[INVITÉ] France 1966, Grèce 1974 : ce que révèlent deux « retraits » sur les limites de l’OTAN — et sur le chemin de l’Europe vers une véritable autonomie
Introduction : Fissures dans l’édifice occidental
Depuis sa fondation en 1949, l’OTAN a été la pierre angulaire de la sécurité européenne, projetant une unité face aux menaces extérieures et inscrivant le leadership américain au cœur de la défense transatlantique. Pourtant, à deux reprises dans l’après-guerre, des alliés proches se sont retirés de sa structure de commandement militaire d’une manière qui a ébranlé l’alliance et révélé ses limites.
En 1966, la France de Charles de Gaulle a réaffirmé sa souveraineté en forçant le siège de l’OTAN à quitter son territoire. Moins d’une décennie plus tard, la Grèce a suspendu sa participation au commandement intégré de l’OTAN après que l’alliance eut échoué à empêcher l’invasion turque à Chypre.
Ces deux épisodes montrent comment les États européens ont tenté de concilier fidélité à l’OTAN et exigence d’indépendance stratégique. Ils portent également des leçons pressantes pour aujourd’hui, alors que l’Europe doit composer avec les incertitudes de la politique américaine et la nécessité de bâtir une capacité de défense crédible au sein de l’Union européenne.
Sommaire
La France de De Gaulle : la souveraineté avant tout
En 1966, de Gaulle stupéfia ses alliés en annonçant le retrait de la France du commandement militaire intégré de l’OTAN. Son gouvernement ordonna le départ des états-majors alliés et des forces étrangères du territoire français, contraignant l’OTAN et le SHAPE à déménager de Paris à Bruxelles.
La France ne quitta pas l’OTAN en tant que telle, mais insista sur sa pleine souveraineté, notamment en matière de dissuasion nucléaire. Pour de Gaulle, l’OTAN était devenue une extension du pouvoir de Washington, avec le risque d’entraîner l’Europe dans des guerres américaines telles que celle du Vietnam.
En affirmant le contrôle sur ses forces et en développant la force de frappe, il proclama la volonté de la France de défendre l’Occident — mais uniquement selon ses propres termes.
La Grèce et la crise chypriote : un retrait d’un autre ordre
Huit ans plus tard, la Grèce emprunta une voie similaire, mais pour des raisons très différentes. En août 1974, à la suite de l’invasion turque de Chypre, Athènes retira ses forces du commandement intégré de l’OTAN. Contrairement à la France, la Grèce n’avait ni ambitions mondiales ni arsenal nucléaire.
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Son retrait fut un acte de protestation, né de la frustration face à l’incapacité de l’OTAN et des États-Unis à contenir la Turquie. Le message était clair : les préoccupations sécuritaires grecques ne pouvaient être subordonnées à la politique de l’alliance. Cette position ne fut cependant que temporaire.
En 1980, dans une logique de stabilisation régionale, la Grèce réintégra la structure de commandement de l’OTAN. La France, elle aussi, y reviendrait en 2009.
Ce que ces retraits ont révélé de l’OTAN
Ces départs soulignent à la fois la résilience et les angles morts de l’OTAN. L’alliance survécut sans que sa troisième armée en importance ne soit pleinement intégrée, et elle résista au retrait d’un allié du flanc sud au plus fort des tensions de la Guerre froide. Cette élasticité témoigna de la solidité de l’OTAN. Mais ces retraits mirent également en lumière des limites structurelles.
Conçue pour dissuader l’Union soviétique, l’OTAN échoua à gérer des différends intra-alliés comme Chypre ou à accommoder les exigences de souveraineté des grandes puissances. Lorsque les intérêts nationaux se heurtèrent aux procédures de l’OTAN ou au leadership américain, les alliés choisirent l’autonomie, démontrant que la cohésion de l’alliance repose autant sur la politique que sur les structures de commandement formelles.
Enseignements pour aujourd’hui
Ces ruptures historiques résonnent encore aujourd’hui. L’OTAN demeure l’ancre de l’Europe, mais la dépendance au leadership américain comporte des risques croissants. Les vents changeants de la politique américaine, oscillant entre solidarité et approche transactionnelle, créent une incertitude sur les engagements de long terme. La guerre en Ukraine a encore accentué la dépendance européenne aux moyens américains, qu’il s’agisse de capacités industrielles, de stocks ou de moyens de soutien.
L’Union européenne a commencé à remédier à ces vulnérabilités, en lançant la Stratégie industrielle de défense européenne, en élargissant la production à travers des initiatives comme l’ASAP (Act in Support of Ammunition Production) et en approfondissant la coopération à travers la Boussole stratégique et la PESCO. Ces mesures produisent déjà des résultats, mais elles demeurent embryonnaires au regard de l’ampleur des besoins.
Construire un pilier européen plus fort
Les leçons de 1966 et 1974 suggèrent que l’Europe doit cultiver la capacité d’agir avec les États-Unis lorsque cela est possible, et sans eux lorsque cela est nécessaire. Aujourd’hui, cela implique de transformer les initiatives industrielles de l’UE en contrats de production durables, assurant un flux continu de munitions et d’intercepteurs de défense aérienne.

Cela suppose aussi que les projets de la PESCO débouchent sur des formations réellement déployables et non sur de simples cadres théoriques. Cela exige la constitution de stocks, de mécanismes de soutien et de structures de commandement qui offrent à l’Europe des options opérationnelles véritables, indépendantes de Washington. Surtout, cela requiert la volonté politique de financer ces capacités de façon cohérente, et non de les traiter comme des réponses ponctuelles aux crises.
Conclusion : Compléter, non remplacer
L’insistance de De Gaulle sur la souveraineté et la protestation grecque à propos de Chypre rappellent toutes deux que l’OTAN ne peut, à elle seule, répondre à l’ensemble des ambitions stratégiques européennes. L’alliance demeure indispensable, mais elle ne saurait se substituer à l’action politique ou à la puissance industrielle de l’Europe.
Pour naviguer dans une ère de rivalité accrue entre grandes puissances et d’incertitudes américaines, l’Europe doit bâtir une posture de défense qui complète l’OTAN tout en lui conférant l’autonomie nécessaire pour agir seule lorsque les circonstances l’exigent. Le lien transatlantique reste l’ancre de la sécurité européenne, mais seule une quille européenne renforcée permettra de maintenir le navire stable lorsque les vents atlantiques se mettront à souffler.
Ioannis Sidiropoulos, LL.M (LSE, UvA), avocat, chercheur universitaire non-résident, Académie diplomatique de l’Université de Nicosie, chercheur senior, Strategy International Think Tank
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L’Otan est il un plan Marshall militaire longue durée, on peut le croire vu les achats des membres de l’Otan aupres des industriels américains?
en cas de conflit Grêce / Turquie, la Grece peut solliciter l’UE qui a un article prévoyant une assistance mutuelle mais quelle est sa valeur ?
Tout cela est fort intéressant et fort bien écrit mais l’ auteur pense t’ il que le Président des USA partage son analyse sur le lien transatlantique, ancre de la sécurité européenne ?
Croire que la Présidence Trump n’ est qu’ un mauvais moment à passer et qu’ après, tout ira mieux me semble une attitude périlleuse.
Les idées de Monsieur Trump rejoignent celles de ses prédécesseurs qui se sont focalisés sur l’ Indo Pacifique et la » compétition stratégique » avec la Chine.
Pour les USA, l’ Europe affaiblie par une démographie vieillissante et une immigration africaine incontrôlée n’ est plus qu’ un marché dont ses industries de défense doivent profiter tant qu’ elle est solvable…
Quant à la Grèce, est elle sûre de bénéficier.du soutien américain en cas de nouveaux problèmes avec la Turquie de M.Erdogan?