Depuis l’utilisation des F117 lors de la première guerre du Golfe, en 1991, la furtivité est considérée comme la caractéristique essentielle d’un avion de combat, pour être en mesure de faire face aux défenses anti-aériennes modernes d’un adversaire déterminé. Et l’appareil du lieutenant colonel Zelko abattu par une batterie de missiles S-175 (SA-3 dans la classification OTAN), alors qu’il venait d’ouvrir sa trappe de munition le 27 mars 1999 au dessus de la Serbie n’y changea pas grand chose.
La furtivité était devenue le Graal des avionneurs et des état-majors des forces aériennes mondiales. Dès lors, plusieurs programmes reposant sur cette caractéristique furent développés dans le domaine des avions de combat comme les F22 et F35 américains, le Su57 russe ou le J20 chinois, ainsi que des bombardiers stratégiques, allant du B2 Spirit et B21 Raider américains aux futurs HH-20 chinois et Pak-DA russes.
Comme toujours, alors que les technologies pour réduire la Surface équivalente radar d’un avion ne cessaient de progresser, d’autres équipes de chercheurs développaient des technologies pour les contrer et détecter ces appareils en dépit de leur cape d’invisibilité radar supposée. Empiriques au début, ces nouvelles technologies de contre-furtivité atteignent désormais des niveaux de fiabilité rendant possible leur utilisation opérationnelle. En 2030, nombre d’entre elles seront effectivement en service, rendant la furtivité passive employée sur des appareils comme le F35, le Su57 ou le J20, si pas obsolète, en tout cas beaucoup moins performante.
2020 : Le multistatisme
Le multistatisme repose sur la séparation physique de l’émetteur et du récepteur radar. En effet, un avion furtif ne l’est jamais vraiment, et lorsqu’il s’approche en dessous d’une certaine distance d’un radar, il finit par être détecté. Ainsi, pour le F35A, les données publiques estiment qu’un A-3 Sentry serait capable de le détecter à une distance de 30 km, alors qu’il est capable de détecter un Su-30 ou un F-15 au delà de 200 km.

Cependant, en approchant le récepteur radar de la cible, on augmente la portée de détection vis-à-vis de l’émetteur, la puissance du signal diminuant avec le carré de la distance entre émetteur et cible, ainsi qu’entre cible et récepteur. Cette technologie suppose de pouvoir synchroniser et de faire collaborer des emetteurs et récepteurs éloignés, mais permet d’apporter une première réponse sur la base de l’utilisation des technologies radars existantes, pour contrer la furtivité passive. Elle est d’ailleurs expérimentée par de nombreuses forces armées dans le monde, y compris en Europe.
2025 : Les Radars basse fréquence
Un radar est dit de « basse fréquence » lorsqu’il travaille sur des longueurs d’onde des bandes UHF et VHF, également employées par les émetteurs de télévision, des téléphones portables et les radios. La technologie n’est pas nouvelle, les premiers radars comme ceux qui défendaient le ciel du Royaume-Uni en 1940 contre la Luftwaffe étaient des radars VHF. En revanche, ils sont moins précis que les radars haute fréquence qui travaillent sur des longueurs d’onde millimétriques, et non métriques.
C’est la raison pour laquelle les radars militaires ont, peu à peu, pour la plupart évolué vers des bandes de haute-fréquence. Sachant cela, les technologies de furtivité passive, comme celles employées sur les avions de combat comme le F22 et le F35, ont été optimisées pour contrer ces hautes fréquences.

Mais un phénomène physique remet les radars UHF et VHF sur le devant de la scène désormais. En effet, la longueur d’onde employée par ces derniers favorise la création d’un phénomène de résonance électromagnétique en réfléchissant les ondes sur les plans horizontaux et verticaux des appareils, comme les entrées d’air ou les stabilisateurs. Cette résonance augmente la puissance du signal renvoyé, permettant de détecter les appareils de beaucoup plus loin. En outre, ces fréquences sont moins sensibles à la dispersion des ondes radars résultant des formes à arrêtes vives des avions furtifs, ainsi qu’à l’absorption par les peintures anti-radar employées.
Avec la modernisation des capacités de traitement du signal, et l’arrivée des antennes actives AESA, la précision des radars basse fréquence s’est grandement améliorée, au point que désormais, certains systèmes de défense antiaérienne intègrent un radar basse fréquence pour contrer les avions furtifs. Cette capacité est déjà en service, et se sera largement répandue d’ici 2030. Des appareils de veille aérienne, comme le E-2D Hawkeye qui sera mis en oeuvre par la Marine Nationale française, le Japon, Israël et l’US Navy, dispose, comme son prédécesseur, d’un radar UHF AESA, offrant des capacités avancées pour détecter les avions furtifs, et diriger les avions de combat pour les intercepter. Le KJ-600 chinois, qui équipera les porte-avions dotés de catapultes TYPE 003 chinois, est sensé disposer des caractéristiques similaires.
2030 : Les Radars Passifs
En 2019, le spécialiste allemand des radars Hensoldt fit sensation lorsqu’il annonça avoir suivi de façon très précise les deux F35 américains envoyés par l’US Air Force pour le salon de Berlin, ceci obligeant Lockheed à conserver les deux avions au sol pendant toute la durée du Salon. Ils ne reprirent l’air qu’à l’issu de l’événement, pour s’en retourner directement aux Etats-Unis. Pour y parvenir, Hensoldt employa un radar passif, le Twinvis.
Le principe du radar passif dérive en quelques sortes de la fusion des deux technologies précédentes, le multi-statisme et le radar basse fréquence, en remplaçant l’émetteur radar par le rayonnement électromagnétique d’origine humaine très présent autour des espaces à forte densité de population. Pour cela, le radar passif détecte les ondes électromagnétiques générées par les émetteurs de la TNT, les antennes sur réseau de téléphone portable, et l’ensemble des rayonnements émis par les très nombreux équipements électromagnétiques en service aujourd’hui, lorsqu’elles sont réfléchies par un avion de combat, furtif ou pas.
Ces rayonnements étant pour la plupart dans les bandes de fréquences UHF et VHF, précisément celles des radars basse fréquence, elles en ont les mêmes caractéristiques pour détecter des avions furtifs. En outre, la répartition des émetteurs est d’une grande densité dans les pays européens. Quel que soit la position du récepteur, il existera dès lors très probablement un ou plusieurs émetteurs très proches de la cible pour augmenter la portée de détection du radar. Enfin, ce type de rayonnement étant « normal » au dessus des ces zones, la cible ignore qu’elle a été détectée, permettant de l’intercepter et de l’abattre sans qu’elle n’essaie de s’échapper.

Plusieurs pays ont déjà annoncé leur intention de se doter d’un réseau de détection passive, pour assurer la surveillance de leur espace aérien. En 2030, ces équipements seront pleinement fonctionnels. Reste qu’ils nécessitent des conditions particulières pour fonctionner, et ne peuvent être déployées partout, notamment pas en zone désertique, ni en zone océanique. En revanche, pour se prémunir de frappes préventives, qui constituent une des missions prioritaires des avions furtifs, ces radars sont d’une redoutable efficacité.
2020 : Les systèmes de détection infra-rouge
Depuis les années 60, certains avions de combat ont été dotés de systèmes de détection optiques et infra-rouges permettant de détecter et suivre des cibles aériennes, navales et terrestres. Dans le langage aéronautique, on parle d’IRST pour Infra-Red Search and Track. Ces équipements permettent désormais de détecter des cibles aériennes à des distances supérieures à 50 km lorsque les conditions météo le permettent, sans que la cible ne soit consciente de cette détection, le système étant totalement passif.
Les avions russes de la famille Flanker, ou le Typhoon européen, sont ainsi équipés de systèmes réputés très performants. Un IRST offre de nombreux avantages, outre celui d’être passif, notamment de pouvoir donner une image relativement précise de la cible, et donc de l’identifier. En revanche, l’évaluation de la distance, de la vitesse et du cap de celle-ci sont beaucoup plus problématiques, rendant difficile leur utilisation pour contrôler la trajectoire d’un missile air-air et calculer une solution de tir.

Sans représenter une parade absolue contre les avions furtifs, les IRST offrent toutefois une option supplémentaire pour détecter et engager ces appareils, du sol ou d’un aéronef. Associés à d’autres IRST et d’autres systèmes passifs, comme l’écoute électroniques, ils permettent de neutraliser d’ores et déjà une partie des bénéfices de la furtivité passive.
2025 : La detection par satellite
L’Espace est considérée par la majorité des grandes armées mondiales comme un des enjeux stratégiques de la décennie, et des programmes visant à multiplier les moyens de communication et de détection spatiaux ne cessent d’être annoncés. La détection d’aéronefs par les moyens optroniques et électroniques par satellite est déjà possible aujourd’hui, mais leur petit nombre ne permet pas d’assurer une couverture globale permanente, et donc de suivre les déplacements de ces aéronefs dans la durée. Or, des programmes comme ceux de l’US Space Command, visant à déployer en permanence 1000 satellites de différents types autour de la planète, permettront, entre autres choses, de pallier ce phénomène.
Si la détection optronique est effectivement passive et insensible aux technologies de furtivité électromagnétiques, elle dépend toutefois des conditions météo, et plus particulièrement de la nébulosité. Notons toutefois que plus l’altitude d’un appareil est élevée, moins les phénomènes météo pouvant gêner sa détection par un satellite sont nombreux. En revanche, les ingénieurs développent activement des technologies destinées à neutraliser la détection par des systèmes optroniques, en particulier dans le spectre infra-rouge.
De fait, comme pour les IRST, la détection par satellite ne pourra constituer, à elle seule, une parade contre les avions de combat, furtifs ou non. Mais elle s’avérera complémentaire d’autres systèmes aux périmètres de détection, comme les radars passifs ou les radars basse fréquence, insensibles aux conditions météo, mais dont l’utilisation est également contrainte par d’autres facteurs.
2030 : Les radars quantiques
Après avoir annoncé la création d’un super calculateur quantique en 2016, et d’un EM-Drive en 2017, les ingénieurs chinois ont annoncé avoir développé un radar quantique opérationnel en 2018. Bien qu’il ne soit pas possible d’en évaluer la véracité ni les performances, nombres d’annonces récentes chinoises chinoises de ce type se sont avérées fondées, démontrant que Pékin avait effectivement acquis un important savoir-faire dans ces domaines. Il n’est dès lors pas prudent de considérer cette annonce au seul biais de la désinformation. Et ce d’autant que le Radar Quantique représente, en quelque sorte, le radar ultime pour faire face à tous les aéronefs, furtifs ou pas.

Contrairement à un radar classique, qui émet des ondes électromagnétiques réfléchies par la cible et détectées en retour par le récepteur radar pour en déterminant la position et le vecteur vitesse, un radar quantique repose sur le principe d’intrication quantique des photons, selon lequel deux photos peuvent être reliés par un lien « étrange » permettant au premier de reproduire les états du second instantanément, même si les deux photons sont très éloignés l’un de l’autre. Sans entrer dans les explications physiques très complexes de ce phénomène, l’intérêt pour un système de détection est évident. En observant un photon captif, on peut détecter les modifications d’état de son photon intriqué projeté sur une porteuse électromagnétique pour détecter un appareil, et même en reproduire une visualisation très précise à de grandes distances.

Le fait d’utiliser des photons n’en fait toutefois pas un système optronique, le photon étant transporté par une onde électromagnétique, et est donc capable de traverser en partie des nuages et des phénomènes météos. Ce radar n’est pas passif au sens propre du terme, puisqu’il nécessite une porteuse électromagnétique, mais cette porteuse n’étant pas liée à la détection elle même, il n’est pas sensible aux technologies de furtivité passive, et offre de très importantes capacités pour résister aux brouillages.
Surtout, le besoin de puissance est particulièrement bas, rendant ce rayonnement électromagnétique très difficile à détecter, car inférieur au bruit électromagnétique ambiant couvrant une grande partie de la planète. Cette technologie est encore expérimentale, mais la Chine, les Etats-Unis, le Canada et l’Allemagne travaillent activement à la developper. Il est probable que la Russie fasse de même. Avec les tensions internationales qui ne cessent de croitre ces dernières années, on peut raisonnablement anticiper que les premiers radars quantiques seront opérationnels d’ici 2030.
Conclusion
Souvent présentée comme la caractéristique ultime pour un avion de combat, la furtivité passive ne s’avèrera être performante du point de vu opérationnel que sur une période de temps limitée, soit jusqu’en 2030, ou peu après. Elle conservera un intérêt pour réduire les capacités de détection des systèmes mobiles ou aéroportés, mais ne constituera plus un avantage décisif justifiant d’y sacrifier d’autres aspects critiques pour un avion de combat, comme sa manoeuvrabilité, son rayon d’action, sa vitesse, ou son prix.
De fait, les chasseurs comme le F35, conçus d’abord et avant tout autour de cette notion de furtivité passive, et dont les équipements dédiés à cette furtivité ajoutent 4 tonnes à la masse de l’appareil, verront leur intérêt décroitre, au profit d’appareils plus équilibrés, comme c’est le cas du F22 ou comme semble l’être du Su-57 russe. En outre, cela pourrait signer le retour au premier plan des technologies de furtivité active, comme le brouillage électromagnétique, beaucoup plus facile à faire évoluer dans un pod, que l’architecture globale d’un appareil.
Reste que, pour beaucoup de pays ayant déjà fait le choix du F35, la désillusion risque d’être sévère, même si l’appareil disposent d’autres atouts, comme une excellente panoplie de capteurs et de systèmes de communication, associée à une puissante fusion de données. Mais sera-ce suffisant pour compenser les points faibles de l’appareil, comme sa manoeuvrabilité, sa vitesse ou son rayon d’action, sacrifiés sur l’autel d’un avantage transitoire ?
Article du 4 février 2020 en version intégrale jusqu’au 4 Mai 2023