jeudi, décembre 11, 2025

[Analyse] Combien de temps les Armées britanniques peuvent-elles combattre en Europe ?

La mise en regard, ces derniers jours, des capacités des armées britanniques face à la Russie pose une question simple, mais lourde de conséquences : la Grande‑Bretagne dispose‑t‑elle, aujourd’hui, de la puissance de combat, des soutiens logistiques et de l’assise industrielle nécessaires pour tenir un conflit de haute intensité plus de quelques semaines ? Les échanges à Londres révèlent, en effet, des faiblesses bien identifiées : des stocks limités, des chaînes de régénération lentes, et une profondeur humaine insuffisante.

En parallèle, de nombreuses capitales européennes s’interrogent sur leur propre crédibilité défensive. Pour autant, appliquer mécaniquement à l’Europe les abaques de pertes observés en Ukraine gomme des différences majeures entre les théâtres, à commencer par l’appui aéronaval disponible côté européen, le potentiel de l’industrie de défense, et le poids croissant de la frappe stratégique à longue portée.

L’ambition, ici, est donc de distinguer ce qui peut être transposé, de ce qui doit être corrigé. Les enseignements venus d’Ukraine rappellent, avec force, l’importance de la masse et des cadences industrielles. Néanmoins, le cadre euro‑atlantique n’est pas identique : la dispersion géographique des capacités, la supériorité aéronavale européenne, et une profondeur logistique maritime avérée, changent la nature de la manœuvre terrestre.

De surcroît, la Russie s’oriente davantage vers la saturation par drones et missiles, ce qui impose d’autres priorités qu’une simple remontée d’effectifs. Dès lors, la bonne grille de lecture n’est pas la symétrie, mais l’articulation entre défense aérienne multicouche, logistique résiliente, production soutenue et interopérabilité, afin d’éclairer les choix britanniques comme européens.

Le RUSI pointe l’absence d’échelons et de stocks pour les armées britanniques face à l’attrition prolongée

Les analyses du Royal United Services Institute (RUSI) mettent en évidence un angle mort tenace : les armées britanniques ne disposeraient pas, à ce stade, d’un plan crédible pour une guerre s’étendant au‑delà de quelques semaines. Au‑delà des constats relatifs aux capacités médicales et aux pipelines de régénération trop lents, l’étude pointe l’absence d’un deuxième et d’un troisième échelon capables d’absorber l’attrition, de reconstituer les unités et de soutenir l’effort logistique dans la durée. Comme le note le RUSI, la profondeur en personnel, plateformes et chaînes d’approvisionnement reste « notablement absente » dans la conception actuelle des forces britanniques.

Derrière des effectifs théoriques, la force effectivement projetable s’avère plus restreinte. La BBC observe que, sur environ 74 000 militaires, la part immédiatement mobilisable se réduirait sensiblement une fois retranchés les non‑déployables et les postes annexes. Cette contraction complique la régénération des unités, en particulier si le tempo opérationnel s’intensifie. La même source souligne, en outre, la vulnérabilité d’infrastructures civiles critiques, des câbles sous‑marins aux systèmes numériques, avec le risque d’aveuglement et de sabotage qui pèserait à la fois sur la conduite des opérations et sur la continuité économique.

Face à cette rareté de ressources humaines, Londres a entériné un changement de modèle. La Revue de Défense Stratégique britannique privilégie une substitution partielle de la masse par la numérisation, la robotisation et l’industrialisation de l’effort. En élargissant la « sphère Défense » à la base industrielle et technologique de défense (BITD), l’objectif est de gagner en puissance de feu et en résilience sans gonfler considérablement les effectifs, tout en faisant de l’industrie un acteur à part entière de la préparation et de la régénération.

Comme le résume Keir Giles, expert à Chatham House, cité par la BBC : « La masse, et des réserves profondes bien supérieures aux forces régulières, s’est révélée essentielle. » Ce rappel venu d’Ukraine ne discrédite pas l’option technologique britannique ; il en borne, toutefois, les limites très concrètes. Sans stocks, sans échelons logistiques profonds, et sans viviers humains disponibles, la technologie seule ne protège pas d’une attrition prolongée, ni n’assure la continuité de l’effort au‑delà des premières semaines. 

Transposer l’Ukraine sans fausser l’analyse les écarts industriels et logistiques européens

L’Europe n’aborde pas la question depuis le même socle industriel que l’Ukraine. La relance des capacités est engagée, mais elle requiert coordination et visibilité pluriannuelle pour atteindre l’échelle utile. Plusieurs initiatives associent défense totale, résilience civile et partenariats privés, tandis que la montée en puissance suppose des contrats fermes pour sécuriser des lignes d’obus, de missiles et de capteurs. Cette nécessité d’engagements sur plusieurs années, condition d’une accélération effective, est documentée dès les premières analyses de cadrage sur la préparation européenne au choc.

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1 COMMENTAIRE

  1. Merci de souligner les différences qui existeraient entre un conflit Europe/Russie vs Ukraine/Russie. Cette analyse est beaucoup trop absente du débat. Elle soulève évidemment d’autres questions:

    1/ La Russie a pris jusque là une approche patiente, à la Hitler 1938: on saucissonne étape par étape: Tchétchénie, Georgie, Ukraine I, Ukraine II. Poutine continuerait sans doute (les pays Baltes ?), et se poserait alors la question de la solidarité Européenne. « Faut-il mourir pour Tallinn? » à l’Assemblée Nationale, etc. Pour une dissuasion efficace, il est nécessaire de travailler la solidarité européenne dans l’opinion. Quand on voit les débats sur le SCAF ou le SAFE (qui soit dit en passant bénéficie énormément à la France !), le compte n’y est pas.

    2/ Quels buts de guerre en cas d’aggression Russe contre l’Europe ? Il est nécessaire d’avoir une but de guerre rassembleur pour mobiliser efficacement les sociétés européennes. La Russie étant (abondamment) dotée de l’arme nucléaire, il est inenvisageable à un horizon prévisible d’aller chercher Poutine dans son bunker – en admettant que cela soit même conventionnellement possible. De l’autre côté, la « simple » préservation de l’intégrité territoriale des états européens peut être incroyablement difficile à assurer (cf. la situation géographique des pays baltes).

    3/ Je pense qu’il ne faut pas sous-estimer la supériorité potentielle de l’Europe en matière aéronautique. Nous avons la technologie. Nous avons les capacités de production (imaginez ce que donneraient les chaines de production Rafale + Eurofighter + A330 MRTT + A400M à plein …). C’est clairement un domaine dans lequel la transposition Ukrainienne ne marche pas. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas un boulot considérable à faire, notamment du côté SEAD, mais je pense qu’on saurait faire, et potentiellement plus vite que la Russie. Et si on gagne une supériorité aérienne même partielle, cela change tout en matière de campagne au sol, ou de capacité à déployer leurs systèmes de drones.

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