Drones suicides navals : une nouvelle dimension à la lutte anti-drones
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Cet article vous est proposé par CERBAIR, le spécialiste européen des solutions anti-drone.
Ce n’est pas la première fois que les drones suicides navals s’invitent au combat.
Déjà lors du naufrage du Moskva ou de l’attaque de petites embarcations par des drones aériens, les drones ont démontré la menace qu’ils représentaient pour les unités navales. Les drones suicides navals sont une des nouveautés de la guerre en Ukraine.
Faute de marine, les Ukrainiens utilisent massivement des drones suicides navals, téléopérés pour aller attaquer les navires de la marine adverse et s’en prendre aux infrastructures critiques comme le pont de Crimée.
Toutefois, les effets de ces armes sont restés relativement modestes. Les meilleurs résultats ont été obtenus contre des navires à quai, mais les attaques à la mer ont eu des bilans plus mitigés. L’artillerie de petit calibre des navires militaires arrivait à détruire la majorité des drones avant que ceux-ci ne les atteignent.
Pourtant, quelques navires ont subi des dommages les obligeant à de longues semaines de réparation. C’est, en soi, déjà une victoire puisque cela prive l’adversaire de certains de ses navires, même si c’est temporaire.
Néanmoins, forts d’une expérience de plusieurs mois dans l’usage de ce type de drones, les Ukrainiens semblent avoir fait évoluer leur tactique en misant sur l’attaque par saturation dans toutes les directions.
C’est ce qu’a subi, le 1ᵉʳ février 2024, la corvette lance-missile Ivanovets3. L’attaque semble avoir mis en jeu une dizaine de drones navals de type Mamay, Magura V5 et/ou SEABABY qui ont assailli le navire de tous les côtés. Cette tactique a été renouvelée le 14 février 2024 contre le navire de débarquement de chars Caesar Kunikov, là aussi avec succès puisque le navire a été également coulé.
Si c’est aujourd’hui la Marine russe qui doit faire face à cette menace, toutes les marines doivent s’y préparer et une observation attentive des événements permet de percevoir quelques pistes de réflexion.
La Tarantul se défend
La corvette Ivanovets appartient à la classe Tarantul III. Elle est armée, en armement principal, de 4 missiles P-270 Moskit (SS-N-22 SUNBURN en code OTAN) qui sont de gros engins anti-navires supersoniques (4,2 tonnes et une vitesse de 2800 km/h) d’une portée maximale de 250 km.
Ces corvettes rapides ont été conçues pour aller frapper les navires militaires de l’OTAN qui se seraient approchés des côtes de l’Union Soviétique selon une technique de harcèlement. Elles n’étaient pas prévues pour avoir une grande autonomie à la mer ni pour devoir s’aventurer loin des côtes ; elles devaient juste sortir rapidement, tirer leurs missiles contre les navires ennemis et rentrer au port immédiatement après.
Ceci explique que ce soient des navires relativement légers, autour de 500 tonnes, disposant en armement d’appoint uniquement d’un canon AK-176 de 76 mm et de deux canons CIWS (Close-In Weapon System) AK-630 de 30 mm. La protection anti-aérienne se limite à l’emport de systèmes sol/air très courte portée (MANPAD).
Niveau détection, sans surprise, le navire est principalement équipé d’un radar permettant de désigner aux missiles anti-navire et de les guider vers leurs cibles (34 K1 Monolit ou Band Stand en code OTAN). Il dispose également d’un radar de veille surface et de conduites de tir pour ses canons.
L’ensemble des équipements est d’ancienne génération et date des années 1970. La corvette Ivanovets semblait s’être réfugiée dans le lac Donuzlav, au nord de Sébastopol.
Les bâtiments de ce type ne sont pas d’une grande utilité dans la guerre en cours et les Russes cherchent donc à les mettre à l’abri autant que possible. La vidéo montre clairement que la corvette a bien détecté les menaces puisqu’elle engage le feu de ses 2 canons AK-630 contre les drones.
On voit bien les canons orientés sur le côté bâbord du navire, tandis que, dans le même temps, un autre assaillant approche sur l’arrière-tribord et vient le toucher, endommageant ainsi sa propulsion en mettant le bâtiment à l’arrêt.
Un nouveau drone vient le toucher encore une fois sur la poupe et on constate alors que les canons ne tirent plus et que les radars ne tournent plus. Les dommages subis sur les machines ont sans doute engendré une panne électrique générale. Ensuite, au moins deux autres drones vont frapper le navire sur bâbord et l’achever pendant que les appareils restants filment les derniers instants de son agonie.
La vidéo diffusée par les autorités ukrainiennes n’est qu’un montage d’une minute trente et ne rend pas compte de la durée complète de l’attaque qui a probablement duré plusieurs minutes.
On ne sait pas si la corvette a réussi à détruire certains de ces drones. C’est probable, les Russes ont déjà diffusé des vidéos montrant des drones navals détruits par ces mêmes canons, mais il est évident que la corvette n’a pu faire face à autant de menaces en même temps.
Si les navires russes sont généralement bien pourvus en artillerie de défense rapprochée, la saturation permet toujours de venir à bout des capacités de défense.
L’attaque contre le navire de débarquement est moins illustrée, néanmoins les vidéos diffusées montrent que les canons CIWS AK-630 du navire ont également répliqué contre les drones navals, dont trois auraient été détruits.
Protéger les ports et les infrastructures
Assez rapidement, les Russes ont mis en place, à l’entrée de la rade de Sébastopol, des barrages flottants protégés par une artillerie légère chargée de détruire tout drone naval qui tenterait de s’y introduire.
De plus, des vols de reconnaissance sont assurés, avec des hélicoptères ou des avions de surveillance maritime, afin de détecter et, si possible de détruire, tout drone naval qui s’approcherait du port. Ce fut l’occasion de redonner un rôle aux antiques hydravions Be-12 qui trouvent ici toute leur utilité pour renforcer les moyens de surveillance.
Cela a plutôt bien fonctionné. La rade de Sébastopol a été épargnée par ce type de raids, ce qui a obligé les Ukrainiens à recourir davantage aux missiles de croisière et aux drones aériens pour attaquer ce port. De même, les autorités russes ont annoncé à plusieurs reprises que des patrouilles aériennes avaient détecté et détruit plusieurs drones navals qui approchaient de la Crimée.
Les Ukrainiens ont alors cherché à frapper des unités navales accostées dans un port non protégé et c’est ainsi que le 4 août 2023, un navire de débarquement a été endommagé par un drone naval dans le port de Novorossiysk.
On peut supposer que des protections ont rapidement été mises en place, car ce fut la seule opération réalisée contre ce port militaire, alors même qu’il sert de refuge à beaucoup d’unités jusqu’alors stationnées en Crimée.
Ce même type de protection a été disposé au niveau du pont de Kerch. On assiste un peu à une sorte de retour en arrière quand les ports étaient protégés par des filets anti-sous-marins dont s’inspirent ces barrages flottants.
Protéger les navires à la mer
L’artillerie :
Les navires de la Marine russe ont déjà déjoué plusieurs attaques de drones de surface à la mer grâce à leur artillerie. Toutefois, cela n’a pas toujours été du 100 %, certains navires ont été endommagés et surtout, face à une attaque saturante comme l’ont subie la corvette Ivanovets et le navire de débarquement de chars Caesar Kunikov, l’artillerie de bord n’est pas suffisante.
Fondamentalement, ce mode opératoire doit inquiéter toutes les marines du monde, car actuellement, aucun navire militaire d’aucun pays n’est préparé à ce type de menace. C’est encore pire pour les navires non équipés de systèmes CIWS ou de canons de petits calibres qui n’ont alors aucun moyen de se défendre, même contre un ou deux drones suicides.
C’est un danger particulièrement aigu, aussi bien pour les navires de soutien, par nature peu armés, que pour les navires civils. Si l’impact d’un ou deux drones suicides a peu de chance d’entraîner un naufrage complet, sauf pour les très petites unités, cela engendre des dégâts qui mettent l’unité navale touchée hors service pendant de longues semaines au minimum.
Cette menace est à rapprocher de ce qui était arrivé à l’USS Cole en 2000 dans le port d’Aden. Il avait été percuté par une embarcation chargée d’environ 400 kg d’explosifs, une charge militaire semblable aux drones navals ukrainiens, ce qui a provoqué un trou dans la coque. Le navire a été réparé et a repris du service après 14 mois de travaux qui ont aussi consisté en une remise à niveau des radars et du système de combat du navire.
Les filets de protection :
On pourrait alors voir réapparaître les filets anti-torpilles, largement utilisés autour des navires de combat jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Mais, si cette solution est pertinente dans un port ou au mouillage, elle n’est pas exploitable en mer : le freinage hydrodynamique engendré est rédhibitoire.
Les drones navals manœuvrant au ras de l’eau, la protection doit descendre un peu plus bas que la ligne de flottaison afin d’éviter qu’un drone ne passe juste dessous. Ce serait une solution envisageable pour la protection des navires civils au mouillage, mais peut-être plus difficilement applicable aux navires militaires qui disposent de moins de place pour un tel ajout.
La guerre électronique :
Les drones navals étant téléopérés afin de pouvoir trouver leur cible à plusieurs centaines de kilomètres de distance, il serait possible de chercher à couper les liaisons radio entre les drones et les opérateurs.
Les drones navals ukrainiens peuvent être téléopérés via une liaison satellite, Starlink, ou par une liaison radio-fréquence directe avec un drone aérien qui sert de relais radio. Lors des premières attaques, c’est surtout la liaison satellite qui a été utilisée, mais depuis qu’Elon Musk a restreint le service sur certaines zones, les Ukrainiens ont maintenant davantage recours à la liaison radio avec relais aéroporté.
C’est ce que montre l’attaque sur le Caesar Kunikov où une partie des images diffusées par les autorités ukrainiennes sont des images prises d’un drone aérien qui a sans doute également servi de relais radio. Ils ont cherché à limiter leur dépendance à un système étranger dont ils ne sont pas maîtres.
Il est toujours possible d’entraver une liaison satellitaire en brouillant les satellites concernés. Ce n’est pas sélectif et cela revient à dénier le service tout entier sur une zone donnée, cela ne peut pas être sélectif. Néanmoins, il n’est pas possible de détecter l’arrivée d’une menace par ce moyen, la présence de signaux n’étant pas spécifique à l’utilisation de drones navals.
En conséquence, une telle solution n’est applicable qu’en tant que mesure préventive, sans savoir s’il y a une menace ou pas. Cependant, les liaisons radiofréquences peuvent être plus facilement détectées et identifiées. Il serait ainsi plus facile d’effectuer un brouillage réactif à la détection d’un danger.
Les drones ainsi privés de leurs liaisons radio ne pourront plus être guidés vers leur cible. L’autre avantage de la guerre électronique est qu’elle apporte une protection aussi bien contre les drones aériens qui peuvent être utilisés pour la reconnaissance, en tant que relais radio ou en attaque contre les navires ou les infrastructures portuaires que contre ceux de surface.
Les principaux navires de combat disposent bien de systèmes de guerre électronique, mais ceux-ci sont avant tout conçus pour contrer les autodirecteurs de missiles ou les conduites de tirs. Ils ne couvrent pas les mêmes gammes de fréquences et seraient, aujourd’hui, totalement inefficaces contre ces drones. Il manque aux navires une capacité de guerre électronique plus globale afin de prendre en compte la menace représentée par les drones aussi bien aériens que navals.
Mini-missiles «low cost»:
Une autre option, potentiellement complémentaire des autres, serait de doter les navires de roquettes guidées juste aptes à détruire des embarcations légères ou des missiles «Low Cost» comme les Shahed.
Les drones navals coûtant très sensiblement plus cher que les drones aériens, quelques centaines de milliers d’Euros (autour de 250 000 € pour un Magura V5), le recours à ce type d’armement resterait économiquement soutenable.
Des solutions existent comme le système VAMPIRE de L3 HARRIS ou les roquettes FZ275 LGR de 70 mm à guidage laser de THALES intégrées dans le LMP (lanceur Modulaire Polyvalent). Il faudrait ainsi doter les navires de plusieurs dizaines de ces roquettes afin qu’ils puissent faire face à des attaques multiples sur 360°.
Laser de puissance ?
Les premiers lasers de puissance qui devraient commencer à rentrer progressivement en service dans les années à venir seront surtout destinés à la destruction des drones aériens ou des roquettes.
Il faudra sans doute encore quelques années de développement avant de voir des lasers suffisamment puissants pour détruire des drones navals. Mais il est possible que cette technologie puisse venir en complément ou en remplacement de certains armements existants.
Toutefois, ces matériels ne pourront pas forcément avoir la capacité de traiter des attaques de saturation et la présence d’un ou deux lasers de puissance pourrait ne pas être suffisante pour faire face à une telle agression. Cette arme présente quand même l’avantage d’être capable de traiter aussi bien des cibles aériennes que de surface.
Conclusion
Les drones suicides navals sont un nouveau risque qui devrait prendre de l’ampleur. Ils sont une alternative pour les nations ou les organisations non étatiques ne disposant pas de missiles anti-navires. C’est un moyen, pour les marines traditionnelles, d’augmenter leur volume et leur capacité offensive, notamment grâce à la saturation.
Une attaque combinant des drones navals suicides à une salve de missiles anti-navires serait particulièrement complexe à déjouer. Il n’a fallu que 2 missiles anti-navires pour couler le Moskva de 12 000 tonnes, tandis qu’il a fallu une dizaine de drones navals suicides pour couler une corvette de 500 tonnes.
Si, de toute évidence, les drones sont moins efficaces, ils sont bien plus simples à produire et à mettre en œuvre que des missiles. De plus, leur autonomie permet d’aller frapper des navires à plusieurs centaines de kilomètres de distance.
Cette nouvelle menace appelle une réponse des marines militaires que l’on pourrait décliner en trois volets :
• Présence obligatoire de systèmes d’artillerie de petits calibres CIWS pouvant à la fois assurer la défense antimissile courte portée et la défense anti-drone de surface. Ils pourraient, à terme, être complétés ou remplacés par des lasers de puissance.
• Augmentation des moyens de guerre électronique permettant de déjouer, non plus seulement les autodirecteurs de missiles ou les conduites de tir, mais aussi les communications des drones, qu’ils soient de surface ou aériens.
• Embarquer un système comportant plusieurs dizaines de roquettes guidées Laser permettant d’engager les petites embarcations à moindre coût. Cela impose également de penser à la mise en place, en cas de nécessité, de protections à l’entrée de nos ports, car la guerre en Ukraine montre à quel point les bases logistiques peuvent être vulnérables.
CERBAIR
Cet article est proposé par CERBAIR.
En tant que société spécialisée dans la lutte anti drones, CERBAIR propose cet article pour souligner l’importance croissante des drones sur les zones de conflits armés. CERBAIR apporte une vision la plus objective possible sur ces menaces émergentes et fournit des pistes de réflexion pour les acteurs de la défense.
CERBAIR est la référence française de la lutte anti-drone pour la détection, la caractérisation et la neutralisation des drones non autorisés. En s’appuyant sur son expertise dans le traitement du signal radiofréquence, CERBAIR propose cet article pour souligner l’importance croissante de la menace des drones.
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