À la sortie de la réunion des ministres de la Défense de l’OTAN, le 5 juin à Bruxelles, son secrétaire général Mark Rutte affichait une confiance évidente. Selon lui, pour donner corps à l’accord capacitaire entériné par les 32 ministres présents, il n’y avait d’autre choix que d’accepter une élévation de l’effort de défense plancher de chacun des membres à 5 % du PIB d’ici à 2030 ou 2032, soit 3,5 % pour les armées elles-mêmes, et 1,5 % pour les infrastructures, le redéploiement et la transformation capacitaire de l’industrie de défense, et le durcissement de la résilience, au travers de la sensibilisation des opinions publiques.
Pourtant, depuis, si certains pays se sont pleinement engagés à respecter cette trajectoire, spécialement en Europe du Nord et de l’Est, avec l’Allemagne et la Pologne en chefs de file, pour beaucoup d’autres membres, l’objectif budgétaire fixé par Mark Rutte, mais aussi par Donald Trump, est loin de susciter l’enthousiasme.
Ainsi, en début de semaine, le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, a laissé entendre qu’il n’hésiterait pas à prendre des « décisions courageuses », si les seuils des 3,5 % et 1,5 % visés par l’OTAN étaient imposés à ses membres, laissant supposer que Madrid pourrait, par exemple, sortir du commandement intégré, comme le fit la France en 1966.
D’autres pays, comme le Portugal, l’Italie et même la Grande-Bretagne, s’ils valident la nécessité d’augmenter leurs efforts de défense respectifs, demeurent en revanche beaucoup plus réservés quant aux seuils évoqués par l’OTAN et leur application.
Pour la France, empêtrée dans une crise budgétaire sans précédent, le sujet est d’autant plus complexe que Paris se voyait déjà, par sa dissuasion et ses armées d’emploi expérimentées et aguerries, comme le pivot capacitaire de cette alliance européenne en construction. Pour autant, les déclarations, ou plutôt les non-déclarations du ministre des Armées, lors de l’interview du 6 juin, laissent entendre que la France envisage bel et bien de se désolidariser de cette dynamique OTAN voulue par Mark Rutte, et surtout par Washington.
Si, comme l’exigent les codes politiques modernes, toutes les postures nationales semblent avant tout dictées par des considérations nationales et électorales, on constate toutefois un grand absent dans ce débat occidental : d’où viennent ces valeurs exigées par l’OTAN ? Sont-elles justifiées du point de vue des besoins de défense nationaux et collectifs ? Et sont-elles raisonnables, en particulier lorsqu’elles sont adossées à un calendrier aussi raccourci ?
Sommaire
Pourquoi faut-il augmenter l’effort de défense des membres de l’OTAN, spécialement en Europe ?
En premier lieu, il convient d’étudier, pour répondre à ces questions, la validité des postulats ayant amené les dirigeants de l’OTAN à s’engager dans cette voie controversée. Ces postulats sont au nombre de deux. Le premier est l’inexorabilité du retrait de la protection conventionnelle américaine de l’Europe, annoncée fermement par Donald Trump depuis son retour à la Maison-Blanche, et avant cela, lors de sa campagne électorale, mais engagé, dans les faits, depuis le pivot vers le Pacifique engagé par Barack Obama, à partir de 2014.
Le retrait des forces américaines conventionnelles d’Europe, une trajectoire inévitable ?
Pour de nombreuses capitales européennes, accepter de se conformer aux exigences de l’OTAN, c’est avant tout accepter de répondre favorablement aux exigences formulées par Donald Trump depuis janvier 2025. À ce moment, alors président élu des États-Unis, il avait annoncé que les États-Unis retireraient leur engagement de protection militaire aux pays membres de l’OTAN ne consacrant pas 5 % de leur PIB, ou plus, à leur effort de défense.

Et de fait, les pays les plus exposés face à la Russie en Europe — la Pologne, les Pays baltes et les pays de la péninsule scandinave — ont tous annoncé qu’ils se conformeraient aux exigences de l’OTAN, et par transitivité, à celles de la Maison-Blanche. Même si, depuis, il est apparu, dans le discours des officiels américains, et en particulier de Pete Hegseth, le secrétaire à la Défense, que la protection qui sera garantie par les États-Unis à l’OTAN tendra à se concentrer avant tout sur les moyens de dissuasion, et non sur les moyens conventionnels.
En dépit d’une certaine forme de déni décroissant, observée surtout dans les capitales des pays européens les plus exposés, au sujet de l’inexorable retrait progressif de la protection conventionnelle américaine, ce postulat est à présent de plus en plus assimilé et validé en Europe, de manière unilatérale.
L’évolution de la puissance militaire russe et la menace qu’elle représentera pour les pays européens à partir de 2028
Le second postulat concerne l’évolution de la menace conventionnelle russe, dans les années à venir, au point de représenter, dès 2028, une menace existentielle pour les membres de l’OTAN dans leur ensemble. Et celui-ci est beaucoup moins consensuel que le premier.
En effet, pour certaines capitales, en particulier pour Budapest et Bratislava, la réalité de la menace russe vis-à-vis de l’OTAN est ouvertement remise en cause. Interrogé sur une chaîne d’information continue, il y a quelques jours, Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois, a ainsi déclaré que cette menace était fantasmée par l’OTAN, la Russie n’ayant tout simplement pas les moyens d’agresser militairement l’Europe, alors qu’elle ne parvient pas à prendre l’ascendant sur l’Ukraine.
À l’inverse, beaucoup de services de renseignement occidentaux, et non des moindres, comme le BND allemand, alertent sur l’évolution très rapide des capacités militaires russes, maintenant que la restructuration économique et industrielle du pays a été achevée, surtout une fois la guerre en Ukraine terminée.
Dans ce cas, qui croire ? Laissons la croyance à ceux qui ont la foi, pour nous concentrer sur ce que nous savons. Ainsi, en dépit des sanctions économiques et politiques sévères imposées par l’Europe, les États-Unis et leurs alliés proches, comme l’Australie ou le Japon, l’effondrement politique, budgétaire ou même capacitaire du régime russe, et de ses armées, semble bien plus éloigné que jamais. Il en va de même pour l’isolement et la mise à l’index de la Russie sur le plan international.

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M. Wolf je poursuis mes commentaires sur l’utilisation du PIB en parité de pouvoir d’achat (PPA) pour traduire les capacités réelles de la Russie. Cela est complémentaire de votre approche « par le bas » (le coût des matériels comparé) et me semble plus rapide à présenter, et avec l’avantage d’être basé sur le travail de la banque mondiale en évaluation de ces PIB PPA (donc plus macro et par là moins contestable).
En l’espèce le PIB PPA de la Russie est de 6 454 Mds € en 2023 (contre 2021 Mds € de PIB nominal). En lui appliquant les 7.3 % du PIB que la Russie utilise pour les dépenses militaires (que l’on soit en PIB ou en PIB PPA le taux ne varie pas) nous arrivons à un volume de dépenses militaires russes corrigé de 471 Mds €. C’est inférieur d’environ 10 % à votre estimation de 525 Mds €, ce qui est à la fois assez proche (les simulations ne sont pas contradictoires), mais un écart tout de même pas neutre à l’avantage de l’OTAN.
Qu’en pensez-vous ?
Le papa est un aggregateur qui, globalement, peut avoir ses vertus. Toutefois, dans ce cas précis, il est difficile de s’appuyer dessus, car les écarts de revenus sont tels en Russie (1% pop=> 70% PIB) que l’employer pour déterminer des équivalences avec l’occident est très difficilement justifiable, surtout concernant l’industrie de défense. Meme pour la partie rh, le coefficient de compensation ppa /usa de 3 est imprécis, les soldats usa coûtant en moyenne 12-18000$ par mois avec les différentes prestations, contre (beaucoup)moins de 1500$ en Russie.
Donc autant comparer directement ce qui est comparables : achat de matériels / parc / rh vs budget annuel.
Merci beaucoup pour votre réponse intéressante.
Je connais très (très) mal la composition interne des revenus en russie. Sur ce point cependant la méthode de construction du PIB PPA ne tient, à ma connaissance, pas compte de la répartition des revenus mais bien de la puissance d’achat « brute » d’une somme donnée. De ce point de vue l’ordre de grandeur global doit rester pertinent.
Je réfléchis à voix haute et, en me basant sur une expérience d’analyste dans un domaine qui n’a rien à voir avec la défense, je me dis aussi qu’un indicateur macro imprécis est parfois préférable (c’est à dire plus robuste) à un travail détaillé, qui est lui souvent aussi imprécis dans ses diverses parties et nécessite des données que l’on ne possède pas pour les agglomérer.
Mais bref, les deux approches sont très proches, ce qui montre bien que la réalité que vous analysez de façon toujours si intéressante est bien là. Espérons que nos dirigeants ainsi que certains commentateurs de plateaux télé s’intéressent à vos études.
clap, clap, tres bonne analyse fabrice, vous etes en forme et nous sortez un tres bon article qui remet certaines pendules à l’heure ! vous mettez le doigt sur des véritées que la diplomatie européenne ne peut formuler ouvertement sans metre le fou furieux qui gouverne les states encore plus en pétard. concernant la BITD française pour ne pas trop s’agrandir en production , aux risque de devoir licencier dans dix ans, il serait peut être judicieux de créer des chaines d’assemblage dans des pays clients, cela permet de capter des marchés plus aisémment et fait moins mal quand il faut rationaliser. je sais je suis cynique, mais j’assume. les autres font pareils ! quand à la nécessité de monter aussi vite en investissement des 2026, c’est ridicule les programmes ne suivront pas , sauf peut être chez dassault ou naval group qui ont déjà commencer à restructurer leurs chaines de fabrication depuis 2 ou 3 ans, mais pas nécessairement pour la commande nationale !
Très bonne réflexion comme toujours. Evidemment qu’il ne faut pas prendre pour argent comptant (c’est le cas de le dire) les exigences de l’administration US, qui pense sans doute surtout à faire acheter du matériel américain aux Européens – et qui serait bien embêtée si l’Europe la prenait au mot, faisant perdre aux Etats-Unis leur prééminence militaire.
En revanche, je ne serais pas aussi négatif sur ses 1.5%. Dans la mesure où l’on parle de dépense d’infrastructure, celles-ci ont une nature duale qui les rend facile à justifier: par exemple, améliorer l’infrastructure ferroviaire « lourde » peut se justifier aussi en termes d’amélioration du trafic fret, et donc aligner un objectif de transition énergétique et un objectif militaire. Ce qui politiquement est intéressant pour faire consensus.
En ce qui concerne la question de la remontée en puissance RH, si on laisse de côté la question principale (avoir le nombre de volontaires suffisant sur la durée), comment est-ce que vous pensez que l’expérience des Etats-Unis de la 2eme GM est transposable chez nous? Ils ont réussi à faire une montée en puissance remarquablement rapide, et il y a certainement des leçons à en tirer, tout en étant conscient des différences (notamment la complexité des systèmes)?
On ne peut pas comparer une situation en guerre, et une situation de tensions. En 1944, les États Unis consacraient 40% du PIB à l’effort de guerre, toute la production industrielle avait été basculée vers les équipements pour les armées. Même l’agroalimentaire s’est transformée pour cela (c’est ce qui fit la fortune des barres chocolatées et de Herschel)
Surtout, en 1945, tout le monde est rentré à la maison. Les usines géantes de Boeing ou Chrysler ont fermé en 3 mois. Les stocks étaient à ce point importants que les usa ont pu réarmer l’Europe sans même faire tourner les usines.
Ce n’est pas un modèle applicable dans notre cas.
Oui la situation industrielle est totalement différente – et d’ailleurs le pays qui se rapproche le plus des États-Unis de 1940 en 2025 est … la Chine.
Ma question touchait aux RH: les USA ont réussi en un an après Pearl Harbor à mobiliser, former (et équiper, votre point) plusieurs millions d’hommes. Avec un an de plus, ils ont rendu cette force efficace au combat. Nous, nous galérons pour recruter, former et équiper quelques milliers de réservistes en temps de paix. Je n’ai pas beaucoup de doute que les volontaires afflueraient si la France était en guerre. Il y aurait alors certainement des enseignements à tirer de cette expérience américaine de 1941.
Il faut etre prudent sur la comparaison des chiffres, prenons les 1,4 millions soldats de l’armée russe face à une superficie de 17,1 millions de km2,en face l’UE à 4,2 millions de km2. On peut aussi considérer les 2257 km communs entre la Russie et l’UE, mais la Russie a aussi besoin de soldats sur ses frontieres asiatiques car la Chine par exemple est un allié qui attend son heure pour reprendre ce que la Russie lui a volé il y a 1 ou 2 siècles. Enfin considérer que l’économie russe est en pleine santé et peut continuer son effort d’armement encore longtemps est erroné, car les économistes sont globalement d’accord pour dire que la machine russe est entrain de fortement chauffée, surtout avec la forte baisse du tarif du baril de pétrole. Donc oui il faut accentuer l’effort de réarmement surtout que ca bénéficie a notre industrie, mais imaginer des opérations multiples de la russie apres l’Ukraine est compliqué à prévoir car Le « capitalisme de guerre »de la Russie n’est sans doute pas viable sur le long terme, la baisses des revenus de l’etat malgré l’augmentation des dépenses publiques risque d’amener une situation économiquement compliquée. Enfin en Russie les primes de guerre et le besoin de recrutement dans l’industrie d’armement ont provoqué l’augmentation des salaires donc une augmentation des cout de production..
Le problème est que l’annonce de la surchauffe de l’économie russe, elle existe depuis l’été 2022. Et c’est comme l’arrivée des extraterrestres pour les raeliens, c’est toujours pour l’année prochaine 😉
Le fait est, nous appliquons souvent un prisme très occidental dans l’analyse de l’économie russe, au sujet d’une société beaucoup plus autarcique que ne le sont les nôtres. De fait, ce que nous interprétons comme une impasse, est en fait une contrainte forte, mais non létale, pour l’économie russe, et surtout pour la société russe, habituée à faire avec.
Idem pour la surface à protéger : cela n’empêche visiblement pas la Russie d’aligner 700,000 à 800,000 hommes en zone Zapad et en Ukraine. Ils ont dégarni toutes leurs villes de garnison des zones Zapad et Tsentr, et une partie des zones Vostok et Kavkaz. Personne n’attaque pourtant la Russie : c’est une nation dotée !
Je pense sincèrement qu’il y a une part de biais occidentaliste et d’autre part, un peu de wishful thinking dans les analyses qui prédisent l’effondrement socio-économique de la Russie. Pour y avoir vécu un moment, et pour rester très proche du pays, cela ne correspond en rien à ce qui m’est rapporté et ce que j’y ai vu….
La rente pétrolière Russe, qui pesait encore 36 % du budget fédéral en 2021, ne représente plus que 25 % des recettes en 2025. Une mutation structurelle… mais aussi un saut dans l’inconnu, tant les autres piliers de l’économie russe peinent à encaisser les chocs externes.
La trajectoire budgétaire de la Russie en 2025 illustre les impasses d’une économie de guerre cloisonnée, dépendante d’un appareil fiscal sursollicité et d’une rente pétrolière en bout de souffle. À mesure que les dépenses militaires deviennent la norme, et que la pression sur les entreprises atteint un seuil critique, c’est la soutenabilité même du modèle russe qui entre en zone de turbulences.
Si Moscou tient bon pour l’instant, c’est au prix d’un grignotage méthodique de son potentiel de croissance, de sa base industrielle et de sa stabilité sociale. La suite pourrait bien se jouer non plus sur le front budgétaire, mais dans la rue.
Les marges de manœuvre fondent comme neige au soleil. Le FNB pourrait être à sec dès fin 2026 si la tendance actuelle se prolonge. Quant à la dette publique, elle pourrait franchir le cap symbolique des 20 % du PIB, une première depuis 1999. Un seuil qui, dans un système fermé et sanctionné, change tout.
L’architecture financière de la Russie ressemble à un ouvrage d’ingénierie dont les poutres paraissent solides, tandis que les fondations sont grignotées par quatre forces : l’inflation, la militarisation de l’économie, l’essor de la dette et l’érosion des réserves. Les indicateurs nominaux pointent certes vers le haut, mais la tension souterraine du système budgétaire devient dangereusement persistante.
Plus de 40 % du budget – soit près de 5 200 milliards de roubles – filent vers la défense et la sécurité, un record absolu hors temps de guerre depuis 1991. En 2010, cette part ne dépassait pas 12 %; elle était de 22 % en 2020, de 32 % en 2023.
Conséquences :
– Les crédits d’infrastructure reculent de 7 %, et le méga-chantier du « polygone oriental » (BAM et Transsib) fond de 28 %.
– La transformation numérique de l’administration reçoit 1,6 fois moins que prévu.
– Les enveloppes science et éducation n’augmentent que de 3,2 %, en dessous de l’inflation : en valeur réelle, c’est une coupe.
Plus la part du militaire enfle, plus il devient politiquement difficile de réallouer vers la croissance. Les économistes commencent à filer la métaphore soviétique : au crépuscule de l’URSS, les dépenses d’armement mordaient plus de 17 % du PIB tandis que l’industrie piétinait.
Hypotheses pessimiste du sd semestre 2025
Le prix du pétrole tombe sous les 70 dollars le baril (actuellement 64$)
Le rouble se déprécie au-delà de 95 pour un dollar (actuellement 80roubles)/1 dollar)
L’inflation dépasse les 9 %, alimentée par la hausse des coûts logistiques, des biens importés et la faiblesse du pouvoir d’achat. (actuellement 9,4%)
Le marché de la dette intérieure se grippe : les investisseurs fuient les OFZ, même à 12 % de rendement, forçant la Banque centrale à intervenir massivement
Donc on peut pas dire que l’économie russe est en pleine forme, la Russie entre dans une zone d’incertitude stratégique. Si aucune réforme structurelle du budget n’est amorcée — en faveur d’une économie diversifiée, désarmée et orientée vers l’investissement — alors 2025 ne sera qu’un prologue à des secousses macroéconomiques bien plus graves dans la décennie à venir.