Pourquoi l’Europe occidentale sous-estime gravement le devenir de la menace militaire russe ?

Soutenue par d’importants efforts industriels et sociétaux, la menace militaire russe est en pleine transformation, sans que les Européens de l’Ouest ne s’adaptent à cette évolution

En amont de l’offensive russe contre l’Ukraine en février 2022, l’immense majorité des analystes considéraient que les forces armées russes disposaient d’une puissance militaire redoutable, faisant au moins jeu égal avec les armées de l’OTAN déployées en Europe. De fait, il était raisonnable de considérer que l’Ukraine et ses forces armées, disposant de presque 10 fois moins de moyens budgétaires chaque année que leurs adversaires, ne pourraient résister bien longtemps à une offensive menée par Moscou, sauf à mener une réflexion approfondie sur la réalité du terrain et des capacités défensives ukrainiennes.

Quoi qu’il en soit, après quelques semaines de combat, il devint vite évident que la puissance militaire russe était bien moindre qu’estimée, alors que la résistance ukrainienne et la mobilisation occidentale s’avéraient beaucoup plus efficaces qu’anticipé. Petit à petit, alors que les armées russes se faisaient étriller par des combattants ukrainiens aussi déterminés qu’inventifs, ce sentiment de toute puissance des armées russes se transforma en une perception de manque d’efficacité concernant tant le commandement que la doctrine et même les équipements russes.

Aujourd’hui, alors que les forces russes ont perdu près de 65% de leur parc de char d’avant-guerre, mais aussi 50% des blindés de combat, 25% de ses hélicoptères et 15% de ses avions de combat, sans parler du très symbolique croiseur Moskva, ainsi que près de 200.000 combattants tués, blessés ou disparus, les armées russes ne sont considérées que comme le fantôme de ce qu’elles étaient il y a deux ans.

La perception européenne d’une menace militaire russe sous contrôle

Face à ce constat, si les européens de l’est et du nord, probablement entrainés par la dynamique polonaise, continuent de moderniser et accroitre leurs capacités défensives, en particulier dans le domaine de la guerre de haute intensité, les européens de l’ouest, France, Allemagne, Italie et Royaume-Uni en tête, semblent quant à eux, considérer dans leur programmation militaire, que cette menace russe n’est plus majeure, tout au moins à court terme.

C’est ainsi qu’aucun de ces pays ne prévoit d’augmenter leurs forces dédiées à l’engagement de haute intensité, alors que l’existant est très limité du fait d’évolutions successives sur la base d’engagement dissymétriques comme en Irak, en Afghanistan ou au Mali.

La perception de la menace militaire russe a été largement marquée par les échecs en Ukraine
Les chars russes ont payé un très lourd tribu en Ukraine, presque 2000 d’entre eux ayant été documentés détruits, endommagés ou abandonnés comme ce T90A

Ainsi, ces 4 puissances, représentant pourtant un PIB cumulé de presque 12,500 Md$ soit 75% de celui de toute l’Union Européenne, disposeront ensemble de moins de 1000 chars de combat en 2030, soit moins que la Pologne et son PIB de 700 Md$, mais également de moins de 300 tubes de 155 mm, 700 avions de combat et de moins de 250 hélicoptères antichars.

En effet, en observant les nouvelles programmations militaires françaises, britannique, allemande et italienne, il apparait que ces pays n’envisagent pas que la Russie puisse représenter une menace significative à court terme, du fait des très lourdes pertes enregistrées en Ukraine, et ce quelle que soit la conclusion du conflit.

Des programmes européens à trop longue portée

Dès lors, les efforts budgétaires qui auraient été nécessaires pour renforcer la composante dédiée à la haute intensité, ont été reportées au-delà de 2030, voire 2035, de sorte à libérer les crédits nécessaires pour moderniser d’autres composantes, comme la dissuasion, la protection anti-balistique, le renseignement ou la projection de puissance. Pourtant, plusieurs éléments objectifs tendent à remettre en question cette perception, qu’elle soit raisonnée ou argumentatoire, au cœur des plans européens.

En premier lieu, il est indispensable d’évaluer les capacités de reconstruction des forces armées russes au-delà de la guerre en Ukraine, ainsi que les seuils et contraintes auxquelles elles sont confrontées. Et de fait, si le terme « économie de guerre » est aujourd’hui très à la mode en Europe, au point d’être souvent galvaudé, voire dépourvu de sa substance, il est appliqué avec méthode par la Russie depuis le début du conflit en Ukraine.

Ainsi, d’une économie ouverte relativement similaire à l’économie de marché occidentale, la Russie a évolué vers une économie beaucoup plus contrôlée, orientée principalement sur l’exportation de matières premières et d’hydrocarbures, ainsi que la production d’armement, tout en faisant de nombreuses concessions à l’opinion publique pour éviter un traumatisme trop important, notamment en substituant aux produits occidentaux jusque-là très présents, les produits manufacturés chinois.

La réorganisation de l’industrie de défense russe

Aujourd’hui, l’économie russe est profondément réorganisée pour répondre à ces trois objectifs, ce sans qu’aucun mouvement d’humeur n’ait agité la population.

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Un temps à l’arrêt, la production industrielle militaire de l’usine de blindés Uralvagonzavod a repris après quelques mois de sanction, et livre désormais prés de 50 blindés par mois, insuffisant toutefois pour compenser les pertes mensuelles en Ukraine

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6 Commentaires

  1. dommage de passer sous silence la Vodka ( fléau militaire ) ainsi que la pyramide des ages catastrophique pour la Russie. Empiler l’armement de qualité médiocre au mieux ne suffira pas si il n’y a pas de ressources humaines a mettre dedans.
    On pourrait aussi aborder la catastrophe du bizutage des classes entrantes dans l’armée qui encourage encore plus les jeunes a fuir le pays.
    Pour la partie chinoise, je comprends pas ce qui peut vous laisser penser que les Chinois fabriquent des trucs bien par eux même. Depuis 50 ans c’est pillage industriel et vol a grande échelle pour fabriquer leur matériel. On le voit avec toutes leures copies médiocres de F35, de blindées ou encore de navires.
    Pour finir la Russie est embarqué dans une espèce de fuite en avant qui ne mêne qu’a la banque route.
    Le point ou je suis complètement d’accord avec vous c’est la vassalisation de la Russie par la Chine : on y va droit dessus et ca va être encore moins drôle pour le peuple russe.

  2. L’argument principal pour appuyer la thèse d’une diminution du danger russe n’est pas tant l’attrition matérielle ou même humaine qu’un fait plus fondamental : après 3 jours de guerre, Poutine avait perdu la guerre, et cela le dissuadera de recommencer.

    Aucun de ses objectifs n’est atteint, voire: c’est exactement le contraire qui s’est produit. L’Ukraine non seulement résiste, mais s’intègre fermement au bloc occidental ; l’OTAN s’élargit ; l’Occident a réussi à mobiliser largement contre l’agression russe ; la Russie, au lieu d’accroître sa puissance, est en train de devenir une pays client de la Chine. Et rien de tout cela n’est réversible.

    Le second argument, tout aussi décisif, c’est que, contrairement à ce qui est dit avec plus de romantisme que de lucidité, l’Ukraine ne se pas pour la liberté de l’Europe, qui n’était et n’est toujours pas menacée. La Russie de Poutine n’a jamais entretenu l’idée d’attaquer l’OTAN. Il a pensé réussir à décapiter l’Ukraine en 3 jours, pas s’attaquer au bloc économiquement et militairement le plus puissant du monde, avec toute la panoplie de dissuasion nucléaire. Et il y songe d’autant moins maintenant qu’il a vu quel crédit il pouvait donner aux capacités de son armée.

    Le seul danger que représente vraiment la Russie, c’est la scénario où elle subit une défaite trop humiliante et décide d’utiliser une arme nucléaire avec tous les risques d’escalade que cela implique. Mais construire des chars n’y changera rien.

    En revanche, une Chine adossée à la Russie est bien plus menaçante qu’elle n’était auparavant (c’est à mon avis là qu’est la plus grande erreur de jugement des Occidentaux). Cependant, là encore, la confrontation n’aurait pas lieu à coup de chars dans les plaines de Pologne.

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