Depuis plus de trente ans, l’armée de terre allemande, naguère pivot du dispositif conventionnel de l’OTAN, semblait condamnée à un rôle secondaire, victime de la « paix des dividendes » et des arbitrages budgétaires de la réunification. Avec à peine 62 000 hommes en 2025, Das Heer paraissait bien loin de l’époque où elle alignait douze divisions mécanisées et près de 2 000 chars Leopard face au Pacte de Varsovie.
Pourtant, en quelques mois, le ton a changé. Sous la pression des menaces russes et des exigences de l’Alliance, Berlin s’est engagé sur une trajectoire qui pourrait transformer radicalement son armée de terre : passer de 62 000 à 150 000 soldats d’ici à 2035, créer de nouvelles brigades blindées et mécanisées, et reconstruire un outil conventionnel de premier plan.
Cette mutation, si elle est menée à son terme, ne serait pas un simple ajustement capacitaire : elle bouleverserait l’équilibre militaire en Europe. Car au-delà de la hausse budgétaire, déjà spectaculaire, c’est bien une dynamique politique et industrielle inédite qui s’esquisse en Allemagne. Dès lors, une question centrale se pose : l’Europe est-elle prête à accepter et à encadrer le retour de la Bundeswehr comme première puissance terrestre du continent, et la France, en particulier, saura-t-elle définir sa place dans ce nouvel équilibre ?
Sommaire
Das Heer, l’Armée de terre allemande, aujourd’hui
Durant la guerre froide, l’Armée de terre ouest-allemande, Das Heer, était une composante centrale du dispositif défensif de l’OTAN. Celle-ci alignait, en effet, un très puissant corps mécanisé fort de 3 corps d’armées et de 12 divisions blindées ou mécanisées, avec notamment une flotte de près de 2000 chars de combat Leopard 1 puis 2, ainsi que plus de 2000 véhicules de combat d’infanterie Marder et une puissante artillerie de campagne.
En 1991, avec la réunification, l’Allemagne disposait d’une force armée représentant 680 000 militaires et conscrits, et près de 200 000 civils. Toutefois, pour faire face aux coûts de cette réunification, la Bundeswehr vit ses effectifs et ses moyens décroître très rapidement pour n’atteindre que 203 000 militaires en 2025, dont seulement 62 000 servent au sein de l’Armée de terre.

Elle se compose aujourd’hui de 5 divisions : la 1ʳᵉ panzer division, basée à Oldenbourg, composée de deux brigades blindées (9ᵉ Panzerlehr et 21ᵉ Panzer) ainsi que d’une brigade mécanisée (41ᵉ Panzergrenadier), de la 10ᵉ panzer division de Veitshöchheim, avec deux brigades blindées (12ᵉ et 45ᵉ Panzer), d’une brigade d’infanterie mécanisée (37ᵉ Panzergrenadier), ainsi que de la brigade franco-allemande.
À cela s’ajoutent la Brigade des forces rapides, basée à Stadtallendorf, composée de la 1ʳᵉ brigade aéroportée, de la 23ᵉ brigade parachutiste, du commandement des forces spéciales et du commandement des hélicoptères, ainsi que de la Division de défense territoriale, dont le commandement est basé à Berlin, et qui se compose de 6 régiments d’infanterie territoriale. Le commandement divisionnaire de l’entraînement, enfin, est basé à Leipzig, et regroupe les 9 centres de formation et d’entraînement de Das Heer.
Les huit brigades de mêlée allemandes disposent d’un armement proportionnellement dense et moderne, avec 380 chars lourds Leopard 2 A6, A7 et bientôt A8, 360 véhicules de combat d’infanterie Puma, autant de VCI Marder en cours de remplacement par les Puma, plus de 400 transports de troupe blindés 8×8 Boxer en différentes configurations, plus de 800 APC Fuchs 6×6, 300 véhicules blindés de reconnaissance Wiesel, et plus d’un millier de blindés légers 4×4 Fennek, Dingo et autres.
L’artillerie allemande se compose de 134 canons automoteurs chenillés PzH2000 de 155 mm, d’une cinquantaine de mortiers autotractés ainsi que de 33 lance-roquettes multiples M270 portés au standard Mars II. Plus de 500 blindés et systèmes mobiles de génie, ainsi que plus de 10 000 camions et véhicules de transport logistiques complètent cet inventaire terrestre. Enfin, 82 hélicoptères de manœuvre NH90, 51 hélicoptères de combat Tigre et une vingtaine d’hélicoptères de soutien H135 forment la composante d’aérocombat de Das Heer.
Comme en France, les effectifs de Das Heer sont aujourd’hui exclusivement professionnels, la conscription dans le pays ayant été annulée en 2011. Et comme c’est le cas dans la plupart des armées occidentales, elle peine aujourd’hui à maintenir ses effectifs, faisant simultanément face au vieillissement de ses personnels engendrant des départs programmés élevés, aux difficultés de recrutement et à la concurrence de la Deutsche Marine et de la Luftwaffe qui, elles aussi, entendent augmenter leurs effectifs dans les années à venir.
Passer de 62 000 à 150 000 hommes d’ici à 2035 : l’incroyable transformation demandée par l’OTAN à Berlin
Jusqu’à présent, le plan publiquement approuvé par les autorités allemandes visait à atteindre un effectif global de 260 000 militaires actifs d’ici à 2035, ce qui représente déjà un enjeu de taille en partant des 203 000 personnels en uniforme aujourd’hui, sachant qu’un mur RH se profile, alors que 30 % des effectifs devront quitter le service en limite d’âge dans les 5 ans à venir.

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Je trouve tout à la fois l’ article passionnant – tres stimulant intellectuellement- et fort criticable par le recours à des arguments d’ autorité dont l’ usage me parait navrant.
Évidemment je ne vais pas me ridiculiser en soutenant que les questions budgétaires ne sont pas essentielles mais il ne suffit pas d’ un budget conséquent pour representer une force militaire dominante.
Se rappeler l’ issue des expériences militaires américaines au Vietnam, en Somalie, en Irak, en Afghanistan, etc malgre le premier budget militaire de la planète
Se rappeler également les deux excellents articles consacrés ici même au peu d’ efficacité de nombreux armements allemands en Ukraine.
Est il possible de comparer une armée allemande qui n’ a pas combattu depuis 1945 et.une armée française qui n’ a quasiment jamais cessé de mener des guerres en Afrique, au Moyen Orient ou en Afghanistan
Il ne faut ni oublier ni sous- estimer le facteur immatériel que constitue l’ expérience réelle du combat partagée par de nombreux soldats et de nombreuses unités.
Certes ce facteur est plus difficilement quantifiable que le nombre de blindés ou de soldats mais il est plus pertinent pour èvaluer l’ efficacité réelle d’ un système de défense.
Aujourd’hui l’ armée la plus efficace et redoutable d’ Europe malgré ses difficultés actuelles me semble – évitons de recourir à un argument d’ autorité- être l’ armée ukrainienne du fait de son accumulation d’ experiences de combat sur tous les terrains depuis trois ans…
Et cela ne relève pas de décisions budgétaires ou de choix technologiques.
Mais je suis entièrement en accord avec vous sur la nécessité pour la France de suivre son propre chemin, conforme à son génie propre , à ses contraintes et à ses caractéristiques..
Il faudra un jour évoquer le peu d’ utilisation par la France de ses DOM TOM COM POM pour assurer une défense globale de ses territoires et de ses intérêts
Je ne saisis pas de quels arguments d’autorité vous parlez. L’Allemagne va sur une trajectoire d’une force terrestre de 150 k, avec 1400 MBT, autant de VCI chenillés, environ 2000 APC, 600 shorad, plus de 300 155mm automoteurs, et disposera d’au moins deux fois le budget de la France en 2029. Ce n’est que factuel. Et dire que cela mettra l’Allemagne en position de pivot et d’arbitre de la défense orientale européenne, c’est un fait. il n’y a pas d’interprétation dans tout cela. Je ne dis pas que l’armée allemande sera plus performante, ni moins d’ailleurs, que l’Armée française : cela n’a tout simplement aucun intérêt, et ce n’est pas le sujet. Pour les autres pays européens, c’est la masse qui détermine le rang. et la masse sera clairement du coté allemand, et pas du tout français. Ca aussi, c’est un fait, impossible de polémiquer sur le sujet.
La question est donc de savoir si la France veut une position de glorieux second (et même, plutôt, glorieux troisième, après la Pologne) dans ce domaine, ou si elle privilégie une orientation asymétrique la plaçant en clé de voute indispensable et donc déterminante en Europe ?.
J’ajoute un point qui me semble important : il serait très hasardeux, coté français, de prendre le manque d’efficacité de la Bundeswehr en 2020, pour un fait constitutif de son efficacité a venir . Depuis 1995, Berlin avait privilégié l’efficacité économique, y compris dans la BITD, à l’efficacité militaire. C’était un arbitrage, qui a d’ailleurs porté ses fruits. La BITD allemande a conçu des équipements pour qu’ils se vendent bien, pas pour qu’ils combattent bien, car elle considérait que les risque d’emploi étaient minimes.
Aujourd’hui, le postulat allemand est radicalement différent. KMW, Rheinmetall et Diehl doivent fournir à l’Armée allemande et à ses alliés, des équipements qui fonctionneront bien au combat. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils font le Leopard 3, alors que le 2A8 se vend déjà très bien. Et je ne doute ni de leur future efficacité, ni de leur fiabilité, et encore moins de l’efficacité globale de la Bundeswehr.
Personnellement, et cela n’a rien de nouveau, je considère que dans le présent contexte budgétaire, politique et sécuritaire, la France a tout interet à miser sur ses différences : être capable de mobiliser une brigade en 48 heures, être capable d’envoyer un GAN à 3000 km, être capable de redéployer ses soum à 5000 km en 5 jours, concevoir des avions de combat, des drones furtifs et des missiles balistique sans ingérence étrangère, plutot qu’à courir derrière un lièvre bien trop rapide pour nous.
Dans ce contexte, je pense qu’il serait préférable de concevoir un char moyen de 38-40 tonnes super mobile, pour accompagner nos brigades légères et très réactives, capables de répondre sur un préavis inaccessible aux autres armées de l’OTAN, de concevoir un Rafale furtif à 80 m€ fiable et disponible dans la durée, et de construire un second, voir un troisième GAN, plutôt que de courir derrière les 1250 chars et 800 155mm polonais, ou les 1400 Leopard et 600 Skyranger 30 allemands.
Excellente analyse !
Le choix allemand d’investir dans les blindés lourds ne répond pas à une menace réaliste d’invasion russe (militairement improbable, dissuasion nucléaire oblige), mais à un besoin politique et industriel : rassurer l’opinion, soutenir Rheinmetall et KMW, et affirmer un rôle central dans la défense européenne.
Il traduit une culture stratégique héritée de la guerre froide : se préparer à “tenir le rideau” en Europe de l’Est.
Maintenant et a contrario, la France fonde sa sécurité sur la dissuasion nucléaire et oriente son armée vers la projection extérieure et la supériorité aéronavale (Rafale, SCAF, porte-avions).
Résultat : le couple franco-allemand est désaligné :
Paris pense global, expéditionnaire, nucléaire.
Berlin pense régional, défensif, conventionnel.
En conséquence, l’Europe de la défense apparaît comme une construction en trompe-l’œil : deux visions coexistent mais ne convergent pas, et chacune cherche surtout à préserver son industrie et son modèle stratégique. Dassault est sur le point d’ouvrir un ligne d’assemblage de rafale pour honorer le contrat de 114 rafales f4.1. Naval group 3 scorpenes ng, Thalès et Safran de même.
Juste un mot sur les blindés lourds;
lenteur stratégique (logistique énorme), lenteur tactique (difficulté à manœuvrer face à des menaces rapides et saturantes), dépendance à une bulle techno (APS, brouillage, couverture aérienne).
Sans un écosystème protecteur, ces mastodontes deviennent des “cibles de prestige”.
Bonsoir Fabrice,
Je salue le travail concernant la présentation du site, j’ai enfin pu mettre la main sur les articles que j’avais placé en favoris depuis plusieurs semaines ils étaient en mode furtif jusqu’à présent, pas moyen de les visionner…
En attendant de les relire, un autre passionnant que voilà, je m’y met !
Bon week-end
Ça me va parfaitement! Ça serait la première fois que la France pourrait exploiter pleinement son potentiel maritime, spatial et aérien. Ce serait un vrai bénéfice de l’Union Européenne.
Je rejoins comme souvent l’argument de cet article.
Cependant j’irais encore plus loin : c’est la première fois de notre histoire que nous n’avons pas, à la fois, un ennemi terrestre immédiat et des besoins maritimes importants. Et à part au début du règne de Louis XIV nous n’avons jamais réussi à atteindre une position de supériorité simultanée sur ces deux aspects.
1200 kms nous séparent de la Biélorussie avec entre elle et nous la Pologne et l’Allemagne. Pour la première fois nous disposons d’une profondeur stratégique terrestre, nous ne sommes plus face à un choix impossible : celui d’avoir à la fois la plus grande armée de terre et la plus grande marine.
Compte tenu de cela, de nos besoins de sécurisation de nos outre-mers, et du rôle qui est le notre de contrôle des flux maritimes et aériens les priorités sont celles indiquées dans l’article. La question est de savoir si nous allons réussir à sortir de notre culture militaire qui est naturellement très terrienne.