La République du Sénégal a signé un contrat le dimanche 17 novembre 2019 portant l’acquisition auprès de Kership (filiale commune à Naval group et Piriou) de trois patrouilleurs hauturiers OPV 58 S au profit de la Marine nationale sénégalaise. Un effort significatif est consenti pour équiper cette marine de patrouilleurs hauturiers alors que d’importantes réserves de gaz ont été découvertes au large du Sénégal et de la Mauritanie. Les caractéristiques des OPV 58 S dénotent d’une montée en gamme sur le plan stratégique.
Le taux moyen de la croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) sénégalais entre 1999 et 2018 s’établissait à 4,64% par année. Sur la même période, le PIB augmentait de 6118 millions d’euros en 1999 à 19 897 millions d’euros en 2018. Les découvertes successives depuis 2014 de gisements de pétrole (3,7 milliards de barils) et de gaz (1000 milliards de m3) ne seront pas sans effet sur la production de richesses dans l’économie sénégalaise, ni sur ses besoins en termes de Défense et de sécurité. La mise en production interviendrait sur les années 2021 à 2023.
Le budget militaire sénégalais augmentait depuis les 207 millions d’euros (1,6% du PIB) consacrés en 2010 jusqu’à s’établir à 312,46 millions d’euros en 2018. Cette même année, les investissements s’élevaient à hauteur de 65,38 millions d’euros.
Le président Macky Sall (élu en 2012, réélu en 2019) s’est engagé à augmenter les effectifs des Forces armées sénégalaises. Pour la Marine nationale sénégalaise, l’objectif du président Sall est d’approcher des 2000 hommes à l’horizon 2025 et de mettre en œuvre le renouvellement des bâtiments. Deux séries de commandes successives (2013 et 2019) donnent la priorité au renouvellement des patrouilleurs hauturiers.
La Marine nationale sénégalaise est forte, d’environ, 1000 hommes. Les missions accomplies par la marine sénégalaise relèvent de ce qui est nommé « sauvegarde maritime » en France, c’est-à-dire des missions et actions pour assurer la souveraineté du Sénégal dans ses eaux territoriales, faire respecter les prérogatives souveraines sénégalaises dans ses zones économiques exclusives et assurer toutes les responsabilités incombant à Dakar, notamment vis-à-vis de la sécurité de la navigation. La lutte contre le trafic de drogues en mer prend une dimension nouvelle depuis les années 2010 tout comme les missions de police des pêches, en particulier à l’encontre des navires chinois.
La marine sénégalaise est concentrée dans la base navale de Dakar qui a été baptisée du nom de l’Amiral Faye Gassama lors d’une cérémonie qui s’était tenue le 22 janvier 2007. Premier officier sénégalais admis à l’École navale (1961) de la Marine nationale française. Cette base navale abrite les trois groupements qui structurent la Marine nationale sénégalaise : le Groupement Naval Opérationnel (GNO), le Groupement de Soutien de la Marine (GSM) et le Groupement de Surveillance Fluvio-maritime (GSFM).
Le Groupement Naval Opérationnel (GNO) commande l’ensemble des moyens navals de la Marine qui se répartissent en plusieurs flottilles : l’une endivisionne les Patrouilleurs de Haute Mer (PHM), une pour les Bâtiments de Surveillance Côtière (BSC), une encore pour les Vedettes Côtières Rapides (VCR) auxquels s’ajoute le groupe de transport.
La flottille des patrouilleurs de haute mer bénéficie de l’effort naval sénégalais décidé par le politique. La moyenne d’âge des unités de cette flottille est de 19,8 ans. Et seulement 4,3 ans de moyenne d’âge en retirant du décompte les trois plus anciennes unités qui seront très probablement remplacées par les trois commandées. Le contraste est saisissant vis-à-vis des trois Bâtiments de Surveillance Côtière (BSC) d’une moyenne d’âge de 44 ans ou de ceux du groupe de transport (3) âgés de 39,6 ans en moyenne.
Les trois plus anciennes patrouilleurs de haute mer sénégalais sont les :
Conejera (2012). Il s’agit d’un ancien patrouilleur espagnol de la classe Conjera, forte de quatre unités, dont il est la tête-de-série et à laquelle il donne donc son nom. Admis au service actif en 1981 au sein de l’Armada Española, il déplace 85 tonnes à pleine charge, est long de 32,2 mètres, marche jusqu’à 25 nœuds, fort d’une autonomie de 1200 nautiques à 15 nœuds et est armé d’un canon Oerlikon Mk.10 de 20mm. Armé par un équipage de 12 marins.
Njambuur (1983). Commandé par le Sénégal à la Société Française de Construction Navale (Villeneuve-la-Garenne, chantier naval fermé en 1992) en 1980 et admis au service actif trois années après la signature du contrat. Du type PR72, il déplace 440 tonnes à pleine charge, est long de 58 mètres, marche jusqu’à 28 nœuds, fort d’une autonomie de 2500 nautiques à 16 nœuds et est armé d’un canon OTO-Breda de 76 mm et d’une pièce de 40 mm. Armé par un équipage de 40 marins.
Fouta (1987). Il s’agit d’un patrouilleur hauturier du type Osprey 55 commandé par le Sénégal au chantier naval danois Danyard A/S Frederikshavn en 1986 et admis au service actif une année plus tard. Il déplace 516 tonnes à pleine charge, est long de 54,75 mètres, marche jusqu’à 23,7 nœuds, fort d’une autonomie de 2800 nautiques et est armé d’un canon de 40 mm et d’un autre de 20 mm. Armé par un équipage de 38 marins.
Les trois plus récents patrouilleurs de haute mer sénégalais sont les :
Ferlo (2013). Il s’agit d’un patrouilleur hauturier du type RPB 33 commandé en 2012 à la société française Raidco Marine. La coque (en composite) est conçue par Camarc Design (Royaume-Uni) et est construite par le chantier naval Ufast (Quimper). Il est admis au service actif en 2013. Il est long de 33,95 mètres, marche jusqu’à 30 nœuds, fort d’une autonomie de 1500 nautiques à 15 nœuds et est armé d’un canon de 20 mm. Il peut accueillir une embarcation semi-rigide de 6,15 mètres. Armé par un équipage de 17 marins.
Il est à noter que deux sister–ship du type RPB 33 furent également commandés sous le nom de programme Patrouilleurs de Surveillance Maritime de 33 mètres (PSM 33) en 2019 à Raidco Marine et c’est aussi le chantier naval Ufast qui est chargé de leur construction. Ces deux patrouilleurs seront affrétés par la Haute Autorité chargée de la coordination de la Sécurité maritime, de la Sûreté maritime et de la protection de l’enviroment MARin (HASSMAR) mais armés par la marine sénégalaise. Leur propulsion est moins puissante et ne leur assurera qu’un maximum de 22 nœuds et leur coque réduite à 33,73 mètres. La première unité sera livrée en 2020.
Kédougou (2015). Il s’agit d’un patrouilleur hauturier du type OPV 45 commandé en 2013 à la société française Raidco Marine. La construction est menée par le chantier naval STX France (Lannester). Il est admis au service actif en 2015. Il est long de 45,9 mètres, marche jusqu’à 30 nœuds, fort d’une autonomie de 2000 nautiques à 12 nœuds et est armé de trois canons de 20 mm. Il peut accueillir deux embarcations semi-rigides de 6,2 mètres. Armé par un équipage de 17 marins.
Fouladou (2016). Il s’agit d’un patrouilleur hauturier du type OPV 190 Mk II commandé par le Sénégal au chantier naval Ocea (Les Sables-d’Olonne) en 2014 et admis au service actif deux années plus tard. Il déplace 500 tonnes à pleine charge (coque en aluminium), est long de 58 mètres, marche jusqu’à 26 nœuds, fort d’une autonomie de 5500 nautiques à 12 nœuds et est armé d’un canon téléopéré de 30 mm. Il peut accueillir deux embarcations FRSQ 700 de 7,14 mètres. Armé par un équipage de 24 marins, les logements permettent l’accueil de 11 passagers en plus.
Les trois nouveaux patrouilleurs de haute mer sénégalais sont du type OPV 58 S. Le contrat portant commande a été signé en la présence du Président de la République sénégalaise, M. Macky Sall, du Premier ministre de la République française, M. Édouard Philippe et de la ministre des armées française, Mme Florence Parly. Commande qui est attribuée à Kership (Piriou (55%) et Naval group (45%). À partir de la date d’entrée en vigueur dudit contrat, c’est-à-dire au cours de l’année 2020, Pirou disposera de 44 mois afin d’assurer la construction des trois bâtiments. Le contrat comporte un contrat de maintien en condition opérationnel qui sera exécuté par Piriou Ngom Sénégal (implantation créée en 2017).
Le montant du contrat n’est pas précisé mais eu égard aux caractéristiques nautiques et opérationnelles des trois patrouilleurs hauturiers, en comparant avec les coûts habituellement constatés, le volume financier jaugera probablement dans les 80 à 100 millions d’euros. Il est à considérer vis-à-vis du budget militaire 2018 : 312,46 millions d’euros.
Les trois OPV 58 S seront long de 62,2 mètres, soit 4 mètres de plus que la proposition commerciale référencée, pour 9,5 mètres au maître-bau (plus grande largeur) et un tirant d’eau de 2,9 mètres. Le déplacement à pleine charge sera de l’ordre des 550 tonnes. L’autonomie sera de 4500 nautiques à 12 nœuds, les futurs bâtiments ayant assez de vivres pour tenir 25 jours de mer sans escale. Ils seront armés par un équipage de 24 marins et les logements permettront d’accueillir 24 passagers de plus.
Le plus remarquable dans ce programme au service des capacités navales sénégalaises sont les futures caractéristiques opérationnelles. L’artillerie navale comprendra une pièce de 76 mm d’OTO Melara et probablement du type Super Rapido. Quatre missiles anti-navires Marte Mk2N (> 30 km de portée) seront disposés dans quatre lanceurs partagés entre deux rampes doubles sur la plage avant entre la pièce d’artillerie et le bloc passerelle. La défense anti-aérienne sera assurée par un système SIMBAD-RC (Système Intégré de Mistral Bitube d’Auto-Défense (SIMBAD) – Remoted Controlled (RC) comprenant deux lanceurs pour missiles MISTRAL 3 (MIssile Transportable Anti-aérien Léger) d’une portée supérieure à 8 km. Plus une rampe permettant la mise à l’eau de deux embarcations semi-rigides.
Ces trois systèmes (76 mm, Marte Mk2N et SIMBAD-RC) amènent à questionner la suite de senseurs qui seront installés à bord, notamment vis-à-vis du radar, de ou des conduites de tir afin que le système de combat Polaris soit capable de repérer, suivre et permette l’engagement d’une menace. Aussi, il est attendu de connaître si la capacité à accueillir deux conteneurs entre le bloc passerelle et le SIMBAD-RC sur la plage arrière préfigure une éventuelle capacité et volonté de mettre en œuvre des modules mission, comme par exemple pour la lutte contre les mines.
Ce nouveau contrat dénote de deux évolutions stratégiques majeures vis-à-vis des capacités navales sénégalaises :
La première est l’accroissement des capacités de lutte anti-navires. Seul le patrouilleur hauturier Njambuur (1983) possédait une pièce de 76 mm, les cinq autres unités ayant, tout au plus, un canon de 40 mm. Les trois OPV 58 S auront tous un 76 mm dont la finalité est la lutte anti-navires, non pas à la police des pêches – sauf cas très exceptionnels. Fait tout aussi remarquable, ces trois patrouilleurs hauturiers seront les premiers bâtiments sénégalais à recevoir et à pouvoir mettre en œuvre des missiles anti-navires. La capacité communiquée est cohérente avec une solution de tir fournie par les seuls senseurs du bord.
La évolution stratégique majeure est l’apparition de capacités de lutte anti-aérienne dans la marine sénégalaise avec un lanceur double SIMBAD–RC pouvant tirer des MISTRAL 3. Ce missile a récemment fait étalage de sa capacité à engager des drones. Et il a toutes les facultés pour engager des objets aériens entrant dans son enveloppe de tir. La marine sénégalaise était totalement dépourvue de telles capacités depuis sa création, ses bâtiments ne pouvaient se défendre contre un objet aérien hostile que par l’entremise des pièces d’artillerie navale et des armes légères d’infanterie servant à l’auto-défense.
Ces trois patrouilleurs hauturiers du type OPV 58 S quand ils seront admis au service actif constitueront des moyens navals dissuasifs vis-à-vis des marines régionales et auront la faculté de tenir en respect les marines étrangères qui ne pourront pas ignorer que pour s’opposer à l’un de ces bâtiments il s’agira de pouvoir l’engager avant qu’il ne soit en mesure de calculer une solution de tir.
La Marine nationale sénégalaise disposera au début des années 2020 d’une flottille de patrouilleurs de haute mer entièrement renouvelée, forte de six unités avec une moyenne d’âge sous les dix ans, dont trois unités dotées de capacités anti-surface et anti-aériennes. Et même huit patrouilleurs de haute mer en tenant compte des deux PSM 33 de l’HASSMAR. Est-ce que le cycle de puissance navale sénégalais ira jusqu’à augmenter ce format, renouveler les autres groupes de la marine ou bien densifier l’armement des trois plus cinq patrouilleurs ?