Le programme des F-35A suisses a longtemps été présenté, par Berne, comme la démonstration de l’indépendance et de la rigueur helvétiques. Pourtant, depuis plusieurs mois, les révélations se succèdent, faisant peser de nombreux doutes sur la sincérité de la compétition de 2021, ainsi que sur les compétences des personnes qui ont piloté la procédure, puis les négociations contractuelles.
Après l’annonce de la victoire de Lockheed Martin, les conditions initiales tarifaires et techniques de la compétition ont été abandonnées en quelques semaines à peine, faisant passer l’enveloppe totale du programme de 4,6 à 6,1 Md CHF et réduisant le taux d’offset de 60 à 36 %. La confiance dans le processus helvétique s’en trouvait déjà sérieusement écornée.
Mais ce furent les révélations faites début 2025, concernant un nouveau surcoût budgétaire, qui firent sombrer le programme dans le chaos. En effet, en février 2025, Priska Seiler Graf, présidente de la Commission de la politique de sécurité du Conseil national, a publiquement exprimé ses inquiétudes sur l’évolution budgétaire du programme, expliquant que la clause de prix fixe, placardée par le Conseil fédéral et Armasuisse en 2021 comme un totem d’invulnérabilité pour justifier leur choix en faveur du F-35A, n’était probablement pas applicable.
Quelques mois plus tard, en juin, une enquête officielle était lancée par la Commission de gestion du Conseil national suisse à ce sujet, alors que les évaluations faites du surcoût contractuel à venir évoluaient entre 600 millions et 1,2 milliard de francs suisses.
Depuis, les autorités suisses ont publiquement reconnu que cette clause « magique », permettant à Berne d’acquérir des F-35A à 79 M$ via le FMS alors que le Pentagone lui-même les achètera plus de 90 M$ en 2028, n’était pas applicable, entraînant une crise politique encore en gestation dans le pays.
Et les choses pourraient bien empirer. En effet, dans le cadre des négociations concernant le lot 18 du Lightning II, Lockheed Martin et le Pentagone ont convenu que le prix d’achat du F-35A dépasserait sensiblement l’hypothèse haute de 94 M$ par appareil, utilisée pour évaluer le surcoût maximal de 1,2 Md CHF pour la Confédération helvétique en exécution du programme.
Nul doute que ce constat va encore causer bien du tracas au Conseil fédéral, qui se démène depuis des semaines pour empêcher l’organisation d’une nouvelle votation qui l’obligerait, en cas de rejet, à annuler strictement le programme, exposant Berne à de sévères pénalités contractuelles et à l’ire de Washington.
Sommaire
L’affaire des F-35A Suisses se transforme en crise politique
L’affaire du F-35A en Suisse, longtemps présentée comme un choix technique rationnel et budgétairement sûr, s’est progressivement muée en une véritable crise politique depuis le début de l’année 2025. En effet, les révélations successives autour du contrat ont mis en lumière des écarts abyssaux entre les promesses faites lors de la sélection en 2021 et la réalité constatée quatre ans plus tard.

À l’origine, la décision du Conseil fédéral, en juin 2021, de choisir le F-35A de Lockheed Martin plutôt que le Rafale, l’Eurofighter Typhoon ou le Gripen E, avait été justifiée par un prix unitaire particulièrement compétitif (79 M$ par appareil), une enveloppe globale maîtrisée (6 Md CHF) et un package opérationnel prétendument complet, incluant formation, munitions et maintenance. Armasuisse avait alors souligné que l’offre américaine était « la seule capable de répondre à l’ensemble des critères techniques et financiers fixés par le cahier des charges ».
Or, dès 2023, plusieurs signaux d’alerte ont commencé à apparaître. Le Contrôle fédéral des finances (CDF) avait relevé que la clause dite de “prix fixe” n’était en réalité pas contraignante, puisqu’elle dépendait des négociations annuelles entre le Pentagone et Lockheed Martin dans le cadre des Low Rate Initial Production Lots. En janvier 2025, le Conseil fédéral a dû reconnaître publiquement que cette clause ne s’appliquerait pas, ouvrant la voie à un surcoût estimé entre 600 M et 1,2 Md CHF. Pour la Neue Zürcher Zeitung, « jamais depuis l’achat des Gripen en 2014 un programme aérien n’avait autant fragilisé la crédibilité du gouvernement face à son électorat ».
À ces dépassements s’ajoutent d’autres problèmes structurels, comme la réduction drastique des stocks de munitions et de pièces détachées, volontairement fixés en deçà du seuil opérationnel requis, afin de rester dans l’enveloppe autorisée par la votation populaire de 2020. De plus, la clause d’offset industriel, initialement fixée à 60 % de retombées en Suisse, a été révisée unilatéralement à 31 % sans qu’aucune pénalité ne soit appliquée aux États-Unis. Selon Le Temps, « la réduction des compensations industrielles constitue un recul majeur pour l’économie helvétique, d’autant plus qu’elle prive le pays d’une partie du transfert technologique promis ».
Dans ce contexte, l’imposition récente par Washington de droits de douane de 39 % sur certains produits suisses a encore amplifié le malaise. Pour Politico Europe, « l’affaire du F-35 concentre désormais toutes les frustrations suisses face à une relation asymétrique avec Washington, où Berne paie le prix fort sans garantie de retour ».
Sans surprise, la confiance de la population s’érode rapidement. Plusieurs sondages réalisés début 2025 montrent que le soutien au programme F-35 ne dépasse plus 30 % de l’opinion publique, alors qu’il avoisinait 50 % en 2021. Pour la RTS, « le F-35 est devenu l’illustration d’une fracture entre élites politiques et opinion publique, rappelant les débats enflammés autour des Gripen dix ans plus tôt ». Dès lors, les appels à une nouvelle votation se multiplient, sur la base de l’argument selon lequel le mandat de 2020 – acheter une flotte pour 6 Md CHF – ne peut manifestement plus être respecté.
Les F-35A du lot 18 seront 7,5 M$ plus chers que prévu
Le scandale déjà lourd entourant l’achat des 36 F-35A suisses pourrait bien connaître un nouveau rebondissement. Jusqu’ici, l’augmentation de l’enveloppe budgétaire était évaluée à une fourchette comprise entre 600 M et 1,2 Md CHF, calculée sur la base d’un prix unitaire allant de 86 à 94 M$ par appareil, contre les 79 M$ retenus pour l’estimation initiale en 2021. Cette réévaluation constituait déjà une violation manifeste du cadre fixé par la votation populaire de 2020, qui avait strictement plafonné les dépenses à 6 Md CHF.

Or, les données récemment publiées par le Pentagone et confirmées par Lockheed Martin pour la tranche de production LRIP 18 – celle qui concerne directement la Suisse – aggravent encore cette équation. Selon le contrat signé début 2025, le prix de base d’un F-35A est fixé à 81,2 M$… sans moteur. Avec l’ajout du turboréacteur Pratt & Whitney F135, indispensable au fonctionnement de l’appareil, le prix réel grimpe à 101,5 M$. Ainsi, le coût unitaire dépasse de 7,5 M$ la fourchette haute des estimations précédentes, et creuse mécaniquement l’écart budgétaire pour Berne (Defense News).
En d’autres termes, le surcoût global pourrait flirter non plus avec 1,2 Md CHF mais avec 1,8 Md CHF, soit 30 % de dépassement par rapport au plafond fixé en 2020. À cela s’ajoutent les coûts différés, jusqu’ici volontairement exclus du contrat helvétique : munitions air-air et air-sol, stocks de pièces détachées et réserves logistiques. Pour Breaking Defense, « le contrat suisse repose sur une illusion comptable : les chiffres initiaux ne prenaient pas en compte les dépenses incontournables liées à l’opérationnalisation de la flotte ».
Ce différentiel est d’autant plus problématique qu’il révèle l’asymétrie des négociations. Le Pentagone, principal acheteur du F-35 avec plus de 1 700 appareils prévus, obtient un tarif globalement plus avantageux que celui consenti à la Suisse. Selon un rapport du Government Accountability Office (GAO), « les acheteurs étrangers du F-35 paient en moyenne un prix supérieur de 10 à 15 % à celui des lots destinés à l’US Air Force, en raison des marges contractuelles et des frais logistiques ajoutés par le FMS ». Autrement dit, loin d’avoir bénéficié d’une négociation privilégiée, la Suisse se retrouve à payer plus cher que le Pentagone, malgré son statut de partenaire occidental fidèle.
Dans un pays où la culture politique repose largement sur la transparence et la responsabilité budgétaire, cette révélation alimente la colère de l’opinion publique. Comme le souligne Le Temps, « l’argument du prix, central dans la justification du choix du F-35, s’effondre désormais sous le poids des chiffres, plaçant le Conseil fédéral dans une position intenable ». Plusieurs parlementaires de l’Union démocratique du centre (UDC) et du Parti socialiste ont déjà demandé la convocation d’une commission d’enquête pour vérifier la sincérité des données transmises en 2021 par Armasuisse et par Lockheed Martin.
En conséquence, si Berne persiste à maintenir le cap, l’achat des 36 F-35A pourrait non seulement coûter 1,8 Md CHF de plus que prévu, mais aussi nécessiter l’ajout de crédits complémentaires pour intégrer les munitions et le soutien logistique. Pour la Neue Zürcher Zeitung, « la Suisse est confrontée à un dilemme : violer le mandat populaire de 2020 en augmentant l’enveloppe, ou se retrouver avec une flotte de chasse sous-équipée, incapable de remplir ses missions ».
Prolongement des F/A-18 suisses : cacophonie entre le Conseil fédéral et l’état-major
Face à l’explosion annoncée du coût du programme F-35A, une question centrale agite désormais le débat helvétique : fallait-il réellement exclure d’emblée la prolongation des F/A-18 Hornet actuellement en service ? Pour le Conseil fédéral et le ministre de la Défense Martin Pfister, la réponse est claire : non seulement une telle prolongation serait trop coûteuse, mais elle exposerait la flotte à une obsolescence technique et à une perte progressive de fiabilité, augmentant le risque d’accidents.

Le gouvernement a martelé à plusieurs reprises que « le calendrier de retrait des F/A-18 est incompressible », et qu’au-delà de 2030, la flotte serait « structurellement incapable de remplir les missions de police du ciel » (Conseil fédéral).
Pourtant, cette ligne officielle se heurte à une contestation de plus en plus visible. En juillet 2025, lors d’une séance à huis clos de la Commission de sécurité du Conseil national, le chef d’état-major des forces aériennes, le général Peter Merz, aurait tenu un discours radicalement différent. Selon plusieurs sources parlementaires citées par la Neue Zürcher Zeitung, il aurait affirmé que « la prolongation des Hornet était techniquement possible et déjà pratiquée par d’autres pays alliés, y compris aux États-Unis ». Une telle extension, selon lui, permettrait de redonner jusqu’à 1 000 heures de vol supplémentaires aux cellules et aux moteurs General Electric F404, repoussant l’horizon de retrait vers 2035.
De fait, l’US Navy et l’US Marine Corps ont déjà recours à ce type de prolongation de potentiel pour leurs propres flottes de Hornet et de Super Hornet, afin de combler les retards du F-35C. Selon un rapport du Government Accountability Office, « la prolongation de la durée de vie des cellules est une pratique courante, qui permet de maintenir en ligne des appareils éprouvés à moindre coût par rapport à l’acquisition d’une nouvelle flotte ». Le Canada lui-même, voisin immédiat de la Suisse au sein de NORAD, a décidé en 2022 de prolonger ses CF-18 jusqu’en 2032, avant la livraison progressive de ses propres F-35 (Defense News).
Cette cacophonie révèle l’ampleur du malaise institutionnel. Car si la prolongation des Hornet est bel et bien envisageable sur le plan technique, elle dépend d’une autorisation américaine pour l’exportation des kits de prolongation et la certification des structures rénovées. Dans le climat actuel de tensions commerciales, marqué par l’imposition de droits de douane de 39 % contre la Suisse, rien ne garantit que Washington accepterait d’accorder ces autorisations si Berne décidait d’annuler le contrat F-35A. Pour Le Temps, « la Suisse se retrouve prisonnière de son choix : même l’alternative technique des Hornet dépend de la bonne volonté des États-Unis ».
Ainsi, la controverse autour des F/A-18 illustre un double paradoxe. D’une part, les autorités politiques justifient l’achat du F-35 en invoquant l’absence d’alternative crédible, alors même que l’état-major affirme le contraire. D’autre part, même si cette alternative était retenue, elle ne serait pas synonyme d’autonomie : la prolongation des Hornet helvétiques dépendrait elle aussi du feu vert de Washington. Pour RTS Info, « le débat n’oppose pas une solution américaine à une option suisse, mais deux solutions qui impliquent, dans tous les cas, la dépendance vis-à-vis des États-Unis ».
L’annulation du contrat F-35A entraînerait de lourdes pénalités contre la Confédération helvétique
Outre la hausse encore plus importante de l’enveloppe nécessaire à l’acquisition des 36 F-35A à périmètre constant, évoquée précédemment, une autre crise couve dans le pays, autour de ce contrat.

En effet, si les clauses garantissant, soi-disant, le prix d’achat des appareils et l’enveloppe globale du contrat passé entre Berne et le FMS ne sont plus d’actualité, les clauses de pénalité, en cas d’annulation de la commande ou de simple réduction de volume, prévues par le contrat, sont quant à elles bel et bien valides et applicables.
En d’autres termes, toute évolution du périmètre contractualisé dans ce contrat exposera la Confédération helvétique à de lourdes sanctions, qui viendraient encore alourdir le coût de l’opération. Et ce, même si cette transformation contractuelle résultait du non-respect par les États-Unis des clauses tarifaires que l’on sait à présent parfaitement indicatives, sans la moindre contrainte applicable en cas de non-respect.
Dans les procédures américaines Foreign Military Sales (FMS), le document juridique clé est la Letter of Offer and Acceptance (LOA). Or, la réglementation FMS précise explicitement que « le client étranger accepte la responsabilité des coûts de résiliation, y compris les frais de décommande auprès de la chaîne de sous-traitance », lorsque l’acheteur réduit, modifie ou annule la commande initiale (DSCA – Security Assistance Management Manual).
Autrement dit, même si la Suisse baisse le volume ou étale les livraisons, elle s’expose mécaniquement à des termination liabilities (frais de résiliation), à des charges sur coûts non récurrents (NRE) déjà engagés, et à des pénalités liées aux long-lead items commandés par le Pentagone pour le compte des clients FMS.
En outre, la Cour des comptes américaine (GAO) rappelle régulièrement que la répartition des coûts entre l’US DoD et les clients FMS intègre des marges et frais spécifiques (logistiques, gestion, revente), ce qui explique pourquoi les prix FMS sont typiquement supérieurs aux prix « US DoD » et se renchérissent encore en cas de reprogrammation ou d’annulation partielle. « Les clients FMS supportent des coûts additionnels (soutien, gestion, stocks), lesquels augmentent sensiblement lorsque la configuration ou le calendrier sont modifiés » (GAO). De fait, une renégociation helvétique pour réduire la cible de 36 appareils déclencherait vraisemblablement ces mécanismes, ajoutant des millions de dollars de frais administratifs et contractuels.
Par ailleurs, le Contrôle fédéral des finances (EFK) a lui-même alerté, dès 2023, sur la nécessité de provisionner des risques contractuels dans les grands achats d’armement, citant les aléas de change CHF/USD, l’inflation américaine de la base industrielle et la volatilité des lots de production du F-35 comme facteurs de dépassement exogènes à la Suisse. En conséquence, une tentative d’adaptation du contrat exposerait non seulement Berne aux pénalités FMS, mais aussi à un renchérissement par effets de change et d’inflation si les livraisons sont repoussées au-delà des fenêtres initiales.
D’autre part, les éléments non inclus dans l’enveloppe initiale – munitions, pièces de rechange, infrastructures et moyens de soutien – ne sont pas « optionnels » au sens opérationnel. Breaking Defense l’a souligné : « les chiffres de base, dans plusieurs contrats F-35, n’intégraient pas les dépenses incontournables de mise en service et de soutien, ce qui aboutit à une illusion budgétaire initiale ». Ainsi, si la Suisse souhaitait « corriger » la configuration pour la rendre opérationnelle, elle devrait de toute manière contracter ces volumes de soutien… qui, en cas de modification du LOA, déclencheraient aussi des frais connexes FMS.
En outre, la question des compensations industrielles (offsets) complique juridiquement toute renégociation. L’engagement public initial de 60 % d’offsets a été, de fait, révisé à 31 % sans pénalité apparente. Le Temps relevait que « la réduction des compensations industrielles constitue un recul majeur pour l’économie helvétique », et qu’un retour en arrière serait, à ce stade, très difficile sans rouvrir l’intégralité du montage contractuel. Dès lors, un retrait, même partiel, exposerait Berne à la fois aux pénalités FMS et au risque de perdre les (déjà modestes) retombées industrielles actées.

Enfin, le contexte politique bilatéral pèse lourd. L’imposition récente de droits de douane américains de 39 % sur certains produits suisses a détérioré le climat. Politico Europe notait que « l’asymétrie dans la relation crée un contexte peu propice aux ‘gestes commerciaux’ de Washington ». En conséquence, espérer un « accommodement » américain sur des frais de résiliation FMS, alors même que la Maison-Blanche durcit sa ligne commerciale, relève probablement du vœu pieux.
Ainsi, la fenêtre d’action juridique de la Suisse apparaît doublement contrainte : par le droit FMS américain, extrêmement protecteur des intérêts du Pentagone et de sa supply-chain, et par les engagements et annonces publiques helvétiques (prix, offsets, calendrier), désormais difficilement révisables sans coûts politiques et financiers majeurs. Pour la Neue Zürcher Zeitung, « Berne fait face à un dilemme binaire : assumer des dépassements et des crédits complémentaires, ou supporter des pénalités et un risque stratégique de rupture capacitaire ».
Dès lors, le choix de « tenir le cap » – malgré l’explosion des coûts – n’est pas seulement un pari budgétaire ; c’est, surtout, la reconnaissance implicite de l’alignement contractuel et politique qui lie désormais la Suisse au cadre FMS américain.
Pour le Conseil fédéral, il faut à tout prix empêcher l’organisation d’une nouvelle votation
Entre une opinion publique de plus en plus hostile au programme et des appels croissants, émanant aussi bien de la classe politique que des médias, en faveur d’une nouvelle votation, le Conseil fédéral helvétique se retrouve dans une position de plus en plus intenable.
En effet, la démocratie suisse repose sur un principe cardinal : les décisions de politique publique majeures, lorsqu’elles dépassent un seuil budgétaire ou stratégique, peuvent être soumises à référendum. Or, en septembre 2020, les électeurs n’avaient approuvé le principe d’un nouvel avion de combat qu’à une majorité extrêmement ténue, de 50,1 %, avec une enveloppe rigoureusement plafonnée à 6 Md CHF (Administration fédérale suisse – résultats 2020). Tout dépassement de ce cadre sape mécaniquement la légitimité du programme.

Ainsi, plusieurs formations parlementaires, allant du Parti socialiste (PS) aux Verts, en passant par une partie de l’UDC, ont déjà appelé à une nouvelle votation. Comme l’a rappelé Le Temps, « l’argument est imparable : le mandat de 2020 a été donné pour une enveloppe fixe, or celle-ci ne peut manifestement plus être respectée ». Les sondages publiés début 2025 confirment d’ailleurs que moins de 30 % des Suisses soutiennent encore l’acquisition du F-35A, un effondrement spectaculaire par rapport au quasi-équilibre de 2020 (RTS Info).
En conséquence, la priorité du Conseil fédéral est désormais claire : éviter qu’une telle consultation n’ait lieu, car elle conduirait quasi certainement à un rejet du programme. Pour cela, l’exécutif multiplie les manœuvres juridiques et politiques. D’une part, il argue qu’une nouvelle votation serait « redondante », puisqu’un mandat populaire a déjà été donné en 2020, même si les conditions financières ont changé. D’autre part, il cherche à obtenir du Parlement des crédits complémentaires pour absorber les dépassements de coûts, en évitant toute remise en question du contrat signé avec Washington.
Cependant, cette stratégie comporte ses propres contradictions. Pour La Tribune de Genève, « refuser une nouvelle votation au motif qu’une décision a déjà été prise revient à nier le principe même de démocratie directe, qui est pourtant au cœur du système politique suisse ». De nombreux constitutionnalistes estiment que la modification substantielle des paramètres financiers constitue précisément un cas où la souveraineté populaire doit être de nouveau consultée.
En outre, le risque d’un passage en force politique est double. D’une part, il pourrait déclencher une crise institutionnelle, opposant le Conseil fédéral au Parlement ou même aux cantons. D’autre part, il minerait durablement la confiance des citoyens dans les institutions. Comme l’a souligné la Neue Zürcher Zeitung, « l’obstination du Conseil fédéral à éviter une nouvelle consultation transforme une affaire d’armement en crise de confiance démocratique ».
Dès lors, le Conseil fédéral joue une partie à haut risque. S’il parvient à convaincre le Parlement d’autoriser des crédits supplémentaires, il pourra peut-être sauver le programme à court terme, tout en évitant un scandale politique immédiat. Mais si les pressions populaires continuent de croître, il sera de plus en plus difficile de contenir l’exigence d’un nouveau référendum.
Ainsi, la Suisse se trouve confrontée à une équation inédite : maintenir coûte que coûte le programme F-35A, au prix d’un passage en force politique, ou accepter de rouvrir le débat populaire, au risque de voir s’effondrer une décision stratégique prise il y a quatre ans. Dans les deux cas, les conséquences pour la crédibilité institutionnelle et la posture de défense de la Confédération sont considérables.
Conclusion
Au terme de cette analyse, il apparaît clairement que l’acquisition des 36 F-35A par la Suisse, présentée en 2021 comme une décision rationnelle, budgétairement maîtrisée et opérationnellement cohérente, s’est transformée en une crise politique et institutionnelle d’une ampleur inédite. Les promesses initiales – prix fixe, compensation industrielle de 60 %, stocks suffisants de pièces et de munitions – se sont toutes progressivement effondrées, laissant place à une réalité marquée par les surcoûts, la dépendance contractuelle au cadre FMS américain et l’absence de marges de manœuvre pour le Conseil fédéral.

En effet, les révélations de 2025 concernant la hausse du prix unitaire des appareils, qui pourrait porter le dépassement total à près de 1,8 Md CHF, les clauses de pénalités impossibles à contourner en cas de renégociation, ainsi que les divisions entre le gouvernement et l’état-major au sujet de la prolongation des F/A-18, ont mis en lumière une contradiction fondamentale : loin de renforcer l’autonomie stratégique de la Suisse, ce contrat l’a au contraire placée dans une dépendance structurelle vis-à-vis de Washington. La tentative actuelle de contenir le débat en évitant une nouvelle votation ne fait que renforcer l’impression d’un passage en force, minant durablement la confiance entre citoyens, institutions et forces armées.
Ainsi, ce qui devait constituer une vitrine de rigueur helvétique est devenu un révélateur de fragilités profondes : fragilité des procédures d’évaluation, fragilité de la négociation contractuelle, fragilité, enfin, d’un exécutif pris en étau entre la pression américaine et une opinion publique désormais majoritairement hostile. Comme l’a souligné la Neue Zürcher Zeitung, « l’affaire du F-35 n’est plus un débat technique, mais une crise de légitimité politique ».
Dès lors, une chose est certaine : la compétition pour le remplacement des F/A-18, souvent citée comme exemplaire par ses promoteurs et même par Lockheed Martin dans son communiqué de victoire, apparaît aujourd’hui comme une procédure partiale, où les biais de confirmation ont côtoyé une certaine incompétence dans l’élaboration des documents contractuels, sur fond d’une manipulation politique difficile à nier.
La véritable question, désormais, est de savoir si cette affaire conduira la Suisse à repenser en profondeur ses méthodes d’évaluation et de décision en matière d’achats stratégiques, ou si elle se contentera de gérer au coup par coup les conséquences financières, militaires et institutionnelles d’un choix qui, en l’état, compromet autant sa crédibilité budgétaire que sa souveraineté stratégique.
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Bonjour,
quid des autres clients européens ??? RU, Allemagne et autres…. Sont ils soumis aux mêmes contrats / perte de change ? ou les Suisses auraient-ils mal négocié le contrat ?
Il est incroyablement compliqué de juger du contrat en question sachant que pour les 36 avions il y a 6.1 milliard de Francs Suisse (faites le calcul). On parle de 100 millions par avion, soit, mais quelle est la quantité des pièces de rechange, des munitions (je sais qu’elle est ridicule), de la durée du support par LM, les simulateurs, le segment sol avion ….
C’est pour cela que parler de prix unitaire pour ce contrat ne vaut rien en comparaison avec le prix unitaire d’un Rafale par exemple. Il faudrait connaitre le prix des armements, des PODs s’il y en a, le prix de la MCO, le prix du segment sol (SIMU, Maintenance, PRMISS….etc), le prix de l’assistance technique de LM et sa durée…..
Il devait y avoir une carotte à l’époque devant les suisses, maintenant il n’est pas impossible qu’elle se retrouve derrière eux et c’est du beau légume bien gros!
Bonjour,
Peut-être idiote ma remarque mais qu’attends Dassault pour influencer l’opinion helvétique en son sens ?
La quasi parité de 2020 concernait l’achat d’une flotte de chasseur pas une flotte de F35 en particulier et surtout à un prix fixé dans la consultation.
Comme indiqué dans un précédent article, je pense que ça ne changera rien. On peut toujours y croire, mais il serait bien que l’on se focalise aussi sur nos développements. Il me semble que l’on fait face à des défis sérieux chez nous, qu’il s’agisse du budget, des problèmes démographiques, du SCAF et plus généralement de la politique française qui a sombré dans la médiocrité. Le niveau du corps électoral, sans aucune vision du collectif est aussi effroyablement bas. Nous ne sommes en rien dignes de ceux qui ont fait la France. Avec un tel niveau d’égoïsme collectif, une absence généralisée d’amitié, c’est quoi la France? Une somme d’égoïsmes moisis? Notre pays nous dégoûte encore plus que les décisions consternantes de la Suisse. Au fait, un paradis fiscal n’existe que grâce à la corruption des élites des pays voisins. Et on ne peut pas dire que nos décideurs économiques brilllent. On nous propose de les remplacer par d’autres qui n’annoncent rien de positif, mis à part le fait qu’ils veulent eux aussi croquer dans le gâteau. À quand des politiques dotés d’une colonne vertébrale? Il y a une génération de politiques qui sont tout simplement foutus, qui ne servent à rien. On voit mal la relève émerger. C’est désespérant. Parce que le corp électoral ne le permettra pas. Le problème vient donc d’une paresse et un goût du lucre au sommet, encouragé par la médiocrité de la base. Richesse facile et oisiveté contre irresponsabilité collective… tout cela a un nom: décadence.
L’un des meilleurs articles que j’ai pu parcourir sur le sujet… Lors du choix du F-35 par la Suisse, les arguments avancés par les autorités étaient tellement hors sol que beaucoup d’observateurs n’ont pas cru une seule seconde que le choix en question ait été fait sans pressions US. La simple lecture des articles de presse / blog parus durant les décennies précédentes aurait suffi à voir quels dysfonctionnements et surcoûts cet appareil traînait derrière lui (cf. site https://saga-f35.fr recensant plus de 5 900 articles sur le sujet et les compétiteurs Rafale / Eurofighter / Gripen). A croire que les autorités suisses, politiques et militaires, n’effectuaient aucune veille technologique…
Bonjour à tous. Est-il envisageable que la Suisse commande ses F35 et les revende dans la foulée à un pays qui ne souhaite pas attendre les délais de fabrication? Cela réduirait peut être la perte (par rapport à un abandon ou une réduction du volume) et leur permettrait d’acheter un avion européen plus adapté à la patrouille du ciel.
Non, il faut l’accord du vendeur, et ça je suis à peu près certain que c’est au contrat car c’est de l’armement.
On a une idée de combien couterait l’annulation ?
C’est équivalent aux surcoûts ou c’est moins ?
Non, le passage au nouveau moteur n’est pas intégré dans le coût initial, mais dans les surcoûts… ce qui est inadmissible… certains avions seront fabriqués avec l’ancien moteur alors que le nouveau sera déjà disponible… Franchement, je pense que la seule manière pour les suisses de se sortir de cette arnaque (au sens contractuel du terme) financière. c’est de se limiter à l’achat simple des avions pour limiter au max les pénalités, puis de les revendre à neuf aux pays qui veulent étendre leur flotte…. Et acheter autre chose… idéalement ITAR Free pour tendre bien haut un gros doigt à Trump…
Acheter des avions de chasse sans moteur ni munitions ! On dirait une histoire belge… Et pourtant, il s’agit bien de la Suisse, non ?
(pardon à nos amis belges)
Coluche:
Monsieur, vous faites toute une publicité aux Belges, tout ça. Alors que nous on a les Suisses-Allemands, y sont largement aussi c….
Effectivement le contexte politique semble tel qu’ on imagine mal les USA faire preuve de » mansuétude » ou de » bienveillance » – mots n’ appartenant pas au vocabulaire des relations internationales- envers la Suisse
Ce qui est certain, c’ est que l’ opinion publique suisse va se dresser, non seulement contre ses dirigeants pour les raisons exposées plus haut, mais aussi contre un « Allié « qui se comporte plus comme un ennemi que comme un ami
Ce ressentiment anti américain que les pseudo- élites européennes – Ah l’ inénarrable secrétaire général de l’ Otan!- ne perçoivent pas va accentuer le découpage USA- Europe
Il y a vraiment deux mondes occidentaux même si beaucoup de fidèles serviteurs de l’ Amérique ne s’ en rendent pas compte.
reconnaissons que personne, ni Biden, mi Obama, ni Trump, ne prendrait le risque de faire payer l’US Air Force (c’est elle qui achète les avions initialement) 15 m$ par F-35A livrés à la Suisse, surtout que ce serait totalement illégal dans le fonctionnement du FMS. La clause de garantie de prix aurait eu un sens si elle avait été signée par Lockheed. Mais avec le FMS, ce ne pouvait être que du vent.
Les mots me manquent tant les suisses se font enfler par tous les cotés , le contrat est diabolique ils sont prisonniers quoi qu’il arrive , et très certainement qu’avant la livraison les coûts augmenteront encore , c’est vraiment incroyable que l’administration suisse ai laissé passé de telles conditions , comment ne pouvaient ils pas se douter des conséquences possible ( probables ) et s’ils s’en doutaient on est limite procès pour les protagonistes signataires
D’ailleurs il me semble que le Block 4 necéssittera un moteur plus puissant , est ce déja intégré dans les coûts ? car si les premiers avions sont livrés avec le moteur actuel ils seront soit bloqués au niveau évolution soit il faudra encore remettre au pot et pas qu’un peu , quelqu’un peut il m’éclairer sur le sujet ?
non les nouveaux moteurs ne sont pas intégrés et il faudra remetrre au pot mais fabrice pourra peut être le confirmer, ou pas ?
Je confirme, ils ne le sont pas. Cela dit, ce n’est pas l’option « nouveau moteur » qui a été retenue par l’USAF, juste un F-135 survitaminé. Mais de là à penser que cela coutera moins cher …. je ne m’y risquerais pas. Je ne serais pas surpris qu’en 2030/2031, le passage du F-135 mk1 au F-135 mk2 coute le même prix que le F-135 mk1 aujourd’hui (autour de 20 m$)
oui he bien nous en avons déjà parlé et on ne va pas pleurer non plus sur leur sort ! je pense qu’il serait vraiment intérressant (mais je ne suis pas suisse ) de mettre en place une comission d’enquête et de convoquer les personnes en charge de cet appel d’offre, ou tout à été trafiqué pour endre le f35 , soi disant le meilleur ! heures de vol sur simulateur, munitions manquantes, pieces de rechanges idem, retombes économiques en berne (sans faire de jeu de mots) et prix de base 25% plus cher. super négociation en effet, manquerait plus qu’il y ai eu des pots de vin pour couronner le tout. la suite va être passionnante vu de chez nous …
les pressions sur la patente dollars de l’UBS ont été ultra violente CQFD