La politique française d’exportation des armements a été modelée par plusieurs décennies de succès l’ayant amenée au pied du podium des exportations mondiales dès le milieu des années 60, en dépit du traumatisme de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation allemande.
Celle-ci s’articulait alors autour de deux approches complémentaires. D’abord, des partenariats industriels de défense qui donneront naissance à de nombreux programmes de la guerre froide comme le chasseur bombardier Sepecat Jaguar, les avions de patrouille maritime Breguet Atlantic, les missiles antichars Milan et HOT ou encore les chasseurs de mines Tripartites.
Tous ces programmes en coopération ont été menés avec les voisins européens de la France : Allemagne, Italie, Grande-Bretagne, Belgique et Pays-Bas.
La politique française d’exportation des armements depuis 1945
En même temps, Paris multipliait les succès en matière d’exportation d’équipement, notamment vers les pays du Moyen-Orient (Israël puis Arabie Saoudite, Irak, Qatar et EAU), en Europe (Belgique, Grèce, Espagne), en Amérique du Sud (Brésil, Argentine, Chili, Pérou), en Afrique (Maroc, Égypte, Afrique du Sud, Libye..) ainsi qu’en Asie-Pacifique (Pakistan, Inde, Australie, Taïwan..).
Cette division entre partenaires européens et clients mondiaux perdura jusqu’à l’arrivée du président Macron à l’Élysée en 2017, même s’il était de plus évident qu’elle ne répondait plus efficacement aux opportunités industrielles et technologiques françaises.
Durant son premier quinquennat, Emmanuel Macron, et la ministre des Armées, Florence Parly, reproduisirent et même accentuèrent ce modèle, en engageant de nombreuses initiatives européennes destinées à donner corps à l’ambition d’Europe de la Défense soutenue par le président nouvellement élu.
Celle-ci donna naissance au programme CaMo franco-belge et exhuma les accords de Lancaster House avec Londres. Les deux principaux volets de cette volonté présidentielle furent l’émergence d’un « Airbus Naval » en associant Naval Group avec l’Italien Fincantieri au sein d’une coentreprise désignée Naviris, et surtout le lancement de plusieurs grands programmes franco-allemands, dont les désormais bien connus SCAF et MGCS.
L’échec des ambitions européennes du président Macron
Malheureusement pour le président français, cette stratégie tourna court à de nombreuses reprises. Ainsi, après l’échec du rachat des Chantiers de l’Atlantique par Fincantieri, Naviris fut vidée de sa substance, pour devenir une structure limitée aux programmes de coopération bilatéraux, comme la modernisation des destroyers antiaériens de la classe Horizon.
La coopération avec l’Allemagne s’est également dégradée, après l’abandon des programmes MAWS, CIFS et Tigre III par Berlin, alors que SCAF mais surtout MGCS rencontrent régulièrement des turbulences importantes venant menacer leur propre pérennité.
Cependant, c’est probablement l’apparition de divergences de plus en plus évidentes entre Paris et Berlin, qu’il s’agisse de l’acquisition de F-35A ou le lancement de l’initiative European Skyshield fédérant 15 pays européens, mais fermée à la France et l’Italie, qui amena les autorités françaises à envisager de faire évoluer cette stratégie d’exportation.
Vers une nouvelle politique française de partenariat et d’exportation des armements
Les prémices de cette évolution apparurent lors du vote de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030 par le Parlement au printemps 2023. À cette occasion, le ministre des Armées Sébastien Lecornu avait, en effet, annoncé que la nouvelle version du Rafale, la F5, par ailleurs beaucoup plus ambitieuse qu’attendue, serait développée d’ici à 2030.
Surtout, ce programme serait ouvert au « Club Rafale », à savoir les pays mettant en œuvre l’appareil, disposant d’une industrie aéronautique de défense, et souhaitant s’y investir. Il s’agissait de la première fois que la France ouvrait à des pays non européens une coopération industrielle de défense représentant un enjeu stratégique pour le pays.
Quelques semaines plus tard, à l’occasion de la visite officielle du PM indien Narendra Modi en France pour les célébrations du 14 juillet, plusieurs programmes franco-indiens auraient été abordés, en marge de la future acquisition de 26 Rafale M et de trois sous-marins Scorpene supplémentaires pour la Marine indienne.
C’est notamment le cas du turboréacteur qui équipera les chasseurs AMCA et TEDBF, qui pourraient être développés conjointement avec Safran, mais aussi des appareils eux-mêmes, Dassault aviation pouvant s’inviter dans leur conception.
Ces deux annonces, à quelques semaines d’écart, représentaient déjà une sérieuse indication d’un changement de stratégie en cours de la part de Paris en matière de coopération industrielle de défense.
Des corvettes Gowind 2800HN de Naval Group pour la Marine hellénique
La proposition envoyée il y a quelques jours par Naval Group a Athènes, concernant le programme de corvettes de la Marine Hellénique, montre, quant à elle, que c’est toute la stratégie d’exportation des équipements de défense français qui aurait entamé une profonde mutation.
En effet, selon le site Defensereview.gr, à l’origine de l’information, cette offre se compose non seulement d’un important volet de partenariat à long terme entre les industries et les marines des deux pays, mais aussi de conditions commerciales et budgétaires d’État n’ayant rien à envier à celles du Foreign Military Sales américain.
Un puissant volet industriel
Ainsi, l’offre française prévoit la construction des quatre corvettes grecques en partenariat avec les chantiers navals de Skaramangas. Une part de la valeur produite, 35 % supérieure à celle proposée par l’offre de Fincantieri selon defensereview, serait produite en Grèce, et ce, dès le premier navire.
En outre, la France se serait engagée à maintenir la même activité industrielle grecque sur d’éventuelles options à venir concernant d’autres corvettes, mais également de faire participer cet écosystème industriel à la construction des six corvettes lourdes qui devront remplacer les Frégates de Surveillance d’ici à quelques années.
À ce titre, le site grec évoque la construction de 6 corvettes Gowind 2500 à cette fin pour la Marine nationale. Il s’agit probablement d’une mauvaise interprétation du journaliste, le programme European Patrol Corvette ayant jusqu’ici été présenté comme le choix préférentiel de Paris pour remplacer les frégates de surveillance de la classe Floréal.
Un package budgétaire et financier digne du FMS
Enfin, l’ensemble de l’offre française est intégrée à un package d’accompagnement financier et budgétaire à taux fixe, éliminant la plupart des incertitudes pouvant menacer les finances publiques helléniques, que l’on sait scrutées à la loupe par Bruxelles et Berlin.
De fait, l’offre faite à Athènes s’avère non seulement performante et innovante en matière de coopération industrielle, mais aussi concernant le package financier et de service, l’un des points faibles reconnus des offres françaises ces dernières années dans ce domaine, en particulier face au FMS américain.
Quant à savoir si une telle offre peut menacer les budgets de défense ou les industriels français, une hypothèse très proche de celle finalement mise en œuvre par Naval Group et le ministère des Armées, avec l’aval de l’Élysée, avait été étudiée dans un article publié en janvier 2022, révélant précisément les opportunités qu’elle ouvrirait pour la Marine nationale et la BITD navale française.
Conclusion
Il faut, bien évidemment, se montrer prudent quant aux annonces de la presse spécialisée grecque, souvent prompt à un excès d’enthousiasme. Toutefois, la succession des annonces plus ou moins officielles de ces derniers mois autour de la politique d’exportation et de coopération française concernant l’exportation d’armement, montre qu’une réelle dynamique est en cours, probablement sous l’impulsion de Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, et Emmanuel Chiva, le DGA, et qu’elle serait soutenue par le président Macron.
Il faudra attendre d’autres annonces comparables pour se faire une idée de son caractère systématique ou non, ainsi que de son périmètre. Toutefois, il s’agit incontestablement d’une trajectoire longtemps attendue par les industriels français, et qui, à la fin, fera certainement l’affaire des armées elles-mêmes.



