Série noire pour les industries de défense françaises sur la scène internationale

Depuis quelques semaines, les mauvaises nouvelles s’accumulent pour les industries de défense françaises, en particulier dans le domaine des exportations. Après une période qui a été marquée par une intensité historique touchant toutes les branches de la BITD, avec de nombreux succès pour le Rafale, les sous-marins Scorpene et Barracuda, les canons caesar ou encore les missiles Mistral 3, ce sont surtout des échecs lors de compétitions attendues qui marquent l’actualité defense française de début de l’année.

Aujourd’hui, c’est Naval Group qui semble devoir faire face à une série de déceptions commerciales à l’export. Après le prévisible échec au Canada, la semaine dernière, cela a été au tour de la Norvège d’arbitrer en faveur d’une offre concurrente, la Type 26 britannique, sur un marché pourtant étiqueté stratégique pour l’industriel français. Pire encore, c’est toute la stratégie européenne de Naval Group qui semble à prés mise à mal, alors que le Danemark et la Suède pourraient se tourner, ensemble, vers la Type 31 de Babcock.

Pourquoi la Type 26 s’est-elle imposée contre la FDI en Norvège ? Cette perception de série noire que traverse Naval group, et avec lui, l’ensemble de la BITD française, est-elle justifiée ? Surtout, cette dynamique négative est-elle purement conjoncturelle ? Ou s’inscrit-elle dans une dynamique profonde aux conséquences potentiellement funestes ?

Après le Canada, Naval Group échoue à placer ses frégates FDI en Norvège

Si l’élimination de Naval Group de la compétition pour la fabrication locale de 12 sous-marins conventionnels n’a pas représenté une grande surprise en France, ni un échec cuisant pour l’industriel qui s’était engagé a minima à Ottawa, sous pression politique, l’arbitrage d’Oslo en faveur de la frégate lourde Type 26 du britannique BAe System représente un coup dur pour celui-ci.

type 26
Série noire pour les industries de défense françaises sur la scène internationale 31

En effet, le spécialiste français des constructions navales militaires s’était pleinement investi dans la compétition norvégienne, avec des arguments très convaincants, lui conférant de sérieuses chances de succès face à ses concurrentes. À ce titre, l’Espagnol Navantia avait été éliminé avant la phase finale, et l’Allemand tKMS s’était retiré de la compétition, pour ne pas envenimer les relations germano-norvégiennes autour des sous-marins Type 212CD, en cas d’échec. La FDI, elle, avait été retenue en finale par la Marine royale norvégienne.

En outre, Naval Group avait bâti l’offre faite à la Norvège en l’intégrant dans une stratégie globale pour les pays scandinaves, visant à doter les marines de ces pays d’une flotte de frégates interopérables homogène, aussi à l’aise en mer Baltique qu’en Atlantique Nord, tout en bénéficiant des bénéfices d’une possible production de masse..

La Marine royale norvégienne préfère la lourde frégate Type 26 pour remplacer les F100 classe Fridtjof Nansen

Pour autant, la Sjøforsvaret, la Marine royale norvégienne, s’est prononcée en faveur de la frégate lourde Type 26 de la Royal Navy, conçue et fabriquée par le britannique BAe System. Le modèle a déjà été commandé à 6 exemplaires par Londres pour former la classe City, à 6 exemplaires par Canberra pour former la classe Hunter, et jusqu’à 15 bâtiments pour la Marine royale canadienne qui formeront la classe River. À noter que chaque Marine a retenu one configuration différente pour ses navires, les bâtiments australiens et canadiens intégrants notamment le système de combat AEGIS américain.

La Type 26 était opposée, en finale, à la FDI française, plus compacte et moins onéreuse, ainsi qu’à la Constellation italo-américaine, une évolution de la FREMM classe Bergamini italienne. Bien que de taille et de capacité équivalentes, un arbitrage norvégien en faveur de la Constellation semblait peu probable pour la RNN. En effet, l’avenir exact de ce modèle au sein de l’US Navy est à présent menacé, alors que la production des bâtiments par les chantiers navals Fincantieri Marinette dans le Wisconsin rencontre d’importantes difficultés, et que la configuration et le prix exact des navires ne sont toujours pas consolidés outre-Atlantique.

La frégate Type 26 classe City de la Royal Navy

De fait, la compétition norvégienne semblait s’orienter vers un duel entre deux offres sensiblement différentes, la lourde et onéreuse Type 26 britannique, et la compacte FDI française. La frégate Type 26, proposée en configuration Royal Navy (classe City), est une frégate lourde anti-sous-marine de 150 m de long pour un tonnage en charge de 8 000 tonnes.

Type 26 HMS Glasgow e1689596736778 Exportations d'armes | Analyses Défense | Brésil
Frégate Type 26 classe City HMS Glasgow

Elle emporte un puissant radar 3D Type 997 Artisan, une suite sonar dotée notamment du sonar tracté CAPTAS-4, un hangar pour deux hélicoptères de la classe du MH-60 Romeo. Son artillerie navale se compose d’un canon de 127 mm, de deux canons de 30 mm en tourelleaux et de deux systèmes CIWS Phalanx, pour la protection antimissile rapprochée.

À cela s’ajoutent trois VLS Mk 41, soit 24 cellules verticales de lancement, pouvant adapter les missiles antiaériens à longue portée SM-2 et SM-6, le missile antiaérien ESSM à moyenne portée en configuration quadpack, le missile anti-sous-marin SUBROC, le missile de croisière Tomahawk et la future version britannique du missile FMC/FMAN. la frégate dispose également de 16 cellules de lancement vertical pour accueillir en quadpack le missile antiaérien et antimissile à courte portée CAMM de MBDA UK, soit 64 missiles au total.

Enfin, la Type 26 est la première frégate britannique à avoir été conçue pour mettre en œuvre des modules de missions, des conteneurs standards de 20 pieds accueillant des capacités spécifiques pouvant, par exemple, renforcer la guerre électronique ou déployer et contrôler des drones aériens, sous-marins ou de surface.

Tout cela a évidemment un prix élevé. Ainsi, chaque frégate norvégienne coûtera 2,3 Md€, armement et équipements compris, soit plus de 75 % plus cher que la frégate FDI française de 1,3 Md€ en configuration complète.

La frégate FDI et son rapport performances-prix très élevé

Face à la Type 26, Naval Group a proposé sa Frégate de défense et d’intervention, une frégate de taille intermédiaire très bien armée et équipée, susceptible d’offrir des performances comparables à celles de coques bien plus imposantes.

Le navire français est effectivement bien plus compact que la Type 26, avec une longueur de seulement 122 m et un déplacement de 4 500 tonnes en charge, presque moitié moins que le navire britannique. Pour autant, la frégate fait jeu égal avec le modèle proposé par Londres dans de nombreux domaines.

FDI capacités tactiques
présentation des capacités tactiques de la FDI par Naval Group en 2022

Ainsi, son radar SeaFire 500 à panneaux fixes AESA offre des capacités de détection remarquablement étendues, allant du missile balistique au drone de 2ᵉ catégorie en trajectoire rasante. Ses senseurs sonar sont comparables à ceux de la Type 26, avec l’excellent sonar tracté CAPTAS-4 et son sonar de coque Kingklip, qui ont montré leur grande efficacité sur les FREMM françaises ces dernières années lors des compétitions OTAN de lutte anti-sous-marine.

Plus compacte, la FDI emporte naturellement un armement plus léger que la Type 26, avec « seulement » quatre systèmes SYLVER 50 pouvant accueillir autant de missiles antiaériens et antibalistiques à longue portée Aster 30. À ce titre, le couple formé par le radar SeaFire 500 et nouveau missile Aster 30 B1NT a été conçu pour traiter un vaste panel de menaces, y compris les missiles balistiques à courte et moyenne portée.

Par ses performances spécifiques, l’Aster 30 B1NT offre à la FDI une capacité d’interception antiaérienne et antibalistique étendue, comparable à celle de bâtiments emportant 64 cellules Mk 41 équipées de SM-2 et SM-6 américains. L’armement de la frégate se compose, par ailleurs, de huit missiles antinavires MM40 Block 3C, d’un canon de 76 mm et de deux canons de 20 mm Narwhal. Le modèle grec dispose également d’un CIWS RAM sur le roof arrière, ajoutant 21 missiles antiaériens et antimissiles à très courte portée.

En revanche, la FDI ne peut mettre en œuvre qu’un unique hélicoptère classe 10 tonnes comme le NH90 ou le MH-60R, et ne dispose pas de modules de mission, même si le sujet est à l’étude du côté de Naval Group. En dépit de ces limitations, conséquences d’une coque plus compacte, la frégate française est incontestablement un navire offrant un rapport performances-prix très attractif.

Pourquoi Oslo s’est-il tourné vers la Type 26 plutôt que la FDI ?

De fait, bien qu’opposant des navires très différents, la compétition était jugée très serrée entre la FDI et la Type 26, chacune des frégates européennes ayant de sérieux arguments différenciants à faire valoir, tout en respectant le socle commun de la compétition norvégienne, à savoir une frégate de lutte anti-sous-marine océanique avancée et performante. Et on comprend que Naval Group ait eu de sérieux espoirs dans cette compétition, surtout avec un prix sensiblement inférieur aux modèles britanniques et américains.

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13 Commentaires

  1. Le Danemark choisit le SAMP/T NG…contrat F/It de près de 7.8 mrds…
    L »Agent Orange »…?

    Après le mélange de duplicité/d’incompétence au Qatar ,la fronde avec Modi..après les territoires du Panama du Can. ou du Dk nous avons ce matin l’incursion Russe en Pologne qui devient une modeste erreur de nav..(19 drones quand même!)
    C’est un agent de la BITD Fr?

  2. Bonjour,
    Finalement une bonne nouvelle, le Danemark vient d’annoncer le choix du missile SAMP/T NG qui l’emporte donc face au Patriot.
    Par ailleurs, autre bonne nouvelle à plus long terme, les US imposent des sanctions au Brésil suite à la condamnation de Bolsonaro à 27 ans de prison. Je serai les Brésiliens je ne serai pas rassuré pour les pièces de rechange des moteurs de mes Gripen. Peut-être une opportunité pour une source alternative qui serait ITAR free?

  3. The Norwegian decision was made by politicians who were driven by strategic considerations. The question for them was which great powers within NATO can be relied on, in a time of crisis, to prioritise the defence of the north Atlantic, the Barents sea, the North sea and the Artic region generally (together comprising all of the Norwegian economic zones) and to show up there with surface units?. The answer is obvious: – besides the US (at least until now), only the UK and Canada.
    That Naval Group got so close as they did is a testament to the quality and relevance of the product and their marketing skill, but the competition was never to be won by either. I think it has been a public secret for a while that the Naval establishment strongly favoured the F27 and the FDI due their strong all round capabilities including advanced AAW, but the decision was not in their hands.

  4. Fregate Suèdoises
    D’apres plusieurs articles Suèdois (Sv. Dagbladet du 05/09) ou Anglais (Navylookout du 3/09 apres l’article du FT) ,des sites tres sérieux,il n’y a pas de décision
    Le Min de la Defense Sue. indique « des discussions tres avancées avec plusieurs industriels »
    Sv. Dag(une sorte de « le Monde ») titre « les brit. pourraient  »
    Navy lookout ecrit « serait en mesure »

  5. bonjour à tous, bon la reprise n’est pas fantastique pour nos industriels défense, mais bon on va se ressaisir, j’en suis sûr ! Bon NV loupe un contrat qu’il pensait à 90% sûr, ne jamaisvendre la peau de l’ours avant… pour ce qui est de la suede, il faudrait peut être que l’on mette un peu la pression, genre je t’achète ton avion de guêt aérien, mais c’est donnant / donnant. il faut arrêter d’être idiot et savoir taper du poing sur la table aussi. quand à l’acheter avec la base canadienne, tintin il n’y a qu’à imposer l’avion de dassault, cela restera européen. pour ce qui est de MDBA , ils subissent échec sur échec parce qu’ils ne veulent pas investir dans des moyens de production adaptés et qui feraient que l’on passerai de déalis de l’artisant de luxe à ceux d’une vraie industrie. dire qu’ils faut 18 mois pour avoir 1 missile est du foutage de G….. il ne faut pas dire j’investirai si j’ai des commandes et pleurer parce que l’on en a pas. pour dassault ils ne se font plus d’illusions sur les européens, ils visent les grands contrats avec des pays sûrs, qui aiment leurs produits et qui en redemandent ( et qui n’ont pas de problèmes pour les payer). on ne reparlera pas de KNDS, dont on ne voit pas ce à quoi leur a servi de changer de nom et qui le retrouvera peut être rapidement si papermint rachete KMW.la suite au prochain épisode…

  6. There are few thinks that need to be considered.
    First in my view all nations buying South Korean equipment, in the medium term will have some problems. Korea has not yet archieved European sofistication and excellence needed for the top class military equipments and where fabrication is done outside Korea it will be a cultural clash between management expectations regarding productivity and the local man power with consequences on costs and time.
    Second, my other consideration is that in this day and age competition is arising from an increasing international players, Turkey and Korea naming just a few and the top defence technologies are not any more the western world prerogatives.Europe need to consolidate all their defence industries, this will cut wastages, more money available for research/development and reduce the cut troat internal commercial war.
    We can not continue to blame the politicians for our difficulties, we need now to have the industry starting to compromise and create value partnerships not talking about who has the bigger dick! We need to start talking about European Sovereignty instead of France,German or Italian Sovereignty.
    Lot more to say but I stop here.
    Kind Regards
    John

  7. On ne mesure pas assez la perte d’influence de la France et son declassement lié beaucoup à sa situation economique,politique, aux circonstances et a une politique étrangere illisible,avec Macron..Un repli sur soi et nos petit problèmes.. Une garantie à l’Estonie ou à la Roumanie ?Credible ,

    Sahel , Algerie , Liban, Israel, Ukraine., UE ( tarifs US Mercosur) .Chaque fois nous passons comme incompétent/ pis au dépourvu , fauché, velleitaire (Ukr au debut, la garantie Fr au cessez le feu au Liban il y 8mois..violé tous les jours par le HB et Israel,la fin de la Finul,le ridicule du Quai face à l’Algerie ,ayant peur des Banlieues et sous influence du Golfe (salon de l’armement interdit qui devient ridicule face aux succes Isr y compris chez les Grecs ou les Indiens)

    Fauché nous sommes incapable de rajeunir , projeter notre effort de BITD dans le futur
    Le changement d’époque a fait émerger voire exploser une demande mais aussi des offres de pays industriels assez absents auparavant
    Dans BITD, I signifie Industrie…du capital et des talents .. nous sommes en bonne voie de détruire ce qui reste
    assez déprimant

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  8. La bitd française n’a aucun avenir de développement en Europe et dans le monde anglo-saxon pour des raisons politiques antagonistes et de compétition industrielle.
    Heureusement, l’horizon indo pacifique et oriental est largement prometteur. La revanche allemande sur la défaite de 45 a atteint son seuil de résilience. Et elle est, pour des raisons d’opportunité, contaminante aux voisins. Bizarrement, la Hollande n’a pas été contaminée. Reste à voir les méditerranéens lorsque le scaf aura fait plouf. Hauts les cœurs.

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    • Attention , en jouant en 2ème Division on devient un acteur de 2ème Division.Nous devons affronter tous les marchés.Aucun de ces échecs ne porte atteinte à notre crédibilité technologique.. pour le moment

      Sans des besoins Fr au top en specs et en volume nous deviendront un acteurs de 2 ème zone, et c’est surtout un pb politique Français..bref il nous faut d’abord un marché domestique comme les US ,israel ,la Corée ou la Turquie. De maniere étrange alors que la situation sécuritaire est preoccupante cela n’est pas vraiment le cas

      Taxons le capital implicitement ou explicitement(il deviendra rare et cher comme les SUV à Paris..), imposons les » riches » directement ou indirectement (les fameux » Nicolas »,les bac +2 et plus, à 4000 Euros brut et au delà, la recette de la perte de compétitivité est connue
      Grâce à Trump qui s’est mis à dos les Indiens, les US qui marquaient des points (P8, moteur GE,pour la premiére fois depuis 70 ans ) ..nous avons nos chances en effet..

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