Depuis plusieurs mois, , sur fonds d’incertitudes concernant l’évolution du budget des armées, la sphère défense française, militaire comme industrielle, évolue dans une évidente tension permanente : alors que le pays et ses autorités semblent paralysés dans un contexte mêlant crise politique majeure et crise budgétaire sans précédent, l’environnement géopolitique, militaire et technologique se transforme plus vite que jamais ces 50 dernières années, y compris en Europe.
De fait, aux côtés de l’impasse budgétaire dans laquelle se trouve l’exécutif pour tenter de suivre le rythme imposé par les compétiteurs stratégiques comme la Russie, s’ajoute une impossibilité budgétaire à suivre celui qu’a choisi l’Allemagne, au risque de raboter les derniers arguments d’autorités de la France sur la scène européenne, comme évoqué dans un article récent de Politico.
Dans ce contexte, la France est-elle condamnée au déclassement militaire sur la scène mondiale, au déclassement de son industrie de défense face au nouveau tempo technologique, et au déclassement politique en Europe, face à une Allemagne qui détiendrait tous les leviers ? Il existe une voie, permettant de négocier cette trajectoire opaque, mais elle est étroite et suppose de repenser en profondeur le modèle de défense hérité de la guerre froide.
C’est à cet exercice que se consacre cette analyse, nécessairement longue et détaillée, car ne pouvant souffrir de manque de contexte ou d’imprécisions.
Sommaire
Quels sont les objectifs des dépenses de défense françaises ?
Pour manipuler un modèle aussi riche et complexe que le techno système des armées et industries de défense françaises, il est indispensable, préalablement, d’en cadrer strictement le périmètre, et spécialement les objectifs que le budget de la défense, les lois de programmation militaire et les documents cadres, sont censés atteindre.
Selon les sensibilités, ce périmètre peut sensiblement varier, par exemple pour intégrer certains volets de sécurité intérieur, voir pour donner une mission intégrative aux Armées pour une jeunesse en manque de repère.
Dans cette analyse, nous nous limiterons cependant aux missions prioritaires et historiques des armées, telles que modélisées et envisagées par ceux qui ont conçu l’outil militaire français moderne, comme le Général de Gaulle. Sur ce périmètre, l’investissement défense de l’état vise à assurer qu’âtres objectifs principaux.
Assurer la sécurité du pays et de ses intérêts vitaux
Bien évidemment, le premier de ces objectif est également le plus trivial, à savoir garantir la sécurité du pays et de celle de ses intérêts vitaux. Il s’agit, naturellement, de la préservation de l’intégrité territorial et la protection des populations contre toute menace extérieure.
Ce périmetre concerne également la protection des piliers économiques et sociaux du pays, pour lui permettre de fonctionner « normalement », comme l’énergie, les transports, les communications mais aussi la sécurité alimentaire et sanitaire. Cela suppose donc un périmetre qui déborde des frontières, pour englober certains moyens « vitaux », garantissant par exemple les flux énergétiques ou l’accès à certaines matières premières critiques, mais aussi l’anticipation de possibles risques liés à des deplacements de population susceptibles de déstabiliser le pays en débordant ses capacités d’absorption.
Traditionnellement, il est commun, en France, d’associer cette notion de sécurité du pays et de protection des intérêts vitaux, à l’emploi de la dissuasion. S’il est vrai que celle-ci offre des garanties sécuritaires largement accrues dans certains domaines, spécialement pour prévenir l’emploi d’armes de destruction massive contre elle, ou la menace de le faire, force est de constater que cette perception s’avère, dans les faits, souvent très largement exagérées, l’utilisation des armes nucléaires étant le sujet le plus sensible de la planète.
Ainsi, la pourtant peu regardante Russie de Vladimir Poutine n’a jamais employé d’armes nucléaires, furent-elles tactiques et de faible puissance, contre l’offensive ukrainienne dans l’Oblast de Kursk de 2024, et pas davantage pour faire cesser les frappes contre ses installations pétrolières en 2025. Même si l’Ukraine n’a pas d’arme nucléaire, franchir un tel Rubicon aurait eu des conséquences considérables sur le conflit, avec un basculement certain de la posture de soutien de l’OTAN et des Etats-Unis, mais aussi de la part de la Chine, de l’Inde et du Brésil.
Dès lors, cette mission « chapeau » de l’investissement de défense, déborde très largement de la dissuasion, et couvre tous les aspects stratégiques, conventionnels et même industriels, et suppose un périmetre débordant très largement des seules frontières du pays, pour s’étendre à certains alliés proches en Europe, mais aussi à certains partenaires stratégiques dans les approvisionnements critiques du pays, ainsi qu’aux routes commerciales permettant d’acheminer ces approvisionnements.
Sachant que la France est membre de l’UE, et que son économie est à présent fortement imbriquée avec les économies de ses voisins européens, il apparait donc que ces flux critiques à protéger, doivent également s’étendre à ceux de ces pays voisins et alliés européens, ce qui étend le périmètre de la mission, mais étend également les moyens potentiels mobilisables aux armées de ces memes partenaires.
On comprend, alors, que le périmetre que recouvre cette objectif trivial, est beaucoup plus étendu, plus imbriqué, et plus complexe que ne le suggère sa perception « instinctive », avec des dépendances complexes ascendantes et descendantes variables et conditionnelles.
Préserver le poids géopolitique français au sein de l’Union Européenne, de l’OTAN et des institutions internationales
Le second objectif majeur de cet investissement de défense français n’est pas sécuritaire, mais politique. Par son histoire, la France, comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne, la Hongrie ou la Suède, ont longtemps fait reposer leur influence politique européenne et internationale, sur la puissance de ses armées.
Cette compétition permanente a été à l’origine de très nombreuses guerres en Europe, pour s’achever par la seconde guerre mondiale et son terrible bilan humain. Après quoi, les européens sont parvenus à créer une structure politique et économique, bâtie pour neutraliser cette compétition militaire permanente, et la tentation de s’en servir, en mutualisant des bases économiques et sociales profondes.
Dès lors, à présent, plus aucun pays européen membre de l’UE, n’imagine devoir recourir a la force armée contre un de ses partenaires, en dehors de quelques frictions à forte connotation politique et électorale mais très limitées, comme sur les quotas de pêche.
Si la plupart des pays européens ont accepté de perdre le pouvoir politique et stratégique des armées au profit de la prospérité économique, en délégant leur sécurité et cet arbitrage stratégique aux Etats-Unis par l’entremise de l’OTAN, ce ne fut pas le cas de la France. Bien au contraire !.
Jouant un partition parfois mal comprise par les partenaires européens, Paris a, en effet, dès le milieu des années 50, poursuivi une trajectoire l’amenant non pas à la dépendance mais à l’autonomie stratégique, en se dotant simultanément d’une dissuasion nucléaire à trois composantes, d’une industrie de défense globale et d’armées se voulant, elles aussi, globales.
Si l’objectif affiché était de « Choisir nos guerres et les gagner », la finalité de cette trajectoire très divergente en Europe, était de conférer à la France, un poids politique et stratégique international qui, s’il n’égalait pas celui des Etats-Unis ni de l’Union Soviétique, ne pouvait pas, non plus, être ignoré de Washington ou de Moscou.
Depuis, l’investissement défense français a toujours visé à maintenir ce poids politique international, même si, au tournant des années 2000, une évidente dérive négligeant les fondements de cette puissance globale pour n’en privilégier que certains aspects, a érodé son efficacité.
Maintenir une industrie de défense garantissant l’autonomie stratégique à la France
Le corolaire de ce poids politique, est industriel et technologique. En effet, pour avoir une voix dans le concert mondial des puissances stratégiques, la France devait ne souffrir d’aucune interférence dans l’utilisation potentielle de ses armées et de ses armes. Cela supposait que les équipements mis en oeuvre au sein des armées françaises, étaient de conception et de fabrication françaises dans leur grande majorité.
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La philosophie me semble parfaitement pertinente. Mais la proposition paraît parfois ambitieuse. Quelques exemples :
– 5 SNLE, 7 SNA, 6 sous-marins classiques pour protéger les approches maritimes et 8 submersibles de combat « type SMX-25 » serait déjà un bon compromis par rapport aux besoins et opportunités export.
– 2 vrais PANG complétés par 2 porte-aéronefs d’assaut dotés d’une catapulte et des drones serait déjà un ensemble cohérent et ambitieux.
– il manque probablement des submersibles d’appui missiles pour accompagner les escadres en emportant des stocks de drones et missiles…
Le format terrestre semble raisonnable, avec une douzaine de brigades (2 lourdes classe 45t de réservistes, 4 moyennes classe 30t, 4 de projection classe 15t, 1 para, 1 montagne?)
Merci pour cette proposition de réflexion bien mise en perspective.
Les formats ne sont là que pour fixer les ordres de grandeur. Cela dit , avec 2 pa, vous n’avez pas une permanence d’alerte à 7 j, au mieux , à 30 j.
9 Sna c’était juste +2 car 2 pa sup, et +1 pour garantir la dilution et retour des 6SNLE.
Quant aux 6 snle, c’est le format pour garantir 2 navires en patrouille + 1 alerte 24h. À mon sens, Chine+ Corée + drones sous-marins rendent obligatoire les 2 snle dilués à chaque instant.
Pour le reste, comme dit, juste des ordres de grandeur : m’est avis qu’on peut faire politiquement mieux que l’Allemagne a 160 Md€ et restant sous la barre des 100 Md€, les deux pays consacrant eu tour de 3,5 % pib à l’effort de défense.
Et le tout, en sécurisant fermement le pays et ses intérêts vitaux. Au dessus, on serait limité par des tas de facteurs : RH, soutenabilite, volumes exportés etc… c’est à mon sens l’équilibre optimal articulé ainsi.