La France peut-elle répondre aux évolutions des stratégies industrielles de défense dans le monde ?
Il n’aurait échappé à personne que les industriels allemands du marché de la Défense, comme Rheinmetall, Krauss-Maffei Wegmann, Diehl ou Hensoldt, sont très friands du préfixe Euro dès lors qu’il s’agit de concevoir un équipement en partenariat. Cela avait commencé avec la famille Euromissile entre l’allemand MBB et le français Aérospatiale, qui donna naissance dans les années 70 à certains des missiles les plus performants et les plus exportés du moment, les missiles antichars Milan et HOT, ainsi que le missile antiaérien Roland.
C’est également ce préfixe qui fut choisi initialement pour le rapprochement entre MBB et Aérospatiale dans le domaine des hélicoptères pour donner naissance à Eurocoptere qui deviendra, par la suite, Airbus Hélicoptères, et dans le domaine des avions de combat avec le consortium Eurofighter qui a conçu le Typhoon.
Depuis le début des années 2000, cependant, les industriels allemands basculèrent de leur approche d’alliances purement européenne, vers des partenariats avec des acteurs hors de l’Union européenne, de sorte à leur donner accès au marché européen en « européanisant » leurs équipements.
C’est ainsi qu’apparut, en 2004, EuroSpike, une joint-venture entre Rheinmetall Electronics, Diehl Defence, et l’Israélien Rafael Advanced Defense Systems, visant initialement à vendre à la Bundeswehr de missile antichar israélien Spike (en illustration principale), puis à l’exporter, avec grand succès, auprès des armées européennes.
De fait, aujourd’hui, 12 armées européennes emploient cette famille de missile, alors en concurrence directe avec les Milan et HOT d’Euromissile, laissés pour l’occasion en désuétude par Berlin.
Depuis, une véritable boulimie d’Euro-X a déferlé outre-Rhin et au-delà, allant de l’EuroTrophy pour les systèmes de protection active Hard-Kill Trophy de l’Israélien Rafael, à l’EuroArrow pour l’acquisition du système antibalistique d’IAI et de Boeing. La stratégie, sans le préfixe (pour l’instant), est également appliquée dans le domaine des systèmes d’artillerie à longue portée.
Ainsi, un partenariat a été signé il y a peu entre Rheinmetall et Lockheed Martin pour le développement d’une évolution du système HIMARS, alors que dans le même temps, KMW et l’israélien Elbit ont entrepris de developper conjointement une version du système PULS israélien pour le même marché, le choix de la Bundeswehr faisant office de juge de paix dans cette compétition, mais aussi de référence pour les armées européennes qui pourraient se tourner vers cette offre.
Fondamentalement, l’approche des industriels allemands est très raisonnable et parfaitement efficace. En effet, en suivant cette stratégie, ils demeurent au centre du marché européen et de la production industrielle de défense en Europe, tout en réduisant sensiblement les besoins d’investissement en matière de R&D.
Surtout, cette stratégie leur offre une grande réactivité, en permettant de produire avec un délai réduit des solutions technologiques adaptées au marché européen, en allant puiser dans l’offre exogène occidentale.
Par ailleurs, le cas allemand est loin d’être unique. Les armées US n’hésitent pas, à ce titre, à recourir à des pratiques similaires, comme ce fut, par exemple, le cas pour développer la frégate Constellation, dérivée de la FREMM Italienne construite par Fincantieri, ou les hélicoptères UH-72 Lakota de l’US Army, conçus par Airbus Hélicoptères.
La même stratégie est employée en Grande-Bretagne, par exemple, avec le blindé Boxer et le peu glorieux véhicule blindé Ajax, par l’Italie qui veut acquérir sur étagère avec production locale un nouveau char de combat et un nouveau véhicule de combat d’infanterie, ou encore par l’Espagne dans de nombreux domaines.
La Pologne, quant à elle, en a fait le pilier de sa stratégie industrielle, avec des partenariats prometteurs avec la Corée du Sud dans le domaine des blindés et des avions de combat, avec les Etats-Unis dans le domaine de l’artillerie à longue portée et des hélicoptères, et la Grande-Bretagne dans le domaine des systèmes anti-aériens, et toujours le marché européen en perspective.
En revanche, la France n’a jamais recouru à une telle approche. Traditionnellement, s’il arrive (rarement) que Paris accepte certaines importations d’équipements militaires non européens, comme c’est le cas des E-2D Hawkeye de la Marine nationale, le pays privilégie strictement deux stratégies : la production nationale et la production en partenariat européen.
Même les acquisitions directes à certains voisins européens sont rares pour les armées françaises, en dehors de certains contrats aussi symboliques que vertement critiqués, comme c’est le cas aujourd’hui des fusils d’assaut HK416 allemands pour le remplacement les Famas vieillissants.
Dans les faits, l’approche française n’est pas dénuée d’intérêts, tant s’en faut. En préservant au maximum, parfois au-delà même de certaines grandes puissances comme les Etats-Unis et la Chine, la dimension nationale des équipements employés par les armées françaises, la France conserve simultanément une autonomie d’utilisation et de décision presque intégrales ainsi qu’une grande maitrise de ses chaines logistiques et de maintenance.
En outre, le retour budgétaire pour les finances publiques des investissements pour équiper les armées est optimum, probablement l’un des meilleurs au monde par la très faible exposition des industriels français de défense aux importations, de même que des taux de prélèvements sociaux et fiscaux très élevés dans le pays.
Enfin, la France maitrise le plus souvent intégralement son offre en matière d’exportation de ses équipements de défense, et bénéficie là encore presque intégralement des recettes fiscales et sociales liées à ces mêmes exportations, contribuant grandement à la soutenabilité de l’effort de défense français.
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