[Analyse] Général Suhr : minimiser le « kerfuffle » industriel du SCAF et recentrer le débat sur la négociation

À Rome, le 7 novembre 2025, le général Philippe Suhr a invité à relativiser l’ampleur des frictions autour du Système de combat aérien du futur (SCAF), tout en rappelant l’objectif d’une livraison dans les années 2040. L’officier, point de contact de l’Armée de l’Air et de l’Espace (AAE), a situé son propos dans une séquence marquée par des déclarations tranchées de dirigeants industriels et par la visibilité croissante d’un programme concurrent. Le lancement franco‑allemand de 2017, rejoint ensuite par l’Espagne, et la perspective de remplacement des Rafale et des Eurofighter vers 2040 fournissent le cadre chronologique et capacitaire de cette mise au point.

Cette prise de parole pose une question de méthode et de gouvernance plus que de communication. Faut‑il calmer le récit médiatique pour déverrouiller des négociations où Paris et Berlin opposent des priorités différentes, notamment sur le calendrier et le pilotage du pilier avion ? Les échanges politiques en septembre et octobre 2025, l’évocation d’ultimatums par des élus allemands, et l’annonce d’une réunion trilatérale décisive ont renforcé la pression. L’enjeu est de savoir si ce recadrage public permet d’ouvrir un espace de compromis, sans masquer des risques programmatiques et politiques bien réels.

Un programme SCAF lancé en 2017 et miné par la gouvernance

Dès septembre 2017, l’initiative conjointe d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel a arrimé le Système de combat aérien du futur à une ambition européenne, avant l’entrée officielle de Madrid en juin 2019. La signature d’un accord‑cadre au salon du Bourget 2019 et la présentation d’une maquette du New Generation Fighter (NGF) ont posé les jalons publics du calendrier, avec un remplacement des flottes vers 2040. Pourtant, dès septembre 2019, les tensions sur le partage industriel et les arbitrages nationaux ont ressurgi. Comme évoqué dans un précédent article à ce sujet, chaque crise a été résolue par une solution minimale, sans traitement des causes profondes.

Ce diagnostic s’observe dans la chronologie des phases techniques et budgétaires. La Phase 1, issue de l’accord‑cadre de 2019, n’a pas permis d’aligner durablement les attentes sur le pilotage du NGF, cœur technologique et symbolique du programme. La Phase 1B, décidée après une impasse entre 2021 et 2022, a relancé les études, mais sans ancrer des garanties sur la propriété intellectuelle et les transferts de technologies. En 2023 et 2024, l’exposition médiatique a diminué, sans que les lignes durs se rapprochent. Le communiqué du 20 septembre 2025, plus circonspect, a montré que l’impasse demeurait structurante.

trappier macron scaf
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Les divergences initiales n’ont pas disparu. Paris vise un appareil polyvalent, apte à la frappe à longue portée, à la mission nucléaire et à l’embarquement, soit des exigences proches de l’empreinte opérationnelle du Rafale. Berlin s’oriente vers un intercepteur plus lourd, calibré pour la supériorité aérienne, en remplacement du Typhoon. Sur le plan industriel, l’avionneur national revendique le rôle de maître d’œuvre du pilier avion, au motif d’une expérience mondiale en conception d’avions de combat. Les partenaires contestent cette exclusivité, au nom d’une logique de cofinancement et de co‑pilotage.

Cette dialectique entre leadership technique et équilibre industriel explique l’effet de répétition des crises observé depuis 2019. Elle a produit un enchaînement d’accords « phase par phase », où chaque verrou est ouvert avec le minimum d’effets sur les verrous suivants. Les conséquences ont été visibles en 2020, puis en 2021 et 2022, lorsque les ministres ont dû reprendre la main pour sauver les jalons. Comme nous l’avons évoqué ici‑même en septembre 2025, le report d’arbitrages sensibles a empêché de stabiliser la gouvernance du NGF. La dynamique a, de fait, accru le coût politique de chaque nouvelle décision. 

Tensions industrielles actuelles et ultimatums politiques en Allemagne

En 2025, la prise de position du dirigeant de l’avionneur français, le 24 septembre à l’Assemblée nationale, a ravivé le clivage. Exiger un statut clair de maître d’œuvre pour le NGF, avant l’entrée en phase de démonstrateur, a été présenté comme un prérequis pour tenir les jalons. De son côté, le groupe partenaire a rejeté tout déséquilibre, en raison de sa présence en Allemagne et en Espagne. Ce durcissement verbal a ramené au premier plan la question d’un partage par compétences plutôt que par quotas. Opex360 a détaillé ces échanges, et rapporté l’annonce d’une réunion trilatérale à Berlin en octobre.

Le climat n’a pas été apaisé par les déclarations relayées outre‑Rhin. Un parlementaire de la CDU a réclamé, fin septembre, une coopération sur un pied d’égalité, tout en agitant la menace d’un arrêt si le désaccord persistait. L’appel à une stratégie transparente, à des résultats concrets et à la justification de l’investissement public s’adressait directement aux ministères concernés. Hartpunkt.de a rapporté ces mises en garde, en fixant une échéance politique avant la fin de l’année. Cette pression a pesé sur les négociateurs, qui ont dû démontrer des avancées tangibles.


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