jeudi, novembre 20, 2025

[Dossier] SCAF : va-t-on jeter le bébé avec l’eau du bain ?

Depuis 2017 le Système de Combat Aérien du Futur (SCAF) incarne l’ambition franco‑allemande (avec l’Espagne) d’une autonomie stratégique européenne en matière aérienne. Le dossier a été jalonné de crises récurrentes sur le partage industriel, le leadership du NGF et les transferts de technologies. Le corpus disponible montre que, malgré des solutions politiques ponctuelles (Phases 1 / 1B), les tensions entre Dassault et Airbus ne se sont pas résorbées et que les arbitrages de fond ont été reportés à plusieurs reprises. Meta‑Defense avait dès l’origine alerté sur la fragilité programmatique et les biais de gouvernance susceptibles d’amener le projet à une impasse.

La news rapportée par le Ministère des Armées et relayée par la presse est claire : en l’absence d’accord industriel, Paris et Berlin envisagent de retirer le NGF du périmètre commun pour concentrer la coopération sur le pilier « cloud de combat » (NGWS) afin de préserver l’interopérabilité entre forces et sauver ce qui peut l’être du SCAF. Le raisonnement politique qui s’en dégage est double : sauver une bulle technologique utile rapidement et éviter un effondrement complet du programme avant la fin de l’année. Cette évolution modifie profondément les calendriers, les équilibres industriels et les options capacitaires françaises pour 2035‑2045.

L’élément déclencheur : blocage industriel et bascule vers le cloud de combat

Au fil de l’année 2025, le message venu des autorités françaises s’est durci : les positions industrielles de Dassault Aviation et d’Airbus Defence & Space sont désormais décrites comme si inconciliables qu’« il sera probablement plus facile de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille » que de trouver un accord tripartite sur le NGF d’ici la date‑butoir fixée à la fin de l’année. Comme le rapporte Opex360, le ministère des Armées acte ainsi, pour la première fois, qu’un compromis sur le pilier avion est hautement improbable dans le calendrier imparti, ce qui ouvre la voie à un bouleversement de la structure même du SCAF.

Dans ce contexte, l’option désormais mise sur la table consiste à « sortir » le NGF du périmètre commun pour ne conserver que les piliers jugés « fonctionnels », au premier rang desquels le cloud de combat / NGWS. Toujours selon les informations reprises par le quotidien britannique cité, une des issues étudiées serait de limiter la coopération à un « cloud de combat » partagé, afin de maintenir une collaboration utile malgré l’abandon du projet d’avion de chasse conjoint. Derrière cette formule se dessine un plan B assumé : accepter la fragmentation de la composante plate‑forme (plusieurs avions en Europe) mais préserver un socle d’interopérabilité numérique et de standards, unique, pour les forces françaises, allemandes et espagnoles.

NGF programme SCAF
[Dossier] SCAF : va-t-on jeter le bébé avec l'eau du bain ? 9

Ce basculement est justifié par un argument temporel qui rompt avec le tempo initial du programme. Des responsables français mettent en avant qu’en se concentrant sur le cloud, il deviendrait possible « d’avancer le calendrier à 2030, au lieu de 2040 » pour certains blocs capacitaires. La promesse est claire : plutôt que de rester prisonnier du blocage NGF et d’un horizon 2040‑2045 sans garantie, il s’agit de produire rapidement une architecture de combat collaboratif, censée irriguer les flottes actuelles et futures et offrir des premières briques de supériorité informationnelle dans la décennie à venir.

Le cœur de la crise demeure toutefois le leadership sur le pilier NGF. Dassault réclame de longue date les moyens de tenir le rôle de maître d’œuvre de l’avion, s’appuyant sur l’expérience du Rafale et du démonstrateur nEUROn, alors qu’Airbus, via ses filiales allemande et espagnole, refuse d’accepter une telle centralité française. Ce bras de fer, déjà à l’origine des crises de 2019‑2022, resurgit aujourd’hui sans solution acceptable pour les deux parties. De fait, la divergence sur le partage de maîtrise d’œuvre apparaît comme le verrou politique et industriel qui rend le compromis introuvable.

Pour rendre politiquement acceptable une reconfiguration qui ressemble, de facto, à l’épitaphe du SCAF dans sa forme originelle, la communication officielle insiste désormais sur le fait que le programme « ne se réduit pas au NGF ». Les responsables français multiplient les rappels sur la pluralité des piliers – moteurs, drones de combat collaboratif, « bulle de connectivité » – pour mettre en avant un récit dans lequel le cloud devient l’ossature réelle de la coopération, et l’avion un élément parmi d’autres. Cette rhétorique vise à présenter la priorisation du cloud moins comme un renoncement que comme un recentrage pragmatique sur l’essentiel, tout en repoussant à plus tard – ou en dehors du cadre commun – la question du futur chasseur. 

Trajectoire antérieure : crises répétées depuis 2018 et arbitrages reportés autour du NGF et du partage industriel

L’annonce actuelle ne surgit pas dans un vide historique : depuis son lancement officiel en septembre 2017, le SCAF a accumulé les crises programmatiques. Comme le rappelait une analyse de Meta‑Defense consacrée à l’impasse actuelle, l’exposition médiatique du programme est presque toujours venue de tensions industrielles franco‑allemandes sur le pilotage de piliers clés, le partage industriel et les transferts de technologies. Le conflit récurrent sur le leadership du NGF a agi comme un révélateur d’un déséquilibre structurel entre ambitions politiques et architecture de gouvernance.

Face à chaque blocage, la réponse politique a suivi la même logique : des accords minimalistes, strictement ciblés sur la phase à lancer (Phase 1, puis 1B), sans traiter les causes profondes. Ce choix de « colmater pour avancer » a permis de franchir des jalons formels, mais au prix d’un report systématique des arbitrages lourds sur le partage des tâches, la propriété intellectuelle et la hiérarchie des maîtres d’œuvre. L’accumulation de compromis de circonstance a nourri une défiance croissante, tandis que les points durs restaient soigneusement repoussés à plus tard.

programme SCAF 2019
[Dossier] SCAF : va-t-on jeter le bébé avec l'eau du bain ? 10

Il reste 75 % de cet article à lire, Abonnez-vous pour y accéder !

Logo Metadefense 93x93 2 Aviation de chasse | Allemagne | Belgique

Les abonnements Classiques donnent accès aux
articles dans leur version intégrale, et sans publicité,
à partir de 1,99 €. Les abonnements Premium permettent d’accéder également aux archives (articles de plus de deux ans)

ABONNÉS : Si vous voyez ce panneau, malgré votre abonnement, videz le cache de votre navigateur pour régler le problème.


Publicité

Droits d'auteur : La reproduction, même partielle, de cet article, est interdite, en dehors du titre et des parties de l'article rédigées en italique, sauf dans le cadre des accords de protection des droits d'auteur confiés au CFC, et sauf accord explicite donné par Meta-defense.fr. Meta-defense.fr se réserve la possibilité de recourir à toutes les options à sa disposition pour faire valoir ses droits. 

Pour Aller plus loin

8 Commentaires

  1. Le cœur du problème n’est pas seulement industriel, mais géopolitique. Une architecture de combat centrée sur le cloud impose un principe simple : celui qui maîtrise les données, les protocoles et les clés numériques impose sa doctrine d’emploi à tous les autres. Or, dans le schéma actuel, l’Allemagne chercherait à capter cette couche critique, ce qui reviendrait à externaliser la souveraineté opérationnelle française — exactement l’erreur que les pays du F-35 paient aujourd’hui.

  2. L’abandon possible du NGF/SCAF pour privilégier un “cloud de combat” ne doit pas masquer l’enjeu stratégique central : qui contrôle le cloud contrôle la guerre aérienne du futur. Si, comme il semble, l’Allemagne en garde la main à la manière d’IBM, la France perdrait sa souveraineté opérationnelle, son contrôle sur le Rafale F5 et ses drones, et sa liberté d’export. Dans ce contexte, continuer le SCAF franco-allemand devient incompatible avec l’autonomie stratégique française. La seule option crédible est de développer un cloud souverain français, intégré à un système de combat Rafale 2040 avec drones et IA, tout en laissant le SCAF politique survivre pour la coopération européenne. En résumé, le SCAF opérationnel est mort si la France veut rester autonome, le futur se joue désormais sur la maîtrise des données et de l’architecture, pas sur la cellule seule. Donc exit. Il existe des possibilités hors Europe et atlantique pour aboutir à un projet sans contraintes politiques.

  3. Bonjour Fabrice,

    La fin du SCAF tel qu’on le connait aujourd’hui me parait inéluctable sauf rebondissement de dernière minute. On risque de se retrouver dans le pire des scénarios avec 4 avions de combats en Europe dont 3 de la même classe de masse… Un SCAF ou les financement seraient répartis selon le pilotage ne seraient pas possible ?
    Imaginons un financement du NGF à hauteur de 51% par la France, 24,5% par l’Allemagne, 24,5% par l’Espagne, dans la même logique un cloud financé à 51% par l’Allemagne, et un drone de combat financé à 51% par l’Espagne… De manière à ce que chaque pays ait la maitrise d’oeuvre de chacun des piliers en s’engageant à faire travailler les industriels des pays partenaires en priorité ?

    De mème, en donnant une dimension de « banque de sous-systèmes » au SCAF, on pourrait ouvrir le projet à d’autres partenaires (suède, Inde, EAU…) qui pourraient concevoir nationalement un appareil adapté à leurs besoins avec des pièces issus du SCAF tout en préservant le partage industriel du projet et en augmentant la charge pour les industriels.

    Je rajouterais que la France doit faire preuve de Leadership ce qu’elle n’a pas fait jusqu’à présent en repoussant les problèmes du projet, en laissant l’Allemagne mener la danse sur la communication et en ne donnant pas de ligne directrice clair. l’Allemagne à aussi laissé ses parlementaires s’engouffrer dans le dossier ce qui brouille encore plus la communication. les parlementaires allemands sont en mode ultimatum mais n’ont clairement pas étudié de plan B. Entre rejoindre un GCAP déjà en ordre de marche (très peu de retour industriel potentiel pour l’Allemagne à moins que les britanniques ne décident de réduire leurs parts), lancer son propre appareil (avec tous les risques associés et le manque de compétences dans certains domaines clés) ou refaire un nouveau SCAF (mais avec quels partenaires de poids ?). Les options allemandes sont en réalité très limités et c’est sur ces points la que la France doit appuyer, en + de l’annulation possible du MGCS.

    Cette négociation doit avoir lieu de président à président et non comme actuellement entre ministre, industriels et militaires voir pire entre parlementaires…

  4. Tout cela est bien beau mais ce long texte ne met pas assez en valeur le passage fondamental qui traduit la réalité:  » Parallèlement l’ histoire récente de la coopération franco- allemande a fourni d’ autres signaux d’ alerte….
    L’ Allemagne n’ hesitant pas á se retirer des volets programmatiques ne correspondant pas ou plus à ses intérêts nationaux »

    Pourquoi aller plus loin?
    Pourquoi persévérer?
    Comment coopérer avec un pays qui ne veut pas coopérer et vise manifestement une hégémonie fort inquiétante?

    Le problème fondamental des  » Européistes » français, c’ est qu’ ils nient la réalité et.sont prets à sacrifier les intérêts nationaux à leur rêve.

    L’ Europe c’ est sûrement formidable, la coopération c’ est sûrement génial, mais tout seul, c’ est difficile.

    Pour parler le  » bureaucrate aussi arrogant qu’ incompétent « , il faut  » flecher » – De Gaulle aurait il parler ainsi?- les crédits SCAF vers la R&D de Dassault Aviation et arrêter d’ être les seuls à vouloir faire des  » concessions ».. il y a des calendriers à tenir..

    Et nous allons pouvoir parler sérieusement de la composante  » blindés lourds » de l’ armée de terreet demander à Monsieur Marc Chassillan un plan d’ urgence….

  5. @Fabrice Wolf
    Vous évoquez le cloud de combat comme le « dernier liant » de ce projet.
    Mais peut-on passer sous silence le fait que ce pilier a été attribué à l’Allemagne, qui s’est empressée d’attribuer en août 2023 l’appel d’offres pour l’architecture IA du SCAF à un consortium où figure notamment l’américain IBM ? Avec les conséquences que cela suppose compte tenu du Cloud Act américain ?
    En d’autres termes, est-il encore concevable de poursuivre une coopération, quelle que soit sa forme et ses modalités, autour d’un cloud de combat potentiellement sous contrôle américain ? Pourrait-on alors envisager de développer plusieurs cloud de combat, néanmoins compatibles entre eux, ce qui permettrait à la France de disposer d’un cloud souverain. Avec le risque de « morceler » encore davantage ce qui restera du projet…

RESEAUX SOCIAUX

Derniers Articles

Derniers commentaires