Depuis l’échec de la rencontre entre Sébastien Lecornu et Boris Pistorius à Berlin en juillet dernier, pour tenter de remettre le programme MGCS pour Main Ground Combat System, la rumeur enfle que celui-ci serait désormais menacé.
Cette rumeur a pris de l’ampleur la semaine dernière, lorsque la France a fait savoir qu’elle entendait désormais imposer l’adhésion de l’Italie au programme. Pour la France, l’arrivée de l’Italie comme partenaire équipotentiel, remettrait à plat le partage industriel et le financement du programme, aujourd’hui déstructuré depuis l’arrivée de Rheinmetall en 2019.
Pour l’Allemagne, en revanche, elle représenterait une menace importante pour l’activité de ses deux industriels, Krauss-Maffei Wegmann et Rheinmetall, mais aussi sa position prépondérante au sein du programme lui-même, du fait même du rapport de force déséquilibré entre les deux acteurs allemands et le seul français Nexter.
Un climat dégradé au-delà de MGCS entre Paris et Berlin
Au-delà de ces tensions internes au programme, les relations entre Paris et Berlin se sont considérablement distendues ces derniers mois, sur fonds de divergences radicales sur de nombreux sujets dimensionnant, comme l’énergie et le nucléaire, la politique étrangère, notamment en Afrique et vis-à-vis de l’Ukraine, ou sur la politique industrielle, notamment dans le domaine automobile.
C’est dans ce contexte extrêmement tendu que Sébastien Lecornu et Boris Pistorius sont convenus de se rencontrer, à nouveau, au cours du mois de septembre, précisément pour arbitrer l’avenir du programme MGCS. Pour de nombreux observateurs, notamment européens, cette rencontre pourrait bien aboutir à la fin de cette coopération, celui-ci venant alors rejoindre MAWS, CIFS et Tigre III sur l’autel des projets franco-allemands de 2017 avortés.
Un tel échec entrainerait de nombreuses conséquences, au-delà d’une détérioration des relations entre Paris et Berlin. Plus précisement, trois sujets devront alors être rapidement arbitrés par la France et l’Allemagne : l’avenir des programmes de chars de combat de nouvelle génération des deux pays, celui du programme SCAF d’avions de combat de 6ᵉ génération, ainsi que le futur de la coentreprise KNDS.
Vers deux programmes européens de chars de combat de nouvelle génération ?
Si MGCS venait à échouer, le besoin d’un nouveau char de combat pour remplacer les blindés actuellement en service comme le Leopard 2, le Challenger 3, le Leclerc ou l’Ariete, demeurera. L’hypothèse la plus probable à ce jour serait que deux programmes européens viennent alors le remplacer.
Le successeur français de MGCS
Côté français, on peut aisément penser que Paris et Rome entreprendront conjointement de developper un nouveau char de combat. En effet, à l’inverse de l’Allemagne, ceux-ci partagent le même calendrier pour le remplacement des Leclerc français et Ariete italiens, d’ici à 2035.
En outre, les armées des deux pays tendent à exploiter des doctrines proches, privilégiant la manœuvre et la mobilité à la puissance de feu et au blindage. C’est la raison pour laquelle le Leclerc comme l’Ariete étaient sensiblement légers et mobiles que leurs homologues allemands, britanniques ou américains.
La Belgique serait, elle aussi, un partenaire potentiel majeur pour un nouveau char français en coopération, sur la base du programme CaMo ayant amené Bruxelles à commander VBMR, EBRC et Caesar Mk2 pour optimiser l’interopérabilité avec l’Armée de terre française. Notons cependant que les autorités belges n’ont pas indiqué qu’elles entendaient (re)doter leurs armées de chars de combat à ce jour.
D’autres pays européens pourraient rejoindre un éventuel programme de char de combat de nouvelle génération franco-italien. Ainsi, l’Espagne, qui investit massivement pour soutenir le développement de son industrie de défense, pourrait être tentée par l’aventure, pour obtenir une participation plus importante que dans le programme allemand.
La Grèce, elle aussi, pourrait y voir un intérêt, ce d’autant que Paris comme Rome entretiennent de très bonnes relations avec Athènes, notamment sur les questions de défense. De même, le Portugal, voire la Croatie ou la Serbie, y trouveraient certainement une réponse à leurs attentes.

Paris pourrait aussi se tourner vers des partenaires extra-européens pour developper son programme, comme les Émirats arabes unis, l’Égypte, voire l’Arabie Saoudite au Moyen-Orient. C’est aussi le cas de l’Inde, que l’on sait vouloir developper un remplacé pour son imposante flotte de T-72, et qui, elle aussi, privilégie des blindés plus légers et plus mobiles.
En effet, les chars indiens doivent pouvoir évoluer sur les terrains difficiles et escarpés des plateaux himalayens face à la Chine, comme dans les steppes et vallées d’Asie centrale face au Pakistan. C’est la raison pour laquelle New Delhi impose une masse au combat inférieure à 60 tonnes dans son appel d’offre pour le remplacement des T-72.
De fait, Paris aurait, le cas échéant, plusieurs options différentes pour developper un nouveau programme de char lourd en coopération internationale, peut-être même plus adaptés aux attentes françaises tant du point de vue industriel que politique.
Le successeur allemand de MGCS
À l’instar de la France, l’Allemagne ne manquerait pas, elle non plus, de partenaires potentiels pour developper un successeur au Leopard 2. On pense notamment aux clients déclarés du Leopard 2A8 ou A7HU (Norvège, République tchèque, Hongrie et Italie), mais aussi à d’autres partenaires proches de Berlin, comme la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, La Suède, la Finlande, voire la Pologne.
Dans une telle hypothèse, le nouveau programme, emmené par Berlin, répondrait aux enjeux actuels de l’industrie allemande, ceux-là mêmes qui aujourd’hui ont créé les tensions intestines venues menacer la cooparation franco-allemande. En particulier, il est probable qu’il viserait un calendrier plus retardé, autour de 2045, voire 2050, de sorte à libérer les espaces commerciaux pour le Leopard 2A8, le KF51 Panther et le Leopard 2AX à venir.

En outre, ce programme, piloté par l’Allemagne, consacrerait la prévalence de l’industrie allemande dans la conception et l’équipement des nouveaux blindés, de sorte à éviter que les mêmes problèmes viennent entraver la poursuite de la coopération européenne.
Le, ou les blindés, quant à eux, seraient probablement plus lourds, plus technologiques et plus onéreux que leurs homologues français, et seraient également plus spécialisés pour un engagement en Europe de l’Est ou du nord, à l’image du Leopard 2 ou du Challenger 3 aujourd’hui.
Une seconde hypothèse n’est pas à exclure, celle d’un programme conjoint entre l’Allemagne et les Etats-Unis, de sorte à renforcer les liens entre les deux pays, après que le divorce d’avec la France soit consommé. Il s’agirait toutefois d’un pari risqué pour l’Allemagne, qui risquerait fort de rencontrer les mêmes tensions concernant le partage industriel entre Rheinmetall, KMW et GDLS.
Une menace directe pour l’avenir du programme SCAF
Comme nous l’avons déjà évoqué à plusieurs reprises, un échec du programme MGCS, viendrait immanquablement menacer le dernier des programmes franco-allemands de defense lancés en 2017, le SCAF ou Système de Combat Aérien du Futur. Les deux programmes ont été artificiellement liés lors de leur conception. Ainsi, l’échec de l’un viendrait nécessairement menacer le second.
SCAF et MGCS artificiellement liés à la conception
En effet, si les deux programmes furent conçus initialement sur un modèle de parité stricte, industrielle comme budgétaire, les exigences des parlementaires allemands comme des industriels, amenèrent les autorités à ventiler la responsabilité du pilotage de chacun.
À l’Allemagne le pilotage du char de combat (et du CIFS), à la France celui du chasseur de nouvelle génération (et de MAWS). Ce partage initial a souvent été brandi de part et d’autres pour amener le partenaire à accepter certains arbitrages.
Ce fut le cas lors de l’intégration de Rheinmetall à MGCS, mais aussi lorsqu’il fallut convaincre Airbus DS de laisser à Dassault Aviation le pilotage du premier pilier du programme SCAF, la conception du Next Generation Fighter, ou NGF.
La France en meilleure posture que l’Allemagne face à un possible échec de SCAF
De fait, si MGCS venait à péricliter, il est plus que probable que Berlin viendrait exiger un rééquilibrage en faveur d’Airbus DS au sein du programme SCAF. Or, sur la base des tensions passées, et des déclarations récentes de la part du PDG de Dassault Aviation, il est très improbable que l’avionneur français accepte une telle évolution du partage industriel et du pilotage du programme.
On notera, comme évoqué dans un précédent article, que si le programme venait à échouer par effet domino, la France serait en meilleure posture que l’Allemagne, depuis l’annonce du développement du Rafale F5 et d’un drone de combat basé sur le Neuron pour 2030. Cela donnerait à Paris le temps nécessaire pour reconstituer une nouvelle coopération pour developper un appareil de 6ᵉ génération pour 2040 ou 2045.
À l’inverse, pour Berlin, les options seraient plus limitées. Ni la Grande-Bretagne, ni le Japon ne semblent particulièrement enclins à étendre l’assiette du programme GCAP, tout au moins rapidement. En outre, l’industrie allemande n’a pas l’expérience du développement d’un avion de combat par elle-même, et ne dispose pas des savoir-faires en matière de motorisation pour y parvenir.
De fait, face à ces perspectives, il est possible que Berlin décide de préserver SCAF, même si MGCS venait à péricliter, moyennant quelques adaptations cosmétiques du partage industriel pour atténuer l’ire des parlementaires du Bundestag.
Quel avenir pour KNDS ?
Créée en 2015, KNDS qui rassemble l’allemand Krauss-Maffei Wegmann, et le français Nexter, au sein d’une coentreprise à parité stricte, avait pour objet de consolider et de préserver les outils industriels des deux pays dans le domaine des blindés, sur un marché alors atone.
Accès réservé aux abonnés Premium
Les archives de plus de deux ans sont réservées aux abonnés Premium de Meta-Defense. Cet accès étendu permet de replacer chaque évolution dans le temps long et de suivre la cohérence des analyses.
L’offre Premium inclut l’ensemble des contenus récents et l’accès illimité aux archives.
Au moins, on aura essayé de jouer le partenariat.
J’espère en effet qu’on aura le cran de nouer un partenariat sérieux avec une puissance de taille (Inde?) ou riche (moyen orien?).
Mais il ne faut plus se laisser emmener en bateau et perdre un temps précieux.
[…] Depuis l'échec de la rencontre entre Sébastien Lecornu et Boris Pistorius à Berlin en juillet dernier, pour tenter de remettre le programme MGCS pour Main […]
Et bien, j’ espère que M. AURAY à raison…
Il faut accepter, en dépit des rêves macronistes de fédéralisme industriel européen, que l’ Allemagne soit redevenue hégémonique malgré ses nombreux problèmes internes, d’ infrastructures notamment
Et pourtant il avait été possible, en un autre temps, de coopérer pour réaliser le Transall, le Jaguar, le Milan…autres temps…
Ce que l’ on peut reprocher au Président, c’ est de ne pas avoir perçu les contraintes cardinales liées à l » écoulement du temps, facteur pourtant constant..
La France est donc dans l’ urgence
Et il faut trouver des solutions d’urgence.
Les Chinois jouent au GO, pas aux Échecs…Le nucléaire n’ est plus une réponse à toutes les impasses stratégiques
On peut reprocher tout et n’importe quoi a Macron mais en tout cas rien sur la gestion militaire depuis qu’il est la.
Il a tenté de rabibocher les Allemands et les Francais ( combat perdu d’avance ), il a remis sur les rails une LPM digne de ce nom qu’il a respecté et dernierement avec son ministre, ils prennent toutes les bonnes décisions qu’il y a prendre ( voir les excellents articles du sites sur ce sujet ) sur plein de sujet de coopération ou d’urgence comme le rafale F5
Et je le repete, nous avons l’intégralité des briques pour construire le meilleur char du monde : il nous manque juste le volume de pré commande pour lancer l’affaire ( Italie, Inde Extreme orient )
On a absolument toutes les briques technologiques pour faire un char dément : l’ascalon en 140 mm, le systeme promethe qui est ouf, la conduite de tir qui surpasse toutes les autres et enfin LE moteur qui révolutionne tout chez Arquus : l’hybride complétement dingue avec des perfs folles…………bref y a plus qu’a dégager les casques a pointes