vendredi, septembre 5, 2025

Commandes industrielles, RRS 2022…: le ministère des Armées aux abonnés absents depuis deux mois

Le 28 mai 2025, Cédric Perrin, vice-président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées au Sénat, interpellait publiquement le ministère des Armées sur un point devenu impossible à éluder : l’absence totale de commandes militaires depuis le début de l’année. Malgré les annonces, malgré l’urgence, malgré les engagements affichés, rien n’a été concrétisé. « On ne peut plus attendre », alertait-il, pointant le décalage croissant entre les discours politiques et la réalité industrielle.

Depuis deux mois, en effet, le ministère ne parle plus. Ni annonces, ni livraisons, ni précisions sur les arbitrages capacitaires à venir. Un silence d’autant plus assourdissant qu’il succède à une séquence d’alignement politique et industriel sans précédent : entre janvier et mars 2025, Emmanuel Macron, Sébastien Lecornu et Emmanuel Chiva avaient dessiné, à mots clairs, les contours d’un nouveau cap stratégique pour la défense française. Revue stratégique révisée, montée en puissance des commandes, budget à 90 milliards évoqué sans détour — tout semblait indiquer que la France s’apprêtait enfin à assumer une trajectoire ambitieuse et souveraine.

Et puis, plus rien. Ni le ministère des Armées, ni la DGA, ni même la présidence n’ont depuis repris la parole. Aucun calendrier, aucune mise en œuvre, aucun signal concret n’est venu confirmer les engagements esquissés. Pendant ce temps, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la Pologne, chacun à leur manière, accélèrent, investissent, et intègrent pleinement leur industrie à leur stratégie de défense.

Ce décalage, désormais impossible à masquer, soulève une question centrale : peut-on encore piloter une politique de défense en France sans trancher, enfin, la question de son financement ? Et surtout, tant que l’on considérera l’investissement militaire comme une dépense pure, la France pourra-t-elle éviter le déclassement stratégique auquel l’actuelle inertie semble nous condamner ?

Les grandes ambitions affichées par l’exécutif français pour le ministère des Armées en début d’année 2025

L’année 2025 avait commencé sous le signe de l’ambition stratégique pour la France. À l’occasion des vœux aux armées, prononcés le 8 janvier, le ministre des Armées Sébastien Lecornu livrait un premier signal : l’année à venir serait celle d’une consolidation industrielle et capacitaire, appuyée par une politique d’investissement résolue.

Macron voeux aux armées 2025
Lors des voeux aux Armées 2025, Emmanuel Macron a annoncé la révision de la Revue Stratégique 2025, qui devait être rendue à la fin du mois de mai. Début juin, aucune information n’accrédite la prochaine publciation de cette RSS 2022, et les agenda publiés du ministre des Armées comme du président de la République, ne montrent aucune indication en ce sens à court terme.

Dans un discours mesuré mais dense, il insistait sur la nécessité de tenir le cap fixé par la Loi de programmation militaire 2024-2030 (LPM), tout en appelant à un effort renforcé dans les domaines de l’innovation, de la production de munitions, et de la transformation RH au sein des armées. La ligne tracée était claire : il fallait faire plus, plus vite, et mieux.

Moins de deux semaines plus tard, lors des vœux présidentiels aux armées, le 20 janvier, Emmanuel Macron enfonçait le clou avec des mots autrement plus explicites. Non seulement le président annonçait officiellement le lancement d’une révision de la Revue stratégique 2022, mais il soulignait la nécessité d’ajuster la posture française aux réalités d’un monde « réarmé, brutal et accéléré ».

Dans la droite ligne du discours de Toulon fin 2022, mais avec un ton plus pressant, il évoquait une « mobilisation générale de la nation pour la défense », qui devait désormais s’ancrer autant dans les territoires que dans les chaînes de production. C’est également à ce moment que l’idée d’un basculement doctrinal progressif — appuyé par une montée en puissance industrielle — commençait à s’esquisser.

L’annonce présidentielle du 20 janvier a eu un effet immédiat : elle a libéré la parole. Dans les semaines qui ont suivi, les prises de position se sont multipliées, tranchant avec la prudence habituelle de la communication gouvernementale sur les questions de défense.

Le ministre des Armées Sébastien Lecornu, désormais conforté par l’initiative présidentielle, s’est montré de plus en plus offensif. Il a évoqué publiquement la nécessité d’augmenter le nombre de frégates à l’horizon 2035, d’accélérer les livraisons de Rafale pour éviter les ruptures capacitaires, et même — point particulièrement notable — de porter le budget des armées à 90 milliards d’euros, soit près de 50 % d’augmentation par rapport à l’enveloppe prévue dans la LPM votée à peine un an plus tôt.

Ministère des Armées Lecornu 90 Md€
Au micro de France Inter, le 6 mars 2025, Sébastien Lecornu était en pleine confiance, en affirmant son ambition de budget des Armées à 90 Md€ pour répondre aux enjeux.

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12 Commentaires

  1. Je reprends votre article du 4 juin, et vos inquiétudes exprimées sur l’absence de commandes depuis le début de l’année. Le Ministre de La Défense nous a donné l’explication, 3 mois de retard dûs à la dissolution de l’assemblée en octobre et au retard dans la validation du budget. Interview LCI du 06/06 sur LCI disponible en replay ou Youtube, 20ième minute. Donc la faute à l’opposition irresponsable. Notez également l’absence de commentaire du Ministre français (et de quelques autres) à la sortie du sommet de l’Otan au sujet de l’augmentation à 5% du PIB du budget défense.

    • c’est pourtant très contestable. Comme il le reconnait, le budget est généralement voté en octobre, et les crédits disposibles dès janvier. La censure a effectivement pu decaler de quelques semaines le passage des commandes, pour n’être effective qu’une foi le budget validé, mais comment jsutifier les 3 mois d’écart ? Le ministère des armées est il resté en staser d’octobre à mi février ? c’est loi, très loin d’être convaincant. mais je reconnais que l’excuse est attrayante, faute d’être justifiée.

    • Je l’ignore, parce que, dans le même temps, Bruxelles a indiqué que les dépenses excédant 1,5% PIb ne seraient plus décomptées dans le déficit public et les objectifs européens, ce qui laisse penser que des marges pourraient subsister, ne serait ce que pour rester sur la trajectoire LPM. Mais bon, il faudrait faire cela 4 ou 5 ans, et geler les embauches de fonctionnaires sur autant de temps, pour revenir sous la barre des 3% d’ici à 2030, en augmentant dans le même temps le budget des armées à 5%, comme cela semble devenir le schwerPunkt du sommet l’Otan. On verra bien ….

  2. Bonjour Fabrice,

    J’aime bien notre ministre de la défense mais pour reprendre la fameuse phrase d’un Ancien ministre de la Défense (JP Chevènement): « Un Ministre ça ferme sa gueule si ça veut l’ouvrir ça démissionne  » apparemment Mr Lecornu a applique cette formule au pied de la lettre…

  3. @Fabrice Wolf
    Il est hélas probable que ce silence s’explique par le fait que nos dirigeants sont tétanisés devant l’obstacle. Surtout dans le contexte politique actuel.
    Mais ce silence pourrait peut-être aussi s’expliquer par une simple question de com’ : le Président pourrait s’être réservé les annonces à l’approche du sommet de l’OTAN des 24 et 25 juin… croisons les doigts !

  4. Je crois que cette immobilisme s’explique assez simplement par la situation politique. L’Allemagne ou l’Angleterre ont des premiers ministres fraichement élus, dotés d’une majorité et surtout d’une légitimité forte, et qui sont en mesure de prendre des décisions structurantes. Ce n’est pas notre cas, et nous perdons un temps précieux dans une période critique. Quant à la Poiogne, il faudra voir ce qu’elle devient avec cette dyarchie président d’extrême droite – premier ministre libéral.

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