Voilร un article on ne peut plus polรฉmique, tant le programme SCAF est aujourdโhui parรฉ de toutes les vertus, tant par les industriels que les รฉtats-majors, et ce programme est devenu lโalpha et lโomรฉga des programmes de dรฉfense. Pourtant, il ne manque pas de risques, de faiblesses et mรชme de dangers pour les capacitรฉs de dรฉfense franรงaises et allemandes.
- le calendrier
Le programme SCAF a pour objectif de fournir aux forces aรฉriennes franรงaises et allemandes un systรจme global de combat aรฉrien ร horizon 2040, incluant un appareil pilotรฉ de nouvelle gรฉnรฉration, un drone de combat, des drones de reconnaissance et de renseignement, et lโensemble des outils de communication et de traitement des donnรฉes nรฉcessaires.
Du point de vu industriel, il y aura donc presque 45 ans dโรฉcart entre le programme SCAF et les programmes prรฉcรฉdant, Rafale et Typhoon. Un tel รฉcart engendre des risques industriels trรจs marquรฉs, avec des gap technologiques trรจs importants, notamment en terme de cellule et surtout de moteur, sachant que le dernier moteur conรงu par SAFRAN รฉtait le M88.
Du point de vu opรฉrationnel, ce calendrier implique que les Rafales et Typhoon franรงais et allemands devront tenir la ligne jusquโen 2040, et mรชme 2045 le temps dโavoir les premiers escadrons opรฉrationnels. Or, en dรฉpit des performances des appareils, lโรฉvolution des systรจmes de dรฉfense anti-aรฉrienne, comme le S-400 et S-500 russes, rendra presque impossible lโexรฉcution des missions. Initialement, la France รฉtait engagรฉ avec la Grande Bretagne dans le programme de drone de combat FCAS, devant entrer en service en 2030, pour traiter ce contexte. Lโintรฉgration du FCAS au SCAF est certainement une optimisation industrielle, mais laissera les forces aรฉriennes franรงaises et allemandes sans capacitรฉs haute-intensitรฉ pendant au moins 10 ans.
- le paradigme de lโavion polyvalent
Le SCAF repose sur le mรชme paradigme que celui qui prรฉvalu pour le Rafale et le Typhoon, ร savoir quโun unique appareil est pertinent pour lโensemble des missions de combat. Or, cette logique a montrรฉ ses faiblesses ces 20 derniรจres annรฉes. Du point de vu industriel, le fait de ne travailler que sur un unique appareil augmente sensiblement les dรฉlais entre 2 appareils, rendant le maintien de compรฉtence trรจs dรฉlicat. En outre, avec un unique appareil, qui plus est un bimoteur de 25/30 tonnes, lโindustrie se coupe dโune part non nรฉgligeable du marchรฉ, car lโimmense majoritรฉ des pays nโont tout simplement pas les moyens de financer de tels appareils, et doivent se tourner vers des avions plus lรฉgers, et moins chers, comme le F16, le JAS39 ou les J-10 et JF-17 chinois.
Du point de vu opรฉrationnel, cela oblige dโutiliser un appareil pour toute les missions, mรชme lorsquโil est clairement surdimensionnรฉ. Sachant quโune heure de vol dโun Rafale coute le prix de deux heures de vol de mirage2000, lโintรฉrรชt รฉconomique pour les armรฉes est รฉvident.
- Ecarter les autres pays europรฉens
Le SCAF est le symbole de lโinitiative franco-allemande en faveur de la Dรฉfense, et de la consolidation des industries de Dรฉfense des deux pays. Mais, ce faisant, il marginalise les industries aรฉronautiques des autres pays europรฉens, au premier rang desquels la Grande-Bretagne. La rรฉaction britannique ne sโest pas faite attendre, avec lโannonce coup sur coup du lancement dโun programme dโUCAV et lโouverture de discussion avec le Suรฉdois Saab en vu de construire un appareil ne nouvelle gรฉnรฉration. LโItalie tape รฉgalement ร la porte du projet, et pourrait bien se rapprocher des britanniques si le couple franco-allemand faisait la sourde oreille.
Certes, plusieurs projets rรฉcents ont montrรฉ que les projets europรฉens multi cรฉphalรฉes avaient tendance ร se convertir en mรฉcano industriel inefficace ; mais il ne faut pas nรฉgliger le fait que la Grande-Bretagne, lโItalie et la Suรจde disposent de qualitรฉs industrielles avรฉrรฉes, et de qualitรฉs commerciales encore plus marquรฉes, et quโร eux trois, ils maitrisent de nombreux marchรฉs exports.
- Penser le SCAF autrement
Une fois ces faiblesses posรฉes, comment les traiter ? Comme souvent, il sโagit avant tout de changer ses paradigmes pour envisager le programme sous un angle nouveau. Il serait par exemple bรฉnรฉfique de fonctionner sous forme de gamme dโappareils, et non dโappareil unique, et de redรฉfinir le calendrier et les opportunitรฉs industrielles en fonction.
Ainsi, si la gamme dโappareils intรฉgrait un chasseur lรฉger monomoteur, comme le mirage 2000, un chasseur moyen polyvalent, comme le Rafale, et un chasseur lourd spรฉcialisรฉ dans la dรฉfense aรฉrienne, ร lโimage du F-22 ou du J-20, le planning de dรฉveloppement pourrait รชtre tout autre, avec un premier appareil ร horizon 2030, destinรฉ ร remplacer les 2000 et F-16 en fin de vie, un second en 2040, pour remplacer les Rafales et Typhoon les plus anciens, et un troisiรจme en 2050, pour amener des capacitรฉs jusque lร inaccessibles au forces aรฉriennes europรฉennes. En fonctionnant ainsi, le gap technologique entre chaque appareil serait rรฉduit, et les retours dโexpรฉriences trรจs pertinents. En outre, le partage industriel avec un nombre dโacteurs supรฉrieur serait plus aisรฉ. Enfin, le marchรฉ adressable pour lโexportation serait trรจs รฉtendu.
Du point de vu opรฉrationnel, une telle approche permettrait aux forces aรฉriennes de disposer dโun nouvel appareil dรฉs 2030, donc de traiter le dรฉfi des nouveaux systรจmes antiaรฉriens. En outre, chaque nouvel appareil apportera des atouts spรฉcifiques, permettant dโoptimiser lโutilisation et la performance de la force aรฉrienne, comme ses couts. Enfin, cela permettra de sโadapter aux รฉvolutions technologiques trรจs rapides liรฉes ร la reprise de la course aux armements, avec des acteurs, comme la Chine, particuliรจrement actifs et innovants.
- Peut-on le financer ?
Bien รฉvidemment, les objections concernant le cout dโune telle approche ne manqueront pas de se manifester. Pour autant, sont-elles pertinentes ?
Car si, au lieu de conserver le dogme de pilotage par la dรฉpense des investissements de dรฉfense, nous appliquions la doctrine Dรฉfense ร Valorisation Positive, les rรฉsultats seraient trรจs diffรฉrents de la perception instinctive. Plusieurs facteurs clรฉs sont de nature ร changer les couts rรฉels dโun tel modรจle, comme le lissage de la recherche et dรฉveloppement dans le temps et la baisse du risque technologique, son application aux programmes civils notamment aรฉronautiques, la cible dโappareils รฉtendues par le nombre dโacteurs mais รฉgalement par une offre trรจs รฉtendue.
Une รฉtude approfondie rรฉvรจlerait, jโen suis certain, que le potentiel fiscal dโun SCAF รฉtendu compenserait trรจs largement les couts supplรฉmentaires, et serait mรชme de nature ร rรฉduire le cout effectif pour les finances publiques de chaque รฉtat.
On le voit, le SCAF, dans sa forme actuelle, est loin dโรชtre un programme optimum, et les dรฉveloppements actuels, notamment en Grande-Bretagne du point de vue industriel, ou en Russie et en Chine du point de vue opรฉrationnel, devrait inciter ร envisager des approches alternatives, tenant compte de ces donnรฉes. La Dรฉfense, et dโautant plus lorsquโil sโagit de la Dรฉfense Europรฉenne, est un exercice en valeur relative, qui se doit dโรฉvoluer concomitamment des รฉvolutions de contexte. Le dogmatisme, quโil soit industriel ou opรฉrationnel, nโest pas un conseillรฉ pertinent, mรชme sโil est basรฉ sur des dรฉcennies de succรจs