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[Actu] Missile SCALP-EG sur les Su-30MKI et MIG-29 indiens, un levier pour MRFA ?

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[Actu] Missile SCALP-EG sur les Su-30MKI et MIG-29 indiens, un levier pour MRFA ?

L’emploi du SCALP-EG par l’Indian Air Force (IAF) lors de l’Opération Sindoor, en mai 2025, a fait basculer cette munition d’un statut de capacité éprouvée à celui de véritable levier stratégique. Depuis, la priorité à New Delhi est claire : étendre rapidement cette arme aux Su‑30MKI, MiG‑29 et au futur Tejas MkII, pour compenser l’absence d’un équivalent national arrivé à maturité.

En face, MBDA, le missilier européen, met en avant le coût élevé de l’intégration, une capacité de production déjà fortement sollicitée, ainsi que la sensibilité des régimes de contrôle à l’export. La question dépasse désormais le simple registre technique : elle est aussi industrielle et diplomatique, et s’inscrit directement dans le cadre plus large du programme Multi Role Fighter Aircraft (MRFA), où se négocient transferts de technologies, paliers d’indigénisation et souveraineté logicielle.

Après l’Opération Sindoor le SCALP-EG s’impose au‑delà du Rafale dans l’IAF

L’Opération Sindoor a fixé le rythme, tant sur le plan politique que militaire. Les frappes coordonnées menées à cette occasion ont démontré que le binôme Rafale/SCALP-EG permettait de traiter des objectifs durcis en profondeur, tout en limitant l’exposition des équipages. Comme le rapporte The Economic Times, l’IAF a conduit des tirs de précision combinant le SCALP pour les cibles stratégiques, le HAMMER pour les menaces de moyenne portée, et des drones rôdeurs pour l’identification et l’acquisition de cibles. Cette séquence a validé le SCALP-EG comme capacité de frappe dans la profondeur, et fait naître une pression immédiate pour étendre cette arme au reste de la flotte.

Dans ce contexte, la limite principale est aujourd’hui le volume de plateformes compatibles. Avec seulement 36 Rafale affectés à des missions souvent critiques, la force aérienne cherche à multiplier les options de frappe en intégrant le SCALP‑EG sur d’autres vecteurs, en premier lieu les Su‑30MKI et MiG‑29. Le site IDRW avance que l’IAF souligne l’adaptation du SCALP‑EG aux Su‑24 ukrainiens réalisée dans l’urgence, démontrant ainsi la faisabilité technique du concept, au moins sur le principe. Ce précédent, régulièrement mis en avant dans les discussions, constitue un argument central en faveur d’une intégration multi‑plateformes accélérée.

SCALP-eg rafale

L’efficacité opérationnelle du missile renforce encore cet impératif. En Ukraine, les « vidéos montrant le SCALP/Storm Shadow défier la défense antiaérienne russe » ont largement contribué à crédibiliser sa furtivité et sa survivabilité dans un environnement fortement contesté. En Inde, l’absence d’un missile de croisière subsonique discret national arrivé à maturité, conjuguée aux retards du programme Nirbhay, entretient la dépendance à l’importation pour les frappes à longue portée. Dans ces conditions, le SCALP‑EG apparaît, aux yeux des planificateurs indiens, comme la solution la plus immédiatement disponible pour combler ce vide capacitaire.

À moyen terme, l’intégration sur le Tejas MkII est identifiée comme une voie à la fois réaliste et structurante. Les études préliminaires évoquées par l’IAF font état d’une compatibilité favorable et de gains industriels potentiels, permettant d’éviter des transformations trop lourdes des architectures russes. L’option Tejas MkII offre ainsi un chemin plus maîtrisé : campagne d’essais plus directe, standardisation bénéfique pour la logistique et la formation, et meilleure cohérence avec la stratégie d’industrialisation locale. Elle s’inscrit, de fait, dans une logique de diffusion progressive de la capacité, en complément du socle constitué par la flotte Rafale. 

Cadences MBDA et contrôles export freinent le SCALP-EG sur Su-30MKI et MiG-29 de l’Indian Air Force

Sur le terrain industriel, MBDA met en avant un coût d’intégration loin d’être marginal. Le missile de croisière aéroporté SCALP‑EG est estimé entre 2 et 3 millions d’euros l’unité, mais la véritable difficulté réside dans les adaptations nécessaires : interfaces de pylonage, databus, développement logiciel, essais et campagnes de certification. Pour une généralisation sur Su‑30MKI et MiG‑29, les coûts cumulatifs pourraient excéder les 500 M€, avec un calendrier d’essais et de qualification lourd, pesant sur la disponibilité des flottes pendant la phase de transition, d’après les éléments rapportés au sujet des échanges entre l’IAF et le missilier.

À cela s’ajoute une capacité industrielle déjà fortement mobilisée. MBDA a accru ses livraisons, mais les commandes européennes et l’effort spécifique lié à l’Ukraine saturent en grande partie l’outil de production, comme le souligne ASAFRANCE. Parallèlement, le groupe est engagé dans la mise au point de la nouvelle génération de missiles de croisière et antinavires : le programme FMAN/FMC — désormais désigné sous l’appellation STRATUS — entre en phase de développement, une étape que Opex360 a détaillée, et qui mobilise des ressources critiques en ingénierie et en essais.

Les contrôles à l’export constituent, de leur côté, un verrou supplémentaire. Certaines briques technologiques sensibles ne peuvent être transférées qu’au prix de procédures de désensibilisation, elles‑mêmes génératrices de coûts et de délais. L’expérience récente a montré que MBDA savait retirer ou adapter des composants soumis à des réglementations extra‑européennes pour sécuriser certaines ventes, mais ces ajustements ne se mettent pas en place en quelques semaines, rappelle ASAFRANCE. Dans un environnement marqué par l’évolution rapide des priorités et par de fortes pressions opérationnelles, ces dépendances réglementaires pèsent sur toute perspective de diffusion rapide et massive.

Un dernier facteur tient au risque de diffusion incontrôlée de technologies sensibles. Les relations industrielles étroites entre l’Inde et la Russie, via des programmes partagés et des coopérations anciennes, alimentent la prudence côté français. La crainte de fuites technologiques liées à des intégrations profondes sur des plateformes d’origine russe incite Paris à encadrer strictement les transferts, à compartimenter les accès, et à limiter les essais à des périmètres étroits, encadrés par des garde‑fous contractuels explicites. 

Avec le MRFA New Delhi peut viser une intégration du SCALP‑EG sur Tejas MkII sans sacrifier la souveraineté logicielle

Sur le plan politique et industriel, le SCALP‑EG devient ainsi un instrument de négociation à part entière. Paris peut articuler autorisations d’armement et droits d’intégration autour de concessions consenties par New Delhi dans le cadre du programme MRFA, en particulier sur l’accès aux couches logicielles critiques. Les analyses publiques évoquent « un accès échelonné aux calculateurs MMDC/FCC » — Mission Management and Display Computer et Fire Control Computer — conditionné à des paliers d’indigénisation. L’objectif est de concilier, dans la durée, souveraineté opérationnelle indienne et protection de la propriété intellectuelle française.

Tejas mk2
CGI du prototype du Tejas MK2

Dans ce cadre, le scénario le plus probable apparaît hybride : privilégier l’intégration native sur Rafale, déployer progressivement le SCALP‑EG sur Tejas via des kits et une production locale, tout en se limitant à des essais encadrés et très contrôlés sur Su‑30MKI et MiG‑29 pour contenir risques technologiques et coûts. Cette « solution mixte, contrôlée et progressive » permettrait d’obtenir des résultats opérationnels rapides, tout en préservant la maîtrise des briques sensibles, et en alignant l’effort industriel sur les contraintes de cadence et de certification.

La posture actuelle de MBDA éclaire, par ailleurs, la fenêtre de faisabilité. À DSEI 2025, le groupe a insisté sur la maturité atteinte par STRATUS et sur sa capacité à conduire des transferts technologiques tout en gérant une hausse de production. « Eric Béranger souligne que les avancées autour de STRATUS résultent d’un engagement collectif et de la maturité industrielle européenne, confirmant la capacité de MBDA à piloter des transferts et des cadences. » Cette déclaration, rapportée par MBDA, s’inscrit dans un contexte où chaque décision d’intégration avionique doit arbitrer finement entre ouverture et protection technologique.

Enfin, les coentreprises offrent une méthode industrielle jugée plus robuste. Le précédent de la coentreprise HAMMER BEL–Safran — couvrant assemblage, essais, assurance qualité et paliers d’indigénisation — dessine un modèle transposable aux munitions de croisière, en structurant une chaîne locale tout en sanctuarisant les briques critiques. Appliqué au SCALP‑EG et à ses dérivés, ce schéma permettrait d’accélérer la mise à disposition, d’améliorer le soutien, et d’ancrer la coopération indo‑française dans la durée. 

Entre gain opérationnel et dépendances européennes la diffusion du SCALP‑EG conditionne Rafale et Tejas MkII

À court terme, une diffusion contrôlée du SCALP‑EG sur plusieurs types d’appareils augmenterait sensiblement la flexibilité tactique de l’IAF, en multipliant les combinaisons d’emport et les options de planification de mission. En contrepartie, l’effort logistique serait conséquent : constitution de stocks suffisants, formation des équipages comme des techniciens, mise en place d’outillages spécifiques, préparation de la documentation et des data packs, sans oublier la qualification des chaînes de maintenance. Sans engagements industriels fermes sur les cadences de production et sur le soutien, ce gain opérationnel se heurterait vite à des goulets d’étranglement.

Conditionner l’accès au SCALP‑EG au calendrier MRFA renforce le levier français, mais place New Delhi devant un véritable dilemme. Obtenir rapidement une capacité de frappe élargie suppose d’accepter des concessions industrielles et logicielles graduelles, et de s’inscrire dans une gouvernance partagée des évolutions de système. À l’inverse, retarder ces concessions permettrait de préserver des marges de négociation, au prix d’un allongement des délais d’intégration, avec un impact direct sur la reconstitution de la masse critique d’escadrons.

budget des armées - merignac dassault rafale

L’environnement industriel européen constitue, en outre, une contrainte structurelle. La hausse de production décidée par MBDA a d’abord visé à répondre aux urgences de ses alliés et aux priorités capacitaires européennes, comme le détaillait ASAFRANCE. La concurrence entre théâtres d’opérations et entre grands programmes structurants peut donc introduire des latences difficilement prévisibles dans les autorisations comme dans les livraisons. Cet aléa, déjà observable sur d’autres munitions, impose des calendriers prudents et des clauses de flexibilité dans les contrats.

À moyen terme, l’industrialisation locale apparaît comme le principal moyen de réduire la dépendance aux autorisations étrangères. Le modèle de coentreprise, déjà éprouvé avec la HAMMER, permet de sécuriser cadence, soutien et qualité sur le territoire indien, tout en préparant une montée en puissance progressive. En combinant des paliers d’indigénisation avec une intégration avionique étroitement encadrée, l’IAF peut élargir ses marges de manœuvre tout en protégeant la propriété intellectuelle de ses partenaires, et inscrire sa trajectoire dans une progression graduelle vers davantage d’autonomie opérationnelle. 

Conclusion

L’affaire SCALP‑EG va donc bien au‑delà de la seule question de l’intégration sur Su‑30MKI, MiG‑29 ou Tejas : elle cristallise à la fois l’urgence capacitaire indienne et la prudence industrielle européenne. Les enseignements de l’Opération Sindoor ont validé l’effet militaire recherché, mais les coûts d’intégration, des capacités de production déjà très engagées et la rigidité des contrôles à l’export imposent une ouverture progressive. Le scénario crédible est celui d’une approche hybride : priorité au Rafale et au Tejas via des kits et de la co‑production, essais strictement encadrés sur les Sukhoï, et accélération de coentreprises locales pour sécuriser stocks et soutien.

Adossée au MRFA, cette démarche lie étroitement l’accès aux effets de frappe dans la profondeur à des paliers d’accès logiciel, pour tenter de concilier souveraineté indienne et protection des briques technologiques critiques. C’est dans ce cadre que se jouera, pour l’essentiel, la crédibilité de la coopération indo‑française dans la décennie à venir. 

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