La situation dans le nord de la Syrie aujourd’hui est ร ce point tendue que la moindre inflexion de positions engendre d’importantes variations de postures et de plans pour l’Ensemble des acteurs engagรฉs dans ce conflit. Le Prรฉsident Trump avait annoncรฉ, par un tweet, le retrait des forces amรฉricaines du nord de la Syrie, laissant le champs libre au dรฉclenchement d’une nouvelle opรฉration turque contre les forces Kurdes du YPG. Mais cette annonce, visiblement non concertรฉe, a dรฉclenchรฉ l’ire du congrรจs amรฉricaine, et ce dans le camps mรชme du prรฉsident Trump.
Ainsi, coup sur coup, ce furent Liz Cheney, Marc Rubio, Lindsey Graham et l’ancienne ambassadrice aux nations unis Nikky Haley, qui firent part de leur grande dรฉsapprobation de cette dรฉcision unilatรฉrale du prรฉsident, jugรฉe trรจs dangereuse tant pour la sรฉcuritรฉ de la rรฉgion que pour l’image des Etats-Unis. Dans ces temps marquรฉs par la procรฉdure de destitution entamรฉe par le camps Dรฉmocrate autour du scandale des pressions ukrainiennes, le Prรฉsident Trump ne pouvait se permettre une rupture avec les tรฉnors de son parti, et fit, une fois encore dans un tweet, part de sa dรฉcision d’assurer la protection des alliรฉs kurdes face ร la Turquie, si la situation l’exigeait. Quelques heures plus tard, le Pentagone signifiait que les forces spรฉciales amรฉricaines prรฉsentes dans le nord de la Syrie aux cotรฉs des forces du YPG ne seraient pas retirรฉes, mais qu’elles seraient, pour certaines, redรฉployรฉes.
Cependant, cette annonce ne suffira peut-รชtre pas ร dissuader le prรฉsident Erdogan de dรฉclencher l’opรฉration qu’il prรฉpare depuis plusieurs semaines, et au sujet de laquelle il a dรฉjร obtenu le feu vert de Moscou et de Tรฉhรฉran. En effet, le prรฉsident turc, qui doit faire face ร une baisse de sa popularitรฉ lui ayant dรฉjร coutรฉ la mairie d’Istanbul, ne peut se permettre d’apparaitre contraint ou fรฉbrile face aux menaces amรฉricaines. C’est d’autant plus vrais aujourd’hui, aprรจs la visite de Mike Pompeo ร Athรจnes la semaine derniรจre pour signer un accord de Dรฉfense permettant ร l’US Navy et l’US Air force d’utiliser plus de bases navales et aรฉriennes grecques, et durant laquelle il prit ouvertement position contre les revendications turques sur le gaz chypriote. De fait, aprรจs l’รฉlimination du programme F35 de la Turquie, et les menaces rรฉpรฉtรฉes du prรฉsident Trump contre l’รฉconomie turque, l’opposition avec les Etats-Unis est devenue, pour le prรฉsident Erdogan, une question de crรฉdibilitรฉ en matiรจre de politique intรฉrieure, son argumentaire politique nationaliste รฉtant largement centrรฉ sur le retour de la Turquie au ban des grandes nations.
Les europรฉens, et notamment la France, sont remarquablement peu loquaces sur cette crise syrienne, se bornant, en public, ร des appels ร la concertation. Ce silence mรฉdiatique a deux raisons. En premier lieu, les pays europรฉens tentent, dans la mesure du possible, de calmer les esprits, en oeuvrant en coulisse pour maintenir le statu quo. Surtout, les capitales europรฉennes savent qu’en cas de crise grave avec Ankara, elles pourraient voir le prรฉsident turc cesser de maintenir sur son territoire la grande majoritรฉ des rรฉfugiรฉs syriens, crรฉant de fait une vague de migrants vers l’Europe comparable ร celle de 2015. Or, Paris, Berlin comme Rome savent qu’une nouvelle vague de ce type risquerait de faire basculer beaucoup de gouvernements europรฉens vers le populisme et le nationalisme, avec, ร terme, d’importants risques pour l’Union europรฉenne. De fait, les europรฉens ne peuvent, aujourd’hui, prendre ouvertement fait et cause pour les kurdes contre Ankara, tant que le prรฉsident turc dรฉtiendra ce couperet au dessus des dรฉmocraties europรฉennes.
Reste qu’une opรฉration massive de la part des forces turques dans le nord de la Syrie pourrait bien raviver des tensions dans toutes la rรฉgion, dรฉjร largement dรฉstabilisรฉe par les manifestations anti-gouvernementales en Irak, et l’opposition de plus en plus grande entre Jerusalem, Riyad et Tรฉhรฉran. Et il faudra plus que quelques promesses pour amener Ankara ร ne pas appliquer son plan. Comme toujours, la politique รฉtrangรจre et le recours aux armes d’un pays sont avant tout conditionnรฉs par des รฉlรฉments de politique intรฉrieure. C’est donc sur ce volet qu’il faudra dรฉgager des axes de nรฉgociation avec le Prรฉsident Erdogan, pour รฉviter ce qui pourrait bien รชtre un second embrasement du Moyen-Orient.