Le limogeage, rapporté par DefenseNews, du chef de cabinet du secrétaire à la Marine par Pete Hegseth et l’administration Trump, a cristallisé une séquence déjà tendue. L’acte paraît mineur, pourtant il éclaire un mode opératoire : accélérer les mouvements au sommet, réduire les marges de manœuvre intermédiaires, et imposer une lecture politique de la conduite des armées. Le fait isolé n’explique pas tout ; il sert d’entrée vers une dynamique plus large, où le tempo de décisions prima sur l’ordinaire des transitions.
Au-delà du signal envoyé au département de la Marine, ce geste s’inscrit dans une période de remplacements resserrés depuis janvier 2025. La vitesse, davantage que l’ampleur, forme le cœur du problème : elle altère la chaîne des avis, comprime les délais d’appropriation et fragilise la continuité des arbitrages. À travers ce prisme, l’événement devient utile, non pour ce qu’il dit du dossier naval, mais pour ce qu’il révèle d’une méthode.
L’article qui suit examine donc le caractère exceptionnel de cette accélération et cherche à comprendre pourquoi l’exécutif a privilégié des nominations successives dans un laps de temps réduit. L’objectif n’est pas de juger des personnes, mais d’évaluer un effet de système, de ses justifications affichées à ses implications opérationnelles, juridiques et politiques, en s’en tenant strictement aux repères factuels disponibles.
Sommaire
Remplacements éclairs au sommet des armées US depuis janvier 2025 : un rythme inédit pour l’administration Trump
L’année 2025 s’ouvre sur une série de mouvements rapides qui touchent le sommet de la hiérarchie militaire et les entourages politiques des forces. Le Chairman of the Joint Chiefs of Staff (CJCS) change de titulaire le 11 avril 2025, marquant un pivot symbolique et fonctionnel au cœur du conseil politico-militaire. Dans le même cycle, l’United States Coast Guard (USCG) connaît un remplacement dès le 21 janvier, au moment précis où l’architecture de décision se recompose. Ce cumul en peu de semaines contraint mécaniquement la transmission des dossiers et la fluidité des relais.

Dans la Marine, la chronologie est tout aussi instructive. Après le départ de l’ancienne Chief of Naval Operations (CNO) en février, l’intérim est assuré jusqu’à la confirmation d’un nouveau CNO le 25 août 2025. Ce délai, loin d’être anodin, concentre sur l’échelon politique l’essentiel de la coordination, alors même que l’état-major opérationnel absorbe des arbitrages structurants. Or, le fait que l’intérim dure plusieurs mois modifie la posture d’autorité perçue, au moment où se prennent des décisions sensibles de planification et de programmation, comme dans le cas de la poursuite du programme F/A-XX qui opposait, jusqu’il y a peu, l’US Navy et Pete Hegeth.
Le point de bascule, médiatiquement visible, est intervenu lorsque le secrétaire à la Défense démet le chef de cabinet du secrétaire à la Marine. Selon Stars and Stripes, le Pentagone confirme qu’« il ne servira plus comme chef de cabinet du secrétaire à la Marine », ce qui formalise la fin d’une influence administrative au sein du cabinet. Le signal dépasse la personne : il recentre l’autorité politique tout en raccourcissant les processus de validation, et en verrouillant le pilotage au niveau du Secrétaire à la Défense.
Cette progression, qui s’est étendue du CJCS aux chefs de service, puis aux entourages politiques, n’est pas linéaire mais cumulative. En rapprochant ces mouvements à la tête des armées US, on observe une compression très sensible des transitions, où la montée en puissance des nouveaux titulaires se déroule sans les périodes d’appropriation traditionnellement accordées, et surtout sans chevauchement.
Dans le même temps, la plupart des directions civiles de sécurité et de renseignement ont vu, elles aussi, leur direction bouleversée, accentuant l’impression d’une recomposition d’ensemble. L’addition de changements hétérogènes produit de nombreuses inquiétudes, au service d’un unique effet homogène : la centralisation du guidage au sommet.
La question n’est alors pas de savoir si chaque remplacement, pris isolément, est justifié ou non, et répond à un processus normal de burn-over à la tête des armées et agences qui portent la sécurité extérieure et intérieure du pays, mais d’évaluer le caractère exceptionnel d’un tel niveau de synchronisation. Le calendrier révèle, en effet, une volonté d’imprimer une direction avant que les routines ne se reconstituent. Par conséquent, la suite de l’analyse s’attachera à étudier si ce tempo, rapporté aux cinquante dernières années, est statistiquement hors norme, et que nous dit-il de l’intention poursuivie par l’exécutif dans sa relation avec l’institution militaire ?
Depuis Ford, la première année change rarement plusieurs chefs d’état-major
Comparer la première année des administrations depuis 1974 met en évidence une ligne de base modérée. Les séries historiques en accès public du U.S. Army Center of Military History permettent ainsi d’agréger les successions pour estimer un rythme usuel où la médiane demeure nulle, alors que la situation la plus fréquente, ces 50 dernières années, aura été qu’aucun changement de chef de service ni de Chairman of the Joint Chiefs of Staff (CJCS) la première année d’une nouvelle administration.
La moyenne rapportée aux 9 dernières administrations, depuis Gerald Ford en 1973 jusqu’à Biden en 2021, reste proche d’un demi-mouvement par alternance, soit autour de 0,56, si l’on cumule cinq changements répartis sur neuf administrations. Dès lors, dans ce cadre, la stabilité initiale constituait jusqu’ici la norme de fonctionnement.

Dans cette série, certains débuts de mandat ont toutefois concentré deux mouvements, sans constituer une rupture durable. L’année 2001, qui voit un double basculement au CJCS et au chef d’état-major de l’US Air Force (USAF), figure l’un des cas « hauts » de la période, avec l’influence notable des attentats du 11 septembre. De même, en 1974, deux changements ont été observés, mais l’un des, le remplacement de Frederik Weyand par Creighton Abrams, résultait du décès du premier.
Ces précédents demeurent donc circonscris et se sont déployés sans effet d’entraînement immédiat sur les autres services. Ils illustrent qu’un enchaînement ponctuel peut se produire, mais ne s’apparente pas à une politique systématique de recomposition accélérée au sommet des forces.
Liste des annonces de remplacement à la tête des Armées US dans les 12 mois ayant suivi l’arrivée d’une nouvelle administration
Année d’investiture | Président | Changements intervenus dans la première année |
---|---|---|
1974 | Gerald Ford | CSA (Creighton Abrams → Frederick Weyand (décédé)), CMC (Robert Cushman → Louis Wilson) |
1977 | Jimmy Carter | Aucun |
1981 | Ronald Reagan | Aucun |
1989 | George H. W. Bush | CJCS (William Crowe → Colin Powell) |
1993 | Bill Clinton | CJCS (Colin Powell → John Shalikashvili) |
2001 | George W. Bush | CJCS (Hugh Shelton → Richard Myers (post 11/09)), CSAF (Michael Ryan → John Jumper) |
2009 | Barack Obama | Aucun |
2017 | Donald Trump 1 | Aucun |
2021 | Joe Biden | Aucun |
2025 | Donald Trump 2 | CJCS (Charles Brown → Dan Caine), CNO (Lisa Franchetti → Daryl Caudle), CCG (Linda Fagan → Kevin Lunday), CSAF (David Allvin → Ken Wilsbach, nomination en attente) |
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