Le char moyen va-t-il ressusciter en Chine ?
Symbole d’un héritage militaire jugé parfois obsolète dans l’ère des guerres asymétriques et des opérations expéditionnaires, le char de bataille se retrouve désormais au sommet des préoccupations stratégiques et des programmes d’armement. Les armées européennes, longtemps tentées par des formats réduits et une dépendance accrue aux moyens aériens ou aux systèmes d’appui longue portée, multiplient les commandes de blindés chenillés lourds, convaincues que la guerre de haute intensité redeviendra la norme.
À ce sujet, l’annonce par Berlin d’un millier de Leopard 2A8 et de Leopard 3, la commande massive polonaise de K2 sud-coréens, ou encore la volonté britannique de prolonger la vie de ses Challenger, témoignent de ce retour spectaculaire d’un système d’armes que l’on disait condamné.
Pour autant, cette renaissance ne s’est pas faite sans ambiguïtés. L’image du char de bataille moderne, héritier direct du char lourd de la Guerre froide, a beaucoup souffert au fil des années. Elle a surtout été profondément ébranlée par la guerre en Ukraine, qui a rappelé de manière cruelle que les blindés occidentaux, réputés invulnérables depuis l’illusion créée par l’opération Tempête du désert en 1991, restaient eux aussi vulnérables aux missiles antichars, aux drones kamikazes et aux frappes d’artillerie modernes.
Les Leopard 2 allemands, les Challenger 2 britanniques et même les M1 Abrams américains n’ont pas échappé aux pertes, malgré leur réputation de supériorité technologique et leur blindage réputé impénétrable. Loin de constituer une rupture décisive, leur déploiement a démontré que la supériorité qualitative ne suffisait plus à garantir la suprématie sur un champ de bataille saturé de menaces.
Surtout, les chars actuellement proposés souffrent d’un handicap structurel qui dépasse les seules réalités tactiques. Devenus toujours plus lourds, toujours plus complexes et surtout toujours plus coûteux, ils ne peuvent plus être considérés comme des composantes de combat terrestre classiques, disponibles en masse pour soutenir des engagements prolongés.
Leur prix d’acquisition, dépassant aujourd’hui les 25 millions de dollars l’unité, rivalise avec celui d’un avion de combat léger. Leur maintenance mobilise des moyens colossaux, avec des chaînes logistiques particulièrement fragiles. Enfin, leur masse — souvent supérieure à 65 tonnes — limite considérablement leur mobilité stratégique comme tactique, les rendant incapables d’évoluer sur sol meuble ou d’emprunter nombre de ponts ou de voies ferrées en Europe, et intransportables par les avions de transport stratégiques en dotation dans la plupart des armées européennes.
Face à ces contraintes, les Occidentaux semblent avoir amorcé un timide retour en arrière. Avec les programmes Leopard 3 et M1E3 Abrams, qui visent un gabarit ramené à 50-55 tonnes, Berlin et Washington tentent de corriger les excès des années 2000 et 2010 qui avaient vu apparaître des blindés atteignant parfois 70 tonnes, plus adaptés aux polygones d’entraînement qu’à la réalité opérationnelle. Cependant, cette réorientation demeure partielle : il ne s’agit pas d’abandonner le paradigme du char lourd, mais simplement de le rendre plus soutenable.
La Chine a choisi une voie plus radicale. En concevant un char de combat de première ligne d’environ 40 tonnes, Pékin a ressuscité le concept du char moyen, abandonné depuis les années 1970 dans les arsenaux occidentaux et soviétiques. Plus mobile, potentiellement moins onéreux et intégrant les technologies de protection active et de communication moderne, ce blindé chinois entend démontrer qu’il est possible de rivaliser avec les MBT occidentaux non par la masse ou le blindage passif, mais par une combinaison de mobilité, de systèmes intelligents et de puissance de feu calibrée.
Dès lors, plusieurs questions cruciales s’imposent. Que sait-on réellement de ce nouveau char chinois, encore en grande partie entouré de mystère ? Le modèle du char moyen est-il crédible dans un environnement contemporain saturé de drones kamikazes et de missiles antichars intelligents ? Enfin, pourquoi un tel concept pourrait-il représenter une opportunité stratégique et industrielle pour la France, tant pour l’Armée de terre que pour sa base industrielle et technologique de défense, aujourd’hui confrontée à un risque de marginalisation croissante dans le domaine des blindés chenillés ?
Sommaire
L’omniprésence du char lourd dans les unités blindées mondiales depuis le début des années 90
Bien que, de l’avis de très nombreux spécialistes, ce furent les chars moyens comme le Sherman américain, le T-34 soviétique ou le Panther allemand qui jouèrent le plus grand rôle dans les engagements terrestres de la Seconde Guerre mondiale, c’est le char lourd qui s’est imposé peu après le conflit mondial au sein de l’US Army, avec l’arrivée du M47 Patton de 47 tonnes en 1952, héritier du M26 Pershing de 41 tonnes de 1944, puis du M60 de 50 tonnes en 1962, son premier véritable char de bataille, MBT dans la terminologie anglophone.

Contrairement à l’US Army, les Européens restèrent un temps fidèles au char moyen, avec des modèles comme le Centurion britannique de 43 tonnes, le Leopard allemand de 40 tonnes et l’AMX-30 français de 36 tonnes. Toutefois, après l’arrivée du M1 Abrams américain de 55 tonnes en 1980, et du Cheftain britannique de 53 tonnes en 1966, un mouvement de fond emporta les armées occidentales pour se doter de chars lourds ou MBT, avec l’apparition du Leopard 2 allemand (1972, 54 tonnes), du Challenger britannique (1983, 61 tonnes), de l’Ariete italien (1995, 55 tonnes) et du Leclerc français (1993, 55 tonnes).
Comme l’expliquait déjà Steven Zaloga, historien de référence de l’armement terrestre, ce basculement traduisait la conviction qu’« un seul char lourd, mieux protégé et mieux armé, pouvait remplacer deux chars moyens dans la logique opérationnelle occidentale ».
Le char moyen continua cependant de représenter la colonne vertébrale des divisions blindées soviétiques pendant toute la guerre froide, avec le T-54/55 de 36 tonnes en 1947, le T-64 de 39 tonnes en 1963, puis le T-72 (1973, 41 tonnes), et enfin le T-80, dernier char soviétique, de 42 tonnes à partir de 1976. Ce choix répondait, selon une analyse du SIPRI, à une volonté de privilégier la production de masse et la facilité logistique, plutôt qu’un accroissement de la protection.
La guerre du Golfe, en 1991, et sa phase terrestre, l’opération Desert Storm, sonna comme une démonstration irrévocable de la pertinence des arbitrages américains et occidentaux. En effet, les chars de bataille américains et britanniques, épaulés de leurs véhicules de combat d’infanterie, hélicoptères d’attaque et aviation de soutien, balayèrent en trois jours plusieurs divisions d’élite irakiennes équipées de T-72 et T-64 soviétiques plus légers, affichant un taux de destruction sur perte proprement exceptionnel.
Le rapport officiel du US Army Center of Military History souligne que certains affrontements virent des Abrams détruire des T-72 irakiens à plus de 3 000 mètres, sans subir eux-mêmes de pertes directes, confirmant le saut qualitatif induit par l’adoption du char lourd moderne.
En dépit de ces succès, l’avenir du char de combat semblait compromis à la fin des années 1990, sous l’action conjuguée de l’effondrement du bloc soviétique ayant entraîné la fin de la guerre froide et la dislocation du Pacte de Varsovie et de ses armées, et du désastre auquel firent face les armées russes lorsque leurs chars et blindés entrèrent dans Grozny en 1995, en pleine rébellion tchétchène. De nombreux analystes, comme Anthony Cordesman du CSIS, considérèrent alors que « l’image des blindés russes détruits rue par rue dans Grozny avait porté un coup de grâce symbolique au concept même de supériorité blindée ».
D’étendard de la puissance militaire pendant les 45 années de guerre froide, le char apparut soudain obsolète face aux munitions antichars, aux techniques de guérilla et surtout, à la disparition de la notion d’affrontement de blocs. Dès lors, toutes les armées mondiales réduisirent considérablement leurs forces dans ce domaine, les États-Unis passant de 9 000 chars en 1990 à 2 500 en 2000, l’Allemagne de presque 2 000 à seulement 450 Leopard 2, la France de 900 AMX-30B2 à moins de la moitié, et la Russie, de 12 000 T-72, T-80 et T-64, à moins de 2 000 opérationnels. Selon le Stockholm International Peace Research Institute, cette contraction fut la plus marquée de toute l’histoire contemporaine de l’arme blindée.
Pour autant, aucune force armée n’entama alors de retour vers le concept de char moyen, plus léger, plus moderne, plus rapide à produire et bien moins onéreux que le char lourd. Ce dernier était devenu, au début des années 2000, l’alpha et l’oméga de la notion même de char : quitte à en avoir beaucoup moins, les armées souhaitaient avoir le plus puissant, le mieux armé et le mieux protégé des chars.
Même le nouveau T-90 russe venait alors flirter avec les 50 tonnes, alors que Leopard 2, Abrams et Merkava dépassaient déjà allègrement les 62 tonnes en masse de combat. Et si le Type 096 chinois, entré en service en 1996, demeurait sous la barre des 47 tonnes, son successeur, le Type 99, entré en service seulement cinq ans plus tard, dépassait déjà les 52 tonnes. Comme le relevait RAND Corporation, cette montée en masse traduisait une conviction partagée : « la survivabilité du char est désormais le premier critère, reléguant la mobilité ou le coût à un rang secondaire ».
De ce moment, et jusqu’il y a peu de temps, il n’y avait guère de monde pour prophétiser un éventuel retour du char moyen dans les arsenaux des grandes armées mondiales (à part, peut-être, Meta-Défense).
Le retour du char de bataille accompagné de nouvelles technologies à partir de 2010
La perception du char a de nouveau évolué au milieu des années 2010, avec le retour des tensions en Europe, leur résurgence au Proche et Moyen-Orient, et avec la montée en puissance du choc entre la Chine et les États-Unis dans le Pacifique. À nouveau, la guerre pour laquelle il fallait se préparer, s’entraîner et s’équiper n’était plus la même, passant d’une logique contre-insurrectionnelle ou dissymétrique à un retour vers la possibilité d’une confrontation de blocs.

Pour autant, si le besoin faisait sa réapparition, la doctrine, elle, demeurait la même, et le char lourd siégeait à son sommet. Beaucoup attribuent à la Russie le premier pas dans ce domaine, avec la présentation du T-14 Armata lors de la parade militaire du 9 mai 2015.
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Cela rejoint ma conviction d’un châssis chenillé de 48t max, base d’une famille comprenant notamment VCI et engin de combat à canon 120mm. (Ou 105mm à discuter)
Pour le gros des forces une famille d’engins à roue 8×8 de 32t fera l’affaire.
T34/76…😉
On ne laisse rien passer sur META DEFENSE
Le T-34/76 a vite montré qu’il manquait de patate face aux Tigre et aux Panther. C’est le T-34/85 qui s’est imposé à partir de la fin 43. la référence au 85 est donc plus pertitente, parce qu’il pouvait percer tout ce qui existait (comme le Firefly) alors que le T-34/76 comme le M4 souffrait d’un canon trop court manquant de puissance pour percer les chars allemands les plus récents.
Bonsoir,
En fait je signalais une erreur dans la texte, il était noté noté T34/75 au lieu de 76, pas eu le temps d’être plus explicite…
Oui effectivement le T34/76 a vite été dépassé, même par le Panzer IV G.
Ahhhhhh ok )) je vais corriger ça )) mea culpa
L’industrie française contient elle un motoriste et un fabriquant de boite de vitesses de 750 à 1500 ch ?
Concernant les blindés à roue, la France ne met elle pas en œuvre une gamme un peu trop pléthorique ?
VBCI, Griffon/Jaguar, Serval, VBL/futur VBAE. En terme de taille ça fait quatre échelons. Pour le Serval et le futur VBAE, on aurait peut être pu en faire qu’un …
Les boites de vitesse, c’est la filiale française de Renk. Pour le moteur, « on » m’a assuré qu’il y avait des solutions nationales à 1500 cv si l’opportunité se présentait.
Pour les vehicules blindés sur roues
en fait al logique est simple => on decline la regle des 8 tonnes par essieux
4 essieux (8×8) -> VBCI / 32 t
3 essieurs (6×6) => Griffon et Jaguar / 24 t
2 essieux (4×4) => Serval / 16 t
et comme 16 tonnes c’etait franchement lourd pour la recon armée etc..
VBL/VBAE = > probablement 8 tonnes 4×4
C’est aussi la limite du modèle : on en peut pas aller plus haut de 32 tonnes, sauf à degrader les performances de mobilité rapidment. Et vous pouvez mettre le plus puissant moteur du monde, dès qu’on a plus de 8 tonnes par essieux, l’adherence et l’appuie sont inférieurs à la chenille.
on aurait certainement pu se passer du serval, qui a faire un Griffon moins massif ou modulaire.
Ca donne l’impression d’être riche, alors qu’en fait, la compétence APC / roues est à présent detenue par une vingtaine de BITD dans le monde, si pas davantage.
Un cache misère en quelques sortes….