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Le retrait du Niger et le désengagement français en Afrique, sonne comme le tocsin pour une Armée de Terre jusque-là entièrement tournée vers la projection de puissance et les opérations extérieures. Quelles sont les conséquences prévisibles ou nécessaires sur son organisation, ainsi que sur ses grands programmes d’équipement en cours, alors les perspectives opérationnelles ont radicalement changé en seulement quelques années ?
C’est donc par la petite porte que les forces françaises vont devoir quitter le Niger, et avec lui, réduire considérablement leur présence en Afrique, rompant avec plus d’un siècle de présence ininterrompue l’ayant en grande partie formatée.
Après la Centrafrique en 2015, le Mali en 2022, et le Burkina Faso en 2023, les forces armées françaises quitteront donc le Niger en 2024, comme vient de l’annoncer le Président Macron, a l’issue d’une décennie de lutte intensive contre la menace djihadiste dans la zone sahélo-saharienne.
Au-delà du contexte politique et opérationnel spécifique à ces retraits successifs, ceux-ci marquent également la fin d’une époque durant laquelle les armées françaises avaient développé de grandes compétences pour intervenir sur ce théâtre, tant du point de vue tactique que logistique, leur conférant une aura de forces professionnelle aguerrie et efficace dans le monde, et plus particulièrement en Europe.
L’influence des campagnes africaines sur l’Armée de terre d’aujourd’hui
Toutefois, ces succès militaires, fautes d’avoir été politiques, ne se sont pas faits sans certains renoncements. Ainsi, l’Armée de terre française aujourd’hui disposent d’une force de quatre brigades moyennes ou légères entrainées et spécialement équipées pour ce type de mission, et de seulement deux brigades lourdes, plus adaptées pour des engagements symétriques.
Cette surreprésentation des forces légères, comme l’infanterie de Marine, la Légion, les chasseurs alpins ou les parachutistes, se retrouvent d’ailleurs au sommet de sa hiérarchie.
80 % des chefs de l’Armée de terre depuis 2010 sont issus des forces légères
En effet, sur les neufs Chefs d’état-major et Majors généraux de l’Armée de terre nommés depuis 2010, seuls deux, le général Ract-Madoux (CEMAT 2011-2014) et lé général Margueron (MGAT 2010-2014) n’en étaient pas issus, appartenant respectivement à l’arme blindée cavalerie et à l’artillerie.
Cette spécialisation de fait de l’Armée de terre, très utile lorsqu’il fallut intervenir en Afghanistan, au Levant et en zone sub-saharienne, s’avère désormais un handicap face aux besoins en centre Europe de l’OTAN.
80 % des blindés français en 2030 feront moins de 24 tonnes
Ainsi, si l’Armée de Terre est, et demeurera au-delà de 2030, celle qui disposera du plus grand nombre de véhicules blindés de combat en Europe, avec 200 chars Leclerc, plus de 600 VBCI, et surtout presque 1900 VBMR Griffon, 300 EBRC Jaguar et plus de 2000 Serval, elle sera aussi l’une des plus légères, avec seulement 200 blindés chenillés de plus de 32 tonnes, le Leclerc, alors que l’essentiel de son parc évoluera entre 16 et 24 tonnes.
Or, comme l’ont montré sans surpise les AMX-10RC envoyés en Ukraine, les blindés légers, tout mobiles qu’ils puissent être, s’avèrent aussi sensiblement plus vulnérables que les véhicules plus lourds et mieux protégés dans un engagement de haute intensité.
Qui plus est, outre le manque de protection, les blindés français souffrent aussi parfois d’un manque de puissance de feu. C’est notamment le cas du VBCI, le véhicule de combat d’infanterie de l’Armée de Terre, dont l’armement principal repose sur un canon de 25 mm que l’on sait léger face à des véhicules blindés moyens comme des VCI ou des chars légers, et inadapté face à des chars de combat, même anciens.
Même l’artillerie française a évolué vers cette exigence de légèreté et de mobilité. C’est ainsi que le CAESAR, il est vrai une réussite incontestable, s’est révélé beaucoup plus vulnérable que le Pzh2000 allemand en Ukraine, même si par son allonge et sa mobilité, il est aussi bien plus efficace que les M109 et autres AS91, mieux protéger, mais handicapés par un canon court, et donc une portée réduite.
De fait, aujourd’hui, toute l’Armée de terre est organisée, de ses programmes d’équipement à sa structure organique, en passant par son haut-commandement, afin de privilégier les forces légères, mobiles et aisément projetables.
Cette structure était bien évidemment pleinement tournée vers l’Afrique, son théâtre de prédilection et d’excellence ces 30 dernières années. De fait, tout porte à croire que le retrait du Niger, et plus généralement l’abandon des dernières cendres de la France-Afrique, représente un cataclysme majeur pour les armées françaises, et plus spécialement pour l’armée de terre, toute entière tournée vers elle.
Les limites du pivot indo-pacifique annoncé par le président français
Le président français, et son ministre des Armées Sébastien Lecornu, semblent désormais privilégier le théâtre indo-Pacifique, ses nombreux territoires ultramarins (Réunion, Mayotte, Polynésie, Nouvelle-Calédonie) et ses partenariats stratégiques (Djibouti, Émirats arabes unis), comme nouveau pivot stratégique français.
Toutefois, le potentiel que représentent ces territoires est très loin de s’approcher de celui des pays africains quittés récemment, et ne justifient pas l’organisation actuelle de la Force Opérationnelle tactique, le bras armé de l’Armée de Terre fort aujourd’hui de deux divisions de trois brigades chacune.
Inquiétudes dans les Armées sur fond de réorganisation profonde en perspective
Face à une telle inversion de perspectives, il n’est en rien étonnant que des inquiétudes se fassent jour au sein des Armées, et plus spécifiquement du corps des officiers de l’Armée de terre, probablement le plus concerné par les profonds changements à venir.
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