Quelle réponse face à la menace des drones d’attaque russes en Europe ?
Depuis deux ans, la Russie façonne patiemment un arsenal de première frappe stratégique conventionnelle dont l’Ukraine sert de banc d’essai : drones d’attaque produits en masse, missiles de croisière et balistiques engagés en salves coordonnées, méthodes de saturation et d’usure calibrées au plus près de la réaction adverse. À mesure que ces campagnes se densifient, l’inquiétude grandit en Europe : la distance ne protège plus, l’interception coûte toujours plus cher, et l’attrition finit par peser davantage sur le défenseur que sur l’assaillant.
Face à ce constat, plusieurs pistes sont avancées — et parfois déjà mises en œuvre — par les armées européennes et leurs industriels : densifier une défense antiaérienne multicouche, du très court au long rayon d’action ; multiplier les capteurs distribués et les couches de brouillage ; introduire des lasers et micro-ondes à haute puissance ; voire, pour certains, se doter d’une capacité offensive en miroir, afin de dissuader Moscou par la menace d’une riposte conventionnelle massive, à l’image de la logique nucléaire.
Reste que ces réponses, séduisantes sur le papier, appellent des questions simples et décisives : que valent-elles réellement face à une production russe désormais industrielle et à des salves pensées pour l’attrition ? Sont-elles soutenables dans la durée, budgétairement comme industriellement ? Et, si elles ne suffisent pas, quelle réponse l’Europe peut-elle apporter à une menace stratégique conventionnelle inédite, qui contourne nos réflexes hérités de la guerre froide et met à l’épreuve notre capacité à penser — et financer — autre chose qu’une défense purement réactive ?
Sommaire
Le défi des drones d’attaque et missiles de frappe stratégique conventionnelle russe
Il y a tout juste un an, les services de renseignement occidentaux estimaient que la production de drones d’attaque Geran, sur le site industriel d’Alabuga, ne dépassait pas les 600 exemplaires par mois.

Déjà, à ce moment, l’équation stratégique posée par cette production intensive de vecteurs conventionnels low-cost, susceptibles d’atteindre une cible à 1 500 km avec une charge militaire de 40 kg, soulevait d’importants problèmes pour les planificateurs de l’OTAN. En effet, même en mutualisant les capacités de production de missiles sol-air et air-air en Europe et en Amérique du Nord, celles-ci ne dépassaient pas la moitié de la production industrielle russe de drones Geran. Comme l’a relevé le Royal United Services Institute, « la Russie a réussi à industrialiser à grande échelle une capacité que l’Occident n’avait pas anticipée, créant un différentiel de flux stratégique » (RUSI).
Surtout, le déploiement de moyens de défense traditionnels, comme les batteries antiaériennes ou l’aviation de chasse, n’apportait qu’une réponse très imparfaite et intenable dans la durée, face à la production russe de l’époque, alors qu’un Geran-2 coûte moins de 50 000 $ à produire, soit 20 fois moins cher que le prix moyen d’un missile air-air ou sol-air.
Depuis un an, les estimations publiques ont basculé : ce qui était pensé comme une capacité industrielle limitée — autour de quelques centaines de Geran/Shahed par mois — s’est transformé en une production de masse. Des enquêtes et fuites convergentes situent désormais le cœur de cette montée en puissance dans la zone industrielle d’Alabuga (Tatarstan), où la nature même de la chaîne (mix d’unités armées et de leurres, recours à une main-d’œuvre largement externalisée) permet de produire à grande échelle. Le reportage de l’Associated Press, qui décrit l’emploi de centaines de travailleurs recrutés depuis l’étranger et un schéma mixant leurres et drones « pleins », documente ce saut productif et opérationnel.
Parallèlement, des billets de presse et des briefings renseignement font état d’ordres de grandeur désormais mesurés en milliers d’unités : des rapports récents évoquent l’objectif russe d’une montée jusqu’à plus de 6 000 drones par mois et des évaluations ukrainiennes et occidentales faisant état de vagues mensuelles comptant des milliers d’appareils pendant les périodes de pointe.
Ces ordres de grandeur — loin des 600/mois évoqués il y a un an — redéfinissent l’équation coûts/effets : plusieurs sources indiquent en outre que le coût unitaire a fortement chuté (estimations publiques allant d’environ 70 000 $ à des ordres de grandeur plus bas selon la variante et la qualité), rendant économiquement rationnelle pour Moscou la tactique des salves massives.
Pire encore, la production de ces drones est accompagnée de celle d’un nombre estimé à 200 missiles balistiques et de croisière par mois, missiles qui, à présent, obtiennent des taux d’impact très supérieurs en Ukraine, du fait de l’usure des défenses antiaériennes engendrée par les nuées de drones Geran lancés conjointement.
Comme l’a relevé le CSIS, « la combinaison de frappes de saturation par drones bon marché et de missiles balistiques plus coûteux est conçue pour épuiser les défenses couches après couches, jusqu’à obtenir des brèches exploitables ». De son côté, l’IISS souligne que la Russie a « institutionnalisé une grammaire de la frappe en essaim », avec pour objectif de transformer chaque salve en test de résilience des défenses ukrainiennes et occidentales.
Comme évoqué dans un précédent article, la stratégie industrielle et militaire de frappe stratégique conventionnelle, appliquée par Moscou contre l’Ukraine, n’a rien de contextuelle. Elle répond à un constat, les armées russes ne pourront pas longtemps espérer conserver l’avantage dissuasif et militaire sur les armées de l’OTAN, maintenant que les Européens se sont réveillés et engagés à augmenter massivement leurs moyens dans ce domaine.

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