Baykar a annoncé travailler sur un prototype de petit réacteur modulaire (SMR) de 40 MW de puissance. La question centrale est de déterminer si un tel niveau de puissance peut permettre à un sous‑marin conventionnel (SSK) d’atteindre les performances d’un sous‑marin nucléaire d’attaque (SNA), ou s’il s’inscrit plutôt dans la continuité d’une propulsion indépendante de l’air (AIP) de nouvelle génération.
Au regard des éléments disponibles, ces 40 MW paraissent insuffisants pour reproduire les profils de vitesse soutenue, la réserve d’énergie et la redondance d’un SNA moderne. En revanche, cette puissance pourrait profondément transformer l’endurance en plongée et l’autonomie électrique d’un SSK, à condition de réussir une intégration silencieuse, sûre, et conforme aux exigences réglementaires.
Sommaire
Baykar dévoile un SMR 40 MW et vise l’embarqué naval dual entre compacité et endurance
Alparslan Bayraktar, le ministre turc de l’Énergie, a indiqué que Baykar travaille sur un prototype de SMR développant une puissance de 40 MW. L’information, détaillée par TurDef, positionne l’industriel sur un créneau dual, civil et militaire, à potentiel stratégique. À ce stade, l’annonce reste silencieuse sur l’architecture du cœur comme sur la nature précise de la puissance évoquée, mais elle suffit à cadrer le débat technique et opérationnel autour d’un « Baykar SMR 40 MW » conçu pour alimenter en continu des systèmes électriques fortement consommateurs, et, potentiellement, soutenir une propulsion à vitesse modérée sur de longues périodes.
Cette mise en perspective rappelle que 40 MW se situent légèrement au‑dessus de la puissance en sortie des dernières variantes de turbine à gaz LM2500, tout en soulignant que cette comparaison brute masque la différence de nature entre les deux systèmes. Un réacteur modulaire est d’abord conçu pour produire une énergie continue, alors qu’une turbine livre une puissance instantanée dépendante d’un approvisionnement en carburants fossiles. Autrement dit, le chiffre en mégawatts ne dit rien, en lui‑même, de la valeur d’usage : l’intérêt du SMR tient à la durée de la fourniture, à la stabilité de la production et à la compacité permettant un embarquement naval.
![[Flash] Baykar mise sur un SMR, un mini-réacteur nucléaire de 40 MW pour les sous-marins turcs 1 Alparslan Bayraktar ministre de l'énergie turc](https://8a17c282.delivery.rocketcdn.me/wp-content/uploads/2025/12/alparslan-bayraktar-leij.jpg.webp)
Dans cette perspective, la compacité et la modularité des SMR ouvrent la voie à des usages civils et militaires multiples. Des grappes de réacteurs pourraient alimenter en continu des zones urbaines ou industrielles, tandis qu’une unité embarquée fournirait une source électrique constante à une plateforme navale, où l’endurance l’emporte souvent sur la puissance de pointe. Cette dualité d’emploi constitue un élément clef du positionnement technique, puisqu’elle relie l’effort de R&D à plusieurs marchés potentiels, tout en permettant d’amortir des briques technologiques communes.
Parallèlement, la Turquie se fixe des objectifs chiffrés ambitieux. À long terme, Ankara vise 10 à 15 % de sa production totale d’énergie à partir du nucléaire, avec un volume cumulé de 5 000 MW issus de SMR. Ces jalons traduisent une volonté d’industrialisation et d’intégration dans le mix électrique national, bien au‑delà d’un simple démonstrateur. Ils renforcent également la crédibilité de scénarios d’emploi naval, qui supposent des séries, des capacités de soutien et une sécurité d’approvisionnement en combustible.
Dans le même temps, l’État turc investit dans les infrastructures et fait évoluer le cadre réglementaire pour accélérer ces développements. Cette phase conditionne toute application embarquée, qui impose des exigences fortes en matière de sûreté, de maintenance et d’infrastructures dédiées, notamment pour le rechargement du cœur. La crédibilité d’un usage naval repose ainsi autant sur ce socle de soutien que sur les seules performances nominales du prototype.
Face aux exigences d’un sous-marin nucléaire d’attaque, les 40 MW et l’exemple de la classe Rubis laissent une marche importante
Sur le plan physique comme sur le plan opérationnel, 40 MW demeurent en‑deçà des besoins d’un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) contemporain. Même le plus petit SNA moderne, la classe Rubis, disposait d’un réacteur d’environ 48 MW thermiques. Or, un sous‑marin nucléaire d’attaque doit pouvoir conjuguer vitesse élevée sur la durée, recharges rapides des réserves d’énergie, alimentation redondante des capteurs et des systèmes, ainsi qu’une marge de sécurité thermique. La puissance annoncée par Baykar ne paraît pas en mesure de satisfaire simultanément cet ensemble d’exigences.
Au‑delà du chiffre nominal, la différence entre puissance thermique et puissance réellement utilisable à bord s’avère déterminante. Ainsi, un réacteur d’environ 48 MW thermiques ne fournissait, après conversion, qu’environ 7 000 kW effectivement disponibles pour la propulsion et les systèmes. Les pertes liées aux conversions et au refroidissement amenuisent considérablement la puissance à l’arbre et pour l’électronique, ce qui plaide pour des réacteurs plus puissants dès lors qu’il s’agit de viser un profil complet de SNA.
Deux voies s’offrent, dès lors, pour atteindre des performances de type SNA en vitesse et en endurance : recourir à un réacteur plus puissant, ou embarquer plusieurs réacteurs à bord. Dans les deux cas, la complexité, la masse et le volume augmentent, tout comme les besoins en systèmes auxiliaires, en redondances de sûreté et en maîtrise thermique. Un unique SMR de 40 MW apparaît ainsi insuffisant pour garantir, à lui seul, le maintien de 20 nœuds soutenus tout en alimentant capteurs et armements au standard d’un SNA moderne.
À ces limites énergétiques s’ajoutent les contraintes d’intégration discrète. Un réacteur embarqué impose des systèmes de refroidissement, d’insonorisation et de sûreté répondant à des critères acoustiques et opérationnels très exigeants. Leur conception, leur qualification et leur mise en œuvre silencieuse en opération reposent sur des compétences industrielles et humaines qui s’acquièrent sur le temps long. Elles conditionnent autant la performance globale que la puissance théorique annoncée.
En définitive, un SMR de 40 MW ne permet pas de transformer un SSK en véritable sous‑marin nucléaire d’attaque. En revanche, il se présente comme un candidat crédible pour remplir le rôle d’une AIP de nouvelle génération, capable d’alimenter en continu les systèmes du bord et de soutenir une propulsion électrique à vitesse modérée pendant de très longues périodes, sans pour autant reproduire le spectre d’emploi ni les vitesses de pointe d’un SNA.
Vers une AIP nucléaire inspirée du Type 041 pour doper l’avantage turc en mer Égée
Utilisé en remplacement d’un AIP de type Stirling, un SMR embarqué offrirait une production électrique continue et une endurance en plongée quasi illimitée à faible vitesse. Comme l’explique l’analyse dédiée au Type 041 chinois, l’emploi d’un mini‑réacteur se substituant à l’AIP Stirling permet d’étendre l’autonomie de plongée et la disponibilité énergétique du bord. Cette vision s’inscrit aussi dans la trajectoire industrielle turque, où la compacité et l’endurance des SMR sont présentées comme des atouts majeurs pour les plateformes navales.
Concrètement, une telle architecture permettrait d’assurer, sans véritable limite tactique, des vitesses réalistes de l’ordre de 10 à 12 nœuds en plongée, tout en alimentant capteurs, systèmes de combat et recharges de batteries. Comparé aux AIP classiques, le saut capacitaire porterait sur la durée de maintien de la vitesse, la continuité de l’alimentation électrique et la flexibilité d’emploi, ce qui correspond bien à une AIP de nouvelle génération adossée à un réacteur modulaire compact.
Appliqué aux SSK turcs, un tel apport créerait un avantage opérationnel régional en Méditerranée et en mer Égée, face à des marines dépourvues de solution équivalente. Le concept dépasse d’ailleurs le seul cas turc, comme l’illustre l’idée d’un sous‑marin électrique‑nucléaire combinant batteries et micro‑réacteur pour étendre l’endurance sans basculer dans la complexité d’un SNA complet. Dans ces schémas, les SSK gagneraient en permanence opérationnelle et en disponibilité sous la mer.
Reste la question industrielle et politique. Même espacées dans le temps, la maintenance spécialisée et la procédure de rechargement du cœur imposent des infrastructures portuaires dédiées, des contrôles de sûreté rigoureux et un encadrement réglementaire robuste. La réussite d’un tel saut capacitaire ne dépend donc pas uniquement du réacteur lui‑même, mais d’un écosystème de soutien capable de garantir sécurité, discrétion acoustique et continuité logistique tout au long du cycle de vie.
Conclusion
L’initiative de Baykar autour d’un SMR de 40 MW ouvre une perspective crĂ©dible pour doter les sous‑marins conventionnels turcs d’une AIP de nouvelle gĂ©nĂ©ration, combinant endurance en plongĂ©e, alimentation Ă©lectrique continue et vitesses soutenues modestes. En revanche, la barre Ă©nergĂ©tique, les pertes de conversion et les contraintes d’intĂ©gration confirment que l’on reste nettement en‑deçà du profil d’un vĂ©ritable sous‑marin nuclĂ©aire d’attaque. L’enjeu rĂ©sidera dans la capacitĂ© Ă intĂ©grer ce rĂ©acteur embarquĂ© de manière discrète et sĂ»re, Ă structurer les infrastructures et les règles associĂ©es, et Ă convertir rapidement cet avantage tactique potentiel en MĂ©diterranĂ©e et en mer ÉgĂ©e, si l’écosystème industriel parvient Ă suivre le rythme annoncĂ©.Â