Le rapport transmis au Congrès fixe un cap audacieux pour l’US Air Force, avec près de 1 400 avions tactiques pilotés visés d’ici 2030, et 1 558 pour abaisser le niveau de risque. La formulation reste conditionnelle puisqu’elle renvoie explicitement à l’autorisation de crédits.
La question est d’autant plus sensible que la « masse » recherchée se heurte à des contraintes lourdes déjà identifiées, qu’il s’agisse des limites industrielles, du déficit de pilotes, de la maintenance plus gourmande, ou de la dépendance accrue aux capacités de soutien. Ainsi, l’enjeu ne porte pas seulement sur la taille de la flotte de chasse 2030, mais sur la capacité de l’USAF à convertir cette masse en puissance réellement disponible au bon endroit et au bon moment.
Sommaire
Les autorisations de crédits et le basculement CCTAI rendent conditionnelle la flotte de chasse 2030 de l’US Air Force
Le document remis au Capitole pose l’ambition de disposer d’ici 2030 d’environ 1 400 avions tactiques pilotés, tout en indiquant qu’il faudrait 1 558 appareils pour conduire les missions à faible risque. L’US Air Force, l’USAF, assume un objectif de rattrapage quantitatif pour retrouver de la profondeur opérationnelle. Toutefois, ce jalon reste subordonné à l’arbitrage budgétaire. Comme l’a obtenu le média Defense One, l’atteinte de ces chiffres suppose une trajectoire financière favorable et continue, ce qui n’a rien d’acquis dans le contexte actuel.
Parallèlement, le rapport reconnaît que l’USAF ne dispose pas de la « total obligation authority » nécessaire pour engager l’ensemble des commandes, alors que des plafonds de production contraignent déjà la montée en puissance. La faisabilité du plan dépend donc autant de l’autorisation de crédits que de la capacité de l’industrie aéronautique à livrer davantage et plus vite, sans créer d’effets de bord sur la maintenance ni sur les chaînes logistiques. La prudence s’impose, car le texte insiste sur le fait que ces ambitions relèvent d’un « possible » plus que d’un acquis.
Autre pivot, la proposition de remplacer le « primary mission aircraft inventory » par le « Combat‑Coded Total Aircraft Inventory » (CCTAI). Le changement de périmètre inclurait la réserve et les avions de secours, censément pour mieux refléter la capacité de combat. La question est délicate, puisque ce glissement peut améliorer la lisibilité interne, tout en brouillant la visibilité externe sur la disponibilité effective. Une flotte plus large sur le papier n’implique pas une génération d’heures de vol équivalente si la maintenance et les ressources humaines ne suivent pas au même rythme.
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Des experts signalent enfin des manques notables dans la version non classifiée, comme l’absence de tableaux budgétaires détaillés et du Future Years Defense Program, le FYDP. Le site américain Defense One met en avant ces critiques qui rendent la trajectoire financière plus opaque. Dave Deptula, doyen du Mitchell Institute, résume la tension de fond en rappelant une urgence de moyens. « L’US Air Force a un besoin urgent de crédits supplémentaires de l’administration et de financements du Congrès pour inverser cette situation dramatique. »
Face aux J‑20 chinois, la cadence F‑35A met en lumière l’écart industriel américain
La montée en cadence chinoise pèse sur le calendrier américain. Les estimations disponibles évoquent une production annuelle de 135 à 160 chasseurs de 4e et 5e génération, dont 70 à 80 J‑20 par an, ce qui placerait Pékin sur une trajectoire de renouvellement rapide de sa flotte. Cette dynamique crée un effet d’entraînement sur l’équation du temps, qui devient un paramètre central autant que le volume cible.
Dans le même temps, l’USAF reçoit 48 à 60 F‑35A par an, ce qui entretient un différentiel de cadence défavorable face aux livraisons chinoises de 5e génération. Il ne s’agit pas uniquement d’un indicateur quantitatif. La vitesse d’appropriation industrielle conditionne la capacité à absorber la modernisation dans la durée, avec des effets visibles sur les flux de formation, la maintenance, et l’empreinte logistique. La pression du calendrier s’exprime ainsi des deux côtés du Pacifique, mais l’avantage actuel de volume se déporte vers la Chine.
Le rapport américain assume d’ailleurs que les limites de production de l’industrie bridront la montée en puissance, même si le financement était au rendez-vous. L’USAF doit donc concilier ambition de masse et réalité des chaînes. Cet arbitrage devient structurant, car une hausse trop rapide risquerait de créer des poches d’indisponibilité si les ateliers, les pièces et les équipes de soutien ne suivent pas, y compris chez les sous‑traitants de second rang.
S’ajoutent des signaux d’alerte sur les délais. Le Government Accountability Office (GAO), cité par le site Defense One, a relevé des livraisons de F‑35 retardées jusqu’à 60 jours, alors même que des frais d’incitation avaient été versés à l’industriel. Le message est clair. Le goulot d’étranglement n’est pas qu’un risque théorique. Il est déjà perceptible sur le terrain, avec des glissements de calendrier porteurs d’effets en chaîne.
La disponibilité s’érode sous l’effet des exigences de maintenance et de la pénurie de pilotes
Le déficit de pilotes agit comme une contrainte immédiate sur l’emploi des flottes. En 2024, il manque 1 848 pilotes diplômés, dont 1 142 pilotes de chasse, ce qui perturbe le flux de transformation sur avions d’armes et force des réorientations temporaires. Ce manque concerne aussi les instructeurs, facteur aggravant pour la montée en puissance. Dans ces conditions, grossir la flotte sans corriger la pyramide des compétences reviendrait à diluer l’effort, avec des escadrons sous‑dotés en équipages disponibles.
La disponibilité technique subit une pression structurelle. Les avions modernes exigent davantage d’heures de maintenance par heure de vol. Là où un F‑15 mobilisait environ dix heures d’entretien pour une heure de vol au début des années 1990, il faut aujourd’hui bien plus du double pour un F‑35A. Cet effet de ciseaux réduit la présence au contact, même si le parc augmente. Il impose de dimensionner différemment les ateliers, les stocks et les compétences, faute de quoi le taux de sortie demeure en deçà des attentes opérationnelles.
Les théâtres se sont transformés. Pour rester hors de portée des missiles de croisière et balistiques, les bases avancées doivent s’établir au‑delà de 1 500 km des zones d’engagement, et non plus à 500 ou 700 km comme vers 1990. La conséquence est double. Les besoins en ravitailleurs explosent et le temps utile au-dessus de la zone se contracte, ce qui dégrade l’efficacité de la patrouille. La pression logistique sur le réseau de ravitaillement et sur les équipages de soutien devient un facteur limitant aussi déterminant que le nombre d’avions.
Un atout demeure tangible si l’USAF sait l’exploiter. À l’horizon 2030, la Chine resterait très en retrait en avions de soutien, avec au mieux 30 à 40 ravitailleurs face à une flotte américaine d’environ 450 appareils, et une faiblesse similaire pour les avions d’alerte avancée et de renseignement. Cette supériorité logistique peut créer un effet de levier si les capacités de projection et de protection sont tenues dans la durée. Elle ne dispense pas de traiter la maintenance, la formation et les stocks de munitions, qui conditionnent la disponibilité réelle.
F‑47 NGAD, B‑21 et drones CCA prolongent la portée tout en reportant une partie du risque
La feuille de route capacitaire évolue pour répondre au Pacifique. L’USAF met en avant un trinôme associant le Boeing F‑47, successeur de supériorité aérienne du F‑22 issu du programme Next Generation Air Dominance, NGAD, et des drones de combat du programme Collaborative Combat Aircraft, CCA. Selon l’infographie du chef d’état‑major, le général David Allvin, le F‑47 afficherait un rayon d’action de combat supérieur à 1 850 km, épaulé par plus de 1 000 drones YFQ de tranche 1. L’objectif est de tenir la distance et de réduire la dépendance aux ravitailleurs en première ligne.
Dans l’intervalle, l’USAF étudie l’emploi du B‑21 Raider comme solution transitoire de supériorité aérienne à longue distance. L’appareil combine endurance, furtivité et soute généreuse, avec une architecture ouverte favorable au contrôle d’essaims de drones. Cette option n’a pas vocation à durer, mais elle répond à un besoin précis de pénétration lointaine en l’absence d’un NGAD disponible. Le gain opérationnel dépendra de la protection des vecteurs de soutien et des munitions à longue portée, sans quoi l’effet décroît rapidement.
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Le débat technico‑budgétaire reste vif. Relancer un NGAD au coût initial estimé entre 250 et 300 millions de dollars par appareil suppose un effort financier considérable. À l’inverse, une variante de type « super‑F‑35 » réutilisant des briques existantes serait moins onéreuse et plus exportable, mais elle risquerait d’emporter une partie des handicaps actuels en maintenance et en disponibilité. L’arbitrage oppose excellence unitaire et masse soutenable, sur fond de calendrier resserré.
Reste un point de méthode qui engage la transparence. Étendre le périmètre de comptage vers le CCTAI peut refléter la réalité d’une force mobilisable plus large. Cela peut aussi masquer des lacunes d’emploi effectif si la disponibilité ne suit pas. Le changement de métrique, déjà évoqué dans le rapport, devra donc être encadré pour éclairer les choix du Congrès et éviter des illusions de volume, surtout si la montée en puissance industrielle et la formation des équipages avancent à un rythme plus lent que prévu.
Conclusion
On le voit, l’ambition de porter la flotte à près de 1 400 appareils en 2030 repose d’abord sur une condition politique et financière, puisque l’effort doit être autorisé et suivi dans la durée, tandis que l’appareil industriel doit réellement accélérer. Dans le même temps, une hausse de stock sans traitement simultané de la maintenance, de la formation des pilotes et des moyens de soutien risquerait de produire une masse sous‑disponible. D’autre part, les options F‑47, B‑21 et drones CCA, comme l’hypothèse d’un NGAD révisé, offrent des réponses partielles qui n’évitent pas l’arbitrage entre masse et coût. Enfin, face à la dynamique chinoise, la trajectoire gagnante combinera relance quantitative, discipline logistique et choix technologiques pragmatiques pour l’USAF.