La Marine turque lance la construction de la plus puissante flotte de Méditerranée

Depuis une vingtaine d’années, la Marine turque est engagée dans un vaste programme de modernisation, s’appuyant sur le développement d’une puissante industrie navale militaire nationale.

Dans ce domaine, les corvettes de la classe Ada, les frégates de la classe Istif, les sous-marins de la classe Reis, et le porte-aéronefs d’assaut TCG Anadolu, ont représenté une étape déterminante de montée en gamme technologique et industrielle, notamment au travers de nombreux transferts de technologies en provenance d’Allemagne et d’Espagne.

Ankara semble, à présent, suffisamment confiant dans les compétences de son industrie navale militaire, pour entamer la dernière étape de son plan visant à doter la Marine turque d’une flotte de haute mer. En effet, le 2 janvier, les autorités turques ont annoncé le lancement simultané de la construction de trois nouvelles classes de navires militaires de premier plan.

Ainsi, outre les destroyers TF-2000, attendus comme la dernière étape du programme MILGEM, elles ont annoncé le lancement de la construction d’un porte-avions STOBAR de 60,000 tonnes, et d’une nouvelle classe de sous-marins de 2,700 tonnes à propulsion AIP. De quoi profondément bouleverser les rapports de force en Méditerranée orientale, et au-delà…

Ada, Istif, Reis et Anadolu : les récentes avancées de l’industrie navale turque

Depuis son accession au pouvoir, comme premier ministre en 2003, puis comme président en 2014, R.T Erdogan a fait du développement de l’industrie de défense turque, et de l’autonomie stratégique du pays, un objectif prioritaire de son action politique.

Marine turque Erdogan Reis
lancement d’un des sous-marins de la classe Reis en presence de R.T Erdogan

Dans ce domaine, l’analyse des données macroéconomiques du pays et de son effort de défense, s’avère peu concluante, avec la croissance économique rapide du pays (le PIB a triplé sur cette période) et l’effet de la forte inflation et de la dévaluation de la Livre turque, passée de 1,76 livre pour 1 euro au 1ᵉʳ janvier 2003, à 36,8 Livres pour 1 euro, en décembre 2023.

Quoi qu’il en soit, alors que l’industrie de défense turque était très limitée au début des années 2000, elle produit, aujourd’hui, plus de 70 % des équipements en service au sein des armées du pays, avec l’objectif d’atteindre l’autonomie stratégique d’ici à 2035.

Les progrès réalisés ont touché tous les domaines, allant des véhicules blindés avec le char Altay et le véhicule de combat ACV-15, des hélicoptères T-129 et des drones TB-2, aux avions de combat, avec le programme TFX et le Kaan.

Dans le domaine naval, cet effort s’est organisé autour du programme MILGEM. Lancé en 2004, celui-ci vise à renouveler la flotte de surface combattante turque, aujourd’hui composée de corvettes et frégates de conception américaine (huit frégates O.H Perry formant la classe Gabya), allemande (huit frégates MEKO 200 formant les classes Yavuz et Barbaross), et française (cinq corvettes A69 formant la classe Burak).

corvette ADA MILGEM
Corvette classe Ada de la Marine turque

Dès 2005, le Commandement Naval d’Istanbul entama la construction de la première des 5 corvettes de la classe Ada, un navire de 99 m et 2400 tonnes, équipé pour la lutte antinavire et anti-sous-marine littorale, avec un canon de 76 mm, 8 missiles antinavires Atmaca, un système CIWS RAM et deux tubes lance-torpilles double de 324 mm armés de torpilles anti-sous-marines Mk46.

Le premier navire de la classe, le TCG Heybeliada, est entré en service en 2011, alors que le cinquième, destiné à la Marine turque, le TCG Ufuk, a été admis au service en 2022. Le modèle rencontre un important succès international, commandé à quatre exemplaires par la Marine Pakistanaise, à deux exemplaires par l’Ukraine, et trois exemplaires, par la Marine royale malaisienne.

En 2017, la Marine turque lança la seconde phase du programme MILGEM, avec la construction de la frégate TCG Istanbul, première unité de la classe Istif. Version allongée de l’Ada, l’Istif atteint 113 m de long pour 3100 tonnes de déplacement.

Si elle emporte de nombreux équipements identiques à celle de sa prédécesseure, elle se caractérise par l’installation d’un système de lancement vertical VLS à 16 silos MIDLAS de conception nationale, armés de missiles antiaériens à courte et moyenne portée HISAR, avec une capacité quadpack pour le missile HISAR-D à courte portée.

La TCG Istanbul est entrée en service en janvier 2024, alors que 5 des 7 navires restant à livrer à la Marine turque, sont à différents stades de construction et de finition. L’immense majorité des systèmes embarqués sont aussi de conception turque, dont le radar Cenk-400N 4D AESA de surveillance aérienne, développé par ASELSAN.

TCG Istanbul Marine turque
Frégate TF-100 TCG Istanbul de la classe Istif.

Un troisième programme lié à MILGEM, les patrouilleurs hauturiers de la classe HISAR (HISAR en turc signifie forteresse, et il est repris par plusieurs programmes d’armement), a été lancé en 2021. Dérivés des Ada, dont ils reprennent la coque, les HISAR sont des OPV valant corvettes, lourdement armés avec un canon de 76 mm, huit missiles antinavires Atmaca, et un VLS MIDLAS à huit silos pour missiles à courte portée HISAR-D (qu’est-ce qu’on vous disait !). Chose rare pour un OPV, le programme HISAR emporte un sonar METEKSAN YAKAMOS 2020.

En 2015, la Marine turque lança simultanément deux programmes majeurs. D’abord, la construction de porte-aéronefs d’assaut TCG Anadolu, un LHD à pont droit de 232 m et 27,000 tonnes, dérivé de la classe Juan Carlos I de l’espagnol Navantia. Le navire est capable de transporter jusqu’à 700 Marines et une centaine de véhicules, dont une quarantaine de chars, et de mettre en œuvre une trentaine d’aéronefs.

Initialement, le TCG Anadolu, entré en service en avril 2023, devait mettre en œuvre des F-35B à décollage et atterrissage vertical ou court, acquis auprès des États-Unis. Les sanctions imposées à Ankara en 2019, à la suite de l’entrée en service de la batterie S-400 acquise auprès de la Russie, privèrent la Marine turque de ces appareils.

Aujourd’hui, le groupe aérien de l’Anadolu se compose d’une flotte d’hélicoptères et de drones MALE TB-3, ce qui en fait le premier porte-drones opérationnel. Il est cependant possible, à l’avenir, que l’amélioration des relations entre Washington et Ankara, permette l’acquisition des F-35B nécessaires pour faire du navire, le porte-aéronefs d’assaut qu’il devait initialement être.

TCG Anadolu TB-3
Essai du drone TB-3 à bord du TCG Anadolu

En 2015, La Marine turque lança également la construction de la classe de sous-marins Reis. Composée de 6 navires construits localement, cette classe repose sur le Type 214 de l’allemand TKMS, et s’accompagne d’importants transferts de technologies. Le premier navire, le Piri Reis, est entré en service en juillet 2024.

La Marine turque lance la construction de trois nouvelles classes de navires de haute mer

Au travers de ces cinq programmes, l’industrie navale militaire turque est parvenue, en vingt ans, à se transformer pour rejoindre les industriels les plus performants de la planète dans ce domaine, y compris en s’imposant lors de plusieurs compétitions internationales au Pakistan, en Malaisie ou en Inde, tout en conférant à la Marine turque de nouveaux navires à la fois performants et de facture entièrement nationale.

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6 Commentaires

  1. Irredentisme neo Ottoman..
    La Grece , Chypre, Rhodes , le N de la Syrie on y pense comme la Libye et plus loin l’Asie Centrale Turcophone voire l’Afrique
    Erdogan est néanmoins fragile economiquement et poltiquement, d’ou ce « récit » et cette débauche de déclarations ..et d’investissement.Le traité de Sevres ..comme le Traité de Versailles…peut être et dangereux

    Cela dit l’Empire n’a pas laissé un souvenir ému au MO,en Grece ou dans les Balkans
    En Medor le triangle Egypte , Israel , Grece,Chypre ,avec leur noeud gazier vers l’Europe , avec leurs liens privilégiés avec les US ne sont pas nus.Pas des Mickeys non plus.
    La valeur de la Turquie comme alliée des US devient tres faible (entrée RO, BG dans l’Otan,Russie affaiblie,lobbies Is, Grecs , Armeniens aux US..
    L’alliance avec le Qatar est ideologique et donc fragile.Le Qatar est « l’ami de tout le monde » donc..
    8000 tonnes c’est bien mais la Medor c’est un peu la Mer N ou la Baltique avec tellement de « porte-avions » ou de bases terrestres..

  2. bonjour, oui je suis assez d’accord avec vous sur la rapide montée en puissance de la turquie en matiere de matériel militaire. la ou des groupes comme dassault mettent 10 ans de recherches pour sortir un produit fiable genre rafale F5, les turcs sortirait leur khan en 5 ans ! alors soit nos ingénieurs sont des C…, soit les leurs sont géniaux. sachant qu’ils partent de pas grand chose, sauf copier comme les chintoks, il y a de quoi se poser des questions, surtout quand on ne sait pas comment fabriquer un réacteur d’avion ou un moteur de char. alors excusez moi fabriquer un porte avion de 60000 tonnes et un sous marin (pourquoi pas nucléaire non plus) j’ai du mal à acheter. vu mon age je suis pas sur d’être vivant quand il flotera ou pas ?

  3. Alors si il y a quand même plein de raisons d’en douter. Quand on voit le niveau afficher des bateaux allemand et espagnol dans les dernières escarmouches, il semble probable qu’une version moins élaborée turc sera encore pire.
    Les grecs vont receptionner dans peu de temps un monstre anti soum comme on en a jamais vu. Je souhaite bien du courage aux turcs pour leur échapper.

    Quand a remplacer les Russes, j’ai l’impression que la majorité du monde a compris qu’il y avait quand même un seuil minimum a avoir au niveau matos pour exister.

    Pour finir, j’attend avec impatience de voir les premieres frictions rafale grec/drone turc. En général ca chipote pas.

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