Livraison d’armes à l’Ukraine : la Pologne à sec, symptôme d’un phénomène de grande ampleur à venir.


Depuis le début de l’agression russe, la Pologne avait été en première ligne pour la livraison d’armes à l’Ukraine. En un an et demi, Varsovie a ainsi livré plus de 300 chars T-72, PT-91 et Leopard 2A4, ainsi que 14 Mig-29 et de nombreux véhicules blindés et munitions de tous types à Kyiv.

De fait, la Pologne a été, pendant longtemps, le plus important pourvoyeur de matériels militaires lourds pour soutenir les armées ukrainiennes, y compris devant les Etats-Unis, et a joué à plusieurs reprises le rôle d’aiguillon pour faire bouger les lignes occidentales en matière de livraison d’armes.

Enfin, la Pologne a accueilli plus de la moitié des 4 millions de réfugiés ukrainiens, et a permis à de très nombreux matériels militaires occidentaux de transiter par son territoire pour atteindre l’Ukraine.

La Pologne à sec concernant la livraison d’armes à l’Ukraine

Toutefois, cet effort spectaculaire s’est fait au détriment des armées polonaises qui, dans certains domaines, ont perdu près de 40 % de leurs capacités opérationnelles du fait des livraisons à l’Ukraine.

Livraison d'armes à l'Ukraine Pologne PT-91
La Pologne a livré à l’Ukraine plus de 300 chars lourds PT-91 et T-72, ainsi que des Leopard 2A4.

Si Varsovie s’est engagée depuis plusieurs mois dans une dynamique tout aussi spectaculaire pour moderniser ses armées, les livraisons des nouveaux équipements prendront de plusieurs mois à plusieurs années, période durant laquelle la Pologne sera exposée et vulnérable, ce d’autant qu’elle ne peut guère compter sur ses voisins européens pour venir renforcer ses propres défenses.

En outre, comme les lecteurs de Meta-defense le savent depuis de nombreux mois, Moscou a entrepris, à partir de l’été 2022, de profondément reformer sa propre industrie de defense, et de passer le pays en réelle économie de guerre.

De fait, quelle que soit la conclusion du conflit ukrainien, les armées russes seront rapidement en capacités de venir menacer la Pologne ou les Pays Baltes à ses frontières.

L’annonce choc, mais attendue, du premier ministre polonais Mateusz Morawiecki

Il n’y a donc rien de vraiment surprenant dans la déclaration du premier ministre polonais Mateusz Morawiecki au sujet de l’arrêt des livraisons d’armes polonaises à l’Ukraine.

Quant au contexte lié aux tensions entre Kyiv d’un côté, Varsovie, Bratislava et Budapest de l’autre, au sujet des céréales ukrainiennes, qui plus est dans un contexte préélectoral exacerbé en Pologne, il n’aura eu l’effet que d’un révélateur d’une situation par ailleurs inévitable et prévisible.

premier ministre polonais Mateusz Morawiecki
Le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a annoncé la fin des livraisons d’armes à l’Ukraine, afin de maintenir les forces nécessaires face à la menace.

Tout prévisible qu’il fut, ce phénomène d’épuisement des stocks d’armement transférable à l’Ukraine, n’a pourtant pas été anticipé, ni par Varsovie, ni par les autres pays européens, qui, eux aussi, sont exposés aux mêmes limitations.

Les conséquences de l’effort de guerre russe

C’est ainsi qu’après avoir livré une petite centaine de chars Leopard 2 modernes, les livraisons européennes se composent désormais de chars Leopard 1 datant de la fin des années 60 et du début des années 70.

Ceux-ci n’ont guère à envier aux T-62 et T-55 sortis des stocks en Russie. Cependant, ils ne représentent qu’une partie des chars livrés aux armées russes. En effet, les usines d’armement russes tournent à présent à plein régime, à des cadences supérieures à celles d’avant-guerre.

Ainsi, l’usine de chars Uralvagonzavod de Nijni Taguil, dans l’Oblast de Sverdlovsk, dans l’Oural, produit dorénavant de 200 à 400 chars par an, selon les sources, majoritairement des T-90M, mais également des T-80BV et T-72B3M, c’est-à-dire des modèles beaucoup plus récents et performants que les Léopard 1 envoyés en Ukraine.

Le mirage des usines d’armements en Ukraine

Pour tenter de répondre à la dangereuse évolution du rapport de force qui se dessine, Kyiv a entrepris, depuis plusieurs mois, de négocier avec les industriels européens la construction d’infrastructures permettant la production de ces équipements en Ukraine.

KF-51 Panther Rheinmetall
Rheinmetall aurait entrepris la construction d’une usine de chars et de blindés lourds en Ukraine, peut-être pour produire des chars KF51 Panther.

C’est ainsi que Rheinemtall aurait entrepris, depuis plusieurs semaines, la construction d’une usine capable d’assembler jusqu’à 400 blindés lourds, chars de combat et véhicules de combat d’infanterie par an.

Des négociations ont par ailleurs démarré avec la Suède pour la construction locale de CV9040, ainsi qu’avec le finlandais Patria pour la production de blindés 8×8 AMV.

Toutefois, si la production de blindés russes a augmenté, c’est aussi le cas de celle des missiles balistiques, des missiles de croisière ou encore de drones d’attaque à très longue portée comme le Geranium dérivé du Shahed-136.

Comme l’ont montré les frappes massives russes sur les infrastructures critiques ukrainiennes ces derniers jours, même si les systèmes antiaériens et antimissiles livrés par les occidentaux sont performants, ils sont dans l’impossibilité de protéger certaines infrastructures face à des attaques se voulant saturantes.

Or, tout indique que les armées russes reconstituent activement leurs stocks de capacités de frappe à longue distance, précisément pour être en mesure de frapper les infrastructures nécessaires le moment voulu.

En d’autres termes, il est très peu probable que Moscou permette à une usine Rheinmetall ou Patria de sortir de terre en Ukraine, sans venir raser l’infrastructure par des frappes massives et coordonnées de missiles et de drones.

missile Kinzhal Mig-31K
La production de missiles et de drones à longue portée a aussi augmenté en Russie, venant menacer les infrastructures du pays, comme les nouvelles usines d’armement espérées par Kyiv.

À ce constat déjà alarmant, s’ajoute le risque de plus en plus pressant d’une diminution sensible de l’aide américaine au-delà des élections de 2024.

Moins de 35 % de chance que les livraisons d’armes américaines se maintiennent au-delà de 2024

En effet, pour maintenir le soutien de Washington à Kyiv au niveau qu’il atteint aujourd’hui, il serait nécessaire que le président Joe Biden (ou Kamala Harris le cas échéant) soit élu à la Maison blanche, et que le congrès soit favorable à ce soutien.

Or, les sondages ces derniers mois montrent une opinion publique divisée à parité stricte entre les soutiens de Donald Trump, et de Joe Biden. En d’autres termes, il y a une chance sur deux qu’un président démocrate favorable ou soutien à l’Ukraine soit élu, mais aussi une chance sur deux que le nouveau Congrès qui sortira des urnes soit aligné avec cette politique.

Ainsi, les chances que le soutien américain perdure au-delà de 2024, ne sont à présent que de 25 %, 35 % dans le meilleur des cas, en tenant compte des possibles dissidences à Donald Trump au sein du Parti républicain.

De fait, tout indique que d’ici à une année, la position militaire de l’Ukraine ira en se dégradant rapidement sous l’effet conjugué d’une baisse de l’aide l’US, de l’assèchement des stocks transférables européens, de l’impossibilité pour Kyiv d’augmenter sa production locale et de l’effort de guerre massif russe.

En outre, même si la contre-offensive ukrainienne en cours ou à venir venait à être couronnée de succès, et que les armées de Kyiv parvenaient à libérer de grandes portions de territoires sous contrôle russe, il est des plus probable que Moscou repasserait à l’attaque une fois ses armées reconstituées.

Donald Trump
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche signifierait presque certainement une baisse critique de ‘l’assistance militaire américaine à Kyiv.

Dans ce domaine, il est évident, depuis plusieurs mois, que la Russie planifie son effort de guerre sur plusieurs années, là où l’Ukraine peine à voir au-delà d’une seule année, et que l’aide occidentale se limite à quelques mois de visibilité.

La production extraterritoriale en Europe comme unique alternative pour Kyiv

La seule alternative crédible pour faire face à la situation en développement aujourd’hui, serait que les pays européens acceptent de déployer sur leur sol des infrastructures de production extraterritoriales ukrainiennes, peut être sous la forme d’un leasing pluriannuel ou d’une coentreprise internationale, permettant à Kyiv de financer la production d’équipement tout en ayant une garantie de pérennité suffisante pour ses investissements.

Cette solution permettrait non seulement d’exploiter les usines de production dans un environnement bien plus sécurisé, mais aussi d’en simplifier la chaine de sous-traitance. Quant à la main d’œuvre, elle pourrait être en grande partie fournie par l’Ukraine, dans un accord spécifique.

Pour qu’une telle solution produise les effets attendus, il serait nécessaire cependant qu’elle soit mise en place sur des délais très courts, de sorte que les nouveaux équipements puissent commencer d’arriver en Ukraine avant les élections présidentielles américaines.

Neutraliser la stratégie russe en Ukraine à moyen terme

Notons par ailleurs qu’elle viendrait très probablement neutraliser une grande partie de la stratégie à moyen terme russe, qui mise sans le moindre doute sur cet épuisement occidental d’ici à 2025, pour remporter la victoire écrasante qui permettrait de justifier les pertes enregistrées.

Uralvagonzavod
Selon les sources, l’usine Uralvagonzavod produit désormais de 200 à 400 nouveaux chars par an.

En neutralisant l’avantage numérique à venir escompté par Moscou, il serait alors possible d’amener les autorités russes à une position plus flexible pour mettre fin au conflit, sans risque de récidive à court ou moyen termes.

Quoi qu’il en soit, il apparait que la décision polonaise de ne plus livrer d’armes à l’Ukraine, est seulement les prémices d’un phénomène qui apparait désormais inévitable.

Surtout, tout indique qu’aucune solution alternative qui permettrait aux ukrainiens de conserver un rapport de force équilibré ou favorable face à la Russie n’est pour l’heure mise en œuvre, particulièrement en Europe.

L’inertie européenne menace l’Ukraine, et l’Europe elle-même

Dans ce contexte, il est très peu probable que l’Ukraine puisse continuer à contenir la Russie dans les années à venir, soit par un pat stratégique de type Corée, soit par une victoire suffisamment marquante qu’elle engendrerait de profonds changements politiques à Moscou.

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