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8 éléments clefs du nouveau livre blanc sur la défense chinoise

Publié le mercredi 24 juillet 2019, le dixième livre blanc sur la défense chinoise s’intitule : « La défense nationale de la Chine à l’ère nouvelle ». Successeur de « La stratégie militaire de la Chine » datant de 2015, ce livre blanc de 2019 (LB2019) arrive dans un contexte politique particulier : du retour de l’unilatéralisme américain ; à l’arrivée au pouvoir de la Coalition pan-verte à Taïwan, alliance politique qui tend à favoriser l’indépendance de Taïwan. Également, il s’agit aussi du premier livre blanc sur la défense chinoise depuis le 19e congrès national du Parti communiste chinois qui s’était ouvert en octobre 2017.

Dans cet article, nous aborderons les 8 éléments clefs du nouveau livre blanc sur la défense chinoise, nouveau document officiel du gouvernement chinois à l’intention des puissances étrangères.

1. « Ne jamais chercher l’hégémonie, l’expansion ou les sphères d’influence »

Présentée comme une caractéristique distinctive de la défense nationale de la Chine à l’ère nouvelle, cette volonté de ne jamais chercher l’hégémonie, l’expansion ou les sphères d’influence est un moyen de rassurer la communauté internationale. Pour Pékin, cette stratégie a pour objectif de se distinguer des grandes puissances hégémoniques précédentes.

Nous pouvons également y voir un rappel des Cinq principes de coexistence pacifique de 1954, énoncés initialement par la Chine, l’Inde et le Myanmar :

  • respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale ;
  • non-agression mutuelle ;
  • non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures ;
  • égalité et avantages réciproques ;
  • coexistence pacifique.

Cependant, malgré ces principes, les pratiques chinoises dans le cadre des nouvelles routes de la soie demeurent assez inquiétantes, certains dénonçant une « diplomatie du piège de la dette ». Des États, à l’instar de la Grèce et du Pirée ou du Vietnam et trois points côtiers stratégiques, abandonnent le contrôle de pans entiers de leurs infrastructures ou cèdent des parties stratégiques de leur territoire sous forme de Zone économique spécial (SEZ) pour 99 ans.

2. La République populaire de Chine, parangon du multilatéralisme et de la coopération 

Dans ce LB2019, la Chine démontre une volonté de s’imposer comme une figure du multilatéralisme en regrettant un système et un ordre de la sécurité internationale minés par « la croissance des hégémonies, la politisation des rapports de force, l’unilatéralisme et les conflits régionaux constants ». La Chine, en endossant l’étendard de la coopération, dépeint un monde où les questions de sécurité internationale et régionale sont de plus en plus nombreuses, qu’il s’agisse de la non-prolifération des armes de destruction massive ou du terrorisme : « aucun pays ne peut y répondre seul ou se tenir à l’écart ».

De plus, la Chine se félicite des progrès effectués au niveau du continent Asiatique et de sa relative stabilité actuelle. Notamment à travers l’Organisation de coopération de Shanghai qui a pour but de forger un partenariat constructif de non-alliance et de non-confrontation qui ne cible aucune tierce partie. Mais également des réunions informelles des ministres de la défense de la Chine et de l’ANASE et des ministres de la défense de l’ANASE Plus (ADMM-Plus) qui jouent un rôle positif en permettant notamment la promotion de la confiance mutuelle par le biais du dialogue et de la transparence accrus.

Dans les dernières pages du LB2019 sont également annexés : une liste des principaux dialogues sur la sécurité régionale et plateformes de coopération rejoints par l’APL et la PAP (Police armée du peuple) ; les principaux traités multilatéraux sur la maîtrise des armements, le désarmement et la non-prolifération des armes nucléaires signé et ratifié par la Chine ; les principaux traités multilatéraux de lutte contre le terrorisme signé et ratifié par la Chine et les principales opérations de maintien de la paix de l’ONU auxquelles l’APL a participées. Une chose est sûre, la coopération et le multilatéralisme sont des éléments majeurs de la rhétorique chinoise et serviront à se distinguer des puissances mondiales actuelles et passées.

3. La mécanisation et la modernisation de l’APL : Une priorité pour Pékin

De grands progrès ont été réalisés dans la Révolution des affaires militaires (RMA) du côté de l’APL. Cependant, l’APL n’a pas encore achevé sa tâche de mécanisation et a un besoin urgent d’améliorer son informatisation. La Chine fait preuve d’une certaine lucidité en annonçant que :

« Des efforts accrus doivent être déployés pour moderniser les forces armées afin de répondre aux exigences de la sécurité nationale. L’APL est encore loin derrière les principales armées du monde ».

Certes, la Chine diminue son retard technologique sur les nations occidentales, ou même le Japon, mais ce retard demeure conséquent, qu’il s’agisse de ses équipements, de l’entraînement de son armée ou de son interopérabilité. Le LB2019 rejoint le rapport de Xi Jinping qui annonçait au 19e congrès national du PCC vouloir mécaniser l’essentiel de l’APL d’ici 2020, la moderniser d’ici 2035 et en faire une armée de premier ordre vers le milieu du siècle.

Les anciens équipements sont d’ailleurs en cours d’élimination progressive. De nouveaux systèmes d’armes de haute technologie ont été mis en service, à l’instar des chars de Type 15, des destroyers de Type 052D, des chasseurs J-20 et des missiles balistiques à moyenne et longue portée DF-26.

4. Éclaircissement sur la réforme militaire amorcée en novembre 2015

Est mentionnée mais surtout précisée dans ce LB2019, la restructuration de la chaîne de commandement au sein de l’APL : L’ancien siège de l’état-major général, le Département politique général, le Département logistique général et le Département général de l’armement ont été réorganisés en quinze organes sous la direction centralisée du CMC. 

L’APL initialement composée de trois branches (l’armée de Terre, la Marine et la Force aérienne), rejoint en 2015 par deux nouvelles branches (la Force des fusées et la Force de soutien stratégique), se voit adjoindre une nouvelle force : la Force de soutien logistique interarmées.

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Globalement, cette restructuration démontre un approfondissement de la centralisation de l’APL autour du CMC, et donc du pouvoir politique chinois. Le remplacement des sept régions militaires par cinq commandements de théâtre en est également l’un des prolongements. 

D’après Pékin, cette centralisation permet également d’optimiser la structure fonctionnelle et institutionnelle des organes du CMC : les chaînes de commandement, de développement, de gestion et de supervision sont plus rationalisées et les responsabilités en matière de prise de décision, de planification, d’exécution et d’évaluation sont mieux déléguées.

5. Passer d’une doctrine militaire quantitative à une doctrine qualitative

La Chine, un des principaux foyers de peuplement et véritable bassin civilisationnel de la planète, possède naturellement une armée conséquente. D’après ce LB2019, l’APL va effectuer un basculement vers une doctrine militaire qualitative, Pékin estimant qu’il s’agit d’une étape cruciale de l’optimisation de la structure organisationnelle militaire et de l’établissement d’une structure de forces militaires modernes.

Les responsabilités de nombreux postes d’officier sont transférées aux sous-officiers et aux personnels civils, alors que les effectifs des principaux organes sont réduits à tous les niveaux, et que les institutions et les auxiliaires (personnel des arts, des sports, de la presse, des publications, du soutien logistique, des installations médicales, des dépôts et des instituts de recherche et de formation) se retrouvent rationalisés.

L’objectif annoncé est de maintenir la force active totale à 2 millions d’hommes (et femmes). Déjà 25% des effectifs liés aux organes de commandement au niveau des régiments et supérieurs ont été supprimés, ce qui rejoint la dynamique de transférer des postes d’officiers citée plus haut. Dans ce modèle, l’armée de Terre va considérablement réduire son effectif actif, alors que les Forces aériennes resteront stables et qu’une augmentation modérée des forces actives est annoncé pour la Marine et la Force des fusées – comme la Russie, la Chine a une armée dédiée à la force de dissuasion et de protection anti-missile.

6. Pékin relativise son budget militaire

La volonté de ce livre blanc est assez claire : il s’agit avant tout de rassurer le monde quant aux intentions chinoises sur la scène internationale. Cet effort pédagogique à propos de son propre budget militaire en est le parfait exemple. L’objectif est de montrer que ce budget est raisonnable et approprié, et qu’il ne constitue pas le début d’une course aux armements, que ce soit avec une puissance de son rang ou non.

Dans l’ensemble, les dépenses de défense ont augmenté parallèlement à la croissance de l’économie nationale et des dépenses publiques. Ces dépenses en pourcentage du PIB sont passées d’un niveau record de 5,43% en 1979 à 1,26% en 2017. De plus, elles sont restées inférieures à 2% au cours des trois dernières décennies.

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Dans cette optique de montrer que la Chine n’est pas une menace et que craindre sa montée en puissance ne serait pas légitime, cette dernière va arguer que parmi les pays se classant en tête des dépenses de défense en 2017, la part du budget chinois par rapport à son PIB est l’un des plus bas.

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La Chine est devenue la deuxième économie mondiale. Le fait que les dépenses de défense de la Chine se classent au deuxième rang mondial serait légitimé par les exigences de sa défense nationale, la taille de son économie et la nature défensive de sa politique de défense nationale. En termes de volumes financiers, les dépenses de défense de la Chine en 2017 représentaient moins d’un quart de celles des États-Unis.

Néanmoins, l’approche chinoise est trompeuse, puisque d’une part la monnaie chinoise est, et ce depuis longtemps, artificiellement sous-évaluée par l’intervention répétée de la banque centrale du pays et que les coûts de production et d’exploitation en Chine n’ont que peu de rapport avec ceux ayant court aux États-Unis ou en Europe. Rappelons à ce titre qu’une Frégate Type 054A, un bâtiment de 4500 tonnes spécialisé dans la lutte anti-sous-marine, est proposé sur le marché international à 160 M$, là ou l’équivalent européen ne peut passer sous les 650 M$, et l’équivalent US sous les 800 M$.

7. Critique ardente des États-Unis et de la politique « séparatiste » de Taïwan

La Chine, en déclarant ne pas s’engager dans la voie de l’hégémonie et favorisant le multilatéralisme, embrasse la possibilité d’être assez sévère envers l’actuelle politique internationale américaine. C’est également une façon pour la Chine de renforcer la légitimité de son discours. Sa critique demeure ardente en déclarant que les États-Unis en renforçant ses alliances militaires dans la région Asie-Pacifique, mais aussi en se déployant et intervenant militairement dans cette même région, rendent la sécurité régionale encore plus complexe. Un exemple récent vient appuyer de cette analyse : le déploiement sur le territoire sud-coréen d’une batterie complète du système anti-missiles américain THAAD (Terminal High-Altitude Area Defense), achevé en septembre 2017. Pour Pékin, les États-Unis ont gravement compromis l’équilibre stratégique régional et les intérêts stratégiques sécuritaires des pays de la région.

Le très récent épisode de la vente d’armes américaines à Taïwan a pu nous rappeler les tensions persistantes entre la Chine, les États-Unis et Taïwan. De plus, l’arrivée au pouvoir en 2016 d’une membre du Parti démocrate progressiste (PDP), Tsai Ing-wen, s’opposant au principe de la Chine unique et au consensus de 1992 n’a pas favorisé la normalisation des relations entre les deux Chine. Dans le LB2019, la Chine maintient son discours véhément sur Taïwan et sa volonté indépendantiste en déclarant que leurs actions demeurent la menace immédiate et la plus grave pour la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan et le principal obstacle à la réunification pacifique du pays. Cette rhétorique devrait se maintenir, si ce n’est s’accentuer, puisqu’une nouvelle élection présidentielle aura lieu en 2020 et que Tsai Ing-wen, présidente de la République de Chine, se présentera pour un second mandat.

8. Dissuasion nucléaire : la Chine poursuit une stratégie nucléaire d’autodéfense

La Chine maintient sa doctrine du non recours en premier aux armes nucléaires, mais également de ne pas utiliser ou menacer d’utiliser des armes nucléaires contre des États non dotés d’armes nucléaires ou des zones exemptes d’armes nucléaires.

Par ailleurs, Pékin se réaffirme en faveur de l’interdiction complète et définitive et la destruction des armes nucléaires. Certes, l’ensemble des puissances nucléaires – y compris la Chine – n’avait pas signé le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) et il semble peu probable de voir la Chine adhérer à un tel traité. Cependant, cette dernière est toujours restée proche des États signataires, une façon pour elle de se distinguer une nouvelle fois des États-Unis et de leur recherche d’une « sécurité absolue ». En effet, avec sa démographie dépassant le milliard d’individus et son économie qui aura d’ici une ou deux décennies rattrapée celle des États-Unis ; la Chine disposera d’un vivier de forces conventionnelles très supérieur à celui de ses adversaires potentiels, États-Unis et Russie y compris. Or, pour ces derniers, l’arme nucléaire est justement un moyen d’équilibrer les forces et de se prémunir contre un adversaire disposant de forces bien supérieures.

Cette rhétorique sert sa posture de parangon du multilatéralisme, cependant la Chine modernise ses systèmes d’armes dissuasifs. Nous retrouvons ainsi le futur SNLE de la flotte sous-marine chinoise prévu pour la décennie à venir, le Type 096, accompagné d’un nouveau missile mer-sol balistique stratégique avec une portée théorique de 11 900 km : le JL-3. Également un bombardier stratégique furtif, le Xian H-20, successeur du Xian H-6 qui devrait entrer en service en 2025. Puis, le 3 août 2018, a été testé par la Chine un engin hypersonique, pouvant emporter une charge nucléaire. Ce système d’armes est, en raison de sa vitesse, capable d’échapper aux systèmes de défense antimissiles actuels.

Clément Guery
Spécialiste des questions de politiques étrangère et de sécurité de la République populaire de Chine.

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