Au Salon du Bourget 2025, alors que les regards se tournaient vers les avancées technologiques du Rafale F5 et les tensions industrielles autour du programme SCAF, un tout autre dossier est venu s’inviter dans les discussions : celui de l’engagement aérien du 7 mai entre l’Indian Air Force et la Pakistan Air Force. Contre toute attente, des sources militaires et industrielles françaises ont profité de l’événement pour livrer une version radicalement différente de celle qui, depuis trois semaines, avait largement dominé la scène médiatique internationale.
Car depuis le 7 mai, c’est le récit sino-pakistanais qui s’était imposé : une victoire nette de la PAF, obtenue grâce au J-10CE chinois et à ses missiles PL-15, face à des Rafale indiens surclassés. Une victoire tactique, technologique et symbolique, reprise sans grande nuance dans de nombreux médias, et exploitée à plein par les industriels chinois pour promouvoir leurs appareils auprès de clients traditionnels de Dassault Aviation.
Mais que s’est-il réellement passé ce jour-là ? Que vaut le contre-récit français présenté à huis clos lors du Bourget ? Et, plus largement, que nous dit cette bataille des narratifs sur les rapports de force contemporains — qu’ils soient tactiques, industriels ou cognitifs ?
Cet article ne vise pas à trancher entre deux vérités. Il cherche à comprendre comment un affrontement aérien peut devenir, en quelques heures, un champ de bataille informationnel à part entière, et comment s’y forge — ou s’y déconstruit — la réputation opérationnelle d’un système d’armes. Car derrière l’opposition entre Rafale et J-10, c’est toute la question de la maîtrise du récit stratégique qui se pose.
Sommaire
Le Pakistan annonce une grande victoire aérienne après l’engagement du 7 mai 2025 contre l’Indian Air Force
Le 7 mai 2025 pourrait bien s’inscrire comme l’un des jalons majeurs de l’histoire contemporaine de l’aviation de combat. Aux premières heures du jour, l’Indian Air Force (IAF) a lancé une offensive aérienne de grande ampleur contre plusieurs objectifs militaires et paramilitaires situés au Pakistan, en représailles à l’attentat perpétré le 22 avril à Pahalgam, dans le Cachemire indien, qui avait fait 26 morts et plus de 20 blessés, en majorité des pèlerins hindous.
Cette opération, d’abord désignée sous le nom de code Sindoor, a rapidement dégénéré en une série d’engagements air-air d’une rare intensité, impliquant plus d’une centaine d’appareils : environ soixante avions de chasse indiens ont affronté une cinquantaine de chasseurs pakistanais, dans ce que plusieurs analystes considèrent désormais comme le plus important affrontement aérien de type BVR (Beyond Visual Range – combat hors de portée visuelle) jamais enregistré, et le plus intense combat air-air depuis l’opération Bolo menée par l’US Air Force au-dessus du Nord-Vietnam, le 2 janvier 1967 — bien que cette dernière n’ait pas eu lieu au-delà de la portée visuelle.
Dès la fin des combats, deux stratégies de communication radicalement opposées ont émergé. Fidèle à sa tradition de discrétion sur les opérations en cours, New Delhi a opté pour le silence, se limitant à indiquer que l’ensemble des équipages engagés étaient rentrés sains et saufs. Aucune évaluation, aucun bilan, et surtout, aucun contre-récit officiel n’est venu éclairer ou contester les premières interprétations de l’engagement.
À l’inverse, Islamabad a adopté une stratégie proactive, voire offensive, en multipliant les déclarations publiques, les détails tactiques et les assertions chiffrées. Dès le 8 mai, la Pakistan Air Force (PAF) a revendiqué une victoire nette et historique. Selon ses porte-parole, les forces pakistanaises auraient abattu sept appareils indiens, dont trois des nouveaux Rafale de l’IAF, acquis par New Delhi en 2016, et représentant l’appareil de combat le plus moderne actuellement en service au sein des forces aériennes indiennes. Ces succès auraient été rendus possibles par le déploiement du nouveau duo technologique de la PAF : le chasseur multi-rôle J-10CE et son missile air-air longue portée PL-15, tous deux d’origine chinoise.
Ce discours, structuré, détaillé, et renforcé par la diffusion de documents opérationnels (cartes, animations, extraits de vidéo), a rapidement trouvé un écho dans la presse régionale et au sein de nombreux relais d’analyse pro-pakistanais ou pro-chinois. En l’absence de toute forme de contre-discours de la part de l’Inde, il s’est imposé dans les médias internationaux comme le récit dominant — d’autant plus convaincant qu’il semblait reposer sur des faits tangibles.
Cette perception a été renforcée par une campagne d’influence menée sur les réseaux sociaux et relayée par certains organes de presse pro-pakistanais ou pro-chinois. Celle-ci a alimenté des rumeurs selon lesquelles plusieurs pays, notamment l’Indonésie ou les Émirats arabes unis, auraient suspendu ou reconsidéré leurs projets d’acquisition du Rafale. Bien que non fondées, car totalement fantaisistes, ces allégations ont contribué à renforcer l’image d’un basculement stratégique potentiel en faveur de l’industrie aéronautique chinoise.
Dans ce contexte, le constructeur Chengdu Aircraft Corporation, à l’origine du J-10CE, a lancé une offensive commerciale soutenue. Des offres ont été adressées à plusieurs clients historiques de Dassault Aviation, comme l’Indonésie et l’Égypte, avec une communication orientée sur les performances supposément démontrées du J-10CE en conditions réelles de combat.
Face à cette avalanche de communication et à l’absence de réaction officielle de New Delhi ou de Dassault Aviation, le rapport de force médiatique s’est vite figé : aux yeux d’une partie de la presse internationale et de nombreux analystes, le J-10CE est sorti grand vainqueur de l’engagement du 7 mai — et le Rafale, grand perdant.
Deux erreurs méthodologiques dans l’analyse de Meta-Défense du 13 mai 2025
À la lumière des événements et des éléments d’information postérieurs à l’engagement du 7 mai, il convient de revenir sur l’article publié par Meta-Défense le 13 mai 2025, qui proposait une première analyse tactique de l’opération Sindoor et en tirait des enseignements pour l’évolution du programme Rafale F5.
Cet article, intitulé « Engagement aérien du 7 mai : vers un Super-Rafale ? » (lien : Meta-Défense, 13/05/2025), partait d’un constat simple : à défaut de disposer de sources directes ou indépendantes suffisamment détaillées, il s’appuyait essentiellement sur les éléments communiqués par la Pakistan Air Force à la suite de sa conférence de presse du 11 mai.

Le premier problème est d’ordre méthodologique. Comme l’article lui-même le reconnaissait, les informations disponibles à ce moment-là étaient lacunaires, et rien ne permettait d’authentifier les affirmations pakistanaises. En s’appuyant presque exclusivement sur le récit fourni par une partie directement impliquée — en l’occurrence, la PAF — l’article exposait mécaniquement son raisonnement à un biais de cadrage, et à des conclusions prématurées.
La seconde erreur est plus insidieuse, mais tout aussi significative : l’article souffrait d’un biais de confirmation évident. Il tendait à faire entrer l’engagement du 7 mai dans un cadre analytique déjà esquissé dans des publications antérieures sur le site, et visant à démontrer la nécessité de transformer le Rafale F5 en un “Super-Rafale”. Cette version, défendue depuis plusieurs mois sur Meta-Défense, repose sur l’idée que la cellule actuelle du Rafale — non furtive — doit être profondément modifiée pour intégrer une furtivité sectorielle, sans quoi l’appareil ne pourrait plus rivaliser, à moyen terme, face à des chasseurs adverses dotés de munitions de longue portée et de capacités de détection avancées.
Or, dans cette lecture, les affirmations de la PAF sur l’efficacité du couple J-10CE / PL-15 apparaissaient comme une validation spectaculaire du raisonnement déjà développé : elles offraient, en quelque sorte, la confirmation attendue de l’inéluctabilité du Super-Rafale.
Mais c’est précisément là que réside le danger d’un biais de confirmation : en recherchant inconsciemment dans les événements ce qui vient conforter une hypothèse préalable, on risque de perdre la neutralité d’analyse indispensable dans un contexte aussi flou. Ce glissement méthodologique est d’autant plus problématique que l’article, plutôt que de poser des hypothèses, énonçait des conclusions fortes — qui, avec le recul, apparaissent comme fondées sur des bases empiriques trop fragiles.
Ainsi, loin de démontrer la supériorité tactique du J-10CE ou la vulnérabilité structurelle du Rafale, l’article du 13 mai constitue, aujourd’hui, un exemple très parlant des limites de toute analyse fondée sur des données unilatérales et non confirmées, surtout lorsque celles-ci résonnent trop fortement avec un cadre analytique préexistant.
Il fallait que cela soit reconnu, et expliqué. Voilà qui est fait.
Le narratif sino-pakistanais confronté aux constats objectifs dans le temps
Durant les premières 48 heures ayant suivi l’engagement du 7 mai, le narratif sino-pakistanais s’est imposé dans l’espace médiatique. Structuré, détaillé, et soutenu par des relais internationaux, il bénéficiait d’un terrain vierge : le silence maintenu par New Delhi, et plus encore par Paris, laissait le champ libre à l’interprétation unilatérale des faits. Pourtant, à mesure que les jours passaient, des éléments tangibles ont commencé à émerger — et à contredire, peu à peu, la version d’Islamabad.
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Reconnaissance honnête d’une analyse précoce et un peu hâtive, ainsi que des biais de confirmation . Contre argumentation et analyse en miroir, avec les nouveaux éléments disponibles tout en invitant le lecteur à éviter lui même les biais de confirmation. Félicitations, pour moi comme je l’espère pour beaucoup d’autres lecteurs, cette article est une preuve de l’humilité et de la réflexion constructive dont vous faites preuves envers vos abonnés. Je vois ça comme des qualités remarquables et plus largement un exemple pour la grande presse souvent à la recherche d’audimat mais peu encline à se contredire par la suite. On pourrait appeler ça de « l’auto fact-checking » ! Encore une fois c’est une démonstration que l’abonnement à Meta-defense est largement mérité en instructif 😉
Bonsoir, cet article met sur le même plan le narratif délirant Sino Pakistanais et la discrète et très attendue réaction Française à des élucubrations basées sur des photos anciennes, truquées ou d’images de jeux vidéo .
Peut on sérieusement comparer un pays comme la France au Pakistan ?
Ce n’est pas dans la culture française de trafiquer les faits de la sorte en inventant une jolie histoire, les anglo-saxons, par exemple sont bien plus efficaces au petit jeux de la désinformation…
De quelles « sources françaises » parle-t-on ici ? Deux journalistes non spécialisés défense de RFI auraient obtenu des confidences en sources anonymes dans le cadre du salon du Bourget, et un général en deuxième section, dont le lien avec cette histoire est tout sauf évident à tracer. Si c’était une déclaration du minarm, de Dassault ou de CEMAAE, je ne dis pas, cela aurait beaucoup plus de crédibilité. Là, en dehors de la parole des journalistes, on n’a strictement rien pour accréditer ce narratif, ni éléments d’analyses, ni porteur crédible qui engagerait sa propre crédibilité.
Donc, oui, le narratif relayé par RFI n’a, objectivement, pas plus de poids que celui du Pakistan, aujourd’hui.
Personnellement, il m’est également arrivé d’obtenir des informations « exclusives » de sources que je ne devais pas citer, qui semblaient parfaitement crédibles et « très proches du dossier », et pourtant, qui se sont révélées totalement fausses.
Ok message reçu , c’est clair et explicite ; merci !
De toute façon, on savait dès les premiers jours après l’affrontement que les Rafale étaient en configuration d’attaque, donc qu’ils se battaient « avec une main dans le dos » même après avoir tiré leurs munitions (pylônes, reservoirs subsoniques, MICA plutôt que Meteor) et la PAF avait expliqué les avoir ciblés en priorité. Alors même qu’une position défensive est généralement considérée plus facile à tenir toute chose étant égale par ailleurs, d’où le rapport de force en attaque variant de trois à dix contre un préconisé par à peu près toute les doctrines traitant d’affrontements de masse. Dans ce contexte, n’avoir réussi à descendre que quelques-uns des avions explicitement visés, a fortiori un seul, malgré des effectifs proches est déjà une défaite en soi. Par ailleurs je ne me souviens pas que l’Inde ait engagé d’AWACS, sachant que leur présence ne changerait rien à cette conclusion tandis que leur absence la renforce. Enfin, si j’ai bonne mémoire, les Rafale de l’IAF sont au standard F3R alors que le F4 qui approche des bases françaises fera probablement de même d’ici peu en Inde. Alors avec en plus de cette perspective celle du F5 dans cinq ans, plus tout ce qui est rappelé dans l’article (spécialement l’échec pakistanais des deux jours suivants) même en étant conscient du risque de biais de confirmation, j’interprète plutôt la commande du J35 comme l’aveu implicite de la nécessité pour la PAF de reconstituer les forces, monter en gamme en urgence et peut-être même gagner en masse au passage.
Normal que l’Inde garde le silence, c’est toujours le perdant qui l’ouvre.
Pour le couple J10/PL15, y avait quand même quelques indices sur son efficacité…. est que les SU35/30 règnent sur le ciel ukrainien avec les R77 ? je ne le crois pas non.
Ils auraient éventuellement la masse pour eux ( plein de J10 pas cher ) mais vu le taux de perte à 40 km qu’ils subiraient ca éclaircirait bc leur rang.
Comme je le dit a chaque fois, tout ce qui est chinois est a prendre avec des pincettes ….. avion bateau et tout le reste ( ca reste du russe a peine amélioré ).
Pour ce qui est de la position de la France, elle est tout sauf étonnante. On est dans la lignée habituelle : pas ou peu de propagande, beaucoup de secret, des certitudes sur le Rafale et du business en coulisse.
Ca paraissait quand même bien gros le discours pakistanais 😀
ludovic le retour, nous n’avions pas eu beaucoup de commentaires de votre part ces temps derniers, parti en vacances peut être ? je partage votre commentaire dans les grandes lignes, mais méfons nous tout de même des niaquiés , ils sont fourbes.
Bravo pour la remise en question !
Vous avez raison, les prises de commandes futures lèveront une partie du brouillard.
pertinent !
Bonjour Fabrice,
La remise en question comme la curiosité est une preuve d’intélligence…
oui vous avez raison fabrice, nous ne sommes pas plus avancés et il faut prendre les deux récits avec des pincettes ! je pense néanmoins que le contrefeu lancé par dassault, sera étayé peu à peu par des infos, car je ne les vois pas se lancer dans une embrouille au risque de passer pour des idiots. il sera distillé des infos venants confimer le narratif de l’inde , mais avec parcimonie, car on a frôlé le carton rouge sur cette affaire. les journalistes vont aussi aller à la collecte de renseignements en ce sens, maintenant qu’il y a matière à chercher. donc rendez vous à plus tard sur ce point. néanmoins cela remet un peu les pendules à l’heure , non ?
Je l’ignore. Comme Dassault n’en a rien à faire de l’opinion publique, depuis l’arrivée de Trappier, je ne suis même pas certain que les informations sortent vraiment, étant donné le mutisme indien. Par contre, s’il y a de nouvelles commandes de Rafale dans les mois/années à venir, à l’export, on peut parier que l’avionneur dispose d’informations documentées pour soutenir ce narratif. Et si le J-10CE ne s’exporte ni en Indonésie, ni au Proche-Orient ou en Égypte, on peut penser, c’est que les informations sur le J-10CE sont peu reluisantes. C’est comme pour les trous noirs, on ne peut pas les observer directement, mais on peut observer leurs effets.
La bonne nouvelle c est que le PL15 sera dorénavant dans l base du Rafale!
Ouais ouais …. Merci de la mise à jour sur le dossier. Le récit franco-indien est bien tardif, et n’est appuyé par aucun élément vérifiable concernant des avions pakistanais abattus. Du coup, on peut vraiment douter de son efficacité. Il va vraiment mieux falloir intégrer la manoeuvre médiatique!
Honnêtement, je ne suis pas certain du tout que cette « information » ait été destinée à sortir au-delà des salons feutrèes des négociations. Pour Dassault, qui donne le La à toute la BITD française, l’opinion publique n’a tout simplement aucun poids dans les négociations et la vente de systèmes d’armes. Ils ont en partie raison : en Suisse, une majorité des sondages donnait le Rafale comme ayant la préférence des suisses eux mêmes, avant l’annonce du F-35. Cela n’a strictement pas pesé. Pire encore, après l’annonce, une véritable cabale anti-Rafale est apparue dans les médias helvétiques, entrainement un rapide basculement de l’opinion en faveur de l’appareil américain.
J’ai également vu Lockheed à l’œuvre en Grèce. En 1h30 de conférence de presse, ils avaient retourné tous les journalistes locaux qui, jusqu’à présent, n’avaient d’yeux que pour le Rafale. Et pourtant, 6 mois plus tard, c’est bien le Rafale qui a été commandé par Athènes.
Après, il y a des contre-exemples, comme la manoeuvre politico-médiatique qui permit de faire derailler les Barracuda en Australie à partir de 2019.
Donc, il y a certainement une posture un peu anachronique de la BITD française, en matière de communication publique, y compris en france d’ailleurs. Les médias US soutiennent à fond la presse spécialisée défense print et web aux Etats-Unis. Ce n’est pas le cas en France. Mais force est de constater que cela n’a pas empecher Dassault de vendre le Rafale, ou Naval Group de vendre des Scorpene.
Ca me rappelle une célebre phrase d’un PDG de Coca dans les années 70 : je sais que la moitié de la publicité que je fais ne sert à rien. Mais je ne sais indenfier laquelle c’est ! ))