Mais que veut l’Allemagne en matière de Défense ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Allemagne envoie des signaux très contradictoires en matière de coopération et d’engagements de Défense ces derniers mois. 

D’un coté, Me Merkel et sa dauphine, la ministre de la Défense Ursula von der Leyen, font le tour des capitales pour signer des accords et des engagements de Défense, promettant la montée en puissance du rôle de l’Allemagne dans l’Europe de la Défense comme dans l’OTAN. Les deux dirigeantes allemandes ne cachent pas, d’ailleurs, l’ambition du pays de devenir le pivot de cette défense européenne, et de nombreux pays en Europe du Nord et de l’Est, sont sensibles à ce discours. Parallèlement, elles s’engagent dans des coopérations bilatérales en série, que ce soit avec la France, mais également avec les Pays-Bas, et plusieurs pays de l’Europe de l’Est.

Mais ce discours extérieur officiel volontariste est largement mis à mal par la réalité des actions et des discours intérieurs dans le pays. Ainsi, alors que la chancelière avait accepté de respecter les volontés d’exportations de la France dans le cadre des programmes SCAF et MGCS, les autorités allemandes ne cessent de poser des entraves vis-à-vis des exportations européennes vers des pays jugés négativement par son opinion publique, comme l’Arabie Saoudite, l’Egypte, ou l’Indonésie. Un article de la Tribune révèle que le Français Arquus a de grandes difficultés à obtenir les licences d’exportationspour des pièces détachées mécaniques de la part des autorités allemandes, dans le cadre du contrat DONASS avec l’Arabie Saoudite. De même, les britanniques de MBDA se sont vus refuser ces mêmes licences d’exportation pour les éléments du missile européen METEORdevant équiper les Typhoon saoudiens.

Les engagements opérationnels de l’Allemagne font également face à la dure réalité de l’état de délabrement des forces allemandes. Ainsi, selon le quotidien die Welt, les unités allemandes sont contraintes de se vampiriser entre elles pour parvenir à atteindre les formats minimum pour la force d’intervention européenne rapide, dont l’Allemagne assure cette année le commandement. D’autres rapports, en 2018, pointaient la très faible disponibilité des unités navales, sous-marinesou aériennes allemandes

Enfin, l’engagement pris par la chancelière Merkel, d’amener le budget de la Défense du pays à 1,5% du PIB en 2025, est également largement remis en cause par le ministre des finances, alors que la croissance allemande s’est révélée décevante et que les anticipations pour les années à venir le sont tout autant.

Il y a donc une dichotomie profonde entre les discours des autorités allemandes sur la scène internationale, et la réalité de ses propres capacités à respecter ces engagements. 

Celle-ci s’explique par plusieurs facteurs concomitants, comme l’affaiblissement de la CDU d’Angela Merkel lors des dernières élections, ayant amené la Chancelière a annoncer qu’elle ne briguerait pas de nouveau mandat à l’issu de celui-ci. En outre, en Allemagne comme partout en Europe, les tensions sociales entraine une certaine forme de radicalisation du discours politique, même au sein de l’Alliance gouvernant le pays. Enfin, l’Allemagne considère avant tout l’Europe de la Défense comme une formidable opportunité pour développer et consolider sa propre industrie de Défense, alors même que les nouvelles normes européennes risquent d’affaiblir ses positions sur le marché automobile. Au grands discours internationaux se substituent, dès lors, des intérêts économiques très concrets, et bien plus pragmatiques. On peut remarquer que si l’Allemagne rechigne à donner des licences d’exportation vers l’Egypte, elle ne rechigne pas à y vendre ses corvettes, pas davantage qu’elle ne rechigne à vendre 6 sous-marins Type 214 AIP à la Turquie, alors même qu’elle déclare refuser de moderniser les Leopard 2 A4 turcs.

Il est très hasardeux de spéculer sur quelle sera la position de l’Allemagne sur les questions de Défense lors de la prochaine décennie, et encore plus sur celle d’après. Mais on ne peut toutefois pas ignorer que l’Allemagne sera le point critique d’une éventuelle initiative européenne de Défense efficace.  

Il est donc indispensable d’envisager la collaboration, notamment franco-allemande, en envisageant les possibles, et même probables, revirements de Berlin au cours des années à venir. Surtout, ce sera à la France de constituer ce pilier capable de soutenir ces variations, et maintenir le projet sur les rails. De fait, plus la France sera militairement et industriellement puissante en Europe, moins les atermoiements allemands n’auront de conséquences sur la construction de l’Europe de la Défense. Il est même probable que ceux-ci soient moins nombreux, et moins puissants, puisque l’efficacité attendue, du point de vu politique comme industriel, sera atténuée.

L’Europe de la Défense se fera autour du couple franco-allemand, mais ne doit pas se faire sur la force de couple, faute de quoi, et en dépit des aspirations profondes des dirigeants actuels des deux pays, elle sera extrêmement fragile dans la durée. 

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