Depuis plusieurs semaines, avant même l’épisode des navires ukrainiens arraisonnés manu militari par la Marine russedans le détroit de Kersh, les autorités ukrainiennes ne cessent d’alerter sur le renforcement très notable des forces russes déployées à sa frontière, comme en mer d’Azov, faisant craindre une intervention militairevisant à assurer la continuité territoriale entre la Russie, le Donbass et la Crimée.
Parmi les arguments avancés par les ukrainiens, il y a la constitution récente d’une nouvelle division blindéeforte de deux régiments de char, et deux régiments d’infanterie mécanisée, positionnée à la frontière Ukrainienne au nord du Donbass, et présentant les caractéristiques d’une forte préparation opérationnelle. D’autre part, des concentrations anormales de blindées, notamment de chars T62 et T64 modernisés, cela même massivement employés par les séparatistes du Donbass, ont été repérées par des images satellites. Coté navale, la flotte de la mer noire a été visiblement la priorité en matière d’équipements navales, ayant reçu cette une nouvelle frégate légère de la classe Grigorovitch, de nouveaux patrouilleurs armés, et un nouveau sous-marin de la classe Kilo. En 2019, l’effort sera maintenu, avec la livraison de 12 nouveaux bâtiments, 6 bâtiments de combat, et 6 bâtiments de soutiens, à cette flotte. A noter que des patrouilleurs armés ont également été temporairement transférés de la flotte de la mer Caspienne, à celle de la mer Noire, et positionnés en mer d’Azov.
D’autre part, Les forces russes ont très sensiblement renforcé les capacités de défense déployées en Crimée, avec la mise en service d’un nouveau régiment S-400, de batteries côtières, et le renforcement des moyens aériens déployés en permanence sur la péninsule, notamment un régiment de Su30 et un de Su24.
Par ailleurs, les autorités ukrainiennes craignent que l’affaiblissement sensible des gouvernements européens, entre la crise des gilets jaunes en France, les difficultés du Brexit en Grande Bretagne, et l’affaiblissement de la chancelière allemande, ainsi que les conjectures au sujet de collusion entre le président Trump et la Russie, n’encourage la Russie à passer à l’acte à la veille de l’hiver, sachant que de nombreux pays européens, dont l’Ukraine, restent particulièrement dépendant au gaz russe en cette période.
Enfin, certains analystes ont pointé la baisse sensible de popularité du président Poutine, au plus bas depuis le début de l’intervention en Ukraine, liée à la réforme des retraites impopulaire, n’incite le président russe à remobiliser le pays via une intervention militaire symbolique.
Si ces arguments ont incontestablement du poids, on ne peut non plus exclure la proximité des élections présidentielles en Ukraine. Le président sortant Poroshenko n’étant pas donné favoris eu égard à son impopularité élevée, la thèse de la manipulation des informations en vue de précipiter les évènements, pour remobiliser le pays, et pour éventuellement sursoir à l’élection, ne peut être écartée, même si il est peu probable que les élections ukrainiennes ne mettent au pouvoir un gouvernement favorable aux positions russes.
Reste qu’il existe, en Europe comme aux Etats-Unis, la crainte de voir l’Ukraine forcer la main de ses alliéspour faire face à la Russie, en agitant un risque imminent de conflit, voir même ne le provoquant. Cette théorie est pourtant très peu probable. En effet, jusqu’à présent, le soutien occidental à la cause ukrainienne a toujours été très inferieur aux attentes des autorités ukrainiennes, et la majorité des ukrainiens, pourtant initialement très favorables à l’Union Européenne, considèrent désormais qu’aucune aide significative ne viendra de l’occident en cas de conflit avec la Russie. C’est d’ailleurs pour cela que le pays a consenti un effort considérable pour renforcer sa puissance militaire depuis 2014, et l’armée ukrainienne en cette fin 2018 n’a plus grand chose à voir avec celle qui du reculer initialement dans le Donbass. Ceci dit, coté russe, la progression a été très sensible également, de sorte que le rapport de force reste, aujourd’hui, très en faveur de ces dernièrs.
La position des capitales européennes, notamment de la France et de l’Allemagne, arque boutées sur l’application des accords Minsk II, et sur l’espoir que les sanctions économiques imposées à la Russie suffiront à contraindre le pays, n’est plus en lien avec la réalité. De fait, si l’Europe veut empêcher qu’un conflit majeur n’éclate sur le sol européen, elle devra changer de stratégie, et ce rapidement.
Parmi les options européennes, le déploiement d’une force d’interposition sous commandement européen (et non OTAN), semble de loin la plus susceptible de figer la situation, et d’empêcher un embrasement catastrophique. Cette force permettrait non seulement d’empêcher les forces belligérantes d’entrer en contact, mais limiterait les capacités de mouvements de troupes et de matériels des deux cotés.
Quoiqu’il en soit, l’évolution de la situation en Ukraine, dépendra certainement des actions, ou du manque d’action, des Européens. Nous ne pourrons pas nous réfugier, comme ce fut le cas avec la Bosnie, ou la Crimée, derrière l’argument de la surprise.