Ces dernières semaines, et notamment depuis l’élection de Donald Trump, beaucoup d’articles ont traité de la question de l’augmentation du budget des Armées, que ce soit pour faire face à l’évolution de la menace, pour traiter les insuffisances de la LPM 2024-2030, ou pour répondre aux exigences qui ne manqueront pas d’être formulées lors du prochain sommet de l’OTAN d’Amsterdam.
Qu’il s’agisse de la nécessité, ou non, d’augmenter l’effort de défense français, au-delà de la trajectoire visée par la LPM de 67 Md€ en 2030, ou d’en évaluer l’augmentation nécessaire, pour faire face au réarmement russe et à l’inévitable retrait des forces conventionnelles US d’Europe, les avis sont, évidemment, partagés, au sein de l’opinion publique et de la classe politique.
Pour autant, s’il est facile, dans les mots, d’exiger que l’effort de défense français passe de 2 à 3 % de PIB, voire au-delà, dans les faits, une telle évolution est d’une grande complexité, tant les dépenses de défense, le format des armées, et la base industrielle et technologique Défense (BITD), sont exposés à des contraintes sévères et variées.
Dans cet article, nous tenterons de dresser un tableau simplifié et accessible, des principales contraintes qui s’appliquent à une variation ascendante du budget des armées. Et comme nous le verrons, même présenté de manière synthétique, ce sujet est d’une rare complexité.
Sommaire
Les contraintes de soutenabilité d’une augmentation du budget des armées
La principale contrainte avancée, lorsqu’il est question d’augmenter le budget des armées, est évidemment budgétaire. C’est, en effet, la contrainte la plus accessible, et la plus aisément manipulable.
En effet, aujourd’hui, l’effort de défense français, hors pensions, représente 2 % du PIB du pays, soit 50 Md€. Dans le même temps, les finances publiques afficheront un déficit estimé à 5,0 % du PIB, en 2025, alors que les textes européens, et la bonne pratique budgétaire, exigent que le déficit public demeure sous la barre des 3 % PIB, pour maintenir un taux d’endettement fixe, une fois compensé de l’inflation et de la croissance.
+ 1% de PIB pour les armées = + 4 % de TVA
Dès lors, alors que les différents gouvernements peinent à trouver la martingale qui permettrait de sortir les finances publiques françaises de cette zone de danger dans les années à venir, augmenter le budget des armées s’oppose à ce mur déficitaire, la France ne disposant plus du tampon de la dette, pour absorber temporairement les effets d’une hausse significative.
Dès lors, et de manière simplifiée, augmenter le budget des armées de 1 % de PIB, soit 25 Md€ 2025, nécessiterait de générer, dans le même temps, autant de recettes fiscales supplémentaires, ce qui nécessiterait, par exemple, une hausse de 4 points de la TVA.
Une telle hausse entrainerait, nécessairement, un réajustement économique global, créant inflation, réduisant la consommation et mettant à mal, au final, la croissance encore faible et peu dynamique du pays, avec, à la clé, destruction d’emplois et précarités.
Économiser, d’une année sur l’autre, 25 Md€ de dépenses publiques, ne serait pas davantage aisé ou indolore, ceci ne pouvant se faire qu’au détriment de l’action publique, qu’elle soit sociale ou économique. D’une manière ou d’une autre, un tel effort, demandé au français, créerait beaucoup d’insatisfactions, dans une opinion publique déjà sous tension, avec des risques élevés de débordement et de casse économique et sociale.
Le calcul du retour budgétaire de l’effort de défense
Fort heureusement, ce scénario catastrophe, parfois avancé par les plus féroces opposants à l’effort de défense, résulte d’une simplification, très excessive, des mécanismes économiques à l’œuvre, dans ce dossier.
En effet, l’argent injecté dans les armées par l’État, ne s’évapore pas. Il sert à payer les soldes des militaires et les salaires du personnel civil du ministère des Armées, à payer les industriels qui conçoivent et fabriquent les équipements militaires, et à payer les produits et services, nécessaires au fonctionnement de cette administration.
Concrètement, l’immense majorité des crédits du ministère des Armées, retourne dans l’économie française, et génère, dès lors, des recettes sociales et fiscales, qui viennent alimenter, en retour, les caisses de l’État.
Toutefois, ce retour budgétaire n’est pas uniforme. Il n’est que de 30 %, concernant les soldes, salaires et pensions versés par le ministère des Armées, tenant compte de la consommation qui sera financée par ces crédits, donc des recettes de TVA, des recettes sociales, ainsi que des différents impôts et taxes appliqués aux ménages.
Les crédits investis dans l’industrie de défense, eux, ont un retour budgétaire bien plus élevé. En effet, la presque totalité de la valeur ajoutée financée concerne des salaires et prestations réalisées en France, soumises aux prélèvements moyens de 42 % selon l’OCDE. Le taux de TVA de calcul, dans ce taux de prélèvement, n’est que 12 %, alors qu’il est de 20 %, concernant les achats des Armées aux industriels.
En outre, pour des raisons de sécurité, la chaine de sous-traitance des industriels français de la défense est, elle aussi, majoritairement composée d’entreprises basées en France, développant leur propre valeur ajoutée dans le pays. De fait, le coefficient multiplicateur industriel moyen de 1,25, en France, est sous-évalué.
Avec un coefficient de 1,3, plus probable, les 50 % (42% + (20%-12%)) de retour budgétaire atteignent, alors, 65 % de valeur de calcul. S’y ajoutent, enfin, les recettes budgétaires liées aux contrats d’exportation de cette industrie, qui n’existeraient pas sans les commandes des Armées françaises.
En moyenne, ces 20 dernières années, la facturation annuelle export de la BITD française était supérieure ou égale à 50 % de sa facturation nationale. Sur la base d’un retour budgétaire de 65 % évoqué précédemment, les recettes supplémentaires liées aux exportations, déduction faite des 12 % de TVA de calcul (puisque exportations), représentent donc 35 % des recettes nationales, soit un retour budgétaire planché total de 87,5 % pour l’industrie de défense française.
Les couts de fonctionnement étant composés, par simplification, pour moitié, de couts RH, et pour moitié, de couts industriels, leur retour budgétaire de calcul peut être évalué à 58,75 %, soit la demi somme des 30 % RH et des 87,5 % industriels.
Dès lors, le calcul du retour budgétaire, qui se déduit donc de l’investissement global, pour déterminer les surcouts appliqués directement aux finances publiques, dépend de la ventilation qui existe entre ces trois groupes d’investissements.
Sur la base d’un investissement équipotentiel de 1% PIB, le retour budgétaire global résultant serait alors de 0, 41 % PIB, nécessitant, toujours par exemple, une hausse de 1,65 points de TVA, pour compenser les dépenses, plus aisément absorbable par l’économie et l’opinion publique.
Les contraintes directes et induites des ressources humaines dans les armées
Pour ceux qui ont survécu à cette première démonstration, il est à présent temps d’aborder les autres contraintes qui s’appliquent à l’élévation de l’effort de défense, tout aussi complexes, mais beaucoup plus rarement évoquées. C’est en particulier le cas des questions de ressources humaines.
Accédez à l’analyse complète
Cet article est réservé aux abonnés Meta-Defense. L’abonnement vous donne accès à l’ensemble des analyses, dossiers et décryptages publiés sur le site.
Aucun engagement. Votre soutien finance une information indépendante et spécialisée défense.
merci beaucoup pour vos analyses. dans l’immédiat, la seule augmentation des commandes , en restant à effectifs constants (ce qui n’interdit pas une vraie réflexion sur la masse, autre facteur clef d’une défense crédible), pourrait déjà porter sur des dotations plus importantes, ne serait-ce que l’alignement à 24/32 CAESAR pour les 6 régiments d’artillerie, le passage à 32 SYLVER sur les FREMM et autres FDI, la livraison accélérée des rafales pour aligne l’AAE sur 200 appareils sous trois ans. je n’oublie pas la dronisation, l’armement plus lourd des patrouilleurs ou l’augmentation des unités de DSA. en d’autres termes densifier l’existant avant même de parler de l’augmenter.
Ces points sont indispensables à court terme. Toutefois, ils ne constituent pas une élévation de la masse des armées, en soit. On en revient aux annonces qui ont été faites par S. Lecornu ces derniers jours, au sujet des 20/30 Rafale et 3 FDI supplémentaires, qui ne nécessite aucune évolution des effectifs de la Marine et de l’AAE. Cependant, ces évolutions ne changent pas le statut stratégique des armées françaises, n’agissant, pour l’essentiel, qu’au niveau tactique.
La gestion programmatique ne se fait pas que par Excel. Cependant, il est possible de faire des plans à 3 mois, à 1 an, à 3 ans et à 10ans.
En mois, les drones, l’infanterie. À 1 an les munitions. À 3 ans l’arrivée des premiers équipement lourds. À 10 ans les nouveaux programmes à effet majeur. La ventilation des budgets peut alors se faire en fonction de l’imminence de la menace. Je ne pense pas que cela soit si problématique, mais bon.
Vous ignorez une grande partie des problèmes évoqués : Comment résoudre le problème RH ? Les infrastructures ? La planification à moyen et long terme de l’industrie de défense ? le financement soutenable budgétairement ?
Il ne s’agit de dire « ceci est plus facile donc faisons le en premier », le problème demeure : quelle visibilité industrielle ? Quelle dimension pour traiter l’attrition au combat tout en conservant un volume de renouvellement suffisant pour ne pas se trouver sans commande en temps de paix ?
L’échéance n’est pas du tout le problème, et encore moins, le début de la solution. Tout l’article montre qu’il s’agit d’un système complexe, avec les paramètres interdépendants et exogènes, qu’il s’agit de faire progresser de concert, vers un seuil de soutenabilité positionné pile au bon endroit, celui-ci restant à définir. Et que l’efficacité du tout, dépendra de l’efficacité de la composante la plus faible (et non d’une moyenne), comme une chaine vis-à-vis de ses maillons.
Hum… je suis d’accord avec vous sur le fond, mais le grands raisonnements ne tiennent que si les actions de la Russie nous donnent ce temps effectif. En 1940, la Grande Bretagne travaillait sur un plan d’urgence pour un chasseur immédiatement disponible à train fixe, que le Royaume puisse construire en masse. Ils n’ont abandonné ce projet qu’une fois la bataille d’Angleterre gagnée.
Nous n’en sommes pas encore là, mais ça illustre que la notion du temps disponible est bien celui que l’ennemis potentiel ou déclaré nous laisse. La planification de temps de paix, méticuleuse et terriblement efficace ne fonctionne que pour les bons élèves. Pour les cancres…
Avec tout mon respect pour votre admirable travail.
Je suis entièrement d’accord. C’est d’ailleurs évoqué dans l’article, dans le dernier point, sur le caractère déstabilisant des éléments exogènes. C’est dans ce domaine qu’il convient de finement modéliser l’évolution de la puissance militaire et des capacités instantanées des deux forces opposées. Il y a un article prévu à ce sujet la semaine à venir.
Concernant l’infrastructure c’est 3 à 5 ans Le service constructeur (SID) sait faire
pour les RH, il faut relancer le SN et utiliser en plus grand nombre la légion étrangère et peut être copier les britannique en recherchant en Afrique des soldats avec un statut proche de la légion et en utilisant le principe d’unité identifiée de l’ex armée d’Afrique.
heu plutot 3 apres réflexion si elles sont correctement armées avec 32 missiles et un système antidrones sérieux pas genre lance pierres !
oui autant pour moi j’ai fait 0.1% égal 1/10 eme de 50 MDs alors que l’on est à 2% du PIB, donc 0.1 égale 2.5, vous avez raison. bon ce serait presque 6 fdi de plus pour la marine, pas mal pour un début.
bonjour, je dois dire que en effet j’ai vite décroché sur vos chiffres et pourcentages , cela tient plus des calculs des technos de bercy, mais belle démo quand même ! en fait investir dans nos armées, en fin de compte , ne nous coûte rien si on tient compte de l’assurance de la paix. un jour je discutait avec une personne qui n’était pas très branché armées et qui me soutenait que cela ne servait à rien. je lui répondis que l’armée c’est comme une assurance, celà coute toujours trop cher quand on ne l’utilise pas, mais que l’on est bien content de l’avoir dans le besoin !
Certes, mais aujourd’hui, la situation budgétaire spécifique de la France impose de faire glisser le débat du besoin, vers celui de la soutenabilité. L’objectif, ici, est de montrer (encore une fois), que cette notion de soutenabilité est plus complexe qu’il n’y parait, et qu’une analyse relativement simple (on est loin des grandes théories macro-économiques), suffit à en tracer les grandes lignes. Une fois la soutenabilité établie, même sous contrainte, le reste peut dérouler.
l’on pourrait déjà partir sur des augmentations lissées du budget de 0.1% par an soit environ 5Mds sur 2026, puis drouler 0.1 de plus par an. si l’on concentre la majorité de cet argent sur l’investissement l’on pourrait déjà avancer sur des maques criants de certains besoins (frégates, rafales et embt) cela donnerait de l’air et ne devrait pas peser de façon trop dure sur le budget, même si aujourd’hui il est compliqué de trouver 1Mds sans entendre hurler.
0,1 % c’est 2,5 Md€. On est actuellement à +3,3 Md€/an.