L’annonce de la commande exceptionnelle de 80 avions de combat Rafale par les Emirats Arabes Unis fut accueilli, en France, de manière contrastée. Comme c’est devenu désormais la règle à chaque annonce de contrat majeur de défense, un nombre non négligeable de leader politiques mais également d’ONG et de journalistes et éditorialistes, ont remis en cause la pertinence de ce contrat. Il est vrai qu’il ne s’agit pas toujours des mêmes arguments qui sont avancés. Ainsi dans le cas de la Grèce ou de la Croatie, les réserves mises en avant concernaient les capacités de paiement du pays, mais également l’impact sur le parc de l’Armée de l’Air qui se voyait amputé d’une douzaine d’avions Rafale pour chacune de ces commandes, même si, depuis, l’on sait que ces 24 Rafale seront remplacés par des appareils neufs livrés au dernier standard.
Dans le cas de l’Egypte, comme aujourd’hui dans le cas des Emirats Arabes Unis, ce sont des critères moraux qui sont mis en avant, notamment par certains leaders politiques notamment de la Gauche française, parfois avec une diatribe bien peu compatible avec des personnalités se présentant à la Magistrature suprême. Il apparait donc pertinent de poser de manière claire et compréhensible les enjeux qui entourent de tels contrats, tant du point de vue économique et industriel, que du point de vue budgétaire pour les finances publiques, ou selon une perspective technologique et géopolitique. Ce n’est en effet, qu’une fois l’ensemble des aspects consubstantiels à un contrat comme celui passé avec Abu Dabi établi et pondéré, que l’on peut porter un jugement efficace et éclairé.
Près de 40.000 emplois sur 10 ans
Les Emirats Arabes Unis ont donc passé une commande ferme à la France pour 80 Rafale au standard F4, avec une panoplie de services et d’équipements permettant la mise en oeuvre des appareils par les forces aériennes Emiriennes, pour un montant de 16 Md€, dont 2 Md€ pour la seule acquisition d’un stock de missile ai-air MICA NG et de missiles de croisière Black Shaheen. Les livraisons s’étaleront de 2026 à 2031, soit une moyenne d’investissement de 1,6 Md€ par an, et ce pendant 10 ans. De manière très exceptionnelle pour un contrat de cette envergure, celui-ci ne s’accompagne d’aucune obligation de production locale, ou de compensation industrielle. En d’autres termes, les 1,6 Md€ par an pendant 10 ans investis par les EAU dans le cadre de ce contrat, seront intégralement fléchés vers l’industrie de défense française, et son réseau de sous-traitance, lui-aussi national.

Or, chaque million d’euro dépensésrafale dans cet écosystème industriel de défense français, génère ou préserve 25 emplois pendant une année, dont 10 dans l’industrie de défense elle-même, 8 dans le réseau de sous-traitance, et 7 dans l’économie induite par l’activité générée. Au total, donc, les 1,6 Md€ annuels investis pendant 10 vont générer ou préserver 40.000 emplois sur le sol national, dont 16.000 dans l’industrie de défense elle-même. Dassault Aviation a d’ailleurs déjà annoncé qu’il allait rapidement faire passer la production mensuelle de Rafale de 1 à 2 appareils, puis à 3 dans les années à venir, pour répondre à la demande. Rappelons que 40.000 emplois représentent 40% de l’efficacité constatée du Crédit d’impôts pour la Compétitivité et l’Emploi, ou CICE, mesure phare des années 2015, et qui couta 18 Md€ à l’état pour la seule année 2016 ! C’est également l’ensemble de l’activité salariée privée d’une ville de 140.000 habitants comme Clermont-Ferrand.
La création ou la préservation des emplois liée à ce contrat va également avoir un impact direct sur les finances publiques de l’Etat. En effet, les 40.000 emplois concernés vont générer, en moyenne, 24.000 € de recettes fiscales et sociales dans le pays, soit un total de 960 m€ par an de recettes supplémentaires (fiscales) et de réduction de déficit sociaux, donc de boni budgétaire pour l’Etat qui aujourd’hui compense l’intégralité des déficits sociaux chaque année. A ces 960 m€, s’ajouteront des économies sociales liées au retour à l’emploi d’une part importante des personnels concernés, chacun faisant économiser à l’état, en moyenne 18.000 € par an, soit un total de 720 m€ d’économies sociales, là encore directement imputées au budget de l’état par l’apurement annuel des déficits sociaux. Au total, donc, les 1,6 Md€ par an investis par les Emirats Arabes Unis dans l’industrie de défense nationale vont générer 1,680 Md€ de recettes et d’économies budgétaires à périmètre constant pour l’Etat, et ce sans qu’il soit nécessaire d’investir quoique ce soit en retour, sur le plan économique ou social.
Pérennisation de la filière aéronautique défense
Au delà de l’aspect purement économique, ce contrat, associé aux autres prises de commande de cette année avec 24 avions pour la Grèce dont 12 d’occasion compensés par l’acquisition d’appareils neufs par le Ministère des Armées, 12 avions d’occasion acquis par la Croatie avec une commande prévue pour 2022 en compensation pour l’Armée de l’Air, et 30 appareils commandés par l’Egypte, les commandes en cours et à venir de l’Etat soit 28 appareils de la tranche 4T2 livrables à partir de 2022, 24 appareils en compensation des contrats croate et grecs, et 30 appareils de la 5ème tranche livrables entre 2017 et 2030, vont permettre de sécuriser le plan de charge de la ligne d’assemblage Rafale pour les 12 années à venir, à un rythme évoluant entre 2 et 3 appareils produits par mois, selon que nouvelles commandes seront enregistrées, notamment en provenance d’Inde.Ainsi, la chaine de production Rafale est sans conteste la plus pérenne de toutes les chaines de production d’avions de combat en Occident et en Europe, à l’exception bien entendue de la chaine F-35 aux Etats-Unis.

Mais l’augmentation de la flotte de Rafale sur la scène internationale va également engendrer une activité récurrente significative pour l’industrie française, chaque Rafale rapportant en moyenne 4 m€ par an pour sa mise en oeuvre à l’industrie de défense nationale. Avec 242 appareils exportés ou commandés à ce jour, c’est donc une activité récurrente moyenne de 1 Md€ par an qui se trouve sécurisée pour la filière aéronautique militaire française, soit 10.000 emplois directs et 15.000 emplois indirects et induits, et 1 Md€ de solde budgétaire annuel pour l’Etat français, et ce pendant au moins les 30 prochaines années. En d’autres termes, les recettes de l’Etat pour la seule partie recourent liée à ces contrats d’exportation, suffisent à couvrir les frais d’exploitation d’une flotte de 250 Rafale au sein des armées nationales.
En outre, en augmentant le parc d’avions en service, et de clients internationaux, l’Industrie aéronautique française étend la ventilation probable de ses investissements (et ceux de l’Etat), dans le cadre de la Recherche et du Developpement nécessaires pour maintenir l’avion français à niveau dans la nouvelle course aux armements qui a débuté depuis une dizaine d’années. Dès lors, ce sont toutes les capacités d’innovation et de developpement technologique de cette industrie qui se trouvent sécurisées par ces nouveaux contrats, même en tenant compte des arbitrages défavorables en matière de partage technologique dans le cadre du programme Européen SCAF. Enfin, avec un parc de plus de 450 appareils à terme, sans préjuger de nouvelles commandes, le programme Rafale va pouvoir réorganiser ses structures de couts, et probablement revoir à la baisse les couts de maintenance et d’évolution, de sorte à rendre l’appareil encore plus attractif dans un avenir proche sur la scène internationale.
Le rôle clé de l’exportation pour l’industrie de défense française
Les succès à l’exportation de l’industrie de défense française, comme c’est le cas aujourd’hui aux EAU, sont le plus souvent interprétés comme un accroissement de marge de la part de cette industrie, et de l’Etat français. Or, il n’en est rien, bien au contraire. En effet, ces exportations sont indispensables pour que l’industrie de défense nationale parvienne à developper en autonomie l’ensemble des équipements nécessaires aux armées françaises, et ce sans devoir s’en remettre, comme le font nos voisins et alliés européens, à des équipements importés, de préférence des Etats-Unis. En effet, pour maintenir une capacité globale de production d’équipements performants, l’état français devrait en moyenne dépenser 50% de plus que ses dépenses actuelles, et passer de 12 à 20 Md€ par an. De fait, ces succès à l’exportation ne constituent pas une marge supplémentaire comme il est aisé de le percevoir, mais viennent compenser un déficit d’exploitation chronique de l’ordre de 6 à 8 Md€ par an, pour que l’industrie de Défense nationale maintienne ses capacités au niveau requis par la compétition internationale.
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