Bien que de nombreux efforts soient dรฉployรฉs des deux cotรฉs du Rhin pour tenter de trouver un Modus Operandi cohรฉrent entre la France, l’Allemagne et l’Espagne autour du programme SCAF, les rรฉcents rebondissements et difficultรฉs rencontrรฉes par le programme, essentiellement liรฉs ร des questions de politique allemande, risquent de mettre en pรฉril son devenir. Quelles seraient, dans ces conditions, les alternatives pour chacun des acteurs, afin de rรฉpondre aux enjeux industriels et opรฉrationnels entourant le SCAF aujourd’hui ?
L’Espagne et le retour aux sources
Le cas de l’Espagne est, de loin, le plus simple. En effet, le pays envisage dรฉjร de s’รฉquiper de F35B pour maintenir une composante aรฉronavale embarquรฉe et remplacer ses AV8 Matador. Dรจs lors, l’alternative la plus simple pour Madrid, et la plus probable, serait de rejoindre le programme Tempest, en se calquant sur le modรจle Italien et britannique, en s’รฉquipant partiellement de F35 et de Tempest supplรฉmentaires pour remplacer ses F18 et ses Matador. Rappelons que Madrid, ร l’instar de Londres, Rome et Berlin, est membre du consortium Eurofighter qui produit le Typhoon. Une autre solution reposerait sur une coopรฉration bilatรฉrale avec la France dans le SCAF, mais elle serait peu probable si l’Allemagne venait ร s’en retirer, du fait, notamment, des pressions qui ne manqueraient pas de se produire au siรจge de l’OTAN. En outre, dans un cas comme celui-ci, le poids relatif de l’Espagne dans le programme serait trรจs infรฉrieur ร celui de la France, qui garderait toutes les clรฉs du programme.
L’Allemagne entre sรฉcuritรฉ et renoncement
Comme pour l’Espagne, l’hypothรจse la plus probable si Berlin venait ร se retirer du SCAF serait un basculement vers le programme Tempest, une hypothรจse par ailleurs soutenue par de nombreux politiques, industriels et mรชme militaires outre-Rhin. En effet, l’industrie allemande a su, au cours des programmes Tornado et Tempest, developper des relations รฉquilibrรฉes et mรชme favorables avec les industries britanniques et italiennes. Mais les ambitions technologiques de l’Allemagne dans le Tempest ne pourront รชtre au niveau de celles dans le SCAF, de part la prรฉsence de plus d’acteurs, et donc d’un poids relatif plus faible dans le programme. On comprend pourquoi cette hypothรจse n’a pas les faveurs d’Airbus DS, qui espรจre faire du SCAF le programme de transition lui permettant de devenir avionneur militaire ร part entiรจre dans le domaine des avions de combat. En revanche, Berlin pourrait faire le parie d’un bon technologique important ร moindre frais, puisque BAe comme Leonardo, tous deux partenaires du programme F35, ont dรฉveloppรฉ leurs compรฉtences dans des domaines clรฉs comme la furtivitรฉ ou la fusion de donnรฉes. En outre, le calendrier du Tempest, prรฉvu pour entrer en service en 2035, et non 2040 comme le SCAF, pourrait fournir un avantage commercial pour le remplacement des premiรจres gรฉnรฉrations de Typhoon, notamment en Arabie saoudite.
Contrairement ร Madrid, il est peu probable que les autoritรฉs allemandes reviennent sur leur dรฉcision de ne pas acquรฉrir de F35, tout du moins tant que la coalition actuelle entre la CDU et le SPD reste au pouvoir. En revanche, si le paysage politique allemand venait ร รฉvoluer, on peut s’attendre ร voir l’OTAN et la Luftwaffe revenir ร la charge pour en acquรฉrir quelques escadrons de l’appareil de Lockheed pour remplacer ses Tornado, plutรดt que de choisir le Typhoon comme le souhaite le gouvernement actuel.
La France face ร plusieurs opportunitรฉs
La France apparaitrait, de prime abord, comme la grande perdante si l’Allemagne venait ร se retirer du programme SCAF. En effet, l’hypothรจse de rejoindre le programme Tempest condamnerait des pans entiers de savoir-faire technologiques sur l’autel du partage industriel, bien davantage que pour le SCAF, a propos duquel ce problรจme avait dรฉjร รฉtรฉ soulevรฉ. Il resterait cependant ร la France, pour maintenir ses savoir-faire industriels, et son rang opรฉrationnel, 3 solutions loin d’รชtre dรฉnuรฉes d’intรฉrรชts :
Le SCAF Solo
La solution la plus รฉvidente serait de developper seule le programme SCAF, dans une rediffusion de ce que furent les programmes Rafale et Typhoon, deux appareils sensiblement similaires tant dans l’aspect que dans les performances, et s’opposant systรฉmatiquement dans les quelques compรฉtitions internationales que les Etats-Unis, la Chine et la Russie daigneront laisser aux europรฉens. Si les couts de developpement et de fabrication, qui seraient รฉvidemment plus รฉlevรฉs si la France dรฉveloppait seule le SCAF, seront compensรฉs au niveau du budget de l’Etat par les recettes sociales et fiscales gรฉnรฉrรฉes[efn_note]Principe de La Dรฉfense ร Valorisation Positive[/efn_note], le volume restreint d’appareils limitera sensiblement les รฉconomies d’รฉchelle sur la production, et donc la compรฉtitivitรฉ de l’appareil, comme ses cycles d’รฉvolution.
Le SCAF international
La seconde solution, pour la France, serait d’ouvrir son programme ร des pays ne disposant pas d’une BITD majeure en matiรจre de construction aรฉronautique, de sorte ร crรฉer un pool de partenaires et compenser le dรฉpart de l’Allemagne. En dehors de l’Espagne, des pays comme la Grรจce, la Suisse et la Finlande peuvent รชtre envisagรฉs en Europe, ainsi que la Belgique, mรชme si cette derniรจre a fait le choix du F35. D’autres pays, notamment asiatiques, sud-amรฉricains ou du Moyen-Orient, pourraient avoir intรฉrรชt ร rejoindre le programme, comme la Malaisie, le Brรฉsil et les Emirats Arabes Unis. A l’instar du F35, le SCAF deviendrait dรจs lors non pas un programme multi-national mais international, rassemblant un nombre important d’acteurs agissant comme proxy dans leur sphรจre d’influence. L’industrie franรงaise conserverait une part trรจs importante du programme en matiรจre d’รฉtude et de recherche, les partenaires ayant principalement un intรฉrรชt ร developper des compรฉtences industrielles de production.
Un des avantages d’une telle approche, est qu’elle peut s’รฉtablir dynamiquement, sans accords ab initio entre tous les acteurs. Ainsi, la France pourrait dรฉmarrer seule le programme, et incorporer les partenaires industriels รฉtrangers de maniรจre dynamique dans le temps, selon un modรจle prรฉalablement รฉtabli et pondรฉrรฉ, ร l’instar de ce qui fut fait autour du programme NEURON. En procรฉdant ainsi, le programme n’aurait pas ร subir de retard, du ร des nรฉgociations difficiles. En outre, le volume d’appareils serait plus important, et chaque acteur pourrait agir dans sa sphรจre d’influence pour promouvoir l’offre, plutรดt que de devoir se chevaucher sur des sphรจres qui se superposent, augmentant le nombre probable de ventes ร l’exportation.
Le SCAF รฉtendu
Troisiรจme et derniรจre solution, la France pourrait dรฉcider de concevoir un appareil complรฉmentaire au Tempest, tout en rejoignant le programme europรฉen. Dans cette hypothรจse, la BITD participerait, ร un niveau cohรฉrent avec le partage industriel entre les acteurs, ร un programme SCAF/Tempest fusionnรฉ, et dรฉvelopperait, parallรจlement, ou lรฉgรจrement en amont, un appareil de 5eme gรฉnรฉration avancรฉ monomoteur lรฉger, destinรฉ aussi bien ร valoriser le savoir faire franรงais dans ce domaine depuis l’avรจnement des mirage, qu’ร รฉtendre considรฉrablement le marchรฉ adressable ร l’export par l’offre franรงaise, qui disposera de deux appareils diffรฉrents dans sa gamme.
En procรฉdant ainsi, la BITD franรงaise maintiendrait l’intรฉgralitรฉ des compรฉtences nรฉcessaires ร la conception d’un avion de combat, alors que, parallรจlement, les BITD europรฉennes se seront enfermรฉes dans un modรจle collaboratif interdisant toute initiative individuelle. En outre, la France retrouverait une partie du marchรฉ perdu depuis la fin de la chaine mirage 2000, et aujourd’hui captif du F16V, malgrรฉ les efforts suรฉdois. Car si le Rafale n’est pas ร la portรฉe de toutes les bourses, mรชmes pour de nombreux pays europรฉens, le SCAF/Tempest le sera encore moins, tant le programme se veut ambitieux. Avec un appareil lรฉger de 5รจme gรฉnรฉration, plus abouti et mieux conรงu que le F35, mais d’un niveau supรฉrieur vis-ร -vis des K-FX, T-FX et autres J10D, la BITD franรงaise pourrait retrouver ce qui fit son succรจs pendant les annรฉes 60, 70 et 80.
Conclusion
On le voit, chaque pays dispose d’un ou plusieurs plans B, si le SCAF dans son format actuel venait ร se retrouver dans une impasse. C’est peut-รชtre, d’ailleurs, une des causes des difficultรฉs actuelles, car il est clair que certains oeuvrent ouvertement pour privilรฉgier ces plans B, plutรดt que de chercher ร solutionner les entraves au plan principal. Il n’en demeure pas moins que les formats actuels des programmes SCAF et Tempest tendent ร gรฉnรฉrer eux-mรชmes des divergences et des difficultรฉs, tant les ambitions exprimรฉes au niveau industriel divergent des rรฉalitรฉs nรฉgociรฉes. On ne peut que regretter, dรจs lors, la rigiditรฉ des modรจles tant au niveau industriel, militaire et politique, qui empรชche l’ensemble des acteurs des deux programmes de concevoir une approche cohรฉrente et efficace, ร tous les niveaux, comme par exemple le principe du Scaf รฉtendu.
On peut se demander toutefois si, en France notamment, cette myopie n’est pas volontaire, et conditionnรฉe par la crainte de voir le politique se prรฉcipiter vers le developpement d’un appareil plus lรฉger et plus รฉconomique, au dรฉtriment d’un appareil bimoteur moyen, comme ce fut le cas lorsque l’Industrie aรฉronautique franรงaise et l’Armรฉe de l’Air dรฉcidรจrent de fermer la chaine de production de mirage2000 pour ne pas risquer de voir les commandes nationales de Rafale diminuer (ce qui arriva tout de mรชme plus tard). L’utilisation raisonnรฉe de la dรฉmonstration du retour budgรฉtaire de l’investissement de Dรฉfense de la doctrine Dรฉfense ร Valorisation Positive, et l’analyse objective des รฉvolutions des menace et de la pression opรฉrationnelle, devraient toutefois permettre d’รฉviter des dรฉcisions politiques hรขtives et malencontreuses, tout en prรฉservant les bรฉnรฉfices de cette approche originale et performante.