jeudi, octobre 31, 2024

Pourquoi aucun gouvernement européen n’a-t-il approuvé le constat du président Macron au sujet de l’OTAN ?

La phrase du président E.Macron prononcée à l’occasion d’une interview donnée au site économique britannique « The Economist », selon laquelle l’alliance était désormais en état de mort cérébrale, a fait grand bruit parmi les membres de l’Alliance. Et force est de constater qu’aucun des gouvernants des pays membres, et plus particulièrement en Europe, n’a appuyé le constat du président français. Peut-on en conclure que ces conclusions françaises étaient « intempestif » comme l’a déclaré la chancelière allemande Angela Merkel, quelques heures à peine après la publication de la dite interview ? pas si sur …

Si les déclarations officielles visant à donner poids aux propos d’Emmanuel Macron ont été très rares, et en règle générale, ont émané de pays n’appartenant pas à l’OTAN, comme la Russie, les déclarations pour modérer et s’opposer au constat français ont été, en revanche, très nombreuses. Que ce soit la chancelière allemande, le secretaire générale de l’OTAN, le norvégien E Stoltenberg, ou l’américain M.Pompeo, tous ont mis en avant deux points qui, selon eux, sont au coeur de la stratégie de défense collective européenne, à savoir la nécessité du soutien américain pour défendre le continent, et le rôle historique qu’à joué l’alliance dans le maintien de la paix pendant la guerre froide. Mais ces arguments, avancés pourtant avec assurance, pourraient bien porter en eux les raisons mêmes du constat de l’Elysée, et d’un sentiment hostile à l’OTAN croissant en France depuis quelques années dans l’opinion publique.

La dépendance européenne à la protection américaine

En effet, au plus fort de la guerre froide, en 1980, les membres européens de l’Alliance Atlantique, qui n’étaient pourtant que 13 à l’époque en comptant la Turquie, représentaient 45% des investissements de Défense de l’Alliance, les Etats-Unis en représentant 51%, le Canada 4%. Ces mêmes 13 pays représentaient 70% des forces blindées globales, et 55% des forces aériennes mobilisables, alors que 62% des effectifs totaux en étaient issus.

Leopard 2 allemand lors de lexercice Noble Jump 2019 Allemagne | Alliances militaires | Analyses Défense
Les pays européens disposaient de 70% des forces blindées de l’OTAN en 1980, pour moins de 50% aujourd’hui

En 2020, la situation est sensiblement différente. Les pays européens ne représentent plus que 27% des investissements de défense des membres de l’alliance, contre 70% pour les Etats-Unis. Les effectifs des 26 états membres européens ne représentent plus que 56% des effectifs mobilisables, les forces blindées sont passées sous les 50%, les forces aériennes sous les 45%, avec, par ailleurs, des disparités importantes en matière de technologie, puisqu’une part significative des blindés et aéronefs décomptés sont d’anciens materiels issus du pacte de Varsovie, technologiquement obsolètes.

Si en $ constants, le niveau globale des dépenses des pays de l’alliance, hors USA, a retrouvé son niveau de 1989 en 2019, le budget américain a, lui, augmenté de prés de 80% sur la même période, expliquant le décrochage profond entre les deux groupes. Pire, les grandes nations de Défense européennes de 1980, l’Allemagne Fédérale, la France, le Royaume-uni ou l’Italie, ont vu leurs investissements reculer sensiblement, et n’être compenser que par l’augmentation du budget d’autres pays ou de nouveaux membres, comme la Turquie, ou la Pologne.

De fait, et objectivement, le secrétaire général de l’OTAN a parfaitement raison lorsqu’il il annonce qu’aujourd’hui, 80% des capacités militaires de l’alliance sont fournies par les Etats-Unis, pour peu que l’on prenne en compte les capacités opérationnelles et technologiques des forces, ainsi que leur disponibilité. Et ce déséquilibre majeur, créé non pas par les Etats-Unis mais par les Européens, apparait être au coeur des dysfonctionnements actuels rencontrés par l’Alliance, que ce soit à Bruxelles ou en Syrie, et que le président français synthétise sous le terme de mort cérébrale.

Ne se trompe-t-on pas de cible ?

Face à ce constat, il est tentant de jeter l’opprobre sur l’OTAN elle-même, et sur les Etats-Unis. La première pour être devenue l’instrument d’influence du second, notamment en matière de contrat de défense, et les seconds, pour vouloir abuser de leur position dominante. Mais là encore, ce serait inverser causes et conséquences !

Mirage 2000 5 de lArmee de lAir deploye pour loperation Baltic Air Policing de lOTAN Allemagne | Alliances militaires | Analyses Défense
Deux Mirage 2000-5F effectuent un vol suite à un tango scramble le 21 août 2018 sur la base aérienne d’Ämari en Estonie.

En effet, même si le président Trump manque clairement de finesse politique dans ses décisions, rendant le discours de l’alliance sur la scène internationale chaotique, comme nous avons pu le voir au sujet de la Syrie il y a peu, la main mise de fait des Etats-Unis sur l’OTAN n’est pas arrivée avec lui. Le président Obama, et Georges W.Bush avant lui, en avait également fait usage, de manière simplement moins visible médiatiquement. Mais les président américains, et leurs administrations, ne doivent pas rendre de compte aux opinions publiques européennes, mais à leur propre opinion, celle qui les a élu. Or, aujourd’hui, un américain paie chaque année plus de 2000 $ pour le financement de La Défense américaine, alors qu’un Norvégien en paie 1300, un britannique 980, un français 709, et un allemand 591 (nb: ce dernier chiffre me semble soumis à caution, le montant de calcul s’établissant plutôt autour de 480). Comment un président américain peut-il justifier un tel écart en matière d’effort de Défense vis-à-vis des pays européens les plus riches, qui eux n’y contribuent que pour la moitié, le tiers, voir le quart pour les allemands ?

De fait, le déséquilibre des pouvoirs dans l’OTAN, et les atermoiements qu’ils génèrent, engendrant une certaine paralysie des idées et des institutions, ne sont que les conséquences d’une situation là encore créée par les Européens, et non la cause des problèmes constatés. Et de fait, en vociférant contre l’OTAN, les français, ainsi que de nombreux mouvements politiques européens qui y dénoncent un hégémonisme américain, ne font qu’ignorer les causes profondes de cette situation. Quand aux médias, en France comme en Europe, bien peu sont ceux qui ont dépassé la simple reprise des petites phrases de chacun pour entrer plus avant dans le détail, malheureusement …

L »Europe de La Défense « Française » est-elle une alternative ?

Plutôt que de s’en prendre aux causes, le président français a donc préféré focaliser son discours sur les conséquences, en proposant, pour y remédier, la construction d’une « Europe de La Défense », vision purement française d’une Europe qui, en mettant l’ensemble de ses moyens militaires en commun, et qui organisera sa puissance militaire à l’échelle du continent, pourrait retrouver un statut perdu de grande puissance mondiale. Malheureusement, cette vision fantasmée d’une Super Puissance Europe, n’est partagée aujourd’hui par aucun des gouvernements des pays européens membres de l’Alliance Atlantique, pas même de l’Union européenne. Et ce pour des raisons multiples et parfois divergentes :

Pour l’Allemagne, l’objectif est clairement de limiter autant que possible l’effort de défense, qu’il soit financier ou humain, quitte a devoir céder une partie de se souveraineté aux Etats-Unis pour cela. Loin d’être dogmatique ou mercantile, cette vision est dictée par la démographie du pays. En effet, d’ici 20 années, la population active allemande passera sous la barre symbolique des 50% de la population totale, avec l’explosion du nombre de personnes âgées et de retraités. De fait, pour maintenir un système social équilibré, le pays doit concentrer sa population active sur des postes à forte productivité, et générant beaucoup de valeur ajoutée destinée aux exportations. Elle ne peut donc pas consacrer une part significative de cette force active à des missions de Défense, tout juste peut elle consentir à prendre un rôle clé dans l’industrie de Défense européenne, et éventuellement aider les pays alliés ayant des démographies plus favorables.

F35B et Typhoon RAF Allemagne | Alliances militaires | Analyses Défense
La coopération opérationnelle et technologique entre le Royaume-Unis et les Etats-Unis semble parfaitement convenir aux attentes des dirigeants britanniques.

Pour la Grande-Bretagne, membre historique des « Five Eyes« , le lien transatlantique est perçu comme constitutif de la puissance internationale du pays. Elle en retire, notamment, une accès privilégié aux technolgies de Défense US, aux renseignements américains, ainsi que, et ce n’est pas négligeable, au marché US des équipements de Défense. Chaque année, plus de la moitié des équipements de Défense importés par les Etats-Unis sont d’origine britannique.

Pour les Pays de l’Est de l’Europe, l’équation est encore plus simple. Ils savent être dans l’incapacité, seuls ou avec l’aide des européens, de faire face à une offensive russe si celle-ci devait intervenir. De fait, à l’exception de la Hongrie de Victor Orban, qui maintien un contact privilégié avec Moscou, la majorité de ces pays imaginent n’avoir d’autres choix que de resserrer les liens avec Washington, pour accroitre leur propre sécurité. Ce rapprochement ne se fait pas sans compensation, généralement sous la forme de substantiels contrats de Défense. Mais les gouvernements, comme les opinions publiques, y sont pour leur majorité prés afin d’avoir une assurance vie signée de Washington.

Au final, il n’y a pas d’autres pays, en Europe, qui souhaite, comme la France, retrouver de l’influence mondiale au prix de sa propre sécurité, qu’elle soit politique, militaire ou économique. Or, la France est, aujourd’hui, dans l’incapacité de proposer une quelconque alternative à chacun de ses problèmes, étant elle même dans une situation économique tendue, et ne disposant que d’une puissance militaire conventionnelle limitée. Rien qui puisse, en tout cas, valoir le risque pour Varsovie, Berlin, Londres ou Riga.

Conclusion

La situation est-elle pour autant sans solution ? Au contraire, des solutions existent, et il n’appartient qu’à la France de les mettre en oeuvre. Il apparait de ce qui précède que viser l’OTAN n’est pas justifié, ni objectivement, ni par calcul de politique européenne. Si la France veut effectivement faire avancer l’idée de Défense de l’Europe par les Européens, elle devra, d’abord et avant tout, devenir crédible sur le sujet. Certes, les forces françaises sont aguerries, et efficaces. Mais lorsqu’il s’agit de déployer une brigade blindée en Estonie ou en Roumanie pour renforcer les capacités défensives des alliés, ou lorsqu’il s’agit de déployer des navires et des avions de combat en Grèce pour neutraliser les velléités turques, ce n’est pas la France qui intervient, mais les Etats-Unis. Et tant que la France ne sera pas capable de prendre en main ces aspects, son discours sera totalement inaudible en Europe.

La France dispose d’une situation unique en Europe, avec une industrie de Défense globale, une dissuasion nucléaire, une armée de métier expérimentée, ainsi qu’un taux de chômage important, notamment chez les jeunes, et une démographie plutôt favorable. Elle dispose donc des moyens pour accroitre sensiblement son effort de Défense sans augmenter les déficits publics, surtout en appliquant des doctrines comme La Défense à Valorisation Positive, ou un plan global comme le Socle Défense. Or, si les investissements de Défense français augmentent significativement, il est certain que l’Allemagne comme la Grande-Bretagne feront de même ; historiquement ces 3 pays ont toujours eu des dépenses de défense sensiblement comparables, et aucun pays n’a laisser un autre prendre une avance significative dans ce domaine.

Le president francais E.Macron la premiere ministre britannqiue T.May et la chancelierre allemande A. Merkel 1 Allemagne | Alliances militaires | Analyses Défense
Le président français E.Macron, la première ministre britannique T.May et la Chancelière allemand A. Merkel en Bulgarie au sommet de l’UE de Sofia le 17 Mai 2018

L’augmentation des dépenses et des moyens, associée à des « Quick win » comme des opérations de réassurance en Europe, des operations exterieures en autonomie, et des accords politiques bilatéraux avec d’autres pays non membre de l’OTAN ou de l’UE, seront alors de nature à générer un basculement lent mais irrémédiable des pays de la dépendance à la protection US, vers une notion de défense européenne globale, pouvant d’ailleurs parfaitement se developper au sein même de l’OTAN, ou en marge de celle-ci. Enfin, la France devra, et c’est indispensable, étendre la dissuasion nationale à l’Europe, et mettre en place des mécanismes permettant aux pays européens de s’approprier une partie de la décision, comme dans le cadre des armes nucléaires américaines dans l’OTAN.

De fait, si la France veut effectivement, au delà du simple discours sur la scène internationale, promouvoir sa vision européenne de La Défense, elle devra commencer par entamer les changements nécessaires pour assoir sa crédibilité dans le domaine, et s’armer de détermination et de patience. Avec la montée en puissance des forces armées chinoises dans le Pacifique et l’Ocean Indien, les Etats-Unis devront consacrer chaque année davantage de ressources à ce théâtre, au point de ne plus pouvoir, d’ici quelques années, assurer efficacement La Défense effective qu’attendent l’immense majorité des gouvernants et opinions publiques européens. La France devra être prête, à ce moment, pour proposer les bases de son socle européen de Défense, avec de réelles chances de créer un mouvement de fond sur le continent. Encore faut-il commencer par se regarder soit même dans le miroir …

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