Depuis 2017 le Système de Combat Aérien du Futur (SCAF) incarne l’ambition franco‑allemande (avec l’Espagne) d’une autonomie stratégique européenne en matière aérienne. Le dossier a été jalonné de crises récurrentes sur le partage industriel, le leadership du NGF et les transferts de technologies. Le corpus disponible montre que, malgré des solutions politiques ponctuelles (Phases 1 / 1B), les tensions entre Dassault et Airbus ne se sont pas résorbées et que les arbitrages de fond ont été reportés à plusieurs reprises. Meta‑Defense avait dès l’origine alerté sur la fragilité programmatique et les biais de gouvernance susceptibles d’amener le projet à une impasse.
La news rapportée par le Ministère des Armées et relayée par la presse est claire : en l’absence d’accord industriel, Paris et Berlin envisagent de retirer le NGF du périmètre commun pour concentrer la coopération sur le pilier « cloud de combat » (NGWS) afin de préserver l’interopérabilité entre forces et sauver ce qui peut l’être du SCAF. Le raisonnement politique qui s’en dégage est double : sauver une bulle technologique utile rapidement et éviter un effondrement complet du programme avant la fin de l’année. Cette évolution modifie profondément les calendriers, les équilibres industriels et les options capacitaires françaises pour 2035‑2045.
Sommaire
L’élément déclencheur : blocage industriel et bascule vers le cloud de combat
Au fil de l’année 2025, le message venu des autorités françaises s’est durci : les positions industrielles de Dassault Aviation et d’Airbus Defence & Space sont désormais décrites comme si inconciliables qu’« il sera probablement plus facile de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille » que de trouver un accord tripartite sur le NGF d’ici la date‑butoir fixée à la fin de l’année. Comme le rapporte Opex360, le ministère des Armées acte ainsi, pour la première fois, qu’un compromis sur le pilier avion est hautement improbable dans le calendrier imparti, ce qui ouvre la voie à un bouleversement de la structure même du SCAF.
Dans ce contexte, l’option désormais mise sur la table consiste à « sortir » le NGF du périmètre commun pour ne conserver que les piliers jugés « fonctionnels », au premier rang desquels le cloud de combat / NGWS. Toujours selon les informations reprises par le quotidien britannique cité, une des issues étudiées serait de limiter la coopération à un « cloud de combat » partagé, afin de maintenir une collaboration utile malgré l’abandon du projet d’avion de chasse conjoint. Derrière cette formule se dessine un plan B assumé : accepter la fragmentation de la composante plate‑forme (plusieurs avions en Europe) mais préserver un socle d’interopérabilité numérique et de standards, unique, pour les forces françaises, allemandes et espagnoles.
Ce basculement est justifié par un argument temporel qui rompt avec le tempo initial du programme. Des responsables français mettent en avant qu’en se concentrant sur le cloud, il deviendrait possible « d’avancer le calendrier à 2030, au lieu de 2040 » pour certains blocs capacitaires. La promesse est claire : plutôt que de rester prisonnier du blocage NGF et d’un horizon 2040‑2045 sans garantie, il s’agit de produire rapidement une architecture de combat collaboratif, censée irriguer les flottes actuelles et futures et offrir des premières briques de supériorité informationnelle dans la décennie à venir.
Le cœur de la crise demeure toutefois le leadership sur le pilier NGF. Dassault réclame de longue date les moyens de tenir le rôle de maître d’œuvre de l’avion, s’appuyant sur l’expérience du Rafale et du démonstrateur nEUROn, alors qu’Airbus, via ses filiales allemande et espagnole, refuse d’accepter une telle centralité française. Ce bras de fer, déjà à l’origine des crises de 2019‑2022, resurgit aujourd’hui sans solution acceptable pour les deux parties. De fait, la divergence sur le partage de maîtrise d’œuvre apparaît comme le verrou politique et industriel qui rend le compromis introuvable.
Pour rendre politiquement acceptable une reconfiguration qui ressemble, de facto, à l’épitaphe du SCAF dans sa forme originelle, la communication officielle insiste désormais sur le fait que le programme « ne se réduit pas au NGF ». Les responsables français multiplient les rappels sur la pluralité des piliers – moteurs, drones de combat collaboratif, « bulle de connectivité » – pour mettre en avant un récit dans lequel le cloud devient l’ossature réelle de la coopération, et l’avion un élément parmi d’autres. Cette rhétorique vise à présenter la priorisation du cloud moins comme un renoncement que comme un recentrage pragmatique sur l’essentiel, tout en repoussant à plus tard – ou en dehors du cadre commun – la question du futur chasseur.
Trajectoire antérieure : crises répétées depuis 2018 et arbitrages reportés autour du NGF et du partage industriel
L’annonce actuelle ne surgit pas dans un vide historique : depuis son lancement officiel en septembre 2017, le SCAF a accumulé les crises programmatiques. Comme le rappelait une analyse de Meta‑Defense consacrée à l’impasse actuelle, l’exposition médiatique du programme est presque toujours venue de tensions industrielles franco‑allemandes sur le pilotage de piliers clés, le partage industriel et les transferts de technologies. Le conflit récurrent sur le leadership du NGF a agi comme un révélateur d’un déséquilibre structurel entre ambitions politiques et architecture de gouvernance.
Face à chaque blocage, la réponse politique a suivi la même logique : des accords minimalistes, strictement ciblés sur la phase à lancer (Phase 1, puis 1B), sans traiter les causes profondes. Ce choix de « colmater pour avancer » a permis de franchir des jalons formels, mais au prix d’un report systématique des arbitrages lourds sur le partage des tâches, la propriété intellectuelle et la hiérarchie des maîtres d’œuvre. L’accumulation de compromis de circonstance a nourri une défiance croissante, tandis que les points durs restaient soigneusement repoussés à plus tard.
Il reste 75 % de cet article à lire, Abonnez-vous pour y accéder !
Les abonnements Classiques donnent accès aux
articles dans leur version intégrale, et sans publicité,
à partir de 1,99 €. Les abonnements Premium permettent d’accéder également aux archives (articles de plus de deux ans)
ABONNÉS : Si vous voyez ce panneau, malgré votre abonnement, videz le cache de votre navigateur pour régler le problème.