Les Etats-Unis vont sensiblement renforcer les systèmes antiaériens et les moyens de détection pour assurer la défense des infrastructures critiques de la menace que représentent aujourd’hui les missiles de croisière, missiles balistiques et drones d’attaque à longue portée. L’Europe, pourtant considérablement plus exposée que les Etats-Unis dans ce domaine, ne semble pas s’engager efficacement dans une trajectoire similaire.
Il s’agit, pour l’US Air Force qui supervise le sujet, d’assurer la défense de certaines infrastructures critiques contre les drones à longue portée ou les missiles de croisière qui équipent désormais massivement les aviations et les marines chinoises et russes.
La grille électrique des États-Unis est considérée comme une des vulnérabilités critiques du pays par le Pentagone.
En effet, selon le Pentagone, la destruction de certaines de ces infrastructures de production et distribution d’énergie ou de communication, comme certains haut-lieux politiques tels la Maison-Blanche et le Capitole, pourrait lourdement handicaper la réponse militaire américaine face à une agression.
La défense des infrastructures critiques est redevenue un enjeu majeur de sécurité
Sur le théâtre Pacifique, si la Chine reste très discrète sur les moyens déployés dans ce domaine, le Japon, comme la Corée du Sud, produisent de très importants efforts pour renforcer leurs moyens de défense antibalistique, antimissile et antidrone, au travers d’une défense multicouche particulièrement dense.
La Russie va déployer près de 500 systèmes antiaériens pour protéger les infrastructures critiques du pays
Et l’Europe alors ? Le vieux continent est, en effet, en première ligne face à ce type de menace, du fait de sa proximité avec la Russie qui dispose déjà d’une puissance de feu importante en termes de missiles de croisière, et qui s’est engagée dans la production intensive de drones d’attaque à très longue portée dérivés du Shahed-136 iraniens et renommés Geranium.
600 fois plus de cibles critiques que de systèmes pour les protéger en Europe
Surtout, le vieux continent est particulièrement exposé à ce type de menace, avec plus de 400 villes de plus de 100.000 habitants,126 réacteurs nucléaires, mais aussi 1 600 aéroports, une vingtaine de grands ports commerciaux, et plus de 5 000 grands barrages.
Face à une telle menace, et au nombre considérable de cibles de grande valeur, à portée des missiles et des drones russes, on eut pu penser que les européens auraient, comme les Japonais et Sud-coréens, eux aussi durci leurs défenses dans ce domaine.
Pourtant, à ce jour, les armées européennes ne disposent que d’une cinquantaine de batteries antiaériennes et antimissiles à longue portée Patriot et Mamba, en partie transférée en Ukraine, et autant de batteries antiaériennes à courte et moyenne portées comme l’Iris-T SLM ou le MICA VL.
Le système IRIS-T SLM est la seule option à courte et moyenne portée intégrée à l’initiative European Sky Shield allemande.
En termes d’artillerie anti-aérienne et de systèmes antiaériens à très courte portée (Mistral, Stinger, Starsteak, Grom..), ils sont quant à eux réservés à la protection rapprochée des infrastructures militaires et des unités au combat.
De manière évidente, les européens n’ont ni les moyens de protéger leurs infrastructures critiques, ni même d’opacifier les frontières du continent à ce type de menace. Cela supposerait, en effet, non seulement davantage de systèmes, mais également de les concentrer aux frontières orientales de l’OTAN.
Cette hypothèse viendrait, en effet, exposer certaines infrastructures nationales stratégiques, comme les bases aériennes militaires ou les arsenaux, chose inacceptable pour les chancelleries et les état-majors.
European Sky Shield, l’initiative ratée d’Olaf Scholz
Pire, lorsque les européens tentent de s’organiser pour répondre à cette évidente menace, des considérations politiques et commerciales viennent considérablement affaiblir l’efficacité du dispositif.
Par ses performances et sa portée, le Mamba SAMP/T franco-italien constitue une alternative pertinente au Patriot américain pourtant retenu par l’European Sky Shield allemand.
C’est, en effet, seul système à moyenne portée, donc accessible à la plupart des budgets européens, intégré au système European Sky Shield, au détriment d’autres solutions européennes comme le Land Ceptor britannique (choisit notamment par Varsovie), ou le MICA VL français.
La protection à moyenne portée de cette initiative, quant à elle, repose sur le Patriot américain, excluant le SAMP/T Mamba franco-italien, pourtant au moins aussi performant. Surtout, pour la protection antibalistique, au cœur de l’attractivité du système conçu par Berlin, se trouve l’Arrow 3 israélien.
Notons à ce titre que si l’Ukraine a pu résister aux frappes de missiles de croisière et de missiles balistiques russes qui visaient leurs infrastructures critiques en début de conflit, c’est précisément qu’elle disposait alors d’une defense antiaérienne deux fois plus importante que l’ensemble des moyens déployés dans le reste de l’Europe aujourd’hui.
La défense des infrastructures critiques européennes repose presque exclusivement sur la crédibilité de la dissuasion américaine, française et britannique.
De fait, aujourd’hui, la seule protection dont disposent effectivement les grandes villes et infrastructures critiques européennes, repose sur la crédibilité de la dissuasion américaine, britannique et française, et dans la certitude que pourraient avoir d’éventuels agresseurs, que ces pays pourraient déclencher le feu nucléaire si eux-mêmes, ou leurs alliés européens, se voyaient attaqués par des moyens conventionnels.
De toute évidence, ni les Etats-Unis, ni la Russie, et probablement pas la Chine, soit les trois plus importantes forces nucléaires aujourd’hui, ne semblent partager cette certitude.
Le ministre de la Défense russe, Sergueï Choïgou, a annoncé la livraison de 4 nouveaux bombardiers stratégiques Tu-160M aux forces aériennes russes, ainsi que de 6 avions de transport Il-76-90A, à l’occasion d’une vidéoconférence avec les chefs militaires du pays.
Un temps décrétée moribonde suite aux sanctions occidentales, l’industrie de défense russe montre, ces derniers mois, de nombreux signes attestant, non seulement de sa vitalité, mais encore de sa croissance.
Le phénomène est particulièrement sensible dans deux domaines pouvant être corroborés par les observations indépendantes. Le premier est celui de la construction navale, qu’il est relativement aisé pour les spécialistes du domaine de suivre et confirmé sur des clichés satellites.
Ainsi, les récentes observations montrent que la production russe en matière de navires de surface et de sous-marins n’a que peu évoluer suite au début du conflit en Ukraine, en dépit des sanctions occidentales.
Des évolutions de format et de planification ont bien été annoncées ou observées, mais elles semblent davantage liées à l’évolution géopolitique ainsi qu’à certains problèmes de recrutement, qu’à des contraintes exogènes.
Le second domaine pouvant être vérifié concerne la production de véhicules blindés neufs. Si le décompte de la production des grandes usines russes, comme Uralvagonzavod, est aujourd’hui presque impossible de manière indépendante, il est en revanche possible de s’en faire une idée relativement précise en observant les pertes de blindés en Ukraine.
La production industrielle militaire russe demeure soutenue en dépit des sanctions
Comme nous l’avions abordé dans un précédent article, le décompte des pertes de T-90, T-80, et T-72 en version Obr.2022, tend à confirmer que la production de ces nouveaux chars s’approcherait effectivement des niveaux annoncés par l’entreprise, soit de 35 à 50 blindés par mois. Ce qui est très supérieur aux niveaux de production précédant la guerre en Ukraine, autour de 8 à 10 blindés par mois, tous types confondus, pour Uralvagonzavod.
La production de munition, et notamment de missiles, est en revanche plus difficile à évaluer, comme celle des avions et des hélicoptères russes. En effet, les nombreux clichés auparavant distillés sur les réseaux sociaux par les unités russes et les industriels, permettant de suivre par les numéros d’identification visibles la production, sont aujourd’hui beaucoup plus rares.
4 nouveaux Tu-160M et 6 Il-76MD-90A livrés en 2023, selon Sergueï Choïgou
Dans ce contexte, l’annonce faite par le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, lors d’une conférence avec les chefs militaires du pays, et relayée par l’agence Tass, a un intérêt tout particulier. En effet, selon ses dires, les forces aériennes recevront, en 2023, pas moins de quatre nouveaux bombardiers stratégiques Tu-160M ainsi que six avions de transport lourd Il-76MD-90A.
L’analyse comparée des pertes de chars russes au combat tend à confirmer une production mensuelle de l’ordre de 35 à 50 T-90M, T-80BVM et T-72B3M par mois par l’usine Uralvagonzavod.
Cette annonce révèle surtout que la production aéronautique russe, elle aussi, ne semble plus souffrir des sanctions occidentales, si tant est qu’elle en ait effectivement souffert.
Le bombardier stratégique Tu-160M
L’arrivée des quatre bombardiers supersoniques va sensiblement accroitre le potentiel des forces aériennes stratégiques russes. Remotorisé avec des turboréacteurs plus économes en kérosène, disposant d’une toute nouvelle avionique, de systèmes d’autoprotection évolués et d’un revêtement anti-radar, l’appareil peut emporter jusqu’à 45 tonnes de munition dans ses deux larges soutes à munition rotatives.
L’avion à géométrie variable, de plus de 250 tonnes au décollage, a un rayon d’action de plus de 7 500 km en vitesse subsonique, et de 3 000 km en maintenant une vitesse de Mach 1,5.
Conçu initialement pour la frappe stratégique avec 2 missiles de croisière supersoniques Kh-15 d’une portée de 300 km et armé d’une tête nucléaire de 300 kt, le Tu-160M peut également mener des frappes conventionnelles avec autant de missiles de croisière subsoniques de la famille des Kh-55, d’une portée allant de 1 500 à 3 000 km.
Le bombardier stratégique furtif PAK-DA était censé représenter la réponse russe au B-21 Raider américain. Son avenir est toutefois incertain aujourd’hui
Moscou a annoncé, en 2020, son intention de se doter de 50 Tu-160M d’ici à 2035, dans l’attente du développement du bombardier stratégique furtif PAK-DA qui se veut la réponse russe au B-21 Raider américain. L’avenir de ce nouveau bombardier semble aujourd’hui incertain.
Pour autant, le Tu-160M représente incontestablement un bombardier stratégique parfaitement capable, disposant d’une vaste panoplie de munition susceptibles de lui garantir un grand nombre d’options opérationnelles.
Après les sous-marins, c’est désormais au tour du programme visant à produire 9 frégates classe Hunter de Type 26 pour la Royal Australian Navy, d’être menacé. Il semble que le gouvernement d’Anthony Albanese, le premier ministre australien, n’en a pas fini d’essuyer les plâtres de ses prédécesseurs en matière de défense.
Petit retour en arrière. En juillet 2018, les autorités australiennes annonçaient qu’elles sélectionnaient le modèle Type 26 du britannique BAe Systems, pour constituer la future colonne vertébrale de sa flotte de frégates.
Le groupe britannique avait effacé l’espagnol Navantia avec la F-5000 dérivée de la F-100 déjà employée comme base pour les destroyers australiens de la classe Hobart, ainsi que l’italien Fincantieri avec une évolution de la FREMM, plus tard retenue par l’US Navy pour servir de base à la future classe Constellation.
Le choix du design Type 26 britannique pour les frégates classe Hunter
Contrairement aux deux frégates européennes, la Type 26, elle, n’existait alors que sur le papier. La construction de la première unité britannique de la classe City, le HMS Glasgow, n’avait, en effet, débuté qu’un an auparavant, alors que le navire ne sera lancé que 4 ans plus tard, en novembre 2022.
Le débat autour des sous-marins Marlin de la classe Attack servit de paravent pendant plusieurs années pour les difficultés rencontrées par le programme de frégate australien.
Ce qui devait arriver, ne manqua pas de se produire. Le programme connut ainsi de nombreux Stop&Go liés en partie aux atermoiements australiens, de l’autre au manque de maturité du design britannique. Au fil du temps, le design du navire évolua, celui-ci prit de l’embonpoint venant altérer ses performances nautiques, alors que les délais et les couts s’envoilaient.
Dans son malheur, le programme Hunter profita tout de même de l’aide inespérée des sous-marins français, cibles privilégiées des politiques et de la presse australienne, pour des dérives finalement moindres que celles qui le touchaient.
Toutefois, une fois le sort des Marlin de la classe Attack réglé, il n’a pas fallu longtemps pour que certains parlementaires viennent d’intéresser aux dérives du programme de frégate.
Les 9 frégates de la classe Hunter devaient remplacer les 10 frégates de la classe Anzac actuellement en service au sein de la Royal Australian Navy
Il est apparu que plusieurs de ces hauts responsables australiens, avaient été incapables de fournir les documents ayant motivé leurs décisions et leurs arbitrages, en soutenant ne pas les avoir conservés. Ce qui est difficilement acceptable pour un programme dépassant les 46 Md$ australiens.
Mais la commission anti-corruption n’est pas la seule menace pesant sur le programme Hunter. Le gouvernement d’Antony Albanese a demandé la rédaction d’une revue stratégique navale, celle ci-devant être remise dans les semaines à venir, pour arbitrer les efforts à produire dans ce domaine.
Or, selon plusieurs sources, tout porte à croire qu’au mieux, le format de cette classe de frégate sera revu à la baisse et ramené à six unités, contre 9 aujourd’hui. Il s’agit, en effet, pour la Royal Australian Navy de libérer des ressources budgétaires et humaines, pour le programme de sous-marins nucléaires d’attaque SSN-AUKUS codéveloppé par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.
La classe Constellation, dérivée de la FREMM italienne, pourrait représenter une solution de repli efficace et économique pour la Royal Australian Navy cherchant à accroitre son interopérabilité avec l’US Navy.
Toutefois, l’expérience a montré que la réduction du volume d’un programme de ce type, s’accompagne rarement d’une diminution homothétique des couts, surtout lorsque d’importants efforts de conception et de designs ont été, et seront, entrepris.
Au-delà des arbitrages liés à la nouvelle revue stratégique navale, le report du début de la construction de la première unité de la classe, qui doit intervenir en 2023, laisse supposer que le gouvernement Albanese garde une porte de sortie ouverte, pour éventuellement se tourner vers un modèle moins onéreux et complexe, comme la FREMM italienne et surtout la Constellation américaine qui en est dérivée.
Dans tous les cas, il est probable que le programme de frégate de la classe Hunter, est appelé à sensiblement évoluer dans les mois à venir.
Lockheed-Martin a annoncé que la nouvelle roquette ER GMLRS avait atteint sa portée maximale de 150 km lors d’un essai, rapprochant la munition de son entrée en service.
Longtemps marginalisée par l’efficacité du soutien aérien rapproché, puis par les drones, l’artillerie, et notamment l’artillerie à longue portée, a retrouvé l’attention des état-majors qu’elle n’aurait jamais dû perdre, avec la guerre en Ukraine.
Alors que les forces aériennes ukrainiennes comme russes ont été partiellement neutralisées par la densité des défenses aériennes de part et d’autres, et que les couts exorbitants et les délais de production des missiles à longue portée rendaient leur utilisation parcimonieuse, l’artillerie, elle, se montrait tout aussi disponible, économique que très efficace.
Si tous les systèmes d’artillerie, du mortier au canon lourd de 155 mm, ont démontré leur grande efficacité au combat sur les lignes de front en Ukraine, les lance-roquettes à longue portée, comme les Grad, Smerch et Uragan soviétiques, les Tornado russes et les Himars américains, se sont quant à eux montrés redoutables contre les dépôts logistiques et les concentrations de force.
Couplée aux moyens de détection satellites américains et russes, ces systèmes obligèrent les deux camps à revoir leur organisation logistique, à reculer de plusieurs dizaines de kilomètres leurs points d’appui et de concentration de force, ainsi que de densifier les moyens anti-aériens C-RAM (Cruise-Rocket/Artillery/Mortar) pour les protéger. Chaque erreur s’est d’ailleurs payée très cher par les deux camps.
Le Tornado-S russe a des performances identiques aux HIMARS américains
Qu’il s’agisse des Tornado-S, Smerch, Uragan et même HIMARS, la portée maximale atteinte par ces roquettes dépasse rarement les 100 km. Pour aller au-delà, il est nécessaire d’utiliser des missiles balistiques comme l’ATACMS américain, capable d’atteindre 300 km, mais beaucoup plus onéreux et complexe à employer. En outre, là où un HIMARS peut emporter 2×6 roquettes GMLRS d’une portée de 70 km+, il ne peut emporter que 2 ATACMS, toujours pas livrés à l’Ukraine par ailleurs.
C’est précisément pourquoi Lockheed-Martin a développé la roquette ER GMLRS (Extended Range Guided Multiple Launch Rocket System). Grâce à un nouveau propulseur, une aérodynamique redessinée et un contrôle de trajectoire par ailettes, celle-ci a effectivement été conçue pour atteindre une portée de 150 km, plus de deux fois les 70 km de la roquette M31A GMLRS de l’HIMARS actuellement employée.
Les autres caractéristiques de la roquette, elles, restent inchangées, avec un guidage mixte inertiel-GPS, et surtout des dimensions similaires permettant d’embarquer six munitions par pod HIMARS ou LRM.
Si la ER GMLRS avait été testée pour la première fois en mars 2021, elle n’avait jamais, jusqu’ici, été testée à sa portée maximale. C’est désormais chose faite.
La munition Ground Launched Small Diameter Bomb ou GLSDB de Boeing et Saab, propose des performances comparables à l’ER GMLRS de Lockheed-Martin
Selon Jay Price, vice-président des munitions de précision chez Lockheed Martin Missiles and Fire Control, ce premier test à portée maximale permit de démontrer non seulement que la nouvelle munition pouvait atteindre cette distance, mais également qu’elle respectait les attentes de trajectoire et de précision après un vol deux fois plus long.
Pour Lockheed-Martin, cet essai réussi marque une nouvelle étape afin de pouvoir prochainement livrer la nouvelle munition à ses clients, y compris à l’US Army. Notons que si la munition ER GMLRS marque une avancée pour Lockheed-Martin, elle ne changera pas les performances des systèmes HIMARS et M270, notamment en Ukraine.
De fait, l’arrivée de l’ER GMLRS est surtout une bonne nouvelle pour Lockheed-Martin, qui pourra répondre à l’offre de Boeing et Saab, sans changer la réalité du champ de bataille en Ukraine.
Longtemps relégué au second plan par l’intérêt médiatique et publique pour le SCAF, le programme MGCS franco-allemand ou Main Ground Combat System, qui vise à concevoir un remplaçant commun au Leclerc et au Leopard 2 à horizon 2035, rencontra, lui aussi, de nombreuses difficultés depuis son annonce en 2017.
Mais, alors que l’avenir du SCAF semble s’être dégagé depuis un an, après le tour de force des ministres de la Défense français, espagnol et allemand, de sorte à arracher un accord à leurs industriels respectifs pour la phase 1B (étude du démonstrateur), celui du programme de blindés lourds, lui, semble ne cesser de s’assombrir depuis plusieurs mois.
Sommaire
Les difficultés du programme MGCS de char franco-allemand
Ainsi, aux difficultés déjà considérables liées à l’arrivée de l’Allemand Rheinmetall dans le programme, obligeant le couple Nexter – Krauss-Maffei Wegmann initialement désigné, à revoir en intégralité le partage industriel, se sont ajoutées les motivations ambiguës de l’industriel de Düsseldorf, surtout depuis qu’il a présenté son propre char de génération intermédiaire, le KF51 Panther.
Mais les réelles tensions entre Paris et Berlin autour de ce programme, sont apparues beaucoup plus récemment, alors que suite à la guerre en Ukraine, la demande mondiale et européenne de chars repartait à la hausse, avec un calendrier trop court pour permettre au MGCS de se positionner à temps.
Le Leopard 2A8 est dérivé du Leopard 2HU acquis par la Hongrie
C’est ainsi qu’après l’EMBT, un projet méritant, mais visiblement plus porté par la France et Nexter, que par l’Allemagne et KMW, au sein de KNDS, le concepteur du Leopard 2 présenta, il y a quelques mois, le Leopard 2A8, une évolution du Leopard 2A7HU vendu à la Hongrie, intégrant notamment certaines des technologies récentes les plus prometteuses, comme l’APS Hard-Kill Trophy.
L’arrivée du Leopard 2A8 sur un marché revigoré par la guerre en Ukraine
Le Leopard 2A8 s’imposa en quelques mois seulement en Europe, la Bundeswehr, mais également la République tchèque, la Norvège, l’Italie et probablement les Pays-Bas, s’étant déclarés acquéreurs, Si ce succès priva en partie Rheinmetall et son KF51 de ses ambitions, il redessina aussi le marché commercial et technologique du char de combat en Europe, sur une échelle de temps particulièrement courte.
De fait, le succès immédiat, mais aussi potentiel, du nouveau char allemand, amena industriels, militaires et politiques allemands à repenser le calendrier et même la nature du programme MGCS. Pour les industriels, le calendrier visant 2035 n’était plus approprié, puisque les deux phases commerciales, celle du Leopard 2 renaissant de ses cendres, et celle du MGCS, se chevaucheraient de trop, et viendraient donc se percuter au détriment des deux.
Pour les militaires allemands, mais aussi français, les ambitions technologiques affichées pour MGCS, ainsi que le retard pris depuis 5 ans que le programme n’évolue qu’à vitesse minimale, ne permettent plus de respecter l’objectif de 2035, peut-être même celui de 2040.
Avec le KF51 Panther, Rheinmetall disposait d’une alternative au nouveau char franco-allemand, immédiatement disponible et moins onéreuse
Les politiques allemands, quant à eux, étaient restés plutôt discrets sur le sujet jusque-là. Ce n’est plus le cas. En effet, le président de la commission du budget de la défense du Bundestag, le député Andreas Schwarz du SPD (parti d’Olaf Scholz dans la coalition au pouvoir), s’est explicitement prononcé, dans un tweet du 4 septembre, en faveur d’un abandon de MGCS, de sorte à concentrer les efforts budgétaires et commerciaux allemands sur le Leopard 2 et ses évolutions.
Als Haushälter für den Verteidigungsetat der #Bundeswehr kann ich nur sagen. Wir haben mit dem #Leo2 ein erprobtes Gerät. Das sollte man weiterentwickeln und dafür investieren. Spart Zeit, Geld und Nerven! Und wir wissen was wir haben! #MGCShttps://t.co/ZecDFnyX7i
Même la presse allemande, souvent plus analytique et moins exacerbée que ne peut l’être la presse française sur les questions de défense, s’interroge sur l’avenir du programme MGCS. Ces doutes reposent sur les nombreuses difficultés et les désaccords rencontrés entre industriels, ainsi que sur l’existence d’un « Plan B » allemand avec le Leopard 2A8, et surtout le futur et mystérieux Leopard 2AX, qui pourrait bien être une sorte de synthèse entre le A8 et le KF51 Panther de Rheinmetall.
Le bras de fer indirect entre Boris Pistorius et Sébastien Lecornu
C’est dans ce contexte que les ministres français et allemands de tutelle, Sébastien Lecornu et Boris Pistorius, doivent se rencontrer d’ici à la fin du mois de septembre, pour, officiellement, redonner l’impulsion nécessaire à MGCS pour sortir de l’ornière dans laquelle le programme se trouve depuis deux ans maintenant.
Cette rencontre a été planifiée suite à une rencontre précédente s’entend tenue en juillet à Berlin entre les deux hommes, mais qui ne déboucha sur rien de concret, si ce n’est de demander aux deux armées, de concevoir un cahier des charges commun pour le nouveau blindé d’ici à septembre et la nouvelle rencontre. À se demander ce que la France et l’Allemagne ont fait depuis 5 ans…
Sébastien Lecornu et Boris Pistorius à Berlin pour discuter du programme MGCS en juillet 2023
Depuis, les deux partenaires se livrent un duel à fleuret moucheté par l’intermédiaire d’informations fuitées à la presse, et de déclarations faites par des seconds couteaux. Ainsi, Paris a indiqué qu’il entendait désormais imposer l’arrivée de Rome au sein du programme MGCS à l’occasion de la rencontre de septembre.
Que cette annonce ait été fuitée dans la presse, et présentée de telle manière, ne laisse aucun doute sur le fait que Berlin n’y sera pas favorable. En effet, l’arrivée de l’Italie dans le programme contrebalancerait l’effet déstabilisant de Rheinmetall, et remettrait l’échéance de 2035 en ligne de mire, alors que, comme le Leclerc Français, le C1 Ariete italien doit être remplacé à cette date.
La réponse de Berlin
Comme le sujet n’avait pas été directement abordé par les autorités françaises, la réponse allemande, elle aussi, fut indirecte. D’abord, un article du Handelsblatt est venu poser un diagnostic sévère, mais pas dénué de fondement, sur le programme MGCS et ses difficultés, et mettre en doute sa pérennité.
C’est à cet article que le député Andreas Schwarz a réagi dans son tweet évoque plus haut. Par sa position au sein de la commission defense du Bundestag, mais aussi du SPD, le principal parti de la coalition au pouvoir auquel appartiennent également Olaf Scholz et Boris Pistorius, il ne fait guère de doute que cette déclaration va bien au-delà de la simple position personnelle. Il s’agit, au contraire, d’une réponse de Berlin à Paris, au sujet de l’adhésion de Rome au programme.
Le programme MGCS pourrait entrainer l’échec du SCAF s’il venait à prendre fin
Celle-ci indique, de manière absolument pas voilée, à Sébastien Lecornu, que si ce dernier persiste à vouloir imposer Rome au programme MGCS, Berlin fera cavalier seule sur la base du Leopard 2 existant et à venir.
L’effet domino sur le programme SCAF
Dès lors, les chances sont désormais importantes que MGCS vive maintenant ses derniers instants. Même si toutes ces déclarations sont faites de manière indirecte, de sorte à laisser des portes de sortie de part et d’autre, il semble, en effet, difficile de revenir à une entente et une base de coopération suffisamment stables et satisfaisantes pour persévérer dans cette voie.
Reste que si le programme venait à échouer, SCAF lui aussi serait menacé, même si dans ce domaine, le rapport de force industriel, technologique et commercial est inversé entre Paris et Berlin, et que les alternatives seraient bien plus difficiles à trouver pour l’Allemagne et son industrie aéronautique, que pour la France et la sienne.
Il est donc fort possible qu’au-delà de MGCS, ce soit l’ensemble de la coopération industrielle franco-allemande imaginée par Emmanuel Macron et Angela Merkel qui sera l’enjeu de la rencontre entre Sébastien Lecornu et Boris Pistorius dans quelques semaines.
Dérivé du missile balistique à courte portée 9M723 Iskander-M, le missile Kinzhal 9-S-7760, une arme balistique aéroportée également désignée (improprement) Kh-47M2 Kinjal, a longtemps été présenté par Moscou comme le premier missile hypersonique en service dans le monde.
Depuis qu’il a été employé en Ukraine, il est apparu que le Kinzhal ne peut être qualifié d’hypersonique. En effet, s’il a bien une vitesse supérieure à Mach 5, il n’a pas la manœuvrabilité consubstantielle de cette classification.
Et de fait, à plusieurs reprises, les systèmes sol air américain MiM-104 Patriot PAC-3, livrés à l’Ukraine par les Etats-Unis et certains alliés de l’OTAN, sont parvenus à intercepter des Kinzhal en phase terminale, chose beaucoup plus improbable s’il eut vraiment été hypersonique.
Le missile Kinzhal demeure une menace, hypersonique ou non
Hypersonique ou pas, le Kinzhal demeure une menace pour l’Ukraine, comme pour l’OTAN. En effet, les systèmes capables de s’y opposer, comme le Patriot PAC-3 américains ou le SAMP/T Mamba franco-italiens, n’atteignent qu’une altitude de 30 à 35 km, alors que le missile a, comme l’Iskander-M, une trajectoire semi-balistique le faisant évoluer, sur la plus grande partie de son vol, entre 50 et 60 km d’altitude.
Le missile Kinzhal a été intercepté par le système antiaérien américain Patriot PAC-3.
Ainsi, pour le Patriot comme le Mamba, l’interception du 9-S-776 n’est possible que dans sa phase descendante, lorsque le missile passe sous l’altitude de 35 km. Il est donc nécessaire que la batterie antiaérienne soit positionnée à proximité de la cible visée par le missile, de l’ordre de quelques dizaines de kilomètres au maximum.
Le nombre de cibles potentielles étant largement supérieur au nombre de batteries antiaériennes Patriot et Mamba, on comprend aisément à quel point le Kinzhal, et sa portée de plus de 1 000 km lui permettant d’être largué à partir de l’espace aérien russe pour atteindre toute l’Ukraine, demeurait un véritable problème pour la défense antiaérienne ukrainienne.
Fort heureusement pour Kyiv, jusqu’à présent, les forces aériennes russes disposaient uniquement de quelques MIG-31K spécialement modifiés pour mettre en œuvre le missile, alors que sa mise en œuvre à partir du bombardier Tu-22M3 un temps évoquée, n’a pas pour l’heure été observée contre l’Ukraine.
Le Kinzhal sur Su-34
Mais les choses pourraient avoir récemment changé. En effet, selon l’agence Tass, un chasseur bombardier Su-34 aurait, pour la première fois, lancé un missile Kinzhal contre l’Ukraine. Toujours selon l’agence russe, l’équipage de l’appareil sera dûment récompensé pour cette première.
Si avérée, cette information risque de faire peser de nouvelles menaces sur les infrastructures ukrainiennes, alors même que Kyiv produit un important effort pour renforcer ses moyens industriels afin de relever le défi industriel militaire russe.
En effet, la flotte de chasseur bombardier Su-34 russe, avec autour de 150 appareils, est potentiellement bien plus importante que la poignée de MIG-31K spécialement modifiés pour la mission Kinzhal, même s’il est probable que, comme lui, le bombardier doit être modifié pour mettre en œuvre le missile.
Cette annonce après que, selon les autorités russes, la production de missile Kinzhal ait été accrue jusqu’à 10 nouveaux missiles chaque mois. En cumulant un nombre plus important de missiles, et un nombre supérieur de vecteurs potentiels, les forces aériennes russes seraient alors en mesure de saturer les défenses ukrainiennes, y compris les plus performantes, et ainsi atteindre les objectifs stratégiques visés.
Une menace directe pour les infrastructures et bases aériennes ukrainiennes
On pense aux futures infrastructures industrielles ukrainiennes, mais aussi aux bases aériennes destinées à accueillir les futurs F-16 attendus par Kyiv. Dans ce domaine, la vitesse hypersonique du missile qui ne l’est pas, constituera un atout de taille dans les mains des Russes, en réduisant les délais de frappes, et donc la possibilité de déplacer les aéronefs en cas d’attaque.
La multiplication des vecteurs ainsi que des munitions russes risque de faire peser une menace sur la stratégie ukrainienne visant à produire des équipements militaires occidentaux sur son sol.
En outre, le missile pouvant être lancé à plus de 1 000 km de la cible, les capacités de riposte de la chasse ukrainien pour tenter de repousser les bombardiers russes avant qu’ils ne lancent leur munition, seront limitées.
Reste qu’un missile Kinzhal lancé par un Su-34, ne représente pas, à ce jour, un indicateur de menace imminente. Il faudra cependant suivre avec attention l’évolution de cette capacité russe, susceptible de venir menacer la stratégie ukrainienne à moyen terme.
L’aide américaine à l’Ukraine a été, depuis le début de l’agression russe, le pilier logistique de la résistance ukrainienne, ainsi que le catalyseur de l’ensemble de l’aide occidentale, revêtant un rôle stratégique pour Kyiv. Cette aide est d’autant plus critique qu’Ukrainiens et Russes savent que la guerre durera plusieurs années, même si les médias et dirigeants occidentaux se focalisent, aujourd’hui, sur l’offensive en cours dans l’oblast de Zaporojie.
Dans ce contexte, le retour à la Maison-Blanche de Donald Trump, comme celle de Ron de Santis, pourrait représenter une menace existentielle pour l’Ukraine, tous deux ayant menacé de supprimer l’assistance militaire américaine à Kyiv. Il semble cependant que, depuis quelques mois, le président Zelensky, ait entrepris d’anticiper un tel cataclysme pour pouvoir poursuivre le combat, même sans le soutien de Washington.
La menace croissante de la fin de l’aide américaine à l’Ukraine
Avec 76,8 Md$ d’aide à l’Ukraine entre le début du conflit et juillet 2023, dont 46,6 Md€ d’aide militaire, les Etats-Unis sont, de loin, les plus importants contributeurs à l’effort de guerre face à l’agression de Moscou. En outre, chaque mois, Washington accorde à Kyiv un nouveau paquet d’aide militaire allant de 250 à 400 m$, contenant notamment de nombreuses munitions, des véhicules blindés, des drones et bien d’autres équipements.
L’aide américaine a l’Ukraine a souvent servi de détonateur aux pays européens, comme lors de la livraison des obusiers légers M777 ayant ouvert la voie aux Caesar, Pzh2000 et autres Archer européens.
Au-delà de cette aide directe, le soutien américain à l’Ukraine a été, en de nombreux exemples, moteur pour « débloquer » certaines réticences en Europe. Ce fut spécifiquement le cas concernant la livraison systèmes d’artillerie puis de chars lourds occidentaux, Berlin refusant de livrer, ou d’autoriser la livraison de Leopard 2 à Kyiv, avant que les Etats-Unis aient annoncé de leur côté la livraison de M1 Abrams.
De fait, lorsque Donald Trump, grand favori des primaires républicaines, mais aussi son dauphin Ron de Santis, le gouverneur de Floride, se déclarent opposés à la poursuite de l’aide américaine à l’Ukraine s’ils venaient à remporter les prochaines élections présidentielles US de 2024, le sujet a évidemment de quoi inquiéter à Kyiv.
C’est d’autant plus le cas qu’aujourd’hui, les sondages mettent Donald Trump et Joe Biden au coude à coude dans la marge d’erreur, alors que 12 à 14 % des Américains se disent encore indécis. En outre, l’âge faisant, la candidature de Joe Biden est soumise à caution, alors que l’hypothèse d’un duel entre Donald Trump et la vice-présidente Kamala Harris donne une nette victoire à l’ancien président.
Une hypothèse au cœur de la stratégie russe en Ukraine
Cette menace n’a d’ailleurs pas échappé à Moscou, qui a, en partie, réorganisé son effort de défense et sa planification, précisément pour être en mesure de profiter de l’affaiblissement ukrainien si Washington venait à mettre fin à son soutien. Ainsi, les armées russes appliquent désormais une posture strictement défensive, visant à éroder les moyens militaires ukrainiens, tout en minimisant ses propres pertes, au prix de pertes de territoire limitées.
La production industrielle russe menace désormais les équilibres militaires en Ukraine à moyen termes
De fait, si le cordon ombilical américain venait à rompre en fin d’année 2024, suite à une éventuelle victoire de Donald Trump, Moscou disposerait alors d’un ascendant considérable sur les défenseurs ukrainiens qui dépendraient, ainsi, du soutien européen pour résister. Or, à ce jour, rien n’indique que les européens aient pris la mesure d’un tel risque, et de la responsabilité qui leur incomberait si le soutien américain venait à se tarir.
Plus spécifiquement, aucun effort dimensionné et comparable à celui entrepris en Russie n’est observé en Europe, que ce soit dans le domaine des blindés, des munitions, ou encore des systèmes d’appui et de protection.
Il est d’ailleurs très possible qu’aujourd’hui, l’inertie européenne, couplée à la possible victoire de Donald Trump en 2024, joue un rôle central dans la planification militaire russe à moyen terme, face à l’Ukraine, mais aussi face à l’OTAN.
Vers une production locale des équipements de défense occidentaux nécessaires
Si les européens, et plus particulièrement les européens de l’ouest, sont en roue libre, ce n’est pas le cas de l’Ukraine. En effet, depuis plusieurs mois, Kyiv a engagé une série d’initiatives visant précisément à modérer le risque d’une défaillance américaine, en appliquant le vieil adage « Aide-toi, et le ciel t’aidera ».
Le CV90 suédois pourrait être produit en Ukraine, des discussions entre Volodymyr Zelensky et Ulf Kristersson étant engagées à ce sujet.
C’est ainsi que les autorités ukrainiennes ont entrepris des négociations rapides avec plusieurs industriels européens, non pas pour acquérir des matériels produits en Europe, mais pour les produire directement en Ukraine, malgré le risque que représentent les missiles et drones russes.
En effet, pour résister à la menace russe en devenir, les armées ukrainiennes devront, elles aussi, percevoir certains équipements à des cadences élevées, de l’ordre de plusieurs dizaines par mois, alors que de telles capacités de production n’existent pas en Europe.
Le KF51 Panther de Rheinmetall
Le premier industriel européen à avoir relevé le défi ukrainien n’est autre que l’allemand Rheinmetall. En effet, le groupe de Düsseldorf et son bouillant CEO, Armin Papperger, ont annoncé il y a quelques semaines que la construction d’une usine de production de blindés allait prochainement débuter en Ukraine, après un accord avec les autorités du pays.
Les ambitions de Rheinmetall et de Kyiv sont à la mesure des enjeux. Il s’agit, en effet, de faire sortir de terre une capacité industrielle pouvant produire 400 blindés par an, et ce, en quatre mois seulement. L’objectif de 400 blindés est, à ce titre, comparable à celui annoncé par le russe Uralvagonzavod, qui désormais annonce produire 30 à 40 chars lourds T-90M, T-80BVM et T-72B3M chaque mois.
Pour Armin Pappeger, le CEO de Rheinmetall, la production en Ukraine de KF51 Panther pourrait être le marchepied indispensable pour le succès de son nouveau char sur la scène internationale.
Bien que le sujet n’ait pas, pour l’heure, été explicitement évoqué ni par les autorités ukrainiennes, ni par Rheinmetall, tout porte à croire qu’il s’agira, ici, de produire des blindés lourds, et plus particulièrement le nouveau char KF51 Panther.
En effet, les marges concernant la livraison des Leopard 2 et autres chars européens, tendent à se réduire, alors que, pour résister à la montée en puissance russe et l’arrivée de chars plus modernes, les armées ukrainiennes doivent désormais s’appuyer sur les chars occidentaux évolués.
Pour Rheinmetall, ce serait non seulement l’occasion de produire son nouveau char, mais surtout de lui permettre de faire ses preuves au combat. Le KF51 Panther a de nombreux atouts à faire valoir sur le champ de bataille, en particulier face à ses homologues russes, tout du moins du point de vue théorique. L’on sait, par ailleurs, l’engouement que peut générer une campagne militaire réussie sur le succès commercial d’un armement.
Le CV90 suédois et le Patria AMV finlandais
Si Rheinmetall aura été le premier à défricher la production d’équipements européens en Ukraine, il pourrait bien ne pas être le seul. Ainsi, il y a quelques semaines, le premier ministre suédois, Ulf Kristersson, et son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, ont entamé des discussions en vue de produire en Ukraine le véhicule de combat d’infanterie CV90, dont les 50 exemplaires transférés de Suède sont très appréciés des militaires ukrainiens.
Le Patria AMV suédois, lui aussi, pourrait être produit en Ukraine.
Quelques jours plus tard, c’était au tour de la ministre des Affaires étrangères finlandaise Elina Valtonen, d’annoncer que des discussions avaient été ouvertes pour céder à Kyiv une licence permettant une production locale de véhicules blindés AMV Patria.
Cette plate-forme 8×8 blindée est réputée performante et fiable, et peut être déclinée en de nombreuses versions allant du transport de troupe blindé au véhicule de combat d’infanterie, en passant par le véhicule de commandement, le véhicule médical avancé, la defense antiaérienne ou la guerre électronique.
Si Kyiv parvenait à effectivement lancer, avant 2025, la production simultanée de chars KF51 Panther, de VCI CV90 et de Patria AMV, ses armées seraient alors en mesure de relever le défi russe en préparation.
Surtout, cette nouvelle puissance industrielle ukrainienne priverait Moscou de l’avantage escompté suite au retrait de l’aide américaine, et pourrait même, dès lors, amener Donald Trump à réviser ses positions sur le sujet, le cas échéant.
Artillerie, drones et munitions
Bien évidemment, la seule production de blindés serait insuffisante pour briser la détermination russe, et d’autres accords pourraient voir le jour dans les mois à venir, sur le même modèle. En particulier, il sera indispensable pour les armées ukrainiennes de renforcer ses capacités d’artillerie, qu’il s’agisse de l’artillerie automotrice de 155 mm, comme des capacités de frappe dans la profondeur.
Si, dans ce dernier domaine, les industriels ukrainiens disposent de savoir-faire susceptibles d’apporter des solutions nationales, la production de systèmes d’artillerie de 155 mm sera critique, qu’elle ait lieu en Europe ou directement en Ukraine.
Mobile, performant, économique et produit en série par Nexter, le Caesar français pourrait représenter la solution idéale pour Kyiv afin de renforcer son artillerie.
Il se trouve cependant que dans ce domaine, les capacités de production des industriels européens ont sensiblement augmenté ces derniers mois, et il pourrait être possible aux européens de soutenir Kyiv sans en passer par une production locale.
On pense naturellement au Caesar français, dont la mobilité, l’allonge et la précision sont très appréciés des artilleurs ukrainiens, d’autant que le système est économique et relativement simple à maintenir, mais aussi à l’Archer Suédois ou au récent RCH-155 allemand, par ailleurs commandé par Kyiv.
Si, de toute évidence, Kyiv s’est engagé dans un colossal effort pour accroitre rapidement et de manière considérable la production nationale de systèmes d’arme, plus particulièrement de systèmes européens, il est de nombreux domaines pour lesquels les armées ukrainiennes devront toujours s’appuyer sur les livraisons occidentales.
C’est évidemment le cas des avions de combat et des navires, des systèmes complexes et très onéreux, dont la production locale nécessiterait des délais bien trop longs pour répondre à l’urgence, ce sans même tenir compte des difficultés contractuelles entourant ces domaines de très haute technologie.
La flotte de chasse au cœur de l’effort ukrainien
Or, si aujourd’hui l’accent est mis sur la livraison de F-16 déclassés sortis des stocks européens, il est probable que ces appareils ne pourront garder la ligne plus de quelques mois, voire quelques années au mieux, leur potentiel ayant été considérablement entamé par leurs précédents détenteurs.
Le JAS 39 Gripen suédois est souvent évoqué par les autorités ukrainiennes comme une alternative au F-16 américain.
En outre, à l’instar des Leopard 2, les stocks de F-16 européens, potentiellement transférables en Ukraine, sont limités, et ne pourront pas dépasser les 100 à 120 exemplaires, dans le meilleur des cas. Par ailleurs, et contrairement aux chars de combat, il serait très difficile aux armées ukrainiennes de mettre en œuvre efficacement un patchwork de chasseurs européens.
Il n’est donc en rien surprenant que Kyiv ait entrepris, de manière plus ou moins discrète, des discussions avec les avionneurs européens, le JAS 39 Gripen et le Rafale étant les plus cités, pour prendre la suite des F-16 attendus avec impatience aujourd’hui. On notera, à ce titre, que l’hypothèse de chasseurs américains, F-16V, Super Hornet ou F-15EX n’est en revanche jamais apparue.
Il est vrai que si le soutien américain venait à prendre fin, on peut craindre que les autorisations de réexportations de matériels US, ou d’exportations directes, puissent, elles aussi, être menacées par Donald Trump, le cas échant. Notons au passage que, dans cette hypothèse, le Gripen pourrait être en porta faux, puisqu’il utilise une version locale du turboréacteur F404 de l’Américain General Electric.
Le renforcement de la défense antiaérienne ukrainienne
Un problème comparable pourrait intervenir pour un autre domaine de très haute technologie, les défenses anti-aériennes. En effet, la production locale des systèmes de détection et des missiles des défenses antiaériennes modernes, n’a rien à envier, en termes de complexité industrielle et technologique, et par voie de conséquence, de complexité contractuelle, avec celle des avions de combat.
Les européens pourraient devoir livrer des systèmes antiaériens en grande quantité pour protéger les nouvelles infrastructures industrielles ukrainiennes.
De fait, il est peu probable qu’un accord permettant à Kyiv de produire des systèmes Iris-t SLM, SAMP/T Mamba ou Land Ceptor puisse rapidement émerger. Dans le même temps, les besoins ukrainiens pour ce type de systèmes, mais également pour les systèmes d’artillerie antiaériens capables de prendre à partie les drones russes, vont aller croissant, alors qu’il sera nécessaire de disposer de defense considérables pour protéger les nouvelles infrastructures industrielles.
Dans ce domaine, il est probable que l’avenir des capacités industrielles de defense ukrainiennes, et avec elles, de l’ensemble du pays face à la Russie, reposera sur des accords obtenus avec les Allemands, Britanniques, Italiens et Français, pour effectivement protéger ces infrastructures critiques.
Rustem Umerov, le nouveau ministre de la Défense ukrainien, pour articuler cette stratégie
Le nouveau ministre de la Défense ukrainien, Rustem Umerov, aura donc fort à faire pour mettre en œuvre ce qui apparait comme un basculement stratégique de l’Ukraine. Toutefois, si celui-ci est arrivé sur les soupçons de corruption de son prédécesseur, l’ancien avocat Oleksii Reznikov, il présente surtout un profil plus adapté à cette nouvelle mission.
Le Tatar et ingénieur de formation Rustem Umerov a été nommé ministre de la Défense Ukrainien par Volodymyr Zelensky le 4 septembre 2023.
En effet, là où Reznikov avait les compétences requises pour négocier avec ses homologues occidentaux les aides indispensables pour maintenir les armées ukrainiennes à flot, Umerov, ancien dirigeant d’un fonds d’investissement IT, a une formation et une expérience adaptées à ces nouveaux défis.
Cette nomination envoie aussi un message politique clair, tant aux occidentaux concernant la détermination du président Zelensky à lutter contre la corruption, mais aussi aux Tatars de Crimée ainsi qu’aux turcs, qui jouent tous deux un rôle décisif pour l’avenir de ce conflit.
Conclusion
On le voit, l’Ukraine s’est engagée dans un profond changement de paradigmes face à la Russie, au travers d’un important effort visant à localiser la production de certains des armements les plus critiques pour ses armées.
Parallèlement, tout indique que ces évolutions sont en partie conditionnées par le risque de l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche d’ici un peu plus d’un an. Et avec lui, de la fin de l’aide américaine à l’Ukraine, tout au moins dans sa forme actuelle.
Comme nous l’avons vu, cette politique ne pourra s’avérer efficace que si les Européens acceptent, eux aussi, de porter une partie du fardeau de cette guerre, notamment en se substituant à l’aide américaine dans certains domaines clés comme l’aviation de chasse et la defense anti-aérienne.
Reste à voir si les chancelleries européennes sauront répondre à cet appel historique, alors que les Etats-Unis auront donné des signaux opposés. C’est loin d’être acquis…
Connaissez-vous la veisalgie ? C’est le terme médical pour désigner les nausées, les maux de têtes et la sensation de faiblesse suivant une ingestion excessive d’alcool. En d’autres termes, la gueule de bois.
C’est, en quelque sorte, l’état dans lequel se trouve aujourd’hui une grande partie de l’industrie de défense turque. Celle-ci avait, en effet, été extrêmement sollicitée lors de la campagne électorale turque au printemps dernier. Elle représentait alors un des piliers de la communication du Parti de la Loi et de la Vertu du président sortant, R.T Erdogan.
De fait, les six mois ayant précédé l’élection, virent un nombre record d’annonces de la part des entreprises de défense du pays, qu’il s’agisse des programmes terrestres comme le char Altay, des hélicoptères avec le Gobeï et l’Atak 2, des navires avec les frégates et les destroyers du programme MILGEM.
Les industriels de la BITD aéronautique, eux aussi, furent lourdement sollicités. Ainsi, le spécialiste des drones Baykar, présenta le Kizilelma, un drone supersonique censé pouvoir embarquer à bord du porte-hélicoptères transformé en porte-drones Anadolu. L’avionneur d’état, TAI, a quant à lui assemblé, le plus vite possible, ce qui devait représenter le futur avion de combat de facture nationale KAAN, issu du programme TF-X.
L’industrie de défense turque a été très sollicitée par le gouvernement en amont des élections présidentielles et législatives turques du printemps dernier.
Plus l’échéance électorale se rapprochait, plus les sondages se montraient hésitant, et plus les annonces se multipliaient, et avec elles les ambitions affichées par les industriels, relayant les promesses du gouvernement encore en place.
La stratégie politique fut un succès. R.T Erdogan fut réélu avec 52 % des voix, comme son groupe parlementaire qui, avec 321 sièges, conservait la majorité absolument au Parlement turc.
En revanche, l’euphorie des dernières semaines pour l’industrie de défense, suscita un retour de flamme violent, alors que les données macroéconomiques du pays continuaient de se dégrader.
En effet, le pays est toujours soumis à une inflation très importante, presque 10 % en juillet (12 derniers mois). Par ailleurs, pour garantir sa réélection, R.T Erdogan a fait de nombreuses promesses électorales. Le tout combiné a entrainé une hausse des dépenses publiques, une hausse des déficits et, au final, l’explosion du poids de la dette publique sur les finances du pays.
C’est donc sans surprise que le gouvernement a dû, ces dernières semaines, réduire la voilure de ses dépenses, et l’industrie de défense, jusqu’ici sanctuarisée par R.T Erdogan, ne fait désormais plus exception.
De fait, les autorités turques ont multiplié ces dernières semaines les appels du pied à d’autres pays déjà clients de son industrie de défense, comme la Malaisie, l’Azerbaïdjan et le Pakistan. Des accords de coopération auraient même été signés par ces deux derniers à ce sujet, selon les déclarations de Yasar Guler, le ministre de la Défense.
Sollicitées par les journalistes de Defensenews, les autorités des pays n’ont cependant pas souhaité confirmer l’annonce turque, ce qui laisse penser qu’il s’agit probablement d’un excès d’enthousiasme de la part de m Guler, en particulier pour le Pakistan qui semble aujourd’hui plus enclin à se rapprocher de Pékin et de ses programmes militaires de plus en plus performants.
Reste que les difficultés rencontrées par un programme aussi emblématique que le chasseur KAAN, vont assurément diffuser dans toute l’industrie de défense turque, dont une part importante dépend entièrement des subsides publics pour garantir sa pérennité.
Le parallèle entre la Turquie et la Pologne est évident. Pour Varsovie, le président sortant Duda et le PiS, les nombreux et très ambitieux programmes d’équipement militaires annoncés des derniers mois, sont incontestablement en lien avec les élections polonaises d’octobre.
Et comme pour la Turquie, les inquiétudes sont fortes que les investissements requis ne dépassent les moyens dont pourra disposer l’État polonais dans les années à venir…
La politique française d’exportation des armements a été modelée par plusieurs décennies de succès l’ayant amenée au pied du podium des exportations mondiales dès le milieu des années 60, en dépit du traumatisme de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation allemande.
Celle-ci s’articulait alors autour de deux approches complémentaires. D’abord, des partenariats industriels de défense qui donneront naissance à de nombreux programmes de la guerre froide comme le chasseur bombardier Sepecat Jaguar, les avions de patrouille maritime Breguet Atlantic, les missiles antichars Milan et HOT ou encore les chasseurs de mines Tripartites.
Tous ces programmes en coopération ont été menés avec les voisins européens de la France : Allemagne, Italie, Grande-Bretagne, Belgique et Pays-Bas.
La politique française d’exportation des armements depuis 1945
En même temps, Paris multipliait les succès en matière d’exportation d’équipement, notamment vers les pays du Moyen-Orient (Israël puis Arabie Saoudite, Irak, Qatar et EAU), en Europe (Belgique, Grèce, Espagne), en Amérique du Sud (Brésil, Argentine, Chili, Pérou), en Afrique (Maroc, Égypte, Afrique du Sud, Libye..) ainsi qu’en Asie-Pacifique (Pakistan, Inde, Australie, Taïwan..).
La politique française d’exportation des armements avait à peine évolué depuis la fin des années 50, et les premiers grands succès des industriels français de défense sur la scène internationale.
Cette division entre partenaires européens et clients mondiaux perdura jusqu’à l’arrivée du président Macron à l’Élysée en 2017, même s’il était de plus évident qu’elle ne répondait plus efficacement aux opportunités industrielles et technologiques françaises.
Durant son premier quinquennat, Emmanuel Macron, et la ministre des Armées, Florence Parly, reproduisirent et même accentuèrent ce modèle, en engageant de nombreuses initiatives européennes destinées à donner corps à l’ambition d’Europe de la Défense soutenue par le président nouvellement élu.
Celle-ci donna naissance au programme CaMo franco-belge et exhuma les accords de Lancaster House avec Londres. Les deux principaux volets de cette volonté présidentielle furent l’émergence d’un « Airbus Naval » en associant Naval Group avec l’Italien Fincantieri au sein d’une coentreprise désignée Naviris, et surtout le lancement de plusieurs grands programmes franco-allemands, dont les désormais bien connus SCAF et MGCS.
L’échec des ambitions européennes du président Macron
Malheureusement pour le président français, cette stratégie tourna court à de nombreuses reprises. Ainsi, après l’échec du rachat des Chantiers de l’Atlantique par Fincantieri, Naviris fut vidée de sa substance, pour devenir une structure limitée aux programmes de coopération bilatéraux, comme la modernisation des destroyers antiaériens de la classe Horizon.
La Commande de Boeing P8A Poseidon par la Luftwaffe a mis fin au programme MAWS franco-allemand
La coopération avec l’Allemagne s’est également dégradée, après l’abandon des programmes MAWS, CIFS et Tigre III par Berlin, alors que SCAF mais surtout MGCS rencontrent régulièrement des turbulences importantes venant menacer leur propre pérennité.
Cependant, c’est probablement l’apparition de divergences de plus en plus évidentes entre Paris et Berlin, qu’il s’agisse de l’acquisition de F-35A ou le lancement de l’initiative European Skyshield fédérant 15 pays européens, mais fermée à la France et l’Italie, qui amena les autorités françaises à envisager de faire évoluer cette stratégie d’exportation.
Vers une nouvelle politique française de partenariat et d’exportation des armements
Les prémices de cette évolution apparurent lors du vote de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030 par le Parlement au printemps 2023. À cette occasion, le ministre des Armées Sébastien Lecornu avait, en effet, annoncé que la nouvelle version du Rafale, la F5, par ailleurs beaucoup plus ambitieuse qu’attendue, serait développée d’ici à 2030.
Safran et Dassault Aviation pourrait rejoindre le développement du programme TEDBF, le futur chasseur embarqué indien.
Surtout, ce programme serait ouvert au « Club Rafale », à savoir les pays mettant en œuvre l’appareil, disposant d’une industrie aéronautique de défense, et souhaitant s’y investir. Il s’agissait de la première fois que la France ouvrait à des pays non européens une coopération industrielle de défense représentant un enjeu stratégique pour le pays.
Quelques semaines plus tard, à l’occasion de la visite officielle du PM indien Narendra Modi en France pour les célébrations du 14 juillet, plusieurs programmes franco-indiens auraient été abordés, en marge de la future acquisition de 26 Rafale M et de trois sous-marins Scorpene supplémentaires pour la Marine indienne.
C’est notamment le cas du turboréacteur qui équipera les chasseurs AMCA et TEDBF, qui pourraient être développés conjointement avec Safran, mais aussi des appareils eux-mêmes, Dassault aviation pouvant s’inviter dans leur conception.
Ces deux annonces, à quelques semaines d’écart, représentaient déjà une sérieuse indication d’un changement de stratégie en cours de la part de Paris en matière de coopération industrielle de défense.
Des corvettes Gowind 2800HN de Naval Group pour la Marine hellénique
La proposition envoyée il y a quelques jours par Naval Group a Athènes, concernant le programme de corvettes de la Marine Hellénique, montre, quant à elle, que c’est toute la stratégie d’exportation des équipements de défense français qui aurait entamé une profonde mutation.
La corvette Gowind 2800HN est lourdement armée et polyvalente, complétant parfaitement les frégates FDI-HN en particulier dans le domaine de la lutte anti-sous-marine.
En effet, selon le site Defensereview.gr, à l’origine de l’information, cette offre se compose non seulement d’un important volet de partenariat à long terme entre les industries et les marines des deux pays, mais aussi de conditions commerciales et budgétaires d’État n’ayant rien à envier à celles du Foreign Military Sales américain.
Un puissant volet industriel
Ainsi, l’offre française prévoit la construction des quatre corvettes grecques en partenariat avec les chantiers navals de Skaramangas. Une part de la valeur produite, 35 % supérieure à celle proposée par l’offre de Fincantieri selon defensereview, serait produite en Grèce, et ce, dès le premier navire.
En outre, la France se serait engagée à maintenir la même activité industrielle grecque sur d’éventuelles options à venir concernant d’autres corvettes, mais également de faire participer cet écosystème industriel à la construction des six corvettes lourdes qui devront remplacer les Frégates de Surveillance d’ici à quelques années.
L’industrie navale grecque pourrait participer au remplacement des six frégates de surveillance de la Marine nationale.
À ce titre, le site grec évoque la construction de 6 corvettes Gowind 2500 à cette fin pour la Marine nationale. Il s’agit probablement d’une mauvaise interprétation du journaliste, le programme European Patrol Corvette ayant jusqu’ici été présenté comme le choix préférentiel de Paris pour remplacer les frégates de surveillance de la classe Floréal.
Un package budgétaire et financier digne du FMS
Enfin, l’ensemble de l’offre française est intégrée à un package d’accompagnement financier et budgétaire à taux fixe, éliminant la plupart des incertitudes pouvant menacer les finances publiques helléniques, que l’on sait scrutées à la loupe par Bruxelles et Berlin.
De fait, l’offre faite à Athènes s’avère non seulement performante et innovante en matière de coopération industrielle, mais aussi concernant le package financier et de service, l’un des points faibles reconnus des offres françaises ces dernières années dans ce domaine, en particulier face au FMS américain.
L’offre française à Athènes concernant la flotte de corvette hellénique, représente une profonde évolution de la politique française d’exportation des armements.
Quant à savoir si une telle offre peut menacer les budgets de défense ou les industriels français, une hypothèse très proche de celle finalement mise en œuvre par Naval Group et le ministère des Armées, avec l’aval de l’Élysée, avait été étudiée dans un article publié en janvier 2022, révélant précisément les opportunités qu’elle ouvrirait pour la Marine nationale et la BITD navale française.
Conclusion
Il faut, bien évidemment, se montrer prudent quant aux annonces de la presse spécialisée grecque, souvent prompt à un excès d’enthousiasme. Toutefois, la succession des annonces plus ou moins officielles de ces derniers mois autour de la politique d’exportation et de coopération française concernant l’exportation d’armement, montre qu’une réelle dynamique est en cours, probablement sous l’impulsion de Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, et Emmanuel Chiva, le DGA, et qu’elle serait soutenue par le président Macron.
Il faudra attendre d’autres annonces comparables pour se faire une idée de son caractère systématique ou non, ainsi que de son périmètre. Toutefois, il s’agit incontestablement d’une trajectoire longtemps attendue par les industriels français, et qui, à la fin, fera certainement l’affaire des armées elles-mêmes.
L’infrastructure Cloud et Intelligence artificielle du programme SCAF a été confiée par Berlin au consortium HIS formé par l’allemand SSE et l’Américain IBM.
L’information est passée jusque-là plutôt inaperçue. Pourtant, elle a de quoi surprendre. En effet, dans un communiqué publié le 30 aout, le BAAINBw, comprendre, le bureau fédéral en charge du support de la Bundeswehr pour l’équipement, les technologies de l’information et les services, a présenté le consortium retenu pour développer les infrastructures d’intelligence artificielle du programme SCAF.
Le consortium HIS pour developper le backbone d’intelligence artificielle du SCAF
Ce consortium, baptisé HIS, rassemble Helsing and Schönhofer Sales and Engineering GmbH (SSE) appartenant au groupe Rohde & Schwarz, ainsi que, et là est la surprise, IBM Deutschland GmbH, filiale allemande du géant américain de l’informatique, basée à Fribourg.
Selon le communiqué de presse, le contrat portant sur la livraison de l’infrastructure d’IA par le consortium, a été signé le 7 aout. Celui-ci dépend du pilier Next Generation Weapon System (NGWS) du programme SCAF, piloté par l’Allemagne.
Au-delà des déclarations de circonstances, sur l’intérêt de l’intelligence artificielle pour un programme comme celui-ci, le communiqué permet aussi de savoir que l’architecture (backbone) produite dans le cadre de ce contrat, s’appuiera sur le Cloud sécurisé « VS-Cloud » américain, ainsi que sur les solutions produites par RedHat, filiale de l’entreprise américaine, et Secunet Security Networks AG, une entreprise de sécurité numérique basée à Essen.
L’Intelligence artificielle jouera un rôle central au sein du système de systèmes du programme SCAF, tant pour traiter les volumineuses informations produites par les senseurs du système, mais également pour permettre à l’équipage d’appréhender correctement son environnement, et diriger les systèmes déportés comme les drones Loyal Wingman et Remote Carrier.
Le choix de l’entreprise américaine par le BAAINBw comme architecte principal de la solution IA du SCAF, n’est pas sans conséquence. En effet, depuis le Cloud Act de 2018, les autorités fédérales américaines disposent de certaines prérogatives extraterritoriales sur l’ensemble des systèmes numériques conçus par des entreprises américains, ou en exploitant les technologies.
Il est probable, comme ce fut le cas au sujet de la motorisation du drone Eurodrone RPAS attribuée à un turbopropulseur de conception US plutôt que le modèle français en cours de certification, que les autorités allemandes ont obtenu de la part des Etats-unis, toutes les garanties nécessaires concernant l’absence d’ingérence de Washington dans ce dossier.
Cependant, et comme la France en a fait l’expérience en 2019, lorsque Donald Trump intégra à la liste ITAR un composant employé par le missile SCALP pour bloquer une vente de Rafale à l’Égypte, il est beaucoup plus facile et rapide de changer une législation, que de modifier l’architecture technologique d’un équipement de défense.
En 2019, Donald Trump entrava la vente de Rafale à l’Égypte en intégrant à la liste ITAR un composant de navigation employé par le missile SCALP. Il fallut plusieurs années à MBDA pour remplacer ce composant américain coutant uniquement quelques dizaines de dollars.
Cela dit, selon des sources internes au programme, l’arbitrage annoncé ici, ne concernerait qu’un volet purement allemand du pilier en question, et ne pourra pas, de fait, venir interférer avec la flotte française, notamment les appareils qui mettront en œuvre la dissuasion dans les décennies à venir.
D’un point de vue purement allemand, le recours à un prestataire américain, fut-il aussi stratégique qu’IBM pour constituer le backbone du service d’intelligence artificielle du système, est, en effet, bien moins contraignant qu’il ne pourrait l’être pour la France traditionnellement plus autonome vis-à-vis des Etats-Unis que l’Allemagne, cette dernière ayant confié sa propre dissuasion à Washington.
Reste que le choix d’un partenaire américain, alors qu’il existe des alternatives européennes, est aussi révélateur des penchants allemands que contraire à la philosophie initiale du programme SCAF, qui devait permettre de développer l’autonomie stratégique européenne, notamment dans ces domaines particuliers.
Ps: maj le 2 septembre à 00:45, suite aux informations sur l’aspect purement national de l’arbitrage allemand.