Le ministre polonais de la défense, M. Mariusz Błaszczak, confirmait, lors de la journée de la marine polonaise, par communiqué l’existence de négociations avec la Suède pour la location de longue durée ou l’acquisition patrimoniale de deux sous-marins de la classe Södermanland afin de procurer à la marine polonaise une capacité sous-marine transitoire. Cela ne signifie pas, selon le ministre, l’abandon du programme Orka. Il s’agirait pour la Suède du lancement d’un nouveau chantier de modernisation des quatre sous-marins de la classe Södermanland dont les deux singapouriens de la classe Archer que la Suède pourraient reprendre à son compte.
La sous-marinade polonaise était forte au début des années 2000 de deux classes de sous-marins différentes que sont :
Le projet 877 Paltus (Kilo dans la classification OTAN) comprenant l’ORP Orzeł (projet 877 soviétique), admis au service actif en 1986, n’est plus opérationnel depuis plusieurs années en raison de trois points d’obsolescences : la suite sonar, les mâts du massif et les tubes lance-torpilles. La suite sonar est même réputée hors-service (manque de pièces, de travaux). Faute d’avoir été modernisé, le tissu industriel pour soutenir les sous-marins du projet 877 n’existe pratiquement plus et n’est de fait pas accessible pour l’un des membres de l’OTAN le plus antagoniste à la diplomatie russe. Les autres bâtiments existants ont été retirés du service ou modernisés. Il ne reste comme choix à la marine polonaise, comme à la Marine Roumaine qui est dans la même situation, qu’une profonde modernisation ou la revente du bâtiment.
La Sjøforsvaret (marine norvégienne) céda également les sous-marins KNM Kunna (1964 – 2003), KNM Skolpen (1966 – 2001), KNM Stord (1967 – 2002) et KNM Svenner (1967 – 2001) de la classe Kobben (Type 205, version allongée et modernisée des Type 201 produits par HDW au profit de la marine allemande) à la marine polonaise. Les quatre bâtiments souffraient déjà d’une moyenne d’âge de 37 ans en 2003. Ils servent ou servaient depuis, respectivement, sous les noms d’ORP Kondor (2003 – 2017), ORP Sęp (2002), ORP Sokół (2002 – 2018) et ORP Bielik (2003).
Le programme Orka devait être l’un des piliers du renouvellement des bâtiments de la marine polonaise porté par le plan de modernisation (2010 – 2018). Il s’agissait d’acquérir deux à trois sous-marins de facture neuve dotés, notamment, de la capacité opérationnelle à mettre en œuvre des missiles de croisière (Submarine-Launched Cruise Missile (SLCM). Ces sous-marins devaient être assemblés dans un chantier naval polonais. L’entrée en phase de réalisation du programme Orka était jusqu’alors attendue incessamment sous peu depuis 2015. La mise à jour, en 2017, de la programmation navale polonaise dans le cadre du plan de modernisation amendé en 2012 (2013 – 2022) visait toujours au lancement du programme Orka pour une admission au service actif des nouveaux sous-marins entre 2024 et 2026.
Naval group (Scorpène), SAAB (A26) et Thyssen Krupp Marine Systems (Type 212 CD) s’étaient positionnés. La société de construction navale française semblait être la mieux à même de ravir le contrat puisque la seule à pouvoir proposer la capacité à mettre en œuvre des missiles de croisière depuis les trois sous-marins (SLCM) avec la version à changement de milieu (missile tiré par tube lance-torpille à l’intérieur d’un véhicule sous-marin, même technique que les SM-39/SM-39 Block 2 Exocet) du Missile de Croisière Naval (MdCN). La détérioration des relations franco-polonaises entre juillet 2018 et décembre 2018 expliquerait que le gouvernement français ait retiré son autorisation à fournir le MdCN à la marine polonaise dans le cadre du programme Orka. Aucune discussion relative au programme Orka ne semble avoir eu lieu au cours de l’année 2019.
Le ministère de la défense polonais avait étudié dès 2016 l’acquisition de sous-marins norvégiens de la classe Ula ou Type 210 co-conçus par HDW et Kongsberg. Les six sous-marins de la classe Ula, admis au service actif entre 1989 et 1992, furent modernisés (2005 et 2015) pour rester en service jusqu’à l’orée de l’année 2025. En 2019, la moyenne d’âge est de 28,5 ans. TKMS remporta la procédure (2014 – 2017) de remplacement de la capacité sous-marine le 3 février 2017 après que l’Allemagne se soit engagée à commander deux sous-marins du modèle proposé à la Norvège. La signature du contrat de 4354,78 millions d’euros pour 4 sous-marins Type 212 CD était attendue en 2019 avec une entrée en service du premier bateau fin 2026.
Mais l’offre allemande a été jugée non-conforme aux exigences norvégiennes et allemandes. Les discussions autour de la nouvelle offre déposée fin juillet 2019 devrait durer jusqu’en 2020. Les travaux et chantiers pour étendre la durée de vie de quatre des six sous-marins Ula exigent 158,33 millions d’euros (2019) plus 58,68 millions d’euros (2019) pour la constitution d’un stock supplémentaire de pièces de rechanges. Deux sous-marins classe Ula doivent être désarmés à partir de 2022. L’enveloppe budgétaire norvégienne apparaît comme très contrainte au point d’être perçue comme une source de difficultés depuis 2018 pour la conclusion du contrat et le lancement du programme.
La Pologne s’est désintéressée du cas des sous-marins de classe Ula en 2017. Le coût de modernisation et de prolongation au service de ces deux sous-marins (54,25 millions d’euros par bateau, en se fondant sur les coûts pour les quatre Ula norvégiens) et les six années à attendre, plus les délais inhérents aux travaux, pour disposer des bateaux paraissaient peut être incompatibles avec le besoin de la marine polonaise. À moins que la séquence politique où le lancement du programme Orka était engagé (2015 – 2018) puisse avoir justifiée de ne plus s’intéresser à une acquisition de sous-marins d’occasion.
Defense24.pl 24 faisait état le 26 novembre 2019 de discussions assez avancées menées par le gouvernement polonais avec celui de la Suède pour la cession de deux sous-marins du programme A17 ou classe Södermanland. Le ministre polonais de la défense, M. Mariusz Błaszczak, confirma par communiqué l’existence de ces négociations, et nous apprit qu’il existait des rumeurs quant à un intérêt polonais pour les sous-marins brésiliens Timbira (1996) et Tapajó (1999) du Type 209/1400 (HDW) pourtant plus jeunes.
Les sous-marins HMS Södermanland (1989) et HMS Östergötland (1990) appartiennaient initialement à la classe Västergötland (4) qui comptait à l’origine quatre bateaux. En raison d’une modernisation menée à Malmö (2000 – 2004) avec un allongement de la coque de 48,5 à 60,5 mètres afin d’insérer un tronçon contenant le module AIP Stirling (2 x moteurs Stirling Kockums v4-275R) à oxygène liquide, ils retournèrent en flotte en tant que classe Södermanland et non plus Västergötland.
Les HMS Västergötland (1987 – 2005) et HMS Hälsingland (1988 – 2005) bénéficièrent des mêmes travaux que la classe Södermanland auxquels s’ajoutent une adaptation aux eaux tropicales entre 2006 et 20010 au profit de la Republic Singapor Navy qui les avait acquis le 4 novembre 2005. Les HMS Hälsingland et HMS Västergötland servent avec, respectivement, les noms de baptême RSS Archer (2011) et RSS Swordsman (2013) où ils constituent la classe Archer.
Ces négociations autour de la cession des HMS Södermanland (1989) et HMS Östergötland (1990), âgés de 29,5 ans en moyenne, permettraient à la marine polonaise de rajeunir sa sous-marinade car seuls les ORP Sęp (2002) et ORP Bielik (2003) sont opérationnels en 2019, avec une moyenne d’âge de 52,5. Par ailleurs, la sous-marinade polonaise bénéficierait du tissu industriel suédois soutenant, non seulement la classe Södermanland, mais aussi la classe Archer puisque ces quatre unités sont toujours en service, contrairement aux sous-marins de la classe Kobben pour lesquels les deux exemplaires polonais sont les seuls à toujours naviguer.
En cas d’admission au service actif des deux sous-marins de la classe Södermanland, la sous-marinade polonaise changerait de dimension :
Les Kobben sont des sous-marins longs de 47,2 mètres pour un diamètre de 4,7 mètres et un déplacement en plongée de 524 tonnes. Ils peuvent marcher jusqu’à 12 nœuds en surface et 18 en plongée. Leur autonomie serait de 4200 miles nautiques à 8 nœuds en surface et de 230 miles nautiques en plongée à 4 nœuds. L’immersion opérationnelle ne dépasserait pas les 180 mètres. Ils sont armés par 8 tubes lance-torpilles de 533 mm et auraient huit torpilles aux tubes. L’équipage est de 18 à 24 marins.
Les Södermanland sont longs désormais de 60,5 mètres pour un diamètre inchangé de 6,1 mètres et un déplacement en plongée de 1500 tonnes. ls peuvent marcher jusqu’à 11 nœuds en surface et 20 en plongée. Leur autonomie est de 45 jours en opérations. L’immersion opérationnelle est de 300 mètres. Ils sont armés par 6 tubes lance-torpilles de 533 mm avec 12 torpilles (6 aux tubes, 6 sur racks) auxquels s’ajoutent trois tubes lance-torpilles de 400 mm accueillant 6 torpilles (dont 3 aux tubes). L’équipage est de 20 marins.
Les seules qualités nautiques des sous-marins suédois du programme A17, dont la faculté de plonger jusqu’à 300 mètres, permettront à la sous-marinade polonaise de mieux exploiter le volume sous-marin de la Mer Baltique (profondeur maximale de 459 mètres). En outre, la marine polonaise disposerait de deux sous-marins dotés d’un module AIP permettant des plongées plus longues sans nécessité de retour à l’immersion périscopique afin de recharger les batteries. Ce choix permettrait, enfin, de rajeunir de 23 ans la moyenne d’âge des sous-marins polonais, de changer de format (deux sous-marins de 1500 tonnes en lieu et place de deux unités de 530 tonnes) et d’augmenter les capacités opérationnelles pour la fraction du coût d’un sous-marin neuf (600 à 800 millions d’euros).
L’offre suédoise est particulièrement ingénieuse car le coût de la modernisation des deux Södermanland serait de l’ordre de 230 millions d’euros (2019). Pour comprendre les implications politico-industrielles, il est nécessaire de présenter les derniers travaux et chantiers de la flotte sous-marine suédoise.
L’ouverture de ces négociations impliqueraient une nouvelle décision suédoise quant au format de sa propre force sous-marine actuellement forte de cinq bateaux, et l’objectif stratégique de demeurer à ce niveau. Ces cinq sous-marins sont les HMS Södermanland (1989) et HMS Östergötland (1990) de la classe Södermanland (programme A17) ainsi que les HMS Gotland (1996), HMS Uppland (1997) et HMS Halland (1997) de la classe Gotland (programme A19S).
Afin d’assurer la jonction avec le programme A26, dont deux sous-marins sont d’ores et déjà commandés et en cours de construction (HMS Blekinge et HMS Skåne), les HMS Gotland (2017 – 2018) et HMS Uppland (2018 – 2019) furent refondus pour un montant de 115 millions d’euros par bateau. La coque fut allongée de 2 mètres. Le module AIP Stirling Mk2 fut remplacé par le Stirling Mk3 et 20 systèmes (dont le système de combat, la suite sonar, les mâts du massif) prévus pour le programme A26 furent installés en avance de phase sur ces deux unités afin de pouvoir, notamment, les tester préalablement à la mer. Une option existe quant à la modernisation du troisième Gotland : le HMS Halland (1997).
La conclusion d’un accord de cession des HMS Södermanland (1989) et HMS Östergötland (1990) par la Suède au profit de la Pologne impliquerait la levée de l’option portant modernisation du troisième Gotland par Stokholm.
Pour respecter le format de cinq sous-marins, la Suède négocierait, selon Defense24.pl, la rétro-cession des RSS Archer (2011) et RSS Swordsman (2013) afin qu’ils reprennent du service au sein de la marine suédoise en tant que HMS Västergötland (1987 – 2005) et HMS Hälsingland (1988 – 2005).
Selon le plan d’ensemble brossé par Defense24.pl, la Suède proposerait à la Pologne de rejoindre le chantier de modernisation des classes Archer et Södermanland. Cette refonte des deux sous-marins Södermanland couterait 115 millions d’euros par navire, soit le coût de la refonte des Gotland. L’idée finale est donc d’obtenir un effet de série à partir du programme de modernisation des Gotland qui serait étendu aux quatre bateaux des classes Archer et Södermanland. Toujours selon la même source, ce chantier comprendrait toujours l’intégration des systèmes prévus pour les sous-marins du programme A26.
La date d’admission au service actif, faute d’accord et de contrats signés, ne peut être précisée, mais la refonte des Gotland exigeait environ deux années de travaux. En tenant compte des délais d’études afin de mener les mêmes travaux, mais sur une classe, certes pas si éloignée sur le plan architecturale, mais néanmoins différente, il y a tout lieu de considérer cette durée comme incompressible. Au mieux, la Pologne recevrait donc son premier sous-marin en 2022, ou plus probablement en 2023.
Par cette manœuvre, la Suède ne tente pas de revendre à la marine polonaise les deux sous-marins de la classe Archer quand ils pourront être remplacés par de nouveaux bateaux en Suède, car ils auront 37,5 ans en moyenne en 2025. La véritable finalité est d’engager la Pologne dans l’acquisition des vingts systèmes du programme A26 sur deux bateaux anciens afin de pouvoir proposer, lors du lancement du programme Orka, de les débarquer des deux Södermanland pour servir à la construction d’unités neuves.
Néanmoins, il est probable que le coût final de la cession intégrera un lot de pièces de rechanges, une contractualisation du soutien assuré par l’industrie suédoise, la documentation technique, la formation initiale de deux équipages, un probable lot d’armes tactiques (2 x 18 torpilles au minimum) et le coût d’achat des deux sous-marins .
L’enveloppe budgétaire serait, dès lors, plus probablement de l’ordre des 400 à 500 millions d’euros, ce qui est peu ou prou le coût “nu” d’un sous-marin neuf. Et avec une telle enveloppe, est-il préférable de louer, ou de procéder à l’acquisition patrimoniale ? L’intérêt commercial de SAAB Kockums est que la Pologne reçoive la pleine propriété des sous-marins.
Dans l’hypothèse où d’autres sources recouperaient ces informations polonaises, il s’agira de reconnaître le caractère brillant de la manœuvre suédoise. Celle-ci en dit néanmoins beaucoup sur le caractère critique du plan de charge de SAAB Kockums qui aurait désespérément besoin d’abonder sa charge de travail. Cela ne dispensera pas la Suède de commander un ou plusieurs sous-marins supplémentaires du programme A26, ou de mettre à l’étude une nouvelle classe au début des années 2020, voire de faire les deux. On peut dès lors s’interroger sur la viabilité de l’industrie sous-marine suédoise sans commandes étrangères, avec un format de seulement cinq sous-marins s’ajoutant aux deux en constructions.
La Pologne, de son coté, recevrait de nouveaux moyens opérationnels permettant de repousser le lancement du programme Orka au début des années 2020 avec une entrée en service des nouveaux bateaux à partir de 2030, quand les Södermanland atteindront les 40 ans. La modernisation, même à 115 millions d’euros, ne rajeunit pas les coques. Les deux questions stratégiques seront alors, pour Varsovie, de déterminer le format de la capacité sous-marine souhaitée, et donc ses capacités opérationnelles, notamment concernant les missiles de croisière tirés par sous-marin. En outre, repousser le programme Orka pourrait permettre d’accélérer le programme de nouvelles frégates, un autre programme critique pour Varsovie.