vendredi, septembre 5, 2025

Sous-marins canadiens : tKMS et Hanwha Ocean en final, Naval Group éliminé

L’annonce faite par Ottawa de retenir deux finalistes pour le programme de remplacement de ses sous-marins canadiens de la classe Victoria a surpris par son équilibre autant que par ses exclusions. D’un côté, le choix attendu du Type 212CD proposé par l’allemand tKMS, héritier d’une lignée qui a dominé le marché mondial du sous-marin conventionnel depuis le Type 209.

De l’autre, l’entrée remarquée du sud-coréen Hanwha Ocean avec son KSS-III Batch 2, incarnation d’une puissance industrielle navale en pleine ascension, aujourd’hui capable de rivaliser avec la Chine sur le plan civil comme militaire. Écartés en revanche, les Français de Naval Group, récents vainqueurs aux Pays-Bas, les Suédois de Saab/Kockums et les Espagnols de Navantia.

À première vue, la sélection canadienne pourrait sembler relever d’un simple arbitrage technique : d’un côté, un modèle européen éprouvé et déjà adopté par plusieurs marines de l’OTAN ; de l’autre, une offre asiatique plus récente mais soutenue par une industrie civile titanesque et, peut-être, par une diplomatie américaine attentive. Pourtant, limiter la lecture à une confrontation entre performances ou coûts occulte l’essentiel. Car derrière ce choix se profilent des considérations bien plus profondes, à la fois stratégiques, industrielles et politiques.

En effet, pour Ottawa, ce contrat ne représente pas seulement l’acquisition de douze sous-marins, mais la refondation d’une Marine royale canadienne longtemps négligée, à un moment où la souveraineté arctique, la crédibilité au sein de l’OTAN et la dépendance structurelle vis-à-vis de Washington se rejoignent. Dans un tel contexte, les leviers de décision dépassent largement la seule comparaison entre fiches techniques : ils traduisent la volonté du Canada de choisir entre des modèles d’alliance, des logiques d’intégration et des dépendances industrielles.

Ainsi, la question centrale n’est pas tant de savoir lequel des deux finalistes, tKMS ou Hanwha Ocean, dispose du « meilleur » sous-marin sur le plan opérationnel. Elle est plutôt d’identifier quels facteurs, explicites ou implicites, ont conduit Ottawa à écarter certaines offres jugées pourtant compétitives, et à privilégier à la fois le champion incontesté du marché occidental et un nouveau venu dont la montée en puissance a été largement rendue possible par les transferts de technologies allemands eux-mêmes.

Dès lors, il convient de s’interroger : quels sont les leviers de décision qui ont formaté les arbitrages d’Ottawa en faveur du Type 212CD de l’allemand tKMS, leader historique du sous-marin conventionnel, et du KSS-III sud-coréen, porté par la première puissance navale industrielle occidentale, capable de faire jeu égal avec la Chine dans ce domaine ?

Les armées canadiennes après 50 années de sous-investissements critiques

Depuis plus de 50 ans maintenant, le Canada joue le rôle de mauvais élève de l’OTAN en matière de dépense de défense. Ainsi, si Ottawa consacrait plus de 4 % de son PIB à ses armées en 1960, au plus fort de la confrontation stratégique directe entre les États-Unis et l’Union soviétique, ce chiffre était déjà tombé à 1,8 % en 1970. Depuis, l’effort de défense est resté autour du plancher des 2 % jusqu’en 1990, pour s’enfoncer encore davantage entre 1 et 1,3 % du PIB jusqu’en 2023.

armées canadiennes
Les armées canadiennes alignent tout juste 40,000 hommes et femmes, pour une population de 41 millions d’habitant et un PIB de plus de 2,200 Md$.

De fait, en dépit de leur expérience opérationnelle et d’une réputation d’efficacité bien réelle, acquise par leur participation à de nombreux engagements en Europe, au Moyen-Orient et en Asie, les armées canadiennes ont évolué avec des moyens très limités depuis plus d’un demi-siècle. Comme le soulignait déjà le RUSI, « l’effort de défense canadien est resté structurellement en deçà des standards de l’Alliance, contraignant Ottawa à dépendre excessivement de ses partenaires pour toute opération de haute intensité ».

La Marine royale canadienne n’échappe pas à ce constat. Aujourd’hui, elle ne dispose que de 65 navires et d’un effectif opérationnel inférieur à 7 000 hommes, alors même que le pays affiche un PIB supérieur à 2 300 Md$, soit l’équivalent de celui de la France ou de l’Italie.

À titre de comparaison, l’Italie aligne 180 navires et plus de 30 000 marins, tandis que la Marine nationale française met en œuvre environ 120 navires et plus de 40 000 personnels. Cette disproportion est régulièrement dénoncée par les médias canadiens eux-mêmes : selon le Globe and Mail, « l’état de la flotte canadienne illustre le sous-investissement chronique de l’État dans la défense navale, au moment même où l’Arctique prend une importance stratégique croissante ».

En 2014, Ottawa s’était pourtant engagé, comme l’ensemble des membres de l’Alliance atlantique, à amener son effort de défense à 2 % du PIB d’ici 2025. Mais en 2025, le Canada ne cède la dernière place du classement des efforts de défense au sein de l’OTAN qu’au cas très particulier du Luxembourg, avec seulement 1,37 % du PIB consacré à ses armées. Même les pays historiquement réticents, comme la Belgique ou l’Espagne, ont fini par accélérer leurs investissements, notamment sous la pression directe de Donald Trump. Selon un rapport du NATO Parliamentary Assembly, « la pression exercée par Washington a transformé l’atteinte des 2 % en un test de crédibilité politique, plus encore que militaire ».

Comme ses camarades d’infortune, Mark Carney, le nouveau Premier ministre canadien, a dû réorienter sa politique de défense pour s’aligner sur le nouvel objectif fixé par l’OTAN : atteindre un effort global de 5 % du PIB en 2035, dont 3,5 % pour les seules armées, sous la menace explicite de Donald Trump de conditionner l’article 5 à cet engagement. Carney s’est également engagé à ce que le Canada dépasse le seuil de 2 % dès 2026, afin de restaurer la crédibilité d’Ottawa au sein de l’Alliance.

Mais le chemin sera particulièrement difficile pour les trois armées canadiennes. L’armée de terre, qui compte moins de 23 000 hommes, est dépourvue de corps mécanisé crédible et d’une artillerie digne de ce nom. La Marine, avec ses 7 000 personnels, ne dispose d’aucun navire de guerre des mines ou de soutien logistique moderne.

Quant à la Royal Canadian Air Force, elle est proportionnellement mieux dotée, avec plus de 12 000 hommes, 85 chasseurs CF-18, une trentaine de C-130 et cinq C-17 Globemaster III, mais reste privée d’avions ravitailleurs, de capacités de veille aérienne avancée ou de guerre électronique. Le New York Times notait à ce sujet que « la dépendance canadienne vis-à-vis des États-Unis pour les capacités critiques – renseignement, transport stratégique, ravitaillement en vol – réduit mécaniquement son autonomie opérationnelle ».

En conséquence, même l’arrivée massive de nouveaux crédits ne permettra pas à Ottawa de restructurer rapidement des forces armées conçues depuis des décennies pour servir uniquement de supplétif efficace aux côtés des forces américaines, en une véritable force autonome, capable de défendre les intérêts stratégiques du pays, de sécuriser l’Arctique et de participer de manière crédible à l’OTAN.

Le super-contrat du remplacement des sous-marins canadiens : un enjeu stratégique pour la Marine royale canadienne

Pour l’heure, les autorités canadiennes semblent vouloir concentrer leurs efforts sur la modernisation et la transformation de leurs forces navales et aériennes. Si la commande de 85 F-35A, annoncée en 2022, semble aujourd’hui réexaminée par Ottawa à la lumière des tensions avec Washington depuis le retour de Donald Trump au Bureau ovale, le renouvellement de la flotte de chasse n’est toutefois pas remis en question.

futur sous-marins canadiens ? TKMS Type 212CD Marine allemande norvégienne
Vue d’artiste du Type 212 CD commandé à 6 exemplaires par la Marine norvégienne ainsi que par la Bundesmarine

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15 Commentaires

    • Bonjour
      j’ai été extrêmement occupé jusqu’à hier, car j’avais un rdv décisif pour le futur du wargame que je vous prépare. J’avoue que ce rdv s’est déroulé au-delà de mes espérances. Je reprends la production journalière à 100% à partir d’aujourd’hui. Dès que je pourrai vous en dire davantage au sujet du wargame, je le ferai. En attendant, a fond sur les articles !

  1. bon je viens d’apprendre, mais à confirmer, que dans le contrat norvegien sur les 6 fregates c’est les anglais qui ont ete choisis. si c’est le cas, c’est vraiment la mauvaise semaine et on doit grincer des dents chez NG. peut être notre ami fabrice à plus de nouvelles et va nous faire un article la dessus, des que possible, je suis un peu à la diete la …
    merci

    • je confirme. coup très dur pour NG. Mais difficile à analyser car beaucoup de parametres divergents : les deux bateaux FDI et ArrowHead 140 sont très différents, en termes de logique, de tonnage et de prix. NG croyait avoir l’avantage en étant moins cher et très performant. mais si les norvégiens veulent des ESSM/SM-2 plutot que des Aster, c’etait cuit.
      Il y a aussi la question des drones navals, sous-marins et aériens qui, à présent, redonnent de l’intérêt aux grosses coques. et comme la Norvége a augmenté ses budgets comme tous les membres de l’OTAN, le prix a peut-être perdu de sa prévalence. On verra demain si des infos émergent pour oreinter le raisonnement.

      • bonsoir fabrice, j’ai lu ce soir sur zone militaire, que la campagne de désinformation, sur les fuites du soi disant « hackage » de NG pourrait être à l’origine de leur non choix, ce qui est peut être aussi le cas sur la compétition au canada. y aurait il derriere tout cela la main de trump qui se venge du dédain de l’inde envers son F35 et qui ne voit pas notre BITD d’un bon oeil et fait tout pour la déstabiliser ?

  2. bon on peut pas tout gagner, autrement les autres seraient nuls. maintenant fabrice à évoqué plusieurs options qui expliqueraient cet échec, la piste de NG ne voulait pas y aller est forte dans le sens ou les déconvenues avec le canada (déjà il y a 35 ans) et pui celle avec l’australie l’ont échaudé. peut être leur investissememt sur leur offre n’a été que de façade pour satisfaire certains politiques. de toute façons sur des contrats aussi compliqués , ou le politique prend toujours le dessus, quelquefois il vaut mieux rester loin. je souhaite bien du plaisir à celui qui va l’obtenir et devoir construire sur place surement. le temps nous le dira ?

  3. En faisant le parallèle de l’industrie allemande du sous-marin avec l’industrie française de l’aviation qui acceptes de construire son fleuron ailleurs qu’en France …

    Suis-je le seul à bien imaginer la forme en ailes delta du prochain Tata Fighter ?
    Le Duck Windgust …

    • -1: Nous n’avons pas le choix, comme les autres, de pouvoir refuser « des transferts de techno », un terme très flou répondant d’abord à des communications politiques internes pour « vendre » ces contrats extremement onereux….Nous sommes incapable de « produire « en Fr ces volumes par manque de personnel qualifié et du fait de nos coûts directs mais aussi implicites (« pas d’usine chez nous « , »capitalisation » est un gros mot /lutte pour des fonds propres…normes ++..) surtout chez nos sous-traitant.Nous abaissons nos coûts fixes qui peuvent représenter 50 %de la valeur (R§D, proto, y compris ls échecs, amortissement,Commercial, Formations..)

      -2 Transferer en Inde ou en Indonesie ce n’est pas pareil que de transferer en Chine, à TW ou en SK car ils ont un veritable eco systeme indus et une culture industrielle (« faire »..) Il a fallu même en SK 20/25 ans pour y arriver avec les SM.L’Inde peut se comparer dans les productions « physique » a la Corée de 1985/2000, (Automobiles indiennes , électoménager,écrans plats..exportés?) handicappée aussi par la fuite des talents ,anglophone par definition, et l’attrait des secteurs plus prestigieux et rémunérateurs (inumérique , pharma)que l’industrie pour les elites techniques indiennes , à fortiori pour les autres diplomés (business /droit..)…Une bureaucratie reflet de leur histoire..Une absence de mobilité sociale, surtout dans les têtes..
      Ayant vecu tout ce cela professionellement dans tous ces pays(malheureusement..) je pense pouvoir le dire.
      A long terme bien sûr, mais pas aussi rapidement, 1 à 2 generations..30 ans

      • bonjour, si en 2000 chirac puis sarko n’avaient pas pour ainsi dire annuler le sister ship du grand charles, on aurait pas FLINGUER environ 6000 postes directs ou indirect dans la navale à brest. aujourd’hui on vient nous dire que l’on a du mal à recruter et à reconstituer un vivier professionnel dans la navale, à qui la faute. quand on a des hommes politiques tous plus nuls les uns que les autres et qui ne pensent qu’à leur petite carrière et n’ont aucune vision de l’avenir, il ne faut pas s’étonner. on nous dit qu’il nous manque 3 frégates (je souris) pour faire le contrat opérationnel de la MN , je crois rêver, on à payer 8 fremms pour le prix de 17 en sabrant dans ce qui était prévu à l’origine. de plus en utilisant un double équipage sur 4 on les usent 2 fois plus vite, super prévision, aplaudissements…

  4. Aaaahhhh la solidarité anglo-saxonne avec les five eyes…
    Du reste, on a aussi le même problème avec le Rugby, c’est pour cela que nous n’avons jamais remporté de Coupe du Monde à XV, remember 2011 !
    Bon, cette histoire de transfert de technologie avec la CdS est à méditer, nous ferons la même erreur avec l’Inde peut-être.
    Ne faisons pas de même avec les allemands pour le Scaf, les 80% sont non négociables 😉

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