L’élargissement annoncé de l’exercice SWARMS à environ 200 ballons stratosphériques, avec un suivi par radars terrestres du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) et la participation de la garde côtière, traduit un passage à l’échelle. L’investissement de 3,5 millions de dollars doit éprouver l’emploi massif de plates‑formes attritables pour le renseignement, la surveillance et la reconnaissance (ISR), le relais et la perturbation, depuis des îles et des navires à moins de 1 000 milles d’Hawaï. L’objectif affiché dépasse la démonstration. Il s’agit de valider des postures offensives et défensives à grande échelle, tout en mesurant les tensions industrielles et les limites historiques déjà documentées, afin d’aborder SWARMS 2026 dans une logique de mise en oeuvre opérationnelle..
Sommaire
SWARMS fait des ballons stratosphériques une couche de combat et de détection ISR
L’annonce place explicitement la stratosphère au cœur d’une stratégie de détection et d’actions multi‑domaine à grande échelle. Andrew Evans, directeur du bureau Strategy & Transformation au sein du renseignement de l’US Army, indique que l’expérimentation doit définir les contours d’un renseignement à l’échelle et rendre cette couche exploitable dès une phase initiale de crise. Comme l’indique Breaking Defense, l’effort vise une présence persistante, distribuée et sacrifiable, capable de créer des effets simultanés de détection et de perturbation. L’intention est claire, puisque la stratosphère devient un espace opératif à part entière.
Le passage d’une première hypothèse d’une centaine à environ 200 ballons ouvre la voie à des effets d’échelle et à une vraie détection en masse. Les équipes projettent des vagues successives de lancements, ce qui permet d’observer des dynamiques temporelles et adverses réalistes. Ainsi, la multiplication des vecteurs augmente mécaniquement la couverture, la redondance et la résilience, tout en testant la capacité à conserver la cohérence du dispositif. Cette massification interroge cependant les seuils de saturation du commandement et du contrôle, ainsi que la stabilité des liaisons et la capacité à trier, hiérarchiser et exploiter la donnée utile en temps limité.
La campagne, dotée de 3,5 millions de dollars, prévoit des mises en l’air dans un rayon de 1 000 milles d’Hawaï, au départ d’îles et de navires. Les rôles seront différenciés, puisque certains ballons joueront le rôle de leurres quand d’autres porteront des capteurs de renseignement, des moyens de brouillage ou des pseudo‑effecteurs destinés à simuler des menaces cinétiques. Cette répartition des charges utiles éclaire la logique d’un essaim modulable, combinant fonctions d’exploration, d’aveuglement et de déception, avec une gestion du risque fondée sur la résistance à l’attrition des plateformes.
La philosophie d’emploi apparaît duale, puisque l’essaim doit à la fois collecter des indices dans les premières heures d’un incident et déstabiliser l’adversaire par la masse. La logique est de bricoler rapidement une image de situation, même si la tenue de position n’est pas optimale, tout en contraignant les défenses adverses dans la stratosphère. Comme l’a résumé Andrew Evans lors d’un entretien, « Nous utilisons cela à la fois pour définir ce à quoi le renseignement à grande échelle pourrait ressembler et pour inclure la stratosphère dans la sphère opérationnelle pour un conflit de type “phase one”. »
L’engagement du NORAD, avec l’apport de radars terrestres pour suivre les objets, et la présence attendue de la garde côtière, visent à caractériser la signature d’un essaim vu depuis la défense. Cette coopérative favorise autant la préparation défensive que l’anticipation offensive, puisque connaître l’empreinte radar d’un tel dispositif permet d’ajuster filtres, seuils et procédures. Une telle démarche doit contribuer à bâtir une image capteur‑vers‑capteur de la stratosphère, prémisse d’une posture interarmées plus robuste face à des essaims adverses.
Miniaturisation et architectures DDIL: contraintes industrielles du programme HELIOS et des essaims attritables
Les besoins techniques reflètent une forte poussée de miniaturisation. Des demandes d’information portent sur des capteurs au format réduit, notamment ELINT pour le renseignement électronique, COMINT pour les communications, ainsi que des radars légers, adaptés à des micro‑ballons stratosphériques. Le tout s’inscrit dans la trajectoire HAP‑DS pour High‑Altitude Platform‑Deep Sensing et dans le programme HELIOS pour High‑Altitude Extended‑Range Long‑Endurance Intelligence Observation System. Ces besoins, détaillés par The War Zone, définissent une altitude d’opération au‑delà de 60 000 pieds et des masses très contraintes pour préserver l’absorption de l’attrition et la mise en œuvre dispersée.
La résilience en environnements DDIL, à savoir perturbés, déconnectés, intermittents et à faible bande passante, devient un critère central. L’architecture recherchée doit composer avec une intégration multi‑vendeurs tout en assurant l’interopérabilité des charges utiles et des liaisons. Le bureau Program Executive Office for Intelligence, Electronic Warfare, and Sensors, souvent abrégé PEO‑IEW&S, met en avant la nécessité de solutions évolutives, capables d’agréger des données hétérogènes et de supporter une exploitation locale. Cette approche structurelle conditionne la crédibilité opérationnelle des essaims, bien au‑delà de la seule performance des capteurs.
Les limites physiques et opérationnelles demeurent, puisque l’histoire des aérostats rappelle des vulnérabilités spécifiques. Les incidents du programme JLENS illustrent des risques liés à la météo, à la tenue mécanique et à la dépendance à des stations au sol sensibles. L’emport reste limité et les vents croisés en altitude peuvent perturber trajectoires et phases de montée ou descente. Ces enseignements ne condamnent pas l’option stratosphérique, mais imposent des garde‑fous techniques et des procédures rigoureuses afin d’éviter la reproduction d’aléas coûteux, opérationnels comme politiques.
La miniaturisation ouvre toutefois des perspectives concrètes, puisque des microHABs, c’est‑à‑dire des ballons stratosphériques à très faible charge, peuvent être lancés par de petites équipes. Cette granularité augmente la densité de plateformes et complexifie la détection adverse, ce qui rend l’engagement à coût raisonnable plus ardu. La possibilité d’un déploiement rapide sur une large zone, combinée à l’attritabilité, favorise une présence persistante qui résiste mieux aux pertes et aux environnements contestés. Cette piste reste exigeante pour l’intégration des capteurs, mais offre un chemin crédible vers la massification recherchée.
L’extension vers des fonctions de brouillage, de relais et de pseudo‑effets cinétiques place la question de l’énergie et du traitement embarqué au premier plan. Des documents de travail évoquent une capacité de traitement à bord pour accélérer la détection et la remontée de cibles, mais la chaîne de commandement sécurisé et la diffusion des données restent incomplètement stabilisées. Les responsables reconnaissent que la consolidation de l’architecture, en particulier avec la variété des fournisseurs, devra être réglée au fil des démonstrations, ce qui conditionnera la valeur opérationnelle des essaims à l’horizon de SWARMS 2026.
NORAD face aux essaims: coûts, dilemmes et effets d’ambiguïté en stratosphère
La généralisation de leurres, capteurs et effecteurs simulés dans le même volume crée une incertitude d’attribution. Un adversaire qui ne sait distinguer l’inoffensif du létal doit user de prudence élargie, ce qui allonge les boucles décisionnelles et mobilise des ressources disproportionnées. La logique d’attritabilité pousse à multiplier les cibles ambiguës, tandis que la défense se voit contrainte d’élever ses seuils d’alerte. Un tel environnement pèse sur la posture aérienne et anti‑aérienne, car le tri entre menaces réelles et apparentes s’opère sous contrainte temporelle, avec un risque de sur‑réaction ou d’insuffisance d’engagement.
Le dilemme économique est évident, puisque tirer des munitions coûteuses sur des ballons économiques dégrade rapidement le ratio coût‑efficacité défensif. Comme le rappelle Defense News, l’emploi de chasseurs et de missiles haut de gamme contre des objets de faible valeur unitaire représente un échange défavorable. La question devient critique si des centaines de cibles sont engagées en rafale. La soutenabilité de l’effort, en coûts comme en stocks, impose des réponses adaptées, fondées sur l’économie des moyens et des capteurs, voire sur une priorisation différente des effets recherchés.
L’argument de la reconstitution rapide d’une capacité d’alerte en cas d’interdiction spatiale reste puissant, puisque les ballons stratosphériques peuvent fournir une alternative ISR et des relais temporaires. Toutefois, la démonstration ne conduit pas encore une collecte en direct suivie d’une diffusion opérationnelle des données. Les modalités de dissémination et d’intégration restent à préciser, ce qui limite, à ce stade, l’exploitabilité d’un tableau tactique fusionné. Les prochains essais doivent précisément éclairer ces points, car la valeur militaire de l’essaim dépend de la rapidité de boucle entre détection, identification et transmission vers les décideurs et les feux.
La transformation des ballons en plateformes de lancement d’effets aériens à haute altitude, connus sous l’appellation High Altitude Air Launched Effects, renforce encore l’enjeu. La littérature récente met en évidence la capacité à déployer depuis la stratosphère des drones ou munitions rôdeuses en nombre, comme l’illustre The War Zone. Un tel emploi élargit le spectre des frappes ou de la saturation, tout en brouillant l’attribution. L’adversaire doit alors couvrir un cône de menaces plus large, ce qui alourdit ses défenses et multiplie les faux positifs, tandis que l’attaquant conserve l’initiative de la masse et du tempo.
La coopération radar avec le NORAD répond à une nécessité tactique, puisque cartographier la signature d’un essaim aide à calibrer filtres et seuils. Néanmoins, cette réponse souligne aussi la dépendance à des capteurs terrestres et la possibilité d’un afflux de données difficile à trier. On se souvient que l’ajustement des réglages pour détecter des objets lents a déjà provoqué une inflation de pistes, avec un bruit de fond plus dense et des classifications plus délicates. Le défi porte autant sur la détection que sur l’analyse, ce qui renvoie à l’architecture des capteurs et des centres de traitement.
Conclusion
On le voit, l’extension de SWARMS à 200 ballons et l’appel aux radars du NORAD marquent une étape vers l’opérationnalisation de la stratosphère comme couche de combat et d’appui du renseignement. La démarche valide des concepts offensifs et défensifs, tout en révélant des tensions industrielles autour des capteurs miniaturisés et des architectures DDIL, ainsi que des vulnérabilités déjà connues avec les aérostats.
Par ailleurs, la combinaison de leurres et de capacités de largage complexifie l’attribution et impose un coût opérationnel élevé à toute défense réactive. Enfin, la démonstration devient un test stratégique, puisqu’elle dessine autant des capacités que des doctrines à venir, ce qui oblige d’ores et déjà à ajuster posture, investissements et coopération capteur‑vers‑capteur dans HELIOS et la détection en masse.