[ANALYSE] De la théorie des dominos à la contagion des conflits : un risque systémique mondial en 2026-2030

Formulée pour la première fois en 1954 par le président Eisenhower, la théorie des dominos affirmait qu’un pays basculant dans le communisme risquait d’entraîner ses voisins dans la même direction. Intégrée à la doctrine d’endiguement de Truman, cette idée devint l’un des fondements de la politique américaine en Asie et justifia, notamment, l’engagement militaire au Vietnam.

Ses partisans soulignaient la réalité d’une contagion idéologique qui accompagna la progression de régimes communistes en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Ses détracteurs rétorquaient au contraire que ce fut moins l’attrait pour le communisme que les réactions occidentales – interventions militaires, luttes de décolonisation, affrontements indirects – qui expliquèrent ces dynamiques.

En outre, l’unité supposée du camp communiste se révéla illusoire, nombre de pays marxistes s’affrontant parfois directement, de la Chine au Vietnam en passant par le Cambodge. Soixante-dix ans plus tard, l’idée de contagion politique a perdu de sa centralité. Les printemps arabes ont rappelé qu’il pouvait exister des dynamiques d’émulation régionale, mais aussi leurs limites.

Toutefois, un autre risque de contagion, beaucoup plus préoccupant, s’impose désormais : celui des conflits armés eux-mêmes. Dans un contexte marqué par la résurgence des logiques de blocs, par la multiplication des foyers de tensions et par la remise en cause du rôle stabilisateur des États-Unis, il n’est plus question d’une propagation idéologique, mais bien d’une possible contagion conflictuelle mondiale. C’est à cette lumière qu’il convient d’examiner les risques qui se dessinent pour la période 2026-2030.

La théorie des dominos : de l’Asie des années 1950 à la Guerre froide

Lorsque Dwight Eisenhower formula en avril 1954 sa célèbre métaphore des dominos, le contexte était celui d’une Amérique inquiète des progrès du communisme en Asie du Sud-Est. Devant la presse, il expliqua qu’« il suffit de faire tomber le premier domino pour que tous les autres suivent », illustrant ainsi l’idée qu’un État basculant dans le communisme entraînerait mécaniquement ses voisins. Cette image simple et percutante s’inscrivit immédiatement dans la doctrine d’endiguement de Truman et devint l’un des arguments politiques les plus efficaces pour justifier l’intervention américaine hors de ses frontières.

la théorie des dominos a été au coeur de l'intervention US au Vietnam
A1 Skyraider au dessus du Sud-Vietnam.

L’Asie du Sud-Est fut le premier terrain d’application de cette théorie. Le Vietnam incarna la ligne de front de ce raisonnement, puisque l’engagement massif des États-Unis dans les années 1960 fut justifié par la nécessité d’empêcher que le Laos, le Cambodge, la Thaïlande ou encore l’Indonésie ne suivent le même chemin. Parallèlement, la progression de régimes communistes en Afrique et en Amérique latine fut elle aussi interprétée à travers cette grille de lecture. Et pour cause : de 1945 à 1975, le nombre de pays dirigés par des partis communistes passa d’une dizaine à plus de trente, ce qui fut perçu comme une validation de l’avertissement d’Eisenhower.

Toutefois, cette lecture se heurta rapidement à ses propres limites. Les formes de communisme adoptées différaient sensiblement d’un pays à l’autre, puisque le maoïsme chinois divergeait radicalement du modèle soviétique, tandis que Cuba suivait une trajectoire propre en Amérique latine. L’illusion d’un front idéologique homogène se dissipa alors que Pékin et Moscou s’opposaient ouvertement à la fin des années 1960, et que le Vietnam entra en guerre avec le Cambodge communiste soutenu par la Chine. Comme l’a rappelé l’historien Odd Arne Westad, « loin de s’unifier, le mouvement communiste mondial s’est fracturé, et souvent affronté militairement ».

En outre, de nombreux chercheurs ont montré que ce fut souvent la réaction occidentale qui alimenta indirectement l’attrait du communisme. Le politologue Fredrik Logevall souligne ainsi que la guerre du Vietnam fit davantage pour la diffusion de l’anti-impérialisme que n’importe quelle action soviétique, en posant le communisme comme une alternative crédible aux puissances établies. De la même manière, en Afrique, la répression brutale des mouvements de libération par les puissances coloniales incita plusieurs d’entre eux à se tourner vers Moscou, Cuba ou Pékin.

Ainsi, si la théorie des dominos expliquait une partie des dynamiques de l’époque, elle ne pouvait prétendre à une validité universelle. Elle servit avant tout de justification doctrinale à une politique étrangère interventionniste, et contribua à l’enlisement américain au Vietnam.

Vers une nouvelle théorie des dominos : la contagion des conflits en 2026-2030

Alors que la contagion idéologique appartient au passé, une autre dynamique menace désormais l’équilibre international : la contagion des conflits armés. Plus d’une dizaine de foyers de tensions demeurent actifs ou gelés, depuis le Haut-Karabakh jusqu’à la mer de Chine méridionale, en passant par les Balkans ou l’Afrique centrale. Trois d’entre eux concentrent cependant l’essentiel des risques systémiques, à savoir l’affrontement potentiel entre l’OTAN et la Russie, la menace d’une attaque nord-coréenne contre le Sud et la perspective d’une opération chinoise contre Taïwan.

troupes russes en Ukraine
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9 Commentaires

  1. Bonjour. Survol de drone en Europe….il est parfois utile de faire appel aux spécialistes et ne pas se faire gagner par l’affolement général : au final, il semblerait que la Russie n’y soit pas pour grand chose, du moins pour ce qui est documenté ici :
    https://www.helicomicro.com/2025/09/29/survols-presumes-de-drones/
    https://www.metabunk.org/threads/copenhagen-airport-closure-due-to-reported-drone-activity.14455/

  2. Je ne te rejoins qu’à moitié sur cet article Fabrice.

    Là où je te rejoins complètement, c’est que la fenêtre 2026-2030 constitue un « creux de risque », avec une probabilité élevée qu’une crise géopolitique majeure éclate quelque part.
    Mais ce risque vient surtout d’une surabondance des foyers de tensions : chacun a sa propre logique interne, et c’est leur coexistence qui augmente la probabilité d’un conflit dans la période 2026-2030.

    Là où je pense que tu pousses le raisonnement trop loin, c’est en suggérant une mécanique de contagion ou une coordination étroite Russie-Chine-Corée du Nord.
    Les épisodes récents (Iran/Israël, ou même la gestion très ambivalente par Pékin de la guerre en Ukraine) montrent bien que l’axe Moscou–Pékin–Pyongyang est avant tout opportuniste et circonstanciel. Chacun de ces régimes joue sa partition, parfois en profitant des distractions des autres, mais il n’y a pas d’intégration stratégique comparable à celle d’une véritable alliance militaire.

    En bref: le risque que ça pète quelque part d’ici 2030? Très probable. Le risque que ça se propage en déclenchant d’autres crises ailleurs? J’y crois beaucoup moins.

  3. votre article ne mentionne pas le cas iranien. Il s’agit bien d’une tentative de destabilisation par l’opération du 07 oct, avec la pression du hezbollah et des houthis, les frappes balistiques de l’Iran. or dans ce cas, la réaction israelienne a permis d’abattre rapidement l’ensemble des menaces en effectuant un effort très conséquent. il a conduit à un renversement de situation, qui permet de circonscrire les menaces que représentaient l’ensemble de ces proxis, au prix fort il est vrai.
    ce cas peux aussi retarder la décision d’engrenage Chine – Corée – Russie qui ont pu observer qu’une réaction forte et décidée peut annihiler toute tentative de menaces multi espaces.

    • Très Bonne question. J’avoue que si j’avais ecrit cet article il y a quelques mois, j’aurai très certainement intégré l’Iran. Mais avec RisingLion, je pense que le potentiel de nuisance iranien a été largement réduit, pour un temps au moins. Surtout, les israéliens ont montré qu’ils savaient comment niveler cette menace au besoin. D’ailleurs, on n’entend presque plus Téhéran ou Sanaa depuis.

  4. La Russie est un colosse aux pieds d’argile, dont l’économie a de grosses faiblesses ,qui a été érodée par 3 ans de guerre, il est vrai que la course en avant d ‘un armement important, crée un équilibre précaire et trompeur. Poutine envisage peut etre de piller l’europe de l’ouest pour se renflouer? Par contre la population de l’UE n’est pas prête a accepter cette situation convaincue que nos dirigeants crient au danger sans qu il soit la. Le réarmement de l’Europe ne doit pas se faire exclusivement sur des matériels américains, israéliens ou sud-coréens, car si ces conflits se déroulent en même temps , les armées européennes se retrouvereont avec du matériel sans maintenance ou sans munitions…

    • Je pense sincèrement que ceux qui pensent que la Russie est économiquement vulnérable utilisent une mauvaise grille de lecture, bien trop occidentale. Si la Russie à restructurer son industrie et son modernisme socio-économique depuis 2022, elle demeure sous le seuil de soutenabilité avec un effort de guerre à 7,3%. En intégrant les mesures de masquage (dettes industriels et oblast), on reste sous les 10%, pour un pays dont 30% de l’économie au moins est souterraine. C’est donc un effort difficile mais maîtrisé, d’autant que le pays a d’immenses réserves naturelles a gager pour sa dette.
      Objectivement, donc, la Russie s’en sort plutôt bien économiquement parlant apres 3 ans 1/2 de guerre. Je suis très très loin d’être convaincu que l’Europe pourrait en faire autant, d’autant qu’asphyxier son industrie et son économie serait somme toutes assez facile, étant donné le nombre de dépendance critiques que nous avons…

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