Dans un article du 21 juillet 2019, le blog opex360.com fait le lien entre l’investissement nécessaire de la Bulgarie pour acquérir 8 F16V afin de remplacer ses Mig29 pour un montant de 1,256 Md$, et le creusement du déficit public du pays, qui passera en 2019 de 0,5% à 2,1% du fait de cet investissement. Or, depuis plusieurs décennies, de nombreux hommes politiques français ont milité à Bruxelles pour sortir les investissements en matière d’équipements de Défense du décompte du déficit public. Pourquoi cette mesure n’a jamais eu l’oreille de la commission européenne ? et serait-il possible de proposer un mécanisme pour justifier un telle démarche ?
Si depuis le premier choc pétrolier, la France s’est habituée à évoluer avec des dépenses publiques supérieures aux recettes, ce n’est pas le cas de nombreux autres pays européens, pour qui l’équilibre budgétaire est une doctrine valant postulat. C’est le cas, par exemple, de l’Allemagne, des Pays-Bas, des pays Scandinaves et, étonnement, de nombreux pays d’Europe de l’Est, qui appliquent une rigueur budgétaire marquée depuis leur entrée dans l’UE. Ce positionnement, qui d’ailleurs n’aura pas empêché des dérives et un endettement croissant de nombreux états, notamment l’Allemagne, explique en partie le refus de considérer la proposition française. Il est vrais que, dans une monnaie unique comme l’Euro, le déficit public des uns se répercute sur la stabilité de la monnaie, donc sur la stabilité économique de l’ensemble des pays de la zone Euro. Le cas de la Grèce, puis des craintes sur la solvabilité de l’Espagne et de l’Italie, montrent à quel point ce paradigme est justifié.
En outre, les propositions françaises eurent lieux alors que tous les pays européens étaient engagés dans une réduction massive des formats et des moyens de leurs forces armées, sur l’autel des « bénéfices de la Paix ». La position française, qui elle aussi n’échappa pas à l’élan général, était perçue comme un anachronisme par de nombreuses capitales, même si la France les justifiait par la nécessité d’interventions et d’opérations exterieures, que ce soit en Cotes d’Ivoires, au Rwanda, au Tchad et au Liban, des théâtres considérés comme très lointains par les dirigeants européens.
Depuis le début de la décennie actuelle, avec l’intervention russe en Georgie en 2008, les printemps arabes et l’intervention en Libye, et surtout l’annexion de la Crimée et le soutien aux indépendantistes russophones dans le Donbass par la Russie, les pays européens prirent peu à peu conscience de la nécessité de reconstruire leur arsenal militaire. Depuis, les investissement en matière de programme d’équipements se sont multipliés, avec, fait notable, un recours très important aux équipements américains, même lorsque des solutions européennes existaient. Or, pour de nombreux pays, comme c’est le cas de la Bulgarie, de la Grèce, et même de la France et l’Allemagne, cet effort est limité par la nécessité de respecter les critères de convergences de la zone euro, et notamment un déficit public maximum de 3%. (La Bulgarie ne fait pas partie de la zone euro mais doit y adhérer dans les années à venir).
L’opposition des nécessités économiques et sécuritaires n’ayant pas permis de sortir du statu quo actuel, Il serait salvateur d’imaginer une approche alternative qui permettraient de libérer cet investissement, de sorte à répondre aux enjeux de défense qui se profilent aujourd’hui avec des délais parfois très courts.
Rappelons en premier lieu que, comme nous l’avons à plusieurs reprise établit dans la doctrine « Défense à valorisation Positive », le retour budgétaire de l’investissement dans l’economie de Défense en France est aujourd’hui égal à 145% des montants investis par l’Etat. Des études parallèles établissent que ce taux de retour budgétaire était supérieur à 100% dans la majorité des pays européens disposant d’un base industrielle et technologique défense. Dès lors, l’investissement réalisé par un pays européen pour acquérir des équipements dont la chaine de valeur est produite en Europe va créer un retour budgétaire positif dans le pays produisant l’équipement, ce qui, du point de vue de la zone euro, neutralise cet investissement, si tant est que effets positifs dans le pays fabriquant soient, eux aussi, neutralisés.
Ce paradigme permet donc de proposer trois approches permettant aux pays européens de neutraliser leurs investissements en matière d’équipements de Défense dans le calcul du déficit public, dès lors que l’équipement est effectivement produit en Europe :
- Il est possible de passer par une double écriture, l’une pour neutraliser la dépense du pays acquéreur, l’autre pour reporter cet investissement au déficit « de calcul » du pays fabriquant l’équipement, sur la quote part de la valeur de l’équipement effectivement produite sur son sol.
- Il serait également possible pour l’Etat fabriquant l’équipement de procéder à un abondement direct sur le prix des équipements acquis, correspondant à une partie des recettes et économies budgétaires générées par cet investissement, au bénéfice du pays acquéreur. ( C’est ainsi que procèdent les Etats-Unis, et que la facture Bulgare est passée de 1,7 Md$ à 1,25 Md$)
- Il est enfin possible de procéder à un mélange de ces deux approches, en procédant à un abondement par exemple de 35% sur le prix de vente, et une compensation budgétaire de 65% des montants investis.
Il faut noter que cette approche, équilibrée du point de vue de la politique monétaire de la zone Euro, favoriserait aussi grandement les industriels européens en Europe. En outre, elle peut également s’appliquer sur les acquisitions « domestiques », à savoir les acquisitions d’équipements de Défense passées à sa propre BITD. Elle permettrait, ainsi, de libérer les investissements de l’ensemble des pays européens pour accélérer la modernisation des forces de défense du continent.
A noter également que, si la compensation budgétaire ne peut être employée pour la vente d’équipements de Défense hors d’Europe, l’abondement partiel peut représenter un moyen très efficace pour contrer les politiques de prix très agressives de pays comme la Chine, la Russie, les Etats-Unis et même la Corée du Sud ou la Turquie, pour capter des marchés. Elle permettrait simplement de neutraliser le surcout des équipements européens lié à la pression fiscale plus importante dans nos pays.