jeudi, décembre 11, 2025

[Flash] IG Metall et Airbus exigent la scission du NGF, mais effleurent à peine le potentiel d’un programme de programmes

La lettre publique signée par des responsables d’IG Metall et des représentants d’Airbus relance l’hypothèse d’un développement parallèle de deux NGF au sein du FCAS, tout en maintenant l’engagement formel de la France, de l’Allemagne et de l’Espagne au programme. Ce déplacement du débat, qui inscrit une revendication sociale dans un dossier programmatique, réactive une option déjà discutée dans les analyses Meta‑Defense : transformer le SCAF en un « programme de programmes » centré sur un socle numérique et des standards partagés. Les enjeux sont clairs : sans garde‑fous normatifs et financiers, la duplication provoquerait des surcoûts et affaiblirait l’attrait export européen.

SCAF enlisements et calendrier resserré rendent le programme de programmes incontournable

Depuis 2017, le Système de combat aérien du futur (SCAF), ou Future Combat Air System (FCAS), s’enlise depuis 2017 dans des désaccords relatifs au partage industriel, à la gouvernance et au leadership du New Generation Fighter (NGF). Les compromis successifs ont entretenu une fragilité de fond, nourrissant une défiance persistante entre maîtres d’œuvre. Au final, des accords à courte vue n’ont jamais réglé les points durs, au risque d’emporter l’ensemble. Cette impasse structurelle explique que l’idée d’une réarchitecture ressurgisse régulièrement, non par effet de mode, mais faute d’un consensus durable sur l’avion lui‑même.

Côté français, la contrainte calendaire n’est plus un paramètre parmi d’autres : l’entrée en service autour de 2045 est décrite comme un verrou stratégique, difficilement négociable sans entamer la crédibilité capacitaire. Dès lors, toute réécriture d’architecture doit composer avec un impératif de délai que l’échéance 2045 rend politiquement non négociable. Autrement dit, toute solution allongeant les délais devrait, pour être acceptable, livrer des gains opérationnels tangibles ailleurs dans le système.

À vrai dire, convertir l’initiative en « programme de programmes » n’a rien d’iconoclaste. L’option E‑SCAF — mutualiser normes, capteurs et interfaces tout en acceptant des plateformes distinctes — a été formulée explicitement il y a des années. En 2019, l’idée de transformer le SCAF en un « programme de programmes » était déjà posée dans nos colonnes pour débloquer la gouvernance. On sourira donc, sans malveillance, de voir l’« innovation » du jour reprendre, presque mot à mot, ce qui figurait déjà sur la table en 2019.

La séquence politique, elle, se resserre. Réunion ministérielle, entretiens bilatéraux, perspective d’un arbitrage d’ici la fin de l’année : la fenêtre de décision se compte désormais en semaines, non en trimestres. Cette compression réduit la latitude de négociation et force des choix rapides, au risque de figer une architecture par défaut. Dans le même esprit, l’évaluation des chances d’aboutir du programme et de son jumeau terrestre MGCS a souligné une crise prolongée depuis 2017, avec une probabilité d’échec élevée si rien n’est tranché.

Dans ce contexte, une priorité opérationnelle fait consensus : faire du cloud de combat le socle commun. Miser sur la couche numérique et des standards d’interopérabilité offrirait des gains concrets plus vite, sans forcer d’emblée la convergence des plateformes. Cette trajectoire ne règle pas tout, certes, mais elle préserve une valeur d’usage commune et sécurise l’interopérabilité, en attendant mieux — ou autrement — sur l’avion. 

IG Metall et Airbus poussent deux NGF dans le SCAF en contestant le leadership de Dassault Aviation

La missive signée par IG Metall et des représentants d’Airbus propose de développer deux appareils distincts, l’un côté français, l’autre côté allemand, tout en conservant une architecture commune de FCAS. Ce faisant, le syndicat arrime une revendication d’emplois et de souveraineté industrielle à un débat programmatique, en assumant une scission maîtrisée. L’information, les griefs et l’option bi‑appareil sont présentés en détail, rapporte Infodefensa.

La lettre met directement en cause Dassault Aviation et sa fiabilité comme partenaire, en ciblant son dirigeant. Le propos est limpide : les compromis n’auraient plus de sens si le leadership de l’avion ne peut être partagé. Au passage, le conflit industriel devient social, ce qui accroît la pression interne sur Berlin. L’argumentaire réactive la ligne déjà connue côté allemand : refuser une gouvernance jugée trop centralisée sur le NGF et revendiquer une trajectoire propre, plutôt qu’un rôle d’exécutant.

trappier macron scaf
Eric Trappier, le PDG de Dassault Aviation, est directement mis en cause par IG Metall.

Cette prise de position s’inscrit dans une séquence d’options ouvertes de part et d’autre du Rhin. La presse allemande a détaillé la même logique, y compris l’exploration de voies alternatives comme GCAP, comme le souligne Hartpunkt.de. De fait, l’idée d’un rapprochement avec Tempest n’est pas née hier : le chef d’état‑major de la Luftwaffe avait déjà, en 2021, évoqué un rapprochement SCAF‑Tempest présenté comme plus naturel pour Berlin.

Pour l’Espagne, l’impact apparaît ambivalent. Les besoins futurs de la marine, avec un porte‑avions en perspective, rendent une option française — donc potentiellement navalisable — doctrinalement cohérente si deux avions étaient produits. Madrid conserverait ainsi un ancrage dans l’architecture commune tout en se rapprochant de la cellule la plus adaptée à ses contraintes. Cette lecture correspond aux éléments évoqués dans la lettre, qui soulignent des besoins nationaux réellement divergents sur l’embarqué, le nucléaire et les volumes d’escadrons.

Le calendrier n’aide pas. Des rendez‑vous ministériels rapprochés et des échanges au plus haut niveau accélèrent l’échéance d’un arbitrage : recentrer sur des briques communes ou valider une scission encadrée. La marge de manœuvre politique se réduit, au bénéfice de solutions techniquement pragmatiques mais coûteuses en symboles. D’une manière ou d’une autre, la fenêtre décisionnelle impose de clarifier la trajectoire avant la fin de l’année. 

Un bi‑appareil crédible impose un socle commun solide sinon GCAP redeviendra la porte de sortie

Pour qu’un scénario bi‑appareil soit acceptable, il doit reposer sur un socle numérique partagé, des standards d’interopérabilité opposables et une gouvernance robuste des interfaces. Autrement dit, l’« E‑SCAF » ne peut réussir que si l’on conçoit d’abord le langage commun des systèmes, avant de tolérer la divergence des cellules. Sans cela, le « deux avions » devient « deux mondes » qui ne se parlent pas, et l’interopérabilité se réduit à une promesse sans effets concrets en opérations.

Reste les verrous techniques. La propulsion et certains capteurs de très haut niveau constituent des domaines où des partenariats ciblés demeurent nécessaires. MTU, par exemple, maîtrise des segments clés, mais pas l’intégralité des parties chaudes d’un turboréacteur au niveau exigé pour le NGF. Sans accords clairs de transferts et de propriété intellectuelle sur ces briques, la séparation des avions alourdirait les coûts et dégraderait la performance opérationnelle, au‑delà du seul symbole industriel.

Vient ensuite l’impératif financier. Un encadrement anti‑duplication — partage des sous‑ensembles, cofinancements croisés, mutualisation des capteurs et des liaisons — est indispensable pour éviter la double peine des pertes d’échelle et des surcoûts. À défaut, l’Europe financerait deux chaînes parallèles pour des fonctions identiques, avec un rendement économique et capacitaire dégradé et une compétitivité à l’export mécaniquement affaiblie.

L’expérience a montré qu’un modèle « famille à variantes » peut fonctionner à condition d’imposer un socle d’interfaces réellement commun. Le programme FMAN/FMC illustre cette logique, avec deux vecteurs complémentaires inscrits dans la même famille, ce qu’illustre l’exemple Stratus LO/RS comme grammaire d’interopérabilité par interfaces. La leçon est simple : c’est l’architecture commune qui produit l’interopérabilité, pas l’illusion d’un produit unique bon pour tous.

Enfin, sans garde‑fous normatifs et contractuels clairs — transferts, droits, export, responsabilité — la scission produirait une fragmentation stratégique et industrielle durable. Le risque n’est pas théorique : une fusion à froid des trajectoires SCAF/Tempest aurait menacé directement les piliers français et les effets d’échelle. À ce stade, le dernier liant crédible reste bien la couche commune. Comme l’a rappelé le général Jérôme Bellanger, chef d’état‑major de l’Armée de l’Air et de l’Espace, lors d’une audition : « Nous devons absolument développer ce cloud de combat ensemble ». 

Conclusion

On comprend de ce qui précède que la proposition d’IG Metall réactive une option déjà formulée: admettre des plateformes différentes tout en consolidant un socle commun numérique et normatif. La viabilité d’un scénario bi‑appareil n’est pas seulement technique ; elle exige des règles contractuelles opposables sur les transferts, des mécanismes financiers anti‑duplication et des partenariats ciblés sur les briques critiques comme la propulsion et certains capteurs. Par ailleurs, la fenêtre politique comprimée impose des décisions rapides : sans engagements juridiques et financiers stricts, l’Europe risque la fragmentation industrielle et une érosion de son potentiel d’export. D’autre part, si les décideurs priorisent le cloud et les interfaces, ils peuvent conserver une coopération utile tout en laissant des trajectoires nationales pour les cellules. 

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