Il y a de cela quelques semaines, Jim Taiclet, le CEO de Lockheed Martin, avait surpris son auditoire avec l’évocation d’un F-35 Nascar, comme réponse potentielle au cinglant échec qu’avait représenté, le 22 mars 2025, l’attribution du programme NGAD de l’US Air Force à Boeing et son F-47.
Volontairement flou sur ce que sera ce F-35 survitaminé, son calendrier et ses technologies, le CEO américain se contenta alors d’indiquer qu’il s’agirait d’intégrer à l’appareil certaines technologies développées par l’avionneur dans la phase finale du programme NGAD, pour lui permettre d’atteindre 80 % des performances et capacités de la 6ᵉ génération, pour seulement 50 % des coûts. Restait, cependant, à ce moment-là, qu’au-delà d’un nom de barre chocolatée et d’un slogan de lessive, ce programme F-35 MKII était bien trop opaque pour s’avérer convaincant.
La nouvelle intervention de Jim Taiclet, cette semaine, à l’occasion de la Bernstein Strategic Decisions Conference, ne prête plus à sourire, ni aux petites formules journalistiques qui savent attirer l’œil.
En effet, au-delà des quelques précisions sur les capacités dont sera doté l’appareil, qui étaient, pour l’essentiel, attendues, c’est surtout la stratégie commerciale et industrielle que le plus puissant industriel de défense de la planète entend mettre en œuvre autour de ce programme, qui, si elle force incontestablement le respect, représente également une menace extrêmement tangible pour l’industrie européenne dans ce domaine, et en particulier, pour les programmes GCAP et SCAF.
Sommaire
Privé de 6ᵉ génération américaine, Lockheed Martin veut étendre le parc et l’attractivité du F-35 sur la scène internationale
Avec le F-117, puis le F-22, et enfin le F-35, Lockheed Martin avait raflé, dans les années 80 et 90, tous les contrats de développement concernant les avions de combat tactiques américains de 5ᵉ génération, mettant l’entreprise au sommet de la hiérarchie Défense mondiale pour de nombreuses années.

De fait, l’avionneur américain, fort de plus de 2000 commandes fermes de F-35, aborda le basculement vers la 6ᵉ génération, à partir du milieu des années 2010, avec un capital confiance au plus haut, des acquis technologiques exceptionnels, et des réserves d’investissements sans équivalent.
Fut-ce en raison d’un excès de confiance, d’une volonté de l’exécutif de rééquilibrer l’offre industrielle américaine dans ce domaine, ou en réaction aux conditions contractuelles bien trop favorables à l’avionneur concernant le F-35 ? Quoi qu’il en soit, Lockheed Martin a été descendu de son piédestal que l’US Air Force avait bâti pour lui pendant trente ans, et ce, en moins de dix ans.
B-21 Raider, F/A-XX et F-47 : une déchéance en trois actes de la plus puissante entreprise de défense de la planète
Cette déchéance, en trois actes, débuta en octobre 2015, lorsque le contrat de 21 Md$ pour la conception du futur bombardier stratégique B-21 Raider de l’US Air Force fut attribué à Northrop Grumman. Cependant, l’expérience acquise par cet avionneur dans ce domaine spécifique, avec la conception du B-2 Spirit, fut alors acceptée comme une explication plausible pour expliquer la défaite de la superstar de l’aviation militaire US depuis la présentation publique du F-117 en 1989.
Si le segment du bombardement stratégique était attribué à Northrop Grumman, personne n’imaginait, cependant, que le segment des avions de combat tactique puisse alors échapper à LM, après le très réussi F-22 Raptor, et l’immense succès commercial du F-35, et l’avionneur était universellement reconnu, jusqu’il y a peu, comme le grand favori des deux programmes de 6ᵉ génération américains dans cette catégorie : le NGAD de l’US Air Force, et le NGAD (oui, même acronyme, mais différent programme) de l’US Navy, que nous désignerons ici sous son autre appellation, le programme F/A-XX.
Il faut dire que tout semblait alors désigner LM pour ces deux contrats. D’abord, parce que Northrop Grumman n’avait plus construit d’avions de combat tactiques pour les forces aériennes américaines depuis le F-14 Tomcat. Ensuite, parce que le troisième avionneur américain, Boeing, s’était empêtré dans d’immenses difficultés industrielles et financières, caractérisées par les difficultés et retards de mise au point du ravitailleur KC-46A et de l’avion d’entraînement T-7A, nécessitant le remplacement d’une grande partie de ses cadres exécutifs.
La surprise fut donc de taille lorsque, au début du mois de mars 2025, l’US Navy annonça l’élimination de Lockheed Martin du programme F/A-XX, ne conservant que Boeing et Northrop Grumman comme finalistes. En effet, avec les F-35B et F-35C, l’avionneur est celui qui peut revendiquer l’expérience la plus à jour pour ce qui concerne la conception d’un chasseur embarqué, là où celle du F/A-18 E/F Super Hornet de Boeing remontait aux années 90, et celle du F-14 Tomcat de Grumman à la fin des années 60.
Toutefois, si certains sourcils se sont alors levés, la plupart des analystes pensèrent que l’objectif recherché par le Pentagone et l’exécutif, par ces arbitrages, était de ventiler les trois programmes clés de 6ᵉ génération aux trois avionneurs américains : avec le B-21 à Northrop Grumman, qui avait conçu le B-2, le F/A-XX à Boeing, qui avait conçu le Super Hornet, et fort logiquement, le NGAD de l’US Air Force à Lockheed Martin, qui avait conçu le F-22.
Dans ce contexte, dire que l’annonce du 22 mars 2025, par le président Trump accompagné du général Allvin, le chef d’état-major de l’US Air Force, constitua un séisme dans le paysage de l’industrie aéronautique militaire américaine, tiendrait certainement de la litote. En effet, la conception du F-47, le chasseur de 6ᵉ génération destiné à remplacer le F-22 Raptor au sein de l’USAF, fut confiée à Boeing, privant, de fait, le géant industriel américain Lockheed Martin, première entreprise de défense de la planète avec un chiffre d’affaires défense de 65 Md$ en 2023, équivalent au PIB d’un pays comme la Slovénie ou la Biélorussie, de la très stratégique 6ᵉ génération des avions de combat…
La réaction de Lockheed Martin et l’annonce d’une nouvelle version du F-35 en préparation, qualifié de “F-35 NASCAR”
Ces vingt dernières années, il était devenu traditionnel pour les industriels américains de contester devant les tribunaux une décision qui ne leur aurait pas été favorable. Pourtant, Lockheed Martin n’engagea aucune procédure, ni contre son éviction du programme F/A-XX de l’US Navy, ni après le choc du Boeing F-47.
Fut-ce par crainte de voir l’exécutif réduire les commandes de F-35A, B et C par l’US Air Force, l’US Marine Corps et l’US Navy, alors que plus d’un millier d’appareils restent encore à livrer à ces trois armées ? Nous ne le saurons probablement jamais, même si l’on peut aisément supposer que Donald Trump n’aurait certainement pas apprécié de voir une décision dans laquelle il s’est impliqué personnellement contestée par un industriel qui dépend encore beaucoup de son bon vouloir…
Toutefois, force est de constater que lors de l’attribution de la conception du B-21 à Northrop Grumman, ni Boeing, ni Lockheed Martin n’avaient contesté la décision en justice, alors que ce même Donald Trump n’était pas encore président, pas même favori des sondages.
Toutefois, si Lockheed Martin n’a pas souhaité défier l’arbitrage en faveur de Boeing pour le programme NGAD, il n’est pas non plus resté prostré, à maugréer contre ceux qui n’ont pas arbitré en son sens. Au contraire, l’entreprise a très rapidement rebondi, en s’appuyant sur sa plus grande force : le marché ouvert par le F-35, aux États-Unis comme dans toute la sphère occidentale.
Il ne fallut, en effet, qu’un tout petit mois pour que Jim Taiclet, le CEO de l’avionneur, présente un plan d’action pour préserver et étendre son statut de leader mondial dans le domaine des avions de combat.
Pour cela, LM annonça qu’il développerait une nouvelle version survitaminée du F-35, qualifiée de “F-35 Nascar” et de “F-35 Ferrari”, par le dirigeant industriel, afin que le message passe aussi clairement des deux côtés de l’Atlantique (et du Pacifique), pour faire de l’appareil un avion transgénérationnel, en empruntant de nombreuses technologies de 6ᵉ génération développées par Lockheed Martin en tant que finaliste du programme NGAD.
Sans entrer alors dans les détails de ce que seraient, effectivement, ces améliorations, ni sur un calendrier pour l’arrivée de ce F-35 Mk II, Jim Taiclet a toutefois posé une caractéristique aussi efficace, dans le discours, que floue dans les faits, pour son “nouvel appareil à venir”. Celui-ci offrira, selon lui, 80 % des performances de la 6ᵉ génération (comprendre : le F-47 et le F/A-XX), pour 50 % du prix, ce ratio étant visiblement destiné à devenir l’argument commercial fort de Lockheed Martin pour les années à venir.
Quelques détails supplémentaires sur le F-35 survitaminé qu’ambitionne de developper Lockheed Martin
Il fallut encore un mois pour que, cette semaine, on en apprenne un peu plus sur ces technologies et appréciations technologiques qui seront apportées à ce nouveau F-35. À l’occasion d’une intervention de Jim Taiclet, toujours lui, dans le cadre de la Bernstein Strategic Decisions Conference, à New York, ce 28 mai, le CEO de Lockheed Martin a, en effet, donné certaines précisions à ce sujet.
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Apparement ils lisent aussi vos articles aux État-unis!! C’est le même contexte que votre article sur la conception du char de combat intermédiaire qui pourrait être financé par ces même pays….
Permettez-moi d’être rêveur et de mentionner qu’il serait peut-être temps pour la France de contre-attaquer avec une offre de co-développement d’un Leclerc intermédiaire ainsi que d’un remplaçant au Mirage 2000 et Alpha Jet (et oui on l’oublie trop souvent mais il manquera terriblement à l’AAE pour l’entraînement et l’attaque légère dans des conflits de faible intensité voir de présence dans le cadre de l’ONU par exemple…) en y incluant éventuellement la Suède et peut-être la Grèce qui ont tout les deux des industries de défense et ajouteront cette “European touch”…. A méditer…
Perso ( et pour simplifier ) ce que je retient avant tout c’est la promesse de LM d’un avion presque aussi bon que de la 6h gen pour moitié prix , quand on voit la pompe à milliards qu’est le F35 pour les budgets défense des pays l’ayant acquis je serait quand même étonné que l’on donne à nouveau un blanc seing à cette société sur la foi de promesses commerciales , et comme déjà cité dans un autre commentaire le descriptif donné par LM du nascar ressemble plus à un nouvel avion qu’à une évolution , sans parler effectivement de la charge de travail du pilote si l’avion reste monoplace ( M. Wolf ce serait intéressant d’avoir votre avis sur ce sujet ).
Il faut séparer les sujets, concernant le poids d’un cockpit mono, pour la mise en œuvre de drones.
Avoir un second cerveau dans l’avion, pour s’occuper de la mise en œuvre des drones, est effectivement très séduisant.
Cela ne veut pas dire que ce soit indispensable. Un second cerveau permettra d’ouvrir plus d’options, d’avoir une adaptation plus fine à l’environnement.
Mais dans un cockpit mono, vous pouvez décomposer les comportements du ou des drones en blocs élémentaires comme « couvre-moi », « explore 20 nautiques devant moi », « attaque telle cible », « brouille tel radar » de sorte que la charge cognitive pour le pilote ne soit pas plus élevée que celle d’un chef de patrouille ou sous-chef de patrouille, vis-à-vis de la coordination avec ses ailiers.
La clé du succès, ici, sera d’obtenir des comportements suffisamment « fiables », pour que les pilotes puissent s’en remettre à ces drones en toute confiance.
L’inconvénient, c’est que tout ce qui est « scripté » est prévisible, une fois qu’on a compris le script.
Mais cela ne touche pas uniquement les drones: regardez l’adaptation faites sur les Iskander-M russes pour déjouer les Patriot ukrainiens…
Il ne faut pas oublier, non plus, que les drones ne seront pas en liaison uniquement avec l’avion de combat, mais aussi avec la base au sol / le navire, voire avec un Awacs ou équivalent.
À mon sens, la configuration biplace s’imposera sur certaines missions, mais la config monoplace pourra efficacement mettre en oeuvre dans une majorité de cas.
C’est pas une stratégie qui avait déjà été tentée avec le F-20 par Northrop (après l’échec face au F-16 de General Dynamics devenu Lockheed…) ?
Avec une base de F-5 installée potentiellement prometteuse et assez crédible pour donner corps à la stratégie de Northrop de proposer une option bon marché. Or, ça n’a rien donné.
Après, est-ce que la cellule du F-35 peut supporter un nouveau moteur ? Une nouvelle génération électrique ?
Est-ce que le F-35B pourra bénéficier de ces mêmes améliorations ?
Et ce alors que le block IV n’est toujours pas en service.
Si l’on ne peut pas reprocher aux dirigeants de Lockheed de tout faire pour rebondir après ce triple échec, on peut quand même se poser de sérieuses questions sur le F35.
De manière générale, les clients achètent le matériel qu’utilisent l’armée US.
Bon, la difficulté va tout de même de faire ça à 50% seulement du coût de la 6ème génération. Parce qu’on parle d’un avion entièrement redessiné à la fois en termes d’aérodynamique, d’aménagement et de furtivité (bimoteur, nouvelles entrées d’air, nouvelle échappement de tuyères, nouveaux revêtements, système de combat …). Continuer de l’appeler un F-35 est du pur marketing, et n’a aucune réalité technique. Je suis même prêt à parier de certains dossiers vont être réouverts: celui de l’autonomie, que vous avez mentionné, et celui du biplace (je veux bien que l’IA soit géniale, mais la charge de travail pour un seul pilote de gérer l’avion, le système de combat et un ou deux CCA me semble juste démentiel). Bref …
Ce serait un énorme succès pour les commerciaux de LM, car après avoir vendu un F35 aux caractéristiques sur ”promesses”, on pourrait croire que croire que la ficelle soit connu de tous et passablement éclusé.
Mais comme les promesses n’engagent que ceux qui y croient… ils ont tous leurs chances.
ha encore un bon article qui nous confirme qu’ils sont forts en affaires les ricains. tu les mets à la porte et ils essayent de rentrer par la fenêtre, toujours plus forts. ne reste plus à nos gouvenements qu’à faire une offre, à ces pays cités dans l’article, qu’ils ne pourront pas refuser, genre on conçoit ensembles et vous fabriquez vos propres avions dont vous avez besoin chez vous. peut être vaut il mieux perdre un peu que tout , non ? encore des maux de tête en perspective pour nos technocrates à paris, je ne les envies pas, les pauvres. bon assez parlé, vous n’avez pas fait le pont fabrice, quel bosseur effrêné vous êtes, faut see reposer de temps en temps ou vous n’irez pas jusqu’à la retraite. ha je suis con , vous y êtes déjà c’est vrai. merci de vos articles cela nous gâte.
non, je ne suis pas à la retraite. Je n’ai qu’a peine un peu plus de 50 balais )) Bon, je retourne à ma colonne decisionelle IA )) C’est vrai qu’en ce moment, je fais des journées franchement longues, week end et jours fériés compris, à cumuler la redaction d’articles de fonds, et la programmation de ce wargame qui promet d’être pas mal du tout ))
ha je vous pensais retraité de la marine en tant que pilote, comme vous me l’aviez indiqué ? moi vous savez j’étais retraité à 43 ans avec 25 ans de carrière, bon il est vrai que j’avais commencé tôt et que ma famille en avais un peu assez que je sois plus souvent absent que avec eux. donc un jour il faut choisir , la passion du métier ou des siens.
oui je vous souhaite une bonne continuation sur votre projet de jeu, même si pour ma part je n’en suis pas utilisateur. si vous y arrivez aussi bien que sur vos articles , ce devrait être inéressant. bon courage !