La dissuasion française aura-t-elle besoin de plus de sous-marins SNLE 3G ?

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Le 20 mars, a eu lieu la cérémonie de la première découpe de tôle du premier nouveau sous-marin SNLE 3G, pièce maîtresse de la dissuasion française, en présence du chef d’état-major de la Marine, l’Amiral Vaujour, du Délégué général de l’Armement, Emmanuel Chiva, et du PdG de Naval Group, Eric Pommellet, sur le site de Naval Group de Cherbourg, qui accueille toute la construction sous-marine française.

Cette cérémonie marque l’entame d’un des plus importants projets industriels français jamais entamé. En effet, la conception et la construction, d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins, est fréquemment considérée comme l’un des sujets industriels et technologiques les plus complexes existants, au moins autant que celles d’un lanceur spatial lourd ou d’un porte-avions nucléaire.

Au-delà de cet enjeu technologique, et des investissements colossaux nécessaires pour donner naissance à ces navires et leurs armes stratégiques, ce programme porte également l’avenir de la composante sous-marine de la dissuasion nucléaire française, celle-là même qui porte l’assurance-vie du pays.

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Toutefois, de nombreux spécialistes du sujet, remettent en question le format du programme SNLE 3G. En effet, s’il reprend le format à 4 SNLE de la classe Le Triomphant actuellement en service, celui qui précédait pendant la Guerre Froide, était composé de 6 SNLE de la classe Le Redoutable.

Face à la montée des tensions internationales, en particulier avec la Russie, la France va-t-elle pouvoir se satisfaire d’une flotte de seulement 4 SNLE, ou va-t-elle devoir revenir à une flotte à 6 navires, comme dans les années 70 et 80 ?

Les origines du format à 4 SNLE pour la dissuasion française

Initialement, donc, la première flotte de SNLE français, était composée de six navires. Ce format permettait à la Flotte Océanique Stratégique de maintenir en permanence 2 bâtiments à la mer, alors qu’un troisième était en prêt à prendre la mer sous 24 heures, et un quatrième à 30 jours. Le cinquième navire était à l’entrainement, et le sixième en maintenance programmée.

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SNLE Le Triomphant
La Marine nationale employait 6 SNLE de la classe Le Retouble dans les années 70, 80 et 90.

Avec en permanence un navire immobilisé, ce format permettait de bâtir la posture de dissuasion française et de seconde frappe, sur une flotte de cinq navires disponibles, dont deux en patrouille.

La conception des SNLE qui devaient prendre le relais des Redoutable, à partir du début des années 90, débuta en 1981. Alors, le format de cette flotte envisagé demeurait inchangé, à six navires. À la suite de l’effondrement du bloc soviétique, ce format fut ramené à quatre navires.

Il s’agissait, alors, d’adapter le format de la dissuasion française à la doctrine de stricte suffisance française, et au passage, d’économiser plusieurs dizaines de milliards de francs. En outre, le ministère de la Défense estimait que ces nouveaux navires étant beaucoup plus discrets que ceux qu’ils remplaceront, et armés de missiles beaucoup plus performants, la réduction du format n’entamerait pas la réalité de la posture de dissuasion française.

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À partir de la fin des années 90, la posture de la Force océanique Stratégique, fut ainsi ramenée à un unique SNLE en patrouille, un second navire en alerte à 24 heures, et un troisième pouvant être mis en œuvre à 30 jours. Le quatrième navire, lui, restait en maintenance programmée.

L’évolution de la menace sous-marine russe ces dernières années

Force est de constater que cette posture fut largement satisfaisante pendant les 20 premières années du millénaire. Rappelons qu’en 2008 et 2009, la flotte russe ne parvenait pas à assurer la permanence de la patrouille sous-marine stratégique plus d’un tiers du temps.

Sous-marin Borei-A
La marine russe est engagée dans une modernisation intense de sa flotte sous-marine stratégique comme tactique.

Depuis, cependant, les choses ont considérablement évolué. Comme évoqué dans un précédent article, Moscou concentre, depuis le milieu des années 2010, d’importants moyens pour moderniser sa flotte sous-marine.

Ainsi, depuis 2015, la flotte russe a admis au service 19 nouveaux sous-marins, dont quatre nouveaux SNLE Boreï-A, trois SSGN Iassen-M, un sous-marin nucléaire porte-drone et onze sous-marins conventionnels. La dynamique n’est pas destinée à s’atténuer, puisque plus de 20 nouveaux sous-marins, dont 11 nucléaires, doivent rejoindre le service d’ici à 2030.

Non seulement la Marine russe dispose-t-elle de nombreux nouveaux sous-marins, mais ceux-ci s’avèrent également beaucoup plus modernes, discrets et bien équipés, que les navires qu’ils remplacent.

Quant aux relations entre la France et la Russie, elles sont, de l’avis de nombreux spécialistes, aussi détériorées qu’elles avaient pu l’être lors de la crise des Euromissiles, considérée comme l’une des deux grandes crises, avec celle des missiles de Cuba, de la Guerre Froide.

L’émergence de nouveaux adversaires potentiels concomitants

Non seulement la menace russe, sur la flotte de SNLE, et donc sur la crédibilité de la dissuasion française, est-elle considérablement accrue, et promet de l’être encore davantage dans les années à venir, mais d’autres acteurs internationaux font également évoluer la menace, ou modifient le besoin de réponse de celle-ci.

SNLE Type 09IV
La Chine dispose aujourd’hui de 6 SNLE Type 09IV et 09IVa. Il est probable que cette flotte sera portée à l’avenir à 12 navires, comme les Etats-Unis et la Russie.

Ainsi, la dissuasion chinoise, qu’elle soit sous-marine, mais aussi terrestre et aérienne, évolue très rapidement. Si celle-ci est principalement axée sur le bras de fer qui l’oppose aux États-Unis, elle modifie dans le même temps le besoin de réponse de la dissuasion française, alors que Moscou et Pékin font montre d’une grande convergence de positions et de destins.

La Corée du Nord, elle aussi, a largement fait progresser ses moyens nucléaires. Le pays se serait ainsi doté d’un missile balistique à portée intercontinental, le Hwasong HS-18, susceptible d’atteindre l’Europe à partir de la mer de Corée.

La guerre en Ukraine, et ses effets sur la stabilité mondiale, a redistribué les cartes des alliances internationales, et rapproche certains pays, comme l’Iran, de l’obtention d’armes nucléaires. Le pays dispose lui aussi de missiles balistiques capables d’atteindre l’Europe, comme le Shahab-3 et le Sejjil.

Ces deux pays, ardents soutiens de Moscou en Ukraine, pourraient recevoir un appui technologique russe, pour accroitre les performances de leurs missiles, ainsi que la miniaturisation de leurs têtes nucléaires.

Enfin, la redéfinition rapide de la sécurité mondiale, pourrait amener d’autres pays à s’armer, eux aussi, de capacités nucléaires, en particulier ceux qui s’estiment directement menacés par des pays disposants de ce type d’armes. L’Arabie Saoudite, la Turquie, ou encore la Corée du Sud, ont émis ce type d’ambitions.

L’évolution de la menace technologique sur les SNLE français

Non seulement la menace sur la crédibilité et l’efficacité de la dissuasion française, évolue-t-elle en volume et en origine, mais elle doit également faire face aux évolutions technologiques rapides auxquelles elles doivent se confronter.

Système S-500 Prométeus
Les systèmes de defense antimissibles, comme le S-500 Prometeus russe, reduisent statistiquement l’efficacité globale de la dissuasion française.

Deux domaines en évolution rapide sont concernés. Le premier est celui de la défense anti-missile. La Russie, mais aussi la Chine, et de nombreux autres pays, investissent, en fait, massivement pour se doter de moyens susceptibles de constituer une défense efficace contre les missiles balistiques et leurs véhicules de rentrée atmosphérique.

Pour pallier cette défense, les missiles balistiques, comme le M51 qui arme les SNLE français, emportent simultanément plusieurs véhicules. En outre, des travaux sont engagés pour developper un planeur hypersonique, à l’instar du système Avangard russe, bien plus susceptible de franchir les défenses anti-missiles.

Toutefois, il convient de tenir compte de ce facteur d’attrition des vecteurs, comme c’était le cas lors de la Guerre froide, raison pour laquelle la France disposait alors de 540 têtes nucléaires en 1980, contre autour de 300 seulement, aujourd’hui.

Le second facteur technologique concerne le développement des drones sous-marins. Ces submersibles autonomes, économiques et disposant potentiellement d’une grande endurance, vont très certainement pulluler dans les océans dans les années et décennies à venir.

Ils vont, de fait, accroitre considérablement les risques de détection d’opportunité des sous-marins, et des SNLE en particulier, qu’ils soient français ou non, y compris après qu’ils ont été dilués, une procédure qui permet un navire de commencer sa patrouille avec l’assurance de ne pas être suivi par un submersible adverse.

USV Chine
La multiplication des drones sous-marins va faire peser une menace croissance sur les sous-marins lanceurs d’engins en patrouille.

Cette menace ramènera rapidement le risque de compromission d’un SNLE à des niveaux qui n’existaient plus depuis l’apparition des sous-marins de la classe Le Triomphant, sans que la discrétion accrue des SNLE 3G puisse constituer une réponse suffisante.

Faut-il revenir à une flotte à 6 SNLE ?

Il apparait de ce qui précède, que le contexte global dans lequel la composante sous-marine de la dissuasion française va devoir évoluer dans les décennies à venir, se rapprochera bien davantage de celui rencontré lors de la guerre froide, que durant la période post-guerre froide.

L’augmentation de la flotte de SNLE semble donc s’imposer. En passant de un à deux sous-marins en patrouille, les risques d’avoir l’ensemble de la composante sous-marine de la dissuasion française, simultanément compromis, est, en effet, considérablement diminué.

En outre, avec deux navires à la mer, trois en période de crise, quatre en période de crise intense, le nombre de vecteurs potentiels sera considérablement accru. Ceci permettrait de répondre à l’émergence des systèmes antibalistiques modernes, ainsi qu’à la ventilation potentielle des cibles.

Dissuasion française SNLE classe Le Triomphant
Le SNLE Triomphant doit rester indétectable pour assurer sa mission de dissuasion

Enfin, même si cela n’a pas d’effet sur le plan purement stratégique, une flotte à 6 SNLE permettrait à la France d’apparaitre, aux yeux de ses partenaires européens, comme une alternative crédible à la menace nucléaire russe, même si celle ci-disposera encore de deux fois plus de sous-marins.

Quid des moyens de protection et de destruction de la Marine nationale ?

Si l’augmentation du nombre de SNLE permettra de crédibiliser encore davantage la dissuasion française dans les décennies à venir, le renforcement des capacités de protection, et surtout de chasse au sous-marin, pourrait venir influencer le rapport de force en Europe.

En effet, avec seulement six sous-marins nucléaires d’attaque, une dizaine de frégates et une vingtaine d’appareils de patrouille maritime, la Marine Nationale dispose des moyens juste suffisants pour protéger, simultanément, la procédure de dilution et de retour des SNLE de l’île-longue, dans le Finistère, et l’escorte d’un grand groupe aéronaval ou aéro-amphibie.

En d’autres termes, elle ne dispose pas des moyens suffisants pour aller, elle-même, traquer les SNLE russes, de sorte à faire peser, sur ces navires, la même menace que les SNA et SSGN russes font peser sur les SNLE français en patrouille, en particulier en tentant de les prendre en filature lors de leur phase de dilution.

SNA classe Suffren
Les 6 SNA franaçis ne permettent pas de porter la menace sous les sous-marins stratégiques russes.

De même, la Marine nationale aurait, elle aussi, tout intérêt à se doter de drones de reconnaissance sous-marins, tant pour densifier la protection des sous-marins français, que pour tenter de détecter les navires russes, directement dans leur zone de patrouille.

Conclusion

Alors que le volet industriel du programme SNLE 3G, le contexte international, mais aussi le rapport de force dans le domaine sous-marin avec la Russie, et les évolutions technologiques en cours, invitent les autorités françaises à reconsidérer, rapidement, le format de cette nouvelle flotte, alors que se dessine plusieurs décennies d’intenses tensions, en particulier avec la Russie.

L’augmentation de cette flotte, mais aussi, comme évoqué, de celles des SNA et des drones sous-marins, mobiliserait évidemment d’importants investissements. Elle nécessiterait, aussi, d’augmenter les ressources humaines dédiées à cette mission, ce qui, on le sait, est un défi important.

Pour autant, face à l’évolution prévisible des rapports de forces, En Europe, mais aussi en Asie et au Moyen-Orient, et pour répondre aux légitimes inquiétudes des français face à cette trajectoire anxiogène, le renforcement de la dissuasion française, en particulier de sa composante sous-marine, s’avère très certainement une indispensable nécessité.

Article du 21 mars en version intégrale jusqu’au 27 avril

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2 Commentaires

  1. Bonjour
    Pourquoi pas un seul de plus ? Ce serait déjà un plus, en restant dans nos moyens budgétaires, qui je le pense ne permettent pas d’en avoir deux de plus. Un supplémentaire permettrait d’en avoir plus facilement deux voire trois à la mer en période de crise.

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