[Actu] Su‑75 Checkmate : la coopération avec la Biélorussie peut-elle changer la donne industrielle ?

Le 2025 Dubai Airshow a remis le Su‑75 Checkmate au centre de l’actualité, des responsables russes ayant confirmé l’entrée en phase finale d’assemblage du prototype et la perspective d’un premier vol début 2026. Cette annonce, couplée à l’exploration d’une production conjointe avec la Biélorussie par Rosoboronexport, s’inscrit comme une tentative de partager coûts et risques industriels tout en élargissant l’empreinte productive pour sécuriser des chaînes d’approvisionnement sous sanctions.

Dans ce contexte, la crédibilité du jalon 2025–2026, les transferts technologiques vers Minsk et le recours à d’éventuelles variantes pour atténuer le risque programme deviennent les clés d’un pari industriel et politique autant que commercial.

Su‑75 Checkmate: un calendrier bousculé vers le jalon 2025–2026 qui doit prouver en vol

La trajectoire du Su‑75 Checkmate démarre avec une promesse claire, celle d’un chasseur monomoteur de nouvelle génération pensé pour l’export, présenté en 2021 avec l’ambition d’un chasseur monomoteur de 5e génération abordable. Ainsi, l’appareil s’est imposé dans le discours comme une alternative plus économique aux plateformes lourdes. Pourtant, alors que le programme multipliait les signaux d’intention, l’avion n’a toujours pas volé publiquement. Cette réalité structure l’analyse actuelle, puisque le marché attend des faits mesurables pour revalider une proposition commerciale construite sur la furtivité, une charge utile substantielle et un coût d’acquisition contenu.

Pourtant, l’échéancier a largement glissé par rapport aux annonces initiales de premier vol dès 2023, les contraintes pesant sur la filière s’étant accentuées avec le conflit et les sanctions. Le site DefenceTurk relève que les restrictions financières et les demandes concurrentes de production en temps de guerre ont repoussé progressivement les objectifs vers 2024, puis 2025. Ainsi, la question de la soutenabilité budgétaire et de la disponibilité des compétences devient centrale, non seulement pour développer, mais aussi pour qualifier et produire.

Dans le même temps, les signaux industriels récents témoignent d’une progression concrète vers les essais. Au Dubai Airshow 2025, des responsables russes ont expliqué que le prototype entrait en montage final et se dirigeait vers des étapes de tests sur banc avant les essais au sol, puis le vol. Cette séquence, désormais calibrée pour un premier vol début 2026, constitue le passage obligé pour crédibiliser la plateforme. Elle doit aussi prouver que le programme sait tenir des jalons techniques réalistes, condition nécessaire pour enclencher toute dynamique de commandes et de financements complémentaires.

Su-75 checkmate
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La promesse commerciale repose, en outre, sur des caractéristiques nominales séduisantes, avec une vitesse annoncée autour de Mach 1,8, environ 7 tonnes de charge utile et une autonomie proche de 3 000 km. Cependant, ces chiffres ne valent qu’une fois démontrés en essais et en intégration d’armements. La viabilité commerciale dépendra de la capacité à convertir l’intérêt affiché en commandes fermes, ce qui suppose à la fois des résultats d’essais probants et un schéma industriel capable de livrer malgré les contraintes de financement et les sanctions. C’est sur cette articulation technique‑commerciale que se joue l’avenir du Su‑75 Checkmate. 

Production conjointe russo‑biélorusse: pourquoi la Biélorussie devient un pivot industriel

L’annonce la plus structurante porte sur l’exploration d’une production conjointe entre la Russie et la Biélorussie pour le Su‑75 Checkmate. Au Dubai Airshow 2025, le directeur général de Rosoboronexport, Aleksandr Mikheev, a évoqué publiquement cette option industrielle. Dans ce cadre, la volonté affichée est d’adosser le programme à un partenaire de proximité, disposant d’un socle industriel aéronautique capable de monter en gamme. Ainsi, la dynamique « Russie Biélorussie » prend corps au travers d’un partage d’outillage, de savoir‑faire et de capacités d’assemblage. « Aleksandr Mikheev a déclaré travailler sur l’option d’une production conjointe du Su‑75 avec la Biélorussie. »

Les motivations avancées suivent un triptyque rationnel. D’une part, partager les coûts du développement et de l’industrialisation pour limiter l’empreinte financière sur une filière déjà sollicitée. D’autre part, réduire les risques de production en multipliant les ancrages industriels et en diversifiant les approvisionnements. Par ailleurs, préserver des chaînes d’approvisionnement soumises aux sanctions oblige à penser une « production conjointe » capable d’absorber des chocs logistiques. Ainsi, la coopération entend créer des redondances utiles, tout en offrant à Minsk une trajectoire de montée en compétence qui alimente l’équation politique et industrielle du programme.

L’argument commercial n’est pas absent, bien au contraire. Le programme revendique un intérêt persistant au Moyen‑Orient et en Asie‑Pacifique, ce qui justifie d’élargir l’empreinte productive pour répondre à des demandes de contenus locaux et de transferts ciblés. Le média Reform Newsrapporte que cette visibilité internationale soutient l’idée que l’avion peut conquérir des marchés attentifs au rapport coût‑capacité et à la souveraineté industrielle partagée. Toutefois, sans jalons techniques tenus, cette promesse d’export restera un potentiel, pas un carnet de commandes.

Enfin, la production conjointe est présentée comme un instrument d’élargissement de l’empreinte industrielle au‑delà du territoire russe, afin de mitiger la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement. En externalisant une partie des tâches vers la Biélorussie, l’architecture du programme cherche à se prémunir contre les interruptions dues aux sanctions et à la pression opérationnelle. Cette approche peut fluidifier certains flux, mais elle exige une gouvernance serrée pour éviter les frictions d’intégration, la duplication de processus et l’alourdissement des cycles de qualification qui pèsent sur les délais et les coûts. 

Sous sanctions, la crédibilité du jalon 2025–2026 repose sur l’allocation des ressources

Le jalon 2025–2026 est devenu l’étalon de crédibilité du Su‑75 Checkmate. Alors que deux prototypes seraient finalisés en 2025 pour essais au sol avant des premiers vols en 2026, la séquence annoncée replace le programme face à ses promesses initiales non tenues. Tenir ces échéances signifiera démontrer la cohérence de l’architecture, la maturité des sous‑ensembles critiques et la capacité à gérer l’intégration avionique et armement. À défaut, l’écart entre discours et réalisation affaiblira la proposition d’un chasseur furtif « abordable », précisément au moment où le marché attend des preuves tangibles pour arbitrer ses investissements.

Su-75 version drone
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Par ailleurs, la filière aéronautique russe évolue sous de fortes contraintes, dispersant ses moyens entre le Su‑57, les drones lourds et la production opérationnelle. Cette concurrence interne pour les ressources humaines et financières limite la marge de manœuvre du Su‑75, qui doit attirer des compétences rares, des budgets d’essais, et sécuriser des chaînes d’approvisionnement déjà sollicitées. Ainsi, la trajectoire industrielle ne se résume pas au seul calendrier d’essais, elle dépend aussi de la capacité à sanctuariser des moyens, à lisser les pics de charge, et à garantir la permanence logistique sous sanctions.

En outre, la flexibilité conceptuelle mise en avant, incluant des variantes biplace ou dronisées, peut constituer un plan de secours utile pour capter des besoins différenciés. Toutefois, toute dispersion des configurations et des sites d’assemblage complexifie la qualification, allonge les cycles et renchérit la maintenance. L’effet de gamme peut alors s’inverser, puisque la sophistication d’un portefeuille élargi finit par contester l’argument de coût de possession contenu qui fait la singularité attendue du Su‑75 Checkmate sur la scène export.

Enfin, transformer l’intérêt exprimé en commandes fermes exigera des essais au sol et en vol réussis, mais aussi la capacité à livrer des sous‑ensembles critiques et à structurer un financement robuste, malgré des sanctions persistantes, et probablement une commande nationale russe. À l’inverse, un nouvel échec à tenir le jalon 2025–2026 pèserait durablement sur l’attractivité face à des offres sud‑coréennes, chinoises et occidentales. Ainsi, la crédibilité commerciale ne découlera pas d’un seul premier vol, mais d’une démonstration répétée de maturité technique et de fiabilité industrielle, indispensable à des décideurs soucieux de calendrier et de soutenabilité. 

Biélorussie: effets politiques, chaînes d’approvisionnement et retombées pour les marchés export

Pour Minsk, l’intégration au programme représente une montée en gamme significative. L’accès à des domaines critiques tels que l’avionique, les optiques et la guerre électronique, s’accompagne de transferts méthodologiques sur l’assemblage et la gestion qualité. Ainsi, la « production conjointe » peut accélérer l’apprentissage tout en valorisant l’écosystème local. Toutefois, ce gain technique s’adosse à une dépendance renforcée vis‑à‑vis des fournisseurs russes et des standards d’intégration retenus, avec des effets de verrouillage sur la durée de vie de la flotte et sur l’autonomie de décision en matière d’évolutions et de soutien.

L’enjeu n’est pas qu’industriel. Il renforce l’ancrage politique de la Biélorussie au sein de l’État‑union, en alignant des calendriers, des procédures et des intérêts industriels. Le site Ruavia souligne que la coopération militaire et technique s’inscrit dans un objectif de sécurité collective et de consolidation du partenariat stratégique. Ainsi, l’industrialisation partagée devient un levier d’interdépendance, où les externalités positives pour la défense s’agrègent à une intégration économique et normative accrue, difficilement réversible sans coûts élevés.

SU-30SM2 Bielorussie
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Les implications logistiques sont tout aussi concrètes. La Biélorussie a réceptionné des Su‑30SM2 en 2025, avec des formations d’équipages et de techniciens déjà engagées, afin de moderniser ses forces aériennes, et l’accent mis sur la permanence des flux de pièces détachées. Dans cette perspective, l’introduction d’une plateforme de 5e génération impose d’anticiper la maintenance, la formation et l’interopérabilité des moyens au sol, afin d’éviter la fragmentation des chaînes d’appui. La capacité à mutualiser des stocks, à synchroniser les qualifications et à capitaliser sur les compétences transférées déterminera l’efficacité réelle de cette montée en puissance locale.

Enfin, l’exposition aux contre‑sanctions et aux risques politiques reste un corollaire de la coopération. Étendre la fabrication au‑delà du territoire russe élargit mécaniquement le périmètre attaquable par des mesures internationales et complexifie la gouvernance des approvisionnements. Ainsi, la trajectoire « Russie Biélorussie » doit arbitrer entre la sécurisation de certaines chaînes d’approvisionnement et la création de nouvelles dépendances sensibles, dans un environnement normatif mouvant. La robustesse du montage financier, la protection des flux critiques et la clarté des responsabilités industrielles seront déterminantes pour limiter ces vulnérabilités. 

Conclusion

On le voit, l’exploration d’une production conjointe du Su‑75 Checkmate entre la Russie et la Biélorussie articule une volonté de mitiger les risques industriels et logistiques sous sanctions avec un calcul d’intégration politique accru. Par ailleurs, l’initiative peut sécuriser certaines chaînes d’approvisionnement et accélérer la montée en compétence de Minsk, tout en transférant des vulnérabilités réglementaires et financières et en alourdissant la gouvernance du programme.

Dans le même temps, le jalon 2025–2026 demeure la clé de voûte de la crédibilité, exigeant cohérence technique, financement et premières commandes. La réussite ouvrirait, incontestablement, un espace export tangible ; à défaut, elle réduirait l’attrait de la plateforme face à des concurrents plus avancés. Reste que, Bielorussie ou pas, sans commande significative de la part des forces aériennes russes, cette confiance sera difficile à établir, comme l’a montré l’exemple du Mig-35.

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