[Flash] Le programme de blindés Ajax de la British Army serait un « véritable désastre »

L’intervention de la présidence de la Commission de la défense qui qualifie les programmes blindés de « véritable désastre » situe l’affaire Ajax au croisement de préoccupations sanitaires, opérationnelles et industrielles. Les faits documentés montrent une trajectoire longue : risques auditifs identifiés dès 2018, suspensions d’essais répétées en 2020–2021, environ 165 véhicules livrés sur 589 commandés et un jalon de capacité opérationnelle initiale (IOC) désormais repoussé vers 2025.

Ces éléments convergents confirment qu’il ne s’agit pas d’un incident isolé. L’Ajax British Army concentre des arbitrages anciens où l’implantation nationale crée un fort biais à la réparation, au risque de retarder la mise en service, d’exposer la santé équipages et de peser sur la disponibilité opérationnelle à court terme.

Ajax issu d’ASCOD 2 verrouille des choix industriels qui pèsent sur le calendrier

Le programme Ajax découle d’un choix déterminant : partir d’une base ASCOD 2 pour concevoir une famille dédiée à la reconnaissance et à l’appui, avec un assemblage réalisé en Grande‑Bretagne. Ce double pari, industriel et capacitaire, a consolidé la base industrielle et technologique de défense (BITD) autour du site de Merthyr Tydfil et de sa chaîne d’approvisionnement. Dès le départ, la décision a donc fixé des coûts incompressibles et accru la dépendance industrielle, via un assemblage issu de l’ASCOD 2 et assemblé au Royaume‑Uni, renforçant le biais naturel qui consiste à corriger plutôt qu’à substituer. Ce cadre initial éclaire, en partie, la difficulté à trancher rapidement lorsque les alertes techniques se sont multipliées.

Le calendrier, lui, a progressivement dérapé. La première mise en service, un temps visée en 2017, s’est éloignée au fil des correctifs et requalifications, jusqu’à placer l’objectif d’une capacité opérationnelle initiale (IOC) vers 2025. Cette dérive a fragilisé la trajectoire capacitaire et accru la pression politique pour « tenir » des jalons publics. Surtout, elle a déplacé le centre de gravité du programme : d’une montée en puissance rapide, on est passé à une succession de vérifications, illustrant des validations opérationnelles et un contrôle qualité insuffisamment robustes en amont.

À ce stade, environ 165 véhicules ont été livrés sur les 589 attendus, au sein d’une famille déclinée en six variantes. Concrètement, cette réalité limite la masse critique disponible pour l’instruction et la préparation opérationnelle, tout en compliquant la montée en puissance de la maintenance et des flux logistiques. Un parc incomplet absorbe mal les aléas techniques et les arrêts liés aux reconfigurations, mettant à l’épreuve la résilience des unités et des ateliers.

En parallèle, le programme a accumulé des coûts irrécupérables. L’exigence d’un assemblage national a imposé la création de capacités dédiées, contraignant l’industriel à investir pour ce seul contrat. Entre construction d’usine, requalifications et garde‑fous financiers, la facture s’est alourdie, le coût programmé avoisinant 5,5 milliards de livres et l’outil industriel ayant dû être créé spécifiquement. Ces coûts « coulés » pèsent désormais lourd dans tout arbitrage de fond.

Enfin, les signaux techniques et sanitaires ne sont pas apparus ex nihilo. Le risque auditif a été formellement identifié dès 2018, puis confirmé par des épisodes ultérieurs. L’histoire du programme aligne alertes, suspensions et ajustements, révélant des lacunes de validation en conditions réelles. Ces constats lient étroitement santé des équipages, robustesse des performances et choix industriels initiaux. 

L’incident du 22 novembre dans la British Army révèle l’angle mort sanitaire et opérationnel

Lors d’un exercice mené le 22 novembre, plus de trente soldats ont signalé des symptômes liés au bruit et aux vibrations à bord d’Ajax. Une pause opérationnelle de deux semaines a été décidée, assortie de suivis médicaux pour les personnels concernés, comme l’a indiqué UK Defence Journal. Cette suspension conservatoire relève d’une logique de précaution sanitaire et confirme qu’il ne s’agit pas d’une simple gêne. Elle intervient, de surcroît, à un moment où la pression pour atteindre l’IOC est forte, d’où la nécessité d’un diagnostic incontestable avant toute reprise.

Dans l’hémicycle, Luke Pollard, le ministre d’État britannique chargé de la préparation et de l’industrie de défense, a indiqué qu’il ne spéculerait pas tant que trois enquêtes distinctes n’auraient pas établi la cause des blessures dues au bruit et aux vibrations. Il a annoncé la mobilisation d’experts externes, afin d’apporter un regard indépendant hors de la chaîne de production habituelle. L’objectif est d’objectiver le diagnostic technique et de sécuriser la décision politique, tout en réaffirmant la primauté de la sécurité du personnel sur le calendrier.

Ajax Ascod 2

Les effets des vibrations et du bruit sont aussi opérationnels que sanitaires. En déplacement, ils perturbent la stabilisation de l’armement, dégradent la fiabilité des capteurs et accélèrent l’usure des composants, gonflant la maintenance non planifiée. Ce couple « vibrations bruit blindés » érode la performance attendue d’une architecture numérisée censée observer, engager et commander en mouvement. À l’échelle d’une unité, ces défaillances dégradent la disponibilité technique, multiplient les retours atelier et imposent des restrictions d’emploi, avec un impact immédiat sur l’entraînement.

Sur le plan humain, l’effet est cumulatif. Les campagnes de dépistage et de suivi ont concerné plusieurs centaines de militaires, entraînant des décisions individuelles difficiles, dont des réformes et des limitations d’exposition. Concrètement, cela se traduit par des pertes de qualification, des indisponibilités et des coûts médico‑légaux qui pèsent sur la préparation des unités. Lorsque les équipages deviennent la variable d’ajustement, la contrainte opérationnelle s’accroît et la trajectoire d’instruction se fragmente.

L’incident ravive, enfin, le débat politique sur la viabilité du programme. Des responsables élus réclament désormais un arbitrage clair, réparations définitives ou abandon pur et simple, en engageant la responsabilité de l’industriel. Dans un article de Defense News, l’argument d’un défaut fondamental a été avancé, tandis que d’anciens responsables des achats dénoncent des assurances passées qui se révèlent inexactes. L’exécutif promet, de son côté, de « mettre fin à la saga », quelle qu’en soit l’issue. 

Entre correction d’Ajax et alternatives CV90 Lynx et Warrior l’arbitrage industriel britannique devient stratégique

Une correction technique en profondeur appelle des coûts supplémentaires, des validations répétées et des interruptions d’outillage. Chaque modification majeure implique essais additionnels, mesures de mitigation et requalifications, allongeant mécaniquement les délais et alourdissant le budget du ministère de la Défense britannique (MoD). Au‑delà de la technique, ces cycles de validation mobilisent durablement l’appareil industriel, avec des effets sur les autres programmes terrestres et la planification opérationnelle.

Le programme irrigue largement l’économie de défense, avec des centaines d’entreprises impliquées et des milliers d’emplois qualifiés. L’arbitrage s’inscrit donc dans un cadre éminemment politique, où la préservation de la base industrielle et technologique de défense (BITD) pèse autant que l’effet capacitaire. Ce contexte favorise naturellement la réparation plutôt que la rupture, d’autant que l’« arbitrage industriel défense » doit intégrer les externalités sociales, territoriales et contractuelles d’une décision brutale.

À l’inverse, un abandon réduirait certains risques médico‑légaux et budgétaires, mais imposerait des solutions de continuité. Prolonger des flottes existantes, comme Warrior, et étudier des plates‑formes disponibles (CV90, Lynx) nécessiteraient des budgets d’intégration, des adaptations doctrinales et des délais non négligeables. Le gain de court terme sur le risque sanitaire pourrait se monnayer en temps et en performance, le temps d’absorber de nouveaux standards et chaînes logistiques.

La confiance industrielle et l’export sont également en jeu. Une image technique dégradée alimente les renégociations et la prudence des partenaires, tout en réduisant la valeur perçue à l’étranger. À l’inverse, un plan de correction crédible exigera des preuves mesurables de robustesse et de sécurité, publiquement vérifiables, pour restaurer réputation et confiance. Dans les deux cas, transparence et cohérence de la communication seront déterminantes.

La décision est donc binaire et politique : corriger en profondeur, avec coûts et délais, ou rompre, avec ruptures industrielles et capacitaires. Le ministre a reconnu des lacunes d’acquisition et la nécessité de résoudre des problèmes significatifs sur plusieurs plates‑formes, alors que la montée en « posture de guerre » est affichée. À cet égard, la synthèse d’un organisme de réflexion britannique demeure éclairante : « RUSI a résumé la problématique en se demandant si le véhicule pouvait être réparé et s’il valait la peine d’être sauvé. » Cette interrogation condense, en une phrase, le dilemme technique, industriel et stratégique désormais à trancher. 

Conclusion

L’affaire Ajax dépasse l’incident sanitaire récent et concentre des arbitrages accumulés depuis des années : validations insuffisantes, contrôle qualité perfectible et ancrage industriel national générant de puissants coûts irrécupérables. Les effets conjoints sur la sécurité et la performance menacent la continuité opérationnelle, alors que l’IOC est affichée pour 2025.

Toute décision devra hiérarchiser la sécurité des personnels, stabiliser la chaîne industrielle et préserver une trajectoire crédible de disponibilité des unités. Corriger en profondeur ou rompre emportera des coûts et des risques durables ; la pertinence de l’option retenue se jugera à sa capacité à sécuriser, sans faux‑semblants, la préparation des forces terrestres et la cohérence capacitaire des prochains mois. 

Accès intégral 48 heures Cet article d’Actualités Flash est actuellement disponible en version intégrale. Au-delà de 48 heures, il sera réservé aux abonnés Meta-Defense.
S’abonner à Meta-Defense
Publicité

Droits d'auteur : La reproduction, même partielle, de cet article, est interdite, en dehors du titre et des parties de l'article rédigées en italique, sauf dans le cadre des accords de protection des droits d'auteur confiés au CFC, et sauf accord explicite donné par Meta-defense.fr. Meta-defense.fr se réserve la possibilité de recourir à toutes les options à sa disposition pour faire valoir ses droits. 

Pour Aller plus loin

RESEAUX SOCIAUX

Derniers Articles