partenaire dans le cadre du programme SCAF, a également commandé 32 appareils de ce type pour exécuter la mission nucléaire de l’OTAN.

Il faut donc s’attendre, en dépit des nombreuses dénégations officielles de Madrid qui se sont succédé ces dernières années, à une prochaine officialisation de la commande de 25 F-35B et de 25 F-35A par Madrid. Tout au moins est-ce ce que l’annonce d’aujourd’hui au sujet de la commande des 25 Typhoon laisse supposer.

L’Allemagne va commander 5 lance-roquettes PULS israéliens grâce au contrat néerlandais

Cela n’aura pas trainé. Berlin vient, en effet, d’annoncer une commande de 5 systèmes lance-roquettes PULS israéliens pour remplacer les 5 M270 MARS 2 de la Bundeswehr expédiés en Ukraine, quelques jours à peine après que Varsovie a eu fait de même, mais cette fois pour 486 lanceurs HIMARS.

Pourquoi ces deux sujets sont-ils liés, en dehors du fait qu’il s’agit de deux systèmes lance-roquettes à longue portée moderne ? Un petit retour en arrière s’impose, en 4 étapes !

1- Les Pays-Bas et KMW préfèrent le PULS d’Elbit

En avril dernier, La Haye avait présenté une série de mesures et de programmes afin de moderniser et de renforcer ses moyens militaires. Outre l’augmentation du budget de ses armées de 40 % pour atteindre les 2 % de PIB requis par l’OTAN en 2024, les autorités néerlandaises avaient également annoncé la commande de missiles de croisière JASSM-ER pour armer leurs F-35A, mais aussi de RGM/UGM-109E Tomahawk pour équiper ses frégates et sous-marins.

La surprise est, en revanche, venue de l’annonce d’une commande de 20 systèmes lance-roquettes Precise and Universal Launching System ou PULS, conçus et fabriqués par l’israélien Elbit.

Quelques semaines auparavant, La Haye avait, en effet, obtenu le feu vert du Foreign Military Sales américain, ou FMS, pour acquérir autant de systèmes HIMARS pour 670 m$. De toute évidence, les autorités néerlandaises avaient obtenu de meilleures conditions que celles proposées par Washington.

Les 5 lance-roquettes PULS qui seront acquis par la Bundeswehr au travers de l'accord commercial néerlandais, permettront de remplacer les 5 M270 MARS 2 envoyés en Ukraine.
Les 5 lance-roquettes PULS qui seront acquis par la Bundeswehr au travers de l’accord commercial néerlandais, permettront de remplacer les 5 M270 MARS 2 envoyés en Ukraine.

Le PULS avait déjà été choisi par le Danemark en début d’année, et intéressait de même l’Espagne et l’Allemagne. Ainsi, le groupe industriel Krauss-Maffei avait présenté, en décembre 2022, un potentiel successeur au M270 MARS 2 allemand, basé précisément sur le PULS israélien.

2- Rheinmetall s’associe à Lockheed-Martin pour l’HIMARS

Toutefois, à la fin du mois d’avril, ce fut au tour de Rheinmetall de signer un accord, cette fois avec Lockheed-Martin, pour developper ce même successeur au MARS 2, cette fois sur la base de l’HIMARS américain, en surfant sur l’accord industriel nouvellement signé autour de la construction de la partie centrale du fuselage du F-35A.

Il était alors évident que les clauses industrielles, et de transfert de technologies, seraient au cœur de la décision de Berlin dans ce dossier, même si le nombre de systèmes visé restait relativement faible, soit moins d’une cinquantaine d’unités afin de reconstituer le potentiel qu’avaient les M270 MARS 2 il y a quelques années.

3- La Pologne rafle la mise avec une commande de 486 HIMARS

Tout porte à croire, désormais, que le choix de partenaire de Rheinmetall n’était pas le bon. En effet, le 11 septembre, Varsovie annonçait une commande record de 486 nouveaux lanceurs HIMARS, ainsi que de plusieurs milliers de munitions, auprès de Lockheed-Martin.

Bien évidemment, même si le sujet n’a pas pour l’heure été confirmé, cette commande s’est accompagnée d’une clause de construction locale, donc de transfert de technologies, mais aussi, très probablement, d’une clause de marché exclusive, faisant de la Pologne le pôle central de l’offre HIMARS en Europe, peut-être au-delà.

Face au lance-roquettes PULS de KMW, Rheinmetall fit le pari d'une version dérivée de l'HIMARS de Lockheed-Martin
Face au lance-roquettes PULS de KMW, Rheinmetall fit le pari d’une version dérivée de l’HIMARS de Lockheed-Martin

4- La Bundeswehr n’a d’autres choix que le PULS

Dans ce contexte, la compétition entre le couple KMW-Elbit et celui de Rheinmetall et Lockheed-Martin, n’avait plus vraiment lieu d’être pour Berlin. Quant à l’annonce d’un arbitrage en faveur du PULS israélien, elle n’est n’est en rien une surprise.

Ce qui l’est davantage, c’est le choix de passer par le contrat néerlandais, certes pour ne remplacer jusqu’ici que les 5 M270 envoyés en Ukraine. En procédant ainsi, la Bundeswehr disposera d’un micro-parc, donc difficile à entretenir, alors même que les arbitrages pour le remplacer du reste de la flotte n’ont pas été faits.

Pire, même si le PULS israélien venait à être retenu à l’avenir, ce qui est probable puisque le K239 Chunmoo sud-coréen comme l’HIMARS américain sont déjà captés par les commandes polonaises, la Bundeswehr mettra alors en œuvre deux modèles de véhicules, si pas de lanceurs.

Enfin, certains verront dans la précipitation de l’annonce allemande, suivant de quelques jours seulement l’annonce de la commande polonaise de HIMARS, la marque d’une certaine forme d’agacement de la part de Berlin vis-à-vis des Etats-Unis, même si les montants et volumes sont incomparables.

4 à 6 sous-marins Type 212CD supplémentaires pour la Marine allemande en discussion

À l’occasion d’une visite à Kiel, le ministre de la Défense allemand a indiqué que l’option portant sur 4 à 6 nouveaux sous-marins Type 212CD, en plus des deux déjà commandés, pourrait être transformée. Cela permettrait au constructeur ThyssenKrupp Marine Systems d’amortir les investissements nécessaires à la fabrication du nouveau submersible.

Il y a quelques années, la Deutsche Marine, la Marine allemande, avait fait la une de la presse spécialisée, lorsque ses 6 sous-marins Type 212, entrés en service entre 2005 et 2016, étaient contraints de rester au port, faute d’un entretien planifié performant.

Cette situation difficile à assumer pour le plus important exportateur de sous-marin du bloc occidental amena les autorités allemandes à commander deux sous-marins supplémentaires dans le cadre d’un codéveloppement avec la Norvège, pour remplacer les sous-marins de la classe Ula. Cette commande constitua également une remarquable manœuvre commerciale, avec à la clé un contrat global de 5,5 Md€.

Le nouveau sous-marin Type 212CD de la Marine allemande

Les nouveaux sous-marins, baptisés Type 212CD, seront livrés aux forces navales allemandes d’ici à 2034. Cette nouvelle classe se veut par ailleurs plus imposante que le Type 212A déjà en service, avec une longueur de 74 mètres contre 56 mètres, une largeur de 10 m contre 7 m, et un déplacement en plongée de 2 500 tonnes, contre 1 800 tonnes pour la version précédente.

Ils seront, en outre, dotés d’une propulsion AIP anaérobie de nouvelle génération, de deux moteurs diesels MTU 4000 au lieu d’un seul, et de nouveaux senseurs et systèmes d’armes, dont la torpille lourde DM2A4 et le système antiaérien IDAS. Ils seront enfin sensiblement plus silencieux, notamment à vitesse soutenue, et dotés d’une autonomie en plongée accrue.

Le Type 212CD sera dérivé du Type 212A

Il y a quelques jours, le constructeur du navire, le groupe allemand ThyssenKrupp Marine Systems, avait fait savoir que les investissements requis pour adapter l’outil industriel qui doit produire les nouveaux submersibles, seraient onéreux, et nécessiterait une aide d’État, peut-être sous la forme d’une prise de participation.

Boris Pistorius au secours de TKMS

En visite à Kiel, le ministre de la Défense allemand, Boris Pistorius, avait alors indiqué que le sujet faisait l’objet d’une réflexion de la part de son ministère. Rappelons que l’état allemand avait, en 2021, pris une participation similaire au sein de groupe d’électronique Hensoldt, qui conçoit notamment des radars, précisément pour permettre sa transformation industrielle.

Mais une nouvelle hypothèse est apparue sur les écrans plus récemment. En effet, selon le site 24rhein.de, ce même Boris Pistorius aurait ouvert la porte à la commande de 4 à 6 nouveaux sous-marins de même modèle pour la Deutsche Marine, en activant l’option initialement prévue.

Pour l’heure, le ministère travaillerait au financement de cette mesure qui amènerait le format de la flotte de sous-marins allemands, de 6 navires aujourd’hui, à 12 ou 14 unités d’ici à la fin de la prochaine décennie.

Boris Pistorius et Bjørn Arild
Boris Pistorius et Bjørn Arild lors de la rencontre à Kiel auprès de TKMS

Il s’agirait, pour la Bundeswehr, de mieux répondre aux attentes de l’OTAN vis-à-vis de l’Allemagne dans ce domaine, que ce soit en mer Baltique, mais aussi en mer du Nord et dans l’Atlantique nord, le Type 212CD étant précisément conçu pour apporter une capacité océanique au modèle.

Cette déclaration a été faite à l’occasion d’une rencontre entre le ministre allemand et son homologue norvégien Bjørn Arild, en visite à Kiel auprès de TKMS, précisément concernant la construction des 4 sous-marins qui devront être livrés à la Marine norvégienne à partir de 2029.

La commande de 4 à 6 sous-marins supplémentaires permettrait probablement à l’industriel d’amortir les investissements nécessaires pour la transformation de ses infrastructures industrielles, et donc d’éviter une prise de participation de l’état. Notons toutefois que ces deux aspects ne s’excluent pas mutuellement, bien au contraire.

Reste que l’annonce faite par Boris Pistorius à Kiel demeure, pour l’instant, non contraignante, puisqu’elle ne concerne que la levée d’option, celle-ci pouvant intervenir pendant encore plusieurs années.

Il peut donc s’agir, aussi, d’une simple manœuvre d’attente, permettant de faire patienter l’industriel, tout en remettant à plus tard, et ainsi probablement à un autre gouvernement, la responsabilité d’y répondre, et de financer la mesure.