vendredi, septembre 5, 2025

L’Europe peut-elle devenir une véritable puissance militaire d’ici à 2035 ?

Rarement un sommet de l’OTAN aura été aussi lourd de tension politique, et aussi vide de véritable souveraineté. À La Haye, fin juin 2025, les chefs d’État et de gouvernement européens ont validé, sans réellement négocier, toutes les exigences du président Trump : hausse des budgets, réinterprétation permissive de l’article 5, retrait progressif des troupes américaines… L’objectif ? Éviter le pire. Ne pas provoquer l’irrémédiable. Ne pas offrir au président américain un prétexte pour retirer les États-Unis de l’Alliance, unilatéralement, brutalement, comme il en brandit la menace depuis des mois.

Est-ce un succès ? À court terme, peut-être. Car l’Europe, en s’engageant à consacrer 3,5 % de son PIB à la défense, se dote d’un budget militaire quasi équivalent à celui des États-Unis, et très largement supérieur à celui de la Chine ou de la Russie. Certains y voient même le point de départ d’une transformation historique : celle d’une Europe qui, contrainte par Trump, retrouverait sa puissance stratégique. Selon cette lecture, le président américain serait devenu, malgré lui, le catalyseur de l’autonomie militaire européenne.

Mais cette perspective est-elle crédible ? Rien n’est moins sûr. Car l’obstacle n’est pas — ou plus — financier. L’obstacle est mental, doctrinal, politique. Ce n’est pas tant l’augmentation des moyens militaires européens qui conditionnera leur émancipation, que leur capacité à changer radicalement de paradigme stratégique, en rompant avec soixante-quinze ans de dépendance, de méfiance mutuelle et d’ambiguïté doctrinale.

L’Europe, un projet bâti structurellement sur la dépendance stratégique aux États-Unis

L’Europe post-Seconde Guerre mondiale s’est construite sur une dépendance stratégique vis-à-vis des États-Unis et de l’Union soviétique. De chaque côté du rideau de fer, les États européens ont, volontairement ou non, fait acte de soumission pour bénéficier de l’indispensable protection de la superpuissance tutélaire, dans un modèle relativement similaire, bien que prenant des formes plus ou moins autoritaires selon que l’ordre vienne de Washington ou de Moscou.

creation OTAN
Signature du traité pour la création de l’OTAN en 1949, dans le Bureau Ovale, par Harry S. Truman et les représentants européens.

À mesure que l’Europe se reconstruisait après les dévastations nazies, elle redevint un agrégat disparate de puissances économiques et technologiques qui, a priori, n’étaient pas destinées à s’unir. C’est pourtant ce qui s’est produit, sur fond de réconciliation franco-allemande, donnant naissance à la Communauté économique européenne — une zone de coprospérité si efficace qu’elle devint rapidement la deuxième puissance économique mondiale.

L’effondrement socio-économique du bloc soviétique à la fin des années 1980 constitua un basculement majeur. L’Europe devenait une véritable puissance économique continentale, disposant de ses propres relais de croissance internes — notamment grâce à l’intégration des pays d’Europe de l’Est — et d’une solidité économique et industrielle telle que sa nouvelle monnaie, l’euro, devint rapidement une référence internationale, et une alternative crédible au surpuissant dollar américain.

Pourtant, jamais, jusqu’ici, l’Europe ne s’est pensée en puissance militaire. Au contraire : même après la fin de la guerre froide, les Européens ont multiplié les actes de soumission stratégique aux États-Unis — comme l’a illustré l’engagement de nombreux pays européens aux côtés des forces américaines lors de la guerre d’Irak de 2003.

Avec le retour des tensions géopolitiques mondiales, et surtout depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, le réflexe européen a été, dans sa grande majorité, de se tourner vers les États-Unis — ravis de voir se reconstituer cette dépendance stratégique post-1945. Cueillis à froid, faute d’avoir voulu anticiper la montée en puissance de la menace, les Européens ont collectivement pris conscience de leurs faiblesses militaires structurelles, face à une Russie pourtant démographiquement et économiquement inférieure.

Plus révélateur encore, deux piliers historiques de la posture non alignée de la guerre froide — la Finlande et la Suède — se sont précipités pour rejoindre l’OTAN et s’abriter sous le bouclier américain dès le début de l’offensive russe. Tous, à l’exception notable de la France, attendent aujourd’hui des États-Unis une protection stratégique et conventionnelle, destinée à contenir les ambitions du Kremlin — d’autant plus intensément que la frontière russe ou biélorusse se situe à proximité directe.

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a première ministre suédoise Magdalena Andersson (premier plan) et son homologue finlandaise Sanna Marin lors de la conférence de presse commune ce matin pour annoncer la décision de rejoindre l’OTAN des deux pays scandinaves

Face à cette menace, une prise de conscience — tardive mais réelle — s’est produite en Europe. L’effort de défense moyen des membres européens de l’OTAN est ainsi passé de 1,7 % du PIB en 2022 à 2,1 % en 2025. Pourtant, fondamentalement, personne en Europe ne remet sérieusement en cause le rôle central de la protection américaine pour dissuader Moscou.

Au contraire, pour nombre de capitales, l’achat d’équipements de défense américains (F-35, HIMARS, Patriot, hélicoptères…) est devenu le marqueur de cet attachement assumé — y compris lorsque des alternatives européennes existaient, au sein même de cette zone de coprospérité.

Un sommet de l’OTAN de La Haye sous forme de plébiscite de Donald Trump et de soumission européenne

Connaissez-vous Mario Kart ? Dans ce jeu multijoueurs désopilant de Nintendo, chaque joueur pilote un kart sur un circuit fantaisiste. Pour équilibrer les chances entre les débutants et les joueurs expérimentés, Nintendo a eu l’idée de génie d’introduire des facteurs de rebattement de cartes : ainsi, si un joueur prend trop d’avance, il est arbitrairement pénalisé, relançant la dynamique de course.

En bien des aspects, l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le 6 novembre 2024, fonctionne comme l’un de ces mécanismes de gameplay appliqués à l’Alliance Atlantique. Par ses exigences unilatérales, ses menaces répétées et son imprévisibilité élevée au rang de stratégie, le 47ᵉ président américain n’a pas seulement bousculé les équilibres transatlantiques : il a renversé l’héritage de 75 années de relations sécuritaires structurées entre les deux rives de l’Atlantique.

C’est dans ce contexte que s’est ouvert, le 24 juin 2025, le sommet de l’OTAN de La Haye. Dès les premières déclarations des dirigeants européens, et celles du nouveau secrétaire général de l’Alliance, le Néerlandais Mark Rutte, il fut évident que ce sommet serait celui du triomphe stratégique de Donald Trump. Sans opposition véritable, il allait obtenir la validation de toutes ses exigences : élévation de l’effort de défense à 3,5 % du PIB d’ici 2035 (voire 5 % en incluant les dépenses de sécurité intérieure), retrait progressif des forces conventionnelles américaines du continent, et interprétation « souple » de l’article 5.

Mark Rutte Donald Trump OTAN La Haye juin 2025
Le Secretaire de l’OTAN Mark Rutte s’est montré ditirembique, parfois obsequieux, face à Donald Trump, pour contenir ses excés et éviter toute decision radicale.

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17 Commentaires

  1. Seul un événement tangible pourrait éventuellement précipiter un rapprochement contraint des armées européennes en dehors de l’OTAN, quelque chose de factuel, de brutal, de suffisamment menaçant pour les pays insuffisamment armés pour résister seuls ; l’invasion et l’occupation des états baltes par la Russie en quelques jours ou semaines, sans intervention des États-Unis ni des autres pays de l’UE, en serait un exemple. Tant que persiste l’illusion que l’oncle Sam veille encore sur ses caniches, je ne pense pas qu’on voit prochainement une quelconque construction militaire européenne avec une réelle intégration des forces nationales dans un ensemble continental. C’est encore cette illusion qui déclenche les achats de matériels américains au détriment de ceux européens, notamment français. C’est aussi pourquoi la France doit maintenir sa démarche personnelle de souverainisme relatif, qui s’explique aussi par sa présence géographique bien au-delà de l’hexagone, contrairement à la majorité des européens. À l’expéditionnaire et la dissuasion géostratégique, il faut rajouter pour la France une nécessité de puissance maritime mais aussi spatiale. La France ne doit pas sacrifier sa diversité militaire même échantillonnaire, et sa souveraineté, sur la foi d’un improbable partage européen. Improbable MGCS, improbable SCAF, improbable Eurodrone, improbable porte-avions européens, improbable dissuasion nucléaire européenne… il vaut mieux des petits pas (Camo, cesar, SM néerlandais, …) que des grands pas dans le vide. Est-ce que la création d’Airbus aurait été possible aujourd’hui ? Il est permis d’en douter, tout comme une fusion des industries navales européennes. L’UE n’a par ailleurs d’union que le nom ; il s’agit plutôt d’interdépendances multiples au niveau commercial et monétaire. Pas d’union politique, pas d’union stratégique, alors envisager une union voire une organisation militaire européenne… Je ne le pense pas de mon vivant. Les intérêts industriels nationaux priment avant tout, qu’on le déplore ou non.

  2. Très bon article. C’est effectivement le cœur du sujet. Mais au delà de l’aspect militaire, c’est la mise à niveau de l’état nation France dans l’ensemble monétaire € qui a créé toutes les frustrations qui mettent l’édifice en péril. Ce que promeuvent certains partis en matière économique rend illusoire un surcroît de coopération avec l’Allemagne ou les pays de l’Europe de l’Est. Le PS, LFI, les écologistes ou le RN, partis du social et de la flemme ne sont tout simplement pas au niveau pour permettre les évolutions évoquées. Ce que fait le Macronisme en favorisant la rente des retraites et en s’appropriant le vote retraité est également néfaste. Bref, les dysfonctionnements politiques en France empêchent ces visions d’advenir, bien plus sûrement qu’une contrainte extérieure. La dévirilisation de la société empêche l’émergence d’un projet politique collectifs. Vous n’irez pas loin avec des mentalités de syndicaliste en mode tout pour ma pomme. Vous n’irez guère plus loin avec un découplage banque et centrales d’achat vs la société. On en revient sur le lien social qui n’est plus un amour fort du prochain mais est ce que la société me paie correctement ce qu’elle me doit. Dans ce cadre d’état providence mental qui corrompt tout et annihile toute volonté individuelle au service d’un collectif, vous avez la recette du désastre actuel. Tant que ce cercle vicieux n’aura pas été brisé, on parlera tous dans le vide. Dans le cadre du franc français, cela fait longtemps que les anomalies de l’état providence auraient été corrigées par une action résolue de la banque de France. Dans le cadre de l’Euro et de la lâcheté congénitale de nos politiques, nous buvons le calice jusqu’à la lie. Et c’est insupportable.
    Le système est fait pour favoriser les idiots et les démagogues. Il n’y a pas de personnel politique qui puisse gagner en faisant autre chose que promettre des imbécilités. Le corps électoral ayant en majorité plus de 50 ans avec un pivot du vote dangereusement proche de l’âge de la retraite, il est plus que plausible que le pays sombre dans l’anarchie, emportant avec lui 1000 ans de grande histoire. Pourquoi somme nous toujours dirigés par des syndicalistes et des bretteurs de foire incapables? Simplement parce qu’il n’y a plus d’hommes pour diriger le pays.

  3. …suite… dispersées que les armées européennes , et souvent par une démarche bottom-up.
    Bien que les armées soient aux ordres du Politique, je pense que l’on pourrait commencer par autoriser les Chefs d’Etat-Major à concocter un livre blanc stratégique européen en toute liberté.
    Puis ce document rentrerait dans le circuit démocratique usuel de la Commission.
    La base à souvent de bonnes idées, pourquoi pas les armées !

  4. La point clé est bien d’organiser rationnellement l’effort de défense, en répartissant les responsabilités entre pays, selon leurs atouts historiques, géographiques et industriels. MAIS il existe un pré-requis : un accord sur une alliance automatique purement défensive et une définition claire des frontières de l’Europe que l’on s’engage à défendre (clarification du projet européen). En parallèle il serait souhaitable d’établir un directoire sur le sujet « défense » avec un nombre réduit de pays principaux contributeurs : Allemagne, Pologne, UK, France, Italie, Espagne.

  5. Ce n est qque mon opinion mais la dernière fois qu on a laisser une « grande Allemagne » réarmer alors que les USA étaient isolationnistes, ça s est mal passé ; Cette comparaison n est pas raison cependant voir la Pologne faire de même est déjà moins anxiogène.
    1ere phase : réunification
    2eme phase : Guerre économique à ses voisins, suivre mon regard..
    3eme : réarmement
    Bon l article parle d UE mais Monsieur Medvedev me chuchote un scénario à l Oreille ; d est il trompé sur le fond ou bien sûr la notion de temps ?
    Car une chose est sûre aujourd’hui, tout est possible et certains pays timorés se lâchent désormais.

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    • Vous parlez de l’Allemagne qui ne parvient pas à maintenir les effectifs de la bundeswehr au dessus de 170,000 h, ou celle dont 75% de la population est en faveur d’une armée européenne ? 😉
      Je pense sincèrement qu’il est inutile de s’inquiéter de la menace militaire allemande. Ce qui m’inquiète davantage, c’est qu’elle tente de s’accaparer trop de responsabilités dans La Défense de l’Europe, sans avoir, justement, la determination de se battre si c’est nécessaire.

      • Mon père, né en 1904, disait que le problème n’etait pas les allemands mais les prussiens! Une minorité en somme positionné à l’est. Mon commentaire imagé sur l’article de la volonté de l’allemagne de préempter les bugets de défense estd’actualité.

      • La France du président Macron essaie de négocier en discutant avec les allemands, en tordant gentiment le bras d’Eric Trappier et en faisant de gros yeux au programme ESSI, Si le RN arrive a la présidence en 2027, pas sûr que sa fidelité à l Otan sera aussi forte, d’autant que notre complexe militaro-industriel ne sera peut etre pas si en oppisition que ca, mais une simple menace de quitter l’Otan pourrait faire réfléchir les nation européennes.

      • Oui, je suis d accord et c est cette volonté de domination typiquement Allemande qui me gène, d ailleurs, ils ont déclaré, de la bouche du nouveau chancelier vouloir devenir la première puissance militaire conventionnelle (ouf..)de l UE ; j ai trouvé ça énorme venant de ce pays, qui, il y a peu jouait les vierges effarouchées concernant ce sujet.
        Bonne soirée.

    • Peut-être, mais jamais aussi radicalement. Su SMK, on se retrouvait facilement à la dernière place en se prenant une pénalité critique (Carapace etc..) pour se retrouver dernier. Après Super Mario kart est sorti en 92 sur SNES. Je n’ai pas souvenir qu’il y avait tant que ça des jeux équivalents à ce moment-là. La plupart des jeux d’arcade à l’époque n’était pas compétitif. Mais je veux bien que vous me citiez des exemples.

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